Artiste familier de POLE-SUD, Dominique Boivin propose un Road Movie à sa façon. L’occasion de fêter plus de trente ans de danse et des années de complicité entre un public, un lieu et ses artistes.
"Sorte de Buster Keaton de la danse contemporaine, Dominique Boivin a beaucoup œuvré à la populariser. Il a créé nombre de spectacles développant un certain art du « beau geste », le nom de sa compagnie fondée en 1981. Son style profond et légèrement décalé a enchanté de multiples publics. Parmi ses pièces marquantes, son solo Une Histoire de la danse à ma façon et son fameux Carmen qui revisite le ballet classique. Ainsi que bien d’autres projets singuliers dont certains ont fait le tour du monde et plusieurs haltes à Strasbourg comme Transports exceptionnels. Union improbable entre un danseur et une pelleteuse, le temps d’un pas de deux ineffable. Dans son solo Road Movie, récit fleuve aux multiples épisodes, le chorégraphe amorce de premiers adieux à la scène. Quelque part entre postures et impostures, sur le fil d’une mémoire aux méandres fantaisistes, il convie selon ses propres mots : « les disparus, les inconnus, les reconnus, tous ceux qui ont bouleversé ma vie », et renoue avec le plaisir de conter. Images, danse et artistes invités sont au rendez-vous."
C'est Mark Tompkins qui se colle le lever de rideau, seul, avec sa voix de bronze: une mélodie, nostalgique, "Haeven" du chanteur David Byrne des Talking Heads, mélancolique dans un anglais rauque et profond..
.Apparition de bonne augure face à tout ce qu'il va être évoqué, deux heures durant par le farfadet, soliste de haute voltige, funambule des pas, Pégase aux pieds légers, bouffon-poète...Zarathoustra lui va si bien, Nietzsche l'accompagne tout au long de son périple de danseur qu'il évoque par le vecteur du corps, par l'intermédiaire d'une voix off, chaleureux conteur, narrateur de toute une vie de danse. Je serai danseur, point barre! Malgré les obstacles les plus comiques, les handicaps qu'il franchit haut les mains, il va son chemin, sur le sentier de l'âne, broutant; humant les fragrances inconnues de tout ce qui l'entoure: les cours de danse classique de province lui font l'aplomb, fil à tordre et retordre le corps, gracile de cette "créature" qui se fraye un chemin dans le monde cruel de la différence, du "genre" homosexuel pas encore accepté. Sa mère, il la revoit comme une Carmen qu'il incarne tout en vert velours, ou dans sa "petite robre noire" que Guerlain aurait pu lui signer, lui tailler sur mesure comme un Lacroix, une Sylvie Zkinazi ou autre star du spectacle. Ses maitres, Cunningham, Nikolais sont imprimés joliment dans ses gestes, quasi langage des signes à la Harold Loyd. "Je me voyais déjà" d' Aznavour, lui inspire un solo perché sur une table, digne des plus belles pages du cinéma muet...Plein de grâce, de délicatesse, de velouté,de déliés, de clins d’œil malicieux, mutin, Boivin séduit, enchante, ravit.
Et les "66 balais"..... ballet que son compère Daniel Larrieu fêta aussi un beau jour (60 ans, 60 balais) et qui fait irruption dans ce cabinet de curiosités, ce livret de danse contemporaine que l'on relirait à l'envi, tant le texte est beau, tout simplement: des mots justes qui sont les siens, bordés de poésie de sensibilité, de verve."Vous dansez" écrirait Marie Minier, à quoi pensez-vous alors ? A beaucoup de choses, fertiles, drôles, comiques et burlesques en diable, quasi baroques tant la précision rythmique, les mimiques sont bijoux, enluminures, traces et signes fugaces. Dans l'air, toujours comme un elfe, un lutin,une sylphide égarée dans le monde contemporain, descendue de ses cintres pour mieux incarner la danse. Des archives, il en a, la fée clochette: inclassables, trop nombreuses mais jamais encombrantes: comme une éponge, il en presse le suc et nous l'offre en élixir de jouvence. Son étagère qui oscille, barre improbable partenaire de sa "carrière" se fait docile et maintient, soutient, sa passion. Son "manège" lui sied à ravir, Purcell lui inspire la glaciation du geste froid et baroque, Fred Astaire le traverse avec ses clins d’œils malins et sa pseudo maladresse, Wagner l'enchante et il y puise inspiration et décalage avec brio et modestie.Un cygne noir, Odette pour rencontrer Barbara, une douce utopie, qui se déplace, lieu unique de tous les possibles pour cet électron libre et pourtant docile. Jamais rebelle, mais sachant se soulever, s'envoler, se transporter sur d'autres territoires incongrus. On rembobine ici le magnétophone, on passe les images sidérantes d'un autre compagnon de route, Louis Ziegler dans un solo inédit à la Valeska Gert ,d'une cantatrice déchue: bouleversante évocation des filiations, de la passation et de l'identité de tous ces chorégraphes, danseurs, rencontrés sur son parcours.Lucinda Childs et son geste haché, parcouru par la musique de Phil Glass, lui colle à la peau...
Trop beau ! Et pourtant son intégrité artistique est sauve, fraiche, juvénile, sensuelle, inspirée ! Rita, la chienne, en fond d'écran-diapo de la mémoire pour illustrer son amour des "bêtes", ces anges qui peuplent son petit monde macroscopique.Un roseau qui penche, se plie mais ne rompt pas ! Illustrateur de griffonnages, de gestes plastiques harmonieux aussi sur sa table renversée, officiante, tableau d'écolier de la vie: quel "beau geste" retrouvé !Et pourquoi pas "pape", évêque ou religieux, tant son allure, ses déplacements sont semblables à ceux d'une petite cérémonie intime où il livre et lève son calice en ostensoir mystique... Du bel ouvrage que vient troubler l'apparition d'une créature à la Leigh Bowery ou Matthew Barney, chaussée de talons hauts, fragile apparition dégenrée d'un être de couleurs, de tissus rougeoyants satinés, pourpres,brodés, parés de lumière...Une rose blanche comme feuille de figuier. Boivin-Boileau, sans soif.... Pierre Boileau, deux cornes gonflées d'air comme un lapin sorti de chez Alice au pays des merveilles, surdimentionnées, graciles, ondoyantes dans sa démarche noble de défilé de l'impossible identité. Royale apparition, où la nudité d'un corps sculpté par la lumière, vaut tous les tableaux de nus du monde dans cette galerie de musée des beaux arts, des beaux gestes!
Rien ne manque ici sauf la suite de ces "adieux à la scène" qui on le souhaite ne finiront jamais de nous hanter, de nous animer de leur candeur et de leur puissance. Un verre de champagne levé pour cette fratrie, orchestrée de main de maitresse des lieux, hôtesse de persévérance et de fidélité, la "capitaine, femme cheffe au long cours", Joelle Smadja! Santé et longue vie !
pour résumer....
- De-ci de-là, cahin-caha, va trottine, va chemine, va petit âne, va de-ci de-là cahin-caha, le picotin te récompensera. — (André Messager, Duo de l’âne, extrait de l’opérette Véronique, fin du XIXe siècle)
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France / Solo + invités / CRÉATION
POLE-SUD, CDCN Strasbourg, le mercredi 25 mars 2020 à 20:30
Très chère Geneviève, ta prose est toujours aux couleurs de ta sensibilité à l'art de la danse et à tes émotions littéraires MERCI chère Geneviève pour ce très belle hommage à mon ami Dominique Boivin, le "chorégraphe Poète'. Son solo est humble, touchant et généreux. Une part d'intimité partagé sur son histoire de Danseur.
RépondreSupprimerJe t'embrasse ... Pierre B.
Un grand merci à toi Geneviève pour tous ces mots. Bien sûr fier, touché et stimulé à poursuivre ce road movie encore tout neuf.
RépondreSupprimerAmitiés,
Affectueusement,
Dominique