Comment une boule de
bowling peut-elle devenir le catalyseur d’un mouvement ? Comment des
chaussures à crampons défient-elles les lois de la gravité ? Dans Screws,
les relations entre corps et objets sont bouleversées. Le mouvement se
fait sous l’emprise de l’objet coupé de sa fonction habituelle, c’est
lui qui impulse, propulse, contrôle ou dévie le corps. Après Red Haired Men
(2018), Alexander Vantournhout s’entoure à nouveau d’artistes virtuoses
pour explorer le potentiel créatif des particularités et des limites de
l’anatomie humaine. Cinq micro-performances émergent ici et là, dans
différents espaces du Maillon, où le public est invité à déambuler.
Tantôt chorégraphie collective, tantôt duo original ou solo précis, la
performance in situ prend ainsi la forme d’un parcours de découverte,
mêlant cirque et danse, corps et objets. Une invitation à une promenade
où chacun et chacune choisira son angle de vue sur les différentes
compositions acrobatiques. Formé en danse et en cirque, Alexander
Vantournhout nous livre avec Screws une nouvelle démonstration ludique de ce qu’est la circographie contemporaine.
Réouverture en"fanfare" du Maillon après confinement, dans des lieux et places du théâtre encore peu explorés. C'est grâce à ce spectacle hybride, véritable escalier "à vis"que la démonstration est faite: artistes et public se retrouvent dans des configurations spatio-temporelles inédites. On démarre, assis en cercle dans le grand patio, quasi à ciel ouvert, sous la verrière horizontale du théâtre. Lumières du jour caressant les corps de duos, tels des "bêtes à deux dos"qui font le cheval à bascule à grand renfort de notion de poids, tiré-poussé, contact. Duos bi-genrés, en tenue de sport, baskets et maillots colorés d'athlètes , jeux d'enfant enlacés comme les maillons d'une chaine musculaire unique, entrelacs savants de portés en architecture mouvante. C'est beau et émouvant, ludique et souriant à souhait.Trio aussi pour créer des ponts, des passerelles corporelles en construction fluide sans cesse défaites,mouvantes.Enchevêtrement de corps comme une joyeuse mêlée sportive, sans heurt ni esprit de compétition. On se mesure ici à l'imagination de l'autre, en statue qui s’échafaude sempiternellement sous nos yeux intrigués, charmés, conquis par cette décontraction feinte, ce leurre de facilité apparent. La kinésiologie est passée par là pour le meilleur. Carpeau se réinvente, stabile, les fontaines Wallace se redécouvrent dans leurs fondamentaux: grâce, équilibre, mouvance, tension-détente, ronde ou accumulations de figures, de postures ou attitudes dansantes. Camille Claudel et Rodin n'auraient pas renié ces formations collectives, "Causeuses ou Bourgeois de Calais" réinventés en ronde bosse é-mouvantes.C'est charmant: des prises statiques, des attrapes et de beaux regard complices pour équilibrer le tout. Chaque couple s'ingénie à se déstabiliser dans la joie du jeu corporel et plastique. Accroche-pieds burlesques et comiques pour déplacements inédits de bestioles fantastiques.....Étreintes en points de chainette, méli-mélo ou leporello pour des ballades "assises" fort séduisantes. La roue tourne aussi en manège circassien, de chair et de soutien collectif: danser "ensemble, "être ensemble" pour ne faire qu'un ! Et le vent tourne....
Le public est à présent convoqué dans un autre espace, le hall d'accueil pour assister à un "numéro" d’agrès: deux femmes suspendues, accrochées à l'envers comme des carcasses vivantes par les pieds, sanglés de protection.Suspendues à la barre, retenues par deux cariatides masculines sécurisantes, elles évoluent en suspension, lovées, recroquevillées, en tenue de sport, toujours avec accessoires de "torture" douce, d'entrainement faussement drastique. Corps trapézistes à l'espace restreint, petite voltige dans les airs réduits à l'essentiel: on n'a pas peur pour elles, elles naviguent dans cette démonstration technique, en lieu sûr. Le public, toujours autour d'elles, distribué en pétale de fleur, toute visibilité de plain- pied ouverte. Gémellité oblige pour cette forme étrange qui se dédouble sans cesse, inverse les perspectives, détourne les regards et les points de vue en autant de perspectives et de positionnement incongrus.Une "gymnopédie" dans le silence et les respirations communes: le plaisir d'être en alerte, ensemble au spectacle circassien!
Le rythme change à la troisième étape qui nous entraine dans "la boite noire", la salle de spectacles avec lumières et dispositif en étoile. Musique, pour démarrer un solo incongru: un homme et sa boule de bowling, scellée au poing: un exercice de style où les mouvements sont guidés par le poids de l'accessoire: pas toujours convaincante démonstration de style engagé dans un processus musculaire qui semble peu confortable...La pesanteur de l'objet de ce lanceur de poids olympique semblant rapidement un procédé répétitif.....
Autre étape en salle de "sport": sur deux plateaux, plaques de bois, deux couples en costume seyants de justaucorps étoilés, frappent ce sol à l'aide de chaussures à crampons aiguisés: sons et répercussions de gestes vifs, tranchants, massifs en frappes de pieds rythmés par le poids, les appuis, la pesanteur....Fendeurs de glace, brise-glace en premier de cordée sur un couvercle de glacier factice: c'est insolite, beau et dérangeant: le risque, le danger impliquent des mouvements précis, à l'unisson, au diapason...Bel exercice inventif de parades inédites chères au "nouveau cirque": les "bêtes" comme des anges métamorphosés en grimpeurs de séracs sur croute de glace virtuoses....On va pas dévisser pour autant et on se cramponne. C'est de l'anti patinage artistique, inspiré des attitudes et postures de cet art olympique aux figures annoncées virtuoses. Parodie tendre des poses obligées repérables et attendues. C'est drôle et décapant, bien observé et plein d'humour comme tout l'esprit du spectacle.
Et l'on quitte le théâtre pour contourner le bâtiment et découvrir le tarmac de la dernière manche, cinquième set du show! Dehors, le plein air fouette et le soleil couchant borde cette vaste plaque tournante, à ciel ouvert! Quelle liberté retrouvée que ce vaste espace voué à la course folle d'un parachutiste égaré, d'une mêlée de rugbymans déphasés œuvrant dans le ludique espace mental de Alexander Vantournhout...Riche terrain d'évolution pour la compagnie"not standing" qui prouve une fois de plus que les espaces sont générateurs d'expérimentation et de dramaturgie subtile: l'émotion, le récit qui découle de ce quintet corporel sont jouissifs et féconds.Sur cette terrasse, no-crash-landing idéal pour circassiens atypiques,plaque tournante d'un match burlesque, la musique fait son effet de décollage immédiat sans ceinture de sécurité!Arrêt sur image, appuis toujours à l'appui, shorts baillant multicolores, maillots sans brassard ni publicité, pas de compétition mais un savant maillage de corps en pyramides instables, poésie gymnique dans l'arène ou le stade joyeux de la créativité.Esthétique de l'entrainement, vision kaléidoscopique d'échafaudages branlants, de fondations mouvantes: des cathédrales bâties sur plancher flottant....Des contreforts humains d'interprètes, tous aguéris à la pratique et la découverte d'un nouvel espace d'investigation!
"Screws" au Maillon jusqu'au 6 JUIN
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