mardi 16 avril 2024

"Gounouj": quatuor hors sol majeur. Sous le soleil exactement.

 


Cie Zimarèl France 4 interprètes création 2024

Gounouj

Léo Lérus est guadeloupéen. Après sa formation au Conservatoire National Supérieur de Danse de Paris, il débute sa trajectoire professionnelle comme interprète avec différents chorégraphes prestigieux, notamment Wayne McGregor, Ohad Naharin et Sharon Eyal. En 2010, il se lance dans la création de ces propres pièces où les danses du Gwo-ka de son île natale rencontrent sa danse contemporaine acquise. Pour Gounouj, le chorégraphe s’intéresse tout particulièrement aux impacts de l’homme sur son environnement en prenant appui sur une partie très précise de son île, Gros Morne / Grande Anse, là-même où faune, flore et conditions atmosphériques sont à un point d’équilibre parfait, mais aujourd’hui compromis par l’influence des actions humaines. La question de la préservation de nos environnements suscite souvent de l’affliction et du découragement en même temps qu’une forme d’espoir dans l’adaptation. Cette alliance de sentiments a priori contradictoires sont à la base du projet du chorégraphe qui nous emmène en voyage entre “Saudade” (état émotionnel complexe entre douce tristesse et espoir) et “Bousyè” (mot créole décrivant un crustacé en période de mue). De cette évocation naît un quatuor plein de nuances, où les corps s’inspirent de ces deux sentiments en même temps.

 
C'est dans une ambiance de jungle suggérée par un environnement sonore riche de cris d'oiseaux, de mugissement que se pose la danse d'une femme vêtue légèrement d'un short et d'une tunique sombre. Danse ondulante, giratoire, langoureuse, ouverte en autant de balancements sensuels. Atmosphère intime et chaleureuse, délicieuse. Son corps se trousse et se retrousse comme des algues ou les tentacules d'une méduse enchantée. Paul Valéry compare la danseuse justement à cet animal marin des eaux profondes dans "Degas, danse, dessin" : Valéry imagine des Méduses qui apparaitraient sur un écran, des Méduses souples et voluptueuses : « Point des femmes, mais des êtres d’une substance incomparable, translucide et sensible, chairs de verre follement irritables, dômes de soie flottante, couronnes hyalines, longues lanières vives toutes cousues d’ondes rapides, franges et fronces qu’elles plissent, déplissent ». Ainsi, Valéry est fasciné par une grande Méduse excitante et séductrice : « Jamais danseuse humaine, femme échauffée, ivre de mouvement, du poison de ses forces excitées, de la présence ardente de regards chargés de désir » et ce serait un « songe d’Eros »…
 
Nous y voilà dans ce fantasme éclairé et sensible. Deux autres danseurs se joignent à elle pour former un triangle improbable qui se meut avec la même élégance nonchalante et versatile. C'est de l'orfèvrerie, du cousu main tant les corps s'adonnent à leur art sans modération, déclinant toutes sortes de franges, de diversions chorégraphiques très écrites dans l'espace. Corps pliés, dépliés, à la renverse, ivre de force et de délicatesse. Enivrant et hypnotisant sans nul doute. Les sens en éveil, les regards fascinés par tant de volupté, le spectateur est "médusé" et en proie à l'émotion autant qu'au tourment. Un solo encore plus sidérant pour ne pas effacer ces premières traces de beauté des corps charnels à la Gauguin: une danseuse s'éprend du sol, de la terre pour s'y fondre et se répandre, pour faire corps et animalité avec la terre. L'érotisme de cette séquence est celle d'un faune ou d'une nymphe un bel après midi de chaleur écrasante. Nijinski veille en secret cette créature paradisiaque.La nature est omniprésente dans cette pièce où le figure de la "grenouille" se dessine dans des sauts, des écarts de jambes, des révolutions de gestes, des oscillations de bassin fascinantes. Très aquatique la danse se déploie, se transforme en autant de traces et signes, calligraphie tonique d'une écriture propre à Léo Lérus. La grâce en prime, en suspension pour un envol qui puise sa force dans l'ancrage terrien. Lumières et musique signée du chorégraphe pour tenir cet édifice fragile qui se défait à l'envi. Sans cesse renouvelé, enrichi de petites touches comme la composition enivrante du "Boléro" de Ravel. Reprises, répétitions des gestes enrichis d'une musicalité qui sourd de toute la peau. Qui transpire et nous rappelle que nous sommes faits d'eau, de sueur et de flexibilité. La souplesse du roseau qui penche et ne se brise pas. Un ravissement inégalé. 
 
A Pole Sud les 16 et 17 AVRIL

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