dimanche 30 avril 2017

"Médée matériau": sidérante Médée !


"Médée-Matériau est une pièce du célèbre dramaturge allemand Heiner Müller (1929-1995). Pour aider Jason à s’emparer de la Toison d’or, Médée a tué son frère, trahi sa famille et son peuple. Exilée en Grèce, rejetée par Jason, elle commet dans la légende un acte de vengeance effroyable en tuant ses enfants. Mais pour Anatoli Vassiliev, grand maître de théâtre russe, il ne s’agit pas là d’un meurtre mais d’un rituel magique qu’accomplit l’héroïne en quête de sa résurrection. Ce spectacle, créé en 2002, cristallise le travail de laboratoire dans lequel Valérie Dréville s’est plongée durant de nombreux séjours à Moscou. C’est une nouvelle version qu’Anatoli Vassiliev crée cette saison au TNS. 

Anatoli Vassiliev est un metteur en scène russe dont le travail est internationalement reconnu. Il est également le fondateur du théâtre École d’art dramatique de Moscou, laboratoire d’expérimentation théâtrale. Il vient de créer en 2016 à la Comédie-Française La Musica, La Musica deuxième (1965-1985) de Marguerite Duras. "
Plateau nu, cintres évidés, carcasse du théâtre à vif dans cet écrin dépouillé, un écran sur lequel va défiler le texte de "Médéamatérial" de Heiner Muller: on le lit, attentif et concentré dans le silence; personne sur la scène, exceptés deux petits personnages de chiffon assis en bord de plateau, marionnettes, observatrices, muettes....Elle apparaît, robe style Mondrian ou Yves Saint Laurent, dessing carré sur fond de couleurs...Elle s'asseoir, hésite puis s'installe sur ce trône qu'elle ne quittera pas plus d'une heure durant et commence le monologue fatidique!
Récitante, anone le texte par bribes, comme un sprechgesang sans mélodie, elle hoquette, vocifère, éructe, se calme...Belle, majestueuse, impressionnante Médée dont le metteur en scène va faire sa matière, sa pâte à modeler le mot, le verbe, la syntaxe hors de ses gongs et loin du sens! Percussions vocales, silences, longues phrases envoûtantes. Un jeu d'acteur façonné par l'apprentissage, la répétition et l'appropriation des méthodes Stanislavski et Vassiliev: une performance de Valérie Dréville, passionnée par ce personnage, ce metteur en images vivantes. Médée se dévoile, se dévêtit, nue à demi puis intégralement, se couvre d'onguents, de couleurs tandis qu'autour d'elle le paysage marin change; une vidéo occupe tout le fond de scène. Paysage de mer, d'oiseaux, de poissons immergés, paysages lointains, rêveurs et onirique pour mieux créer flux et reflux du texte, du chant des mots arrachés à la bouche de cette "pythie" Médée, sauvage, domptée pour l'heure sur son trône figé...Pouvoir et menace, fragilité aussi pour cette héroïne prise par son destin inéluctable et fatal. Monstre et merveille de présence, de concentration, seule face à nous spectateurs pris dans le jeu, dans le dispositif scénique de proximité."La formation de l'acteur" humble et dévoué interprète, libre et contraint à la fois, sur la voix de la fabrique du langage, par le corps, ici, celui de Valérie Dréville, solide et sculpturale femme libre, maculée de boue et de couleurs, debout, manipulant in fine ces deux petites marionnettes à fil...Comme conduisant les rênes d'un traîneau de douleurs ou de désespoir.Performance qui laisse pantois quand on la quitte pour "la fin" annoncée du spectacle; elle reste sur scène jusqu'au dernier qui va la quitter du regard, fasciné par cette "bête de scène" sublime comédienne.Du "matériau" riche et pas toujours docile dans les mains du sculpteur d'espaces.

Au TNS jusqu'au 14 MAI

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