dimanche 20 juin 2021

"York" : né avec des dents dans le palais pour broyer le monde ! York-shire indomptable ! Un théâtre de pleine ère !


York (Henri VI 3e partie et Richard III)


Cie du Matamore

Cycle Shakespeare

Assemblage inédit de deux pièces de William Shakespeare, York réunit en effet la dernière partie d’Henri VI et la 3e partie de Richard III, qui forment la première tétralogie de l’auteur sur l’histoire d’Angleterre. C’est une histoire sans fin qui ne cesse de nous dire le monde et qui résonne à nos oreilles avec force en ces temps tourmentés. Ouvrage de propagande à la gloire des Tudor et d’Elisabeth Première, Reine d’Angleterre, la tonalité générale de l’œuvre glorifie la famille Lancastre au détriment des York qui y sont noircis. Mais Richard III n’est pas seul à incarner le mal, il n’est que le plus intelligent d’une meute de loup. En remontant le temps, nous recherchons et observons alors les origines du mal. L’histoire n’en devient que plus cynique. Rien n’est retiré à l’horreur. On ne la justifie pas.
Richard n’est que le résultat d’un processus qui nous concerne tous. Richard n’est pas anglais. Richard est partout où la démocratie n’est pas. Shakespeare, à jamais notre contemporain !

 Après " Sauvage" de Tchekhov, voici la nouvelle création de la compagnie du matamore et du théâtre de la faveur. Cet été, nous vous convions à vivre une grande épopée shakespearienne en pleine forêt, "York". Cette fresque est composée de deux pièces de William Shakespeare, la dernière partie d’Henri VI et Richard III. 11 comédiens, 4 h de spectacle. Un plateau de bois. "Suppléez par votre pensée à nos imperfections, divisez un homme en mille et créez une armée imaginaire..." W. Shakespeare

Retour dans la Vallée de la Faveur par un bel après-midi estival quasi caniculaire...Fraicheur de la forêt atteinte après un long parcours sylvestre: entrée en matière pour un accueil chaleureux, verre de l'amitié et des retrouvailles salutaires après confinement !

Et en avant pour l'aventure, un périple théâtral dans la prairie qui surplombe la demeure champêtre des Sipptrott, les artisans du bonheur et créateurs hors pair de sculptures divines...Assis, dispersé savamment, le public est invité au son du cri d'un loup à vivre une épopée picaresque à la Shakespeare. On s'en régale d'avance, de retrouver les comédiens du Matamore et Sipptrott junior, en pleine éclosion.Démarrage en trombe sous pluie de salves sonores pétaradantes...C'est comme une guerre de tranchée annoncée: au loin accourent soldats et fusils, comme au cinéma, cadre 16 ème contenant toutes les facettes d'une histoire de roi, de reine, de trahison, d'alliance, de calculs machiavéliques: des intrigants perfides, manipulateurs, manipulés, frôlant la mort pour mieux être exécuté par des tueurs à gage, rémunérés par la facétie, l'orgueil, la cruauté...Charlatants ou récupérateurs de destinées royales chancelantes, de filiation, de "vendetta" cruelle et dantesque !La mise en scène, cinq heures durant palpitante,avec petite pause bucolique, histoire de "souffler" et de se rassurer de ce monde torturé par l'ambition et l'assaut des tourmentes historiques Seul, Richard sera le personnage, pilier, pivot des intrigues, manipulateur diabolique animé des pires intentions, monstre, "crapaud" qui grenouille au sein de familles ennemies prêtes à tout pour venger et punir... Quasimodo boiteux ,usurpateur,désigné pour faire le mal et constituer une galerie de cadavres exquis, pour faire le "mâle"aussi auprès de proies féminines.

Quasimodo malicieux et calculateur à tombeau ouvert

Richard, c'est Yann Sipptrott qui tient le haut du plateau, une scène qui se transforme au gré des accessoires simples, modestes comme la mise en espace qui souligne judicieusement, attirances, séparation, rejet des multiples personnages changeant qui l'entourent. Seul, face à un contexte belliqueux et sanglant, hurlant des douleurs de l'ambition ravageuse d'un climat questionnant patrimoine, descendance, filiation, héritage: la cupidité va bon train et orchestre les intrigues et forfaits. Richard, le bossu qui trimbale ses handicaps physiques avec "aisance" cinq heures durant: une performance physique qui l'emporte et nous tient en haleine: le corps courbé, empêché, contraint à se déplacer claudiquant, entravé. Un corps en mouvement qui se coltine rage, passion débordantes au regard de ses proches contemporains. Comme un génocide familial, la pièce avance, ravageuse et l'on tient la tension sur ce tarmac à ciel ouvert, ère de jeux périlleux et calculateurs: tous, personnages généreux ou vils, hommes ou femmes en révolte ou en état de siège permanent pour gagner un trône, une couronne inaccessible objet de pouvoir et de convoitise...Théâtre pour "Wilderman" assoifé de sang et de conquêtes .Comme une chasse au sanglier, jambon d'York en puissance, trophée de Basse-Cour, basse-danse de futurs cadavres...C'est la grâce de Siptrott junior qui mène le jeu, la mise en espace de Serge Lipszyc qui opèrent sans jamais en découdre. Né les dents déjà plantées pour mordre et mâcher, broyer le monde...On digère les cadavres et autres assassinats concoctés par de sombres calculateurs, on vibre avec des femmes humiliées, conquises, séduisantes, en colères. Épouses, mère ou séductrices en herbe, se jouant de destins prémédités.Et la mort qui hante et façonne ce retour à la terre éternelle berceau de la vie, poussières d'étoiles, entre terre et ciel. C'est bien là le propos dans ce vaste paysage terrien, inondé de l'éther céleste du lieu. Matamore, "tueur de maures" pour ce nouvel envol de la compagnie de Serge Lipszyc, aux multiples personnages dont un délicieux facteur à la Jacques Tati fredonnant "A bicyclette" de Yves Montant, à travers champs. Champ cinématographique, hors champs au cadre évolutif, zoom ou focales au service du regard et de l'écoute du spectateur bucolique....Au pays des Plantagenet, on plante avec les dents, le nez, les griffes et Yann Siptrott se fait Denis Lavant, fourbe et calamiteux....La chorégraphie induite par déplacements, petits groupes ou solitude est remarquable!Et chacun incarne le verbe, vit et déploie toute une gamme de ressentis pour vivre moultes personnages, parfois non identifiables, tant leur succession donne le vertige!Terra incognita rebelle pour défricheurs improbables de sentiers non battus, de chemin creux comme celui qui nous a guidés vers la prairie, Land'Art de brindille, de fagots, de sentinelles harborescentes....Signés de Hugues Siptrott, peintre paysan. 

Un trône comme siège éjectable, confessionnal, échafaud ou guillotine...Un cercueil de bois noir pour une ode amoureuse et une tente abri de guerre pour coulisses à vue.Des costumes sombres et grisonnants, une jupe plissée à la Madame Grès, des houppelandes,des casques, des bottes: on est sur un champ de bataille où l'on y jette corps et âme!

Ni fleur, ni couronne mais un état de trône permanent, échafaud ou guillotine, confessionnal parfois....

Une fresque contemporaine servie par des artistes, comédiens galvanisés par l'atmosphère du lieu qui change au cours de la représentation: lumières du jour, ciel moutonneux, orage lointain, annoncé dans le texte comme des prédilections, des préméditations maléfiques...On quitte la prairie comme après une longue séance cinématographique, plein écran, perspectives et focales au poing, scène de guerre, ou solo et duos amoureux perfides...Que dire de plus que l'enchantement opère et toujours renouvelé par le dynamisme d'une équipe qui gagne et dans la mêlée se joue comme un match performant, endiablé, animé par coups de théâtre et narration à fleur de peau. Costumes sombres et gris, tente de guerre et dressing en coulisse à vue...

"York" jusqu'au 4 JUILLET à la Vallée de la Faveur


 

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