Montpellier danse interroge, bouscule, conforte la vision contemporaine de la Danse et de toutes ses ramifications
"Pour" et "Laborious song" de Daina Ashbee: danse maïeutique, catharsique !
Une pièce taillée sur mesure qui se transmet à une autre interprète: un exercice qui questionne l'écriture chorégraphique et fait de ce solo "Pour""autobiographique" une page universelle sur le corps de la femme. Une dédicace à la condition féminine intime, violente, sans concession.La nudité y est reine et fondement des propos de la chorégraphe.Elle "accouche" littéralement de tout son utérus, de tout ce que Marta Graham nommait "tension relaxation": la masse corporelle qui se fond au sol, le dilue puis agace la pesanteur corporelle.Le corps en force, appui, rebond, tremblements et vibrations d'un spasme utérin.Un solo féminin, un corps sculpté par la lumière et la sueur corporelle pour aiguiser une sorte d'indécence, de voyeurisme discret au regard de la dépense qui se joue devant nous La danseuse frappe, rebondit au sol, se tape et ausculte sa chair, sa densité pour mieux faire résonner et raisonner sa pensée de muscles vivants, percutants.Le magma charnel qui se forge ainsi, éclabousse de rythmes, de percussions de chair .
Au studio Cunningham Agora
Quant à "Laborious song" c'est le volet masculin qui s'expose: processus de carnation à vue, de masse toujours d'espace plus large pour le danseur qui arpente son territoire Le danger s'y fait ressentir, signe "masculin": bonds, ruades, bascules et sueur, chair à vif. On rejoint le solo féminin en observant la sculpture du corps, on entre en empathie avec la beauté incarnée du râle, de la jouissance qui suinte de cette évolution si proche de nous.Au final, c'est un flot de musique qui se déchaine et envahit le plateau Tout se déchaine, enveloppant corps et lumières pour célébrer le labeur, la danse au travail et tout ce qui travaille et traverse le corps.
Au Hangar-théâtre
"Ineffable" de Jann Gallois : multifaces !
Elle est dans ce solo, danseuse, musicienne et dévoile des talents encore méconnus. Les percussions, simples et dociles lui proposent un décor fait d'instruments occupant son temple zen: une belle maitrise du gong, qui trône tel un instrument plastiquement probant.Chamane, officiante d'un rituel transmissible, elle danse , solo fluide, déployé, intime.Morceau de bravoure: des mimiques, poses, attitudes à la Chaplin lui donnent l'occasion de révéler des talents de comédienne, de corps "muet" si éloquent!Dans une cage de fer, sorte de pupitre,tribune de palais de justice, la voilà quittant les codes pour se métamorphoser en corps muet si éloquent !Soliloque gestuelle, plaidoirie comique d'avocat ou rhétorique pleine de charme et de précision de jeu: une piste à creuser pour cette interprète prolixe! Une bascule circassienne pour accessoire pour une envolée lyrique très pesée, maitrisée et c'est le retour au rituel, à la prière votive, au recueillement. Un exercice personnel assez convaincant où tout vouloir dire n'est pas toujours exciter l'attention.
Au studio Bagouet Agora
"Nuit" de Sylvain Huc : ordre du jour!
Un trio s'empare du plateau, fulgurante entrée en scène dans un décor de pendrillons noirs laissant une issue en perspective, sortie ou bassin de réception tectonique...La nuit sera pré-texte à une danse fluide, limpide, translucide, évidente.Vertige d'un espace qui fuit vers l'arrière comme aspirant les corps vers le gouffre nocturne.La danse est véloce, entuilée entre les trois partenaires, unis, désunis à l'envi.Le résultat est hypnotique, envoutant et fébrile, sur le fil d'une narration des corps qui fuient, glissent, se dérobent Un paysage géologique fait de failles, de brèches ouvertes où s'immiscent le "suc" de la danse comme un élixir distillé par la porosité des matières corporelles en fusion Métamorphiques en diable pour un relief d'ondes, de courbes de niveaux à suivre intensément du regard.Musique et silence après le grondement de l'avalanche.Sylvain Huc en géologue du corps, stratifiant les couches , palimpseste ouvert du mouvement des plaques.
Au théâtre de la Vignette
"Counting stars with you (musiques femmes) de Maud Le Pladec: manque de souffle....
La musique traverse les préoccupations chorégraphiques de l'artiste depuis longtemps: il est ici question d'aller plus loin en faisant émettre, chanter, psalmodier les danseurs eux-mêmes Souffles, voix, émissions a cappella, les vecteurs du son corporel sont multiples, le chorus est berceau de la tragédie.Six danseurs s'inspirent du chant médiéval polyphonique, en solo, en choeur, ancrés au sol ou lors de divagations dansées.Le chant semble plus ou moins maitrisé alors que la pièce va bon train sans encombre. Au final, c'est un show parodique, micro en main, qui met du piment dans cette démonstration inégale de l'impact de la voix dans l'art chorégraphique.Ça sonne hélas souvent faux et les notes s'emballent au profit d'un méli-mélo prétentieux et vraisemblablement trop ambitieux Questionner la musique, c'est d'abord en faire et ne pas simuler des compétences à demi assumées.
Au Théâtre de l'Agora
"Chapter 3 : The Brutal Journey of the Heart" de Sharon Eyal et Gai Behar: tectonique du coeur !
Neuf danseurs détonants sont lancés sur le plateau comme des salves ou catapultes et la tornade démarre! En justaucorps seyants comme une seconde peau tatouée à la Wim Delvoye, les voici, entrainant dans une spirale musicale et spatiale à vous couper le souffle! Une performance que la chorégraphe visionnaire pose et impose aux danseurs, galvanisés par cette danse "gaga" mêlée de rebondissements surprenants.A tout corps, à tout coeur pour cette as, cette dame de coeur illustrés sur les costumes par Maria Grazia Chiuri: on songe aux coeurs de Jime Dine -exposés d'ailleurs à l'Hotel Richer de Belleval- Chorus ou individus déjantés, la danse prend ses quartiers une heure durant, flux sans cesse ré initié par une énergie, un tonus incroyable...Unissons décalées, déstructurées,où chacun se meut, bassin déplacé, doigts écarquillés, sur la pointe des pieds toujours, faisant figures de faunes aux sabots surélevés! C'est satanique en diable, hypnotique à fond tant l'engagement est de tous les instants. Pas de relâche ni d’entracte pour cette performance hallucinante, envoutante!Joie, jubilation cathartique au menu.Sur des musiques dingues on ressent une empathie totale avec les danseurs Quelques "poses"arrêts sur image salvateurs pour calmer la tectonique furieuse, rageuse d'architectures corporelles sidérantes
A l'Opéra Comédie
"Transverse orientation" de Dimitris Papaioannou: tableaux vivants
Son art est pictural, protéiforme: démiurge de la mise en scène chorégraphique, le chorégraphe excelle dans les extrêmes et offre des icônes saisissantes, en mouvement, déplacements toujours surprenants, inventifs.Des tableaux se font et se défont à l'infini, à l'envi. Du taureau du Minotaure dans un labyrinthe de propositions picturales à l'oeuvre il fait un personnage aux côtés des huit danseurs sur l'immense plateau du Corum. La danse résonne en hybrides, en monstres de chair nue et passive; une vierge accouche, un printemps de Botticelli se dessine, Vivaldi exulte...Ce chaos est resplendissant, bizarre, énigmatique, impressionnant les sens en éveil.Tectonique des plaques, la mise en scène est digne d'un Fellini...grec! Une nymphe se baigne et se dilue dans un lac idyllique bain de jouvence,paysage romantique à souhait.Peu ou quasi pas de danse, absence délibérée de Terpsichore pour cette muséographie de la lumière changeante.Des êtres manipulés sur une échelle, illustration en silhouettes noires comme autant de petits démons, pantins à tête d'épingle surdimensionnées aux allures de pions, de marionnettes Des images et encore des images foudroyantes de construction, de beauté, s'enchainent.Humour stylé animé des meilleures intentions picturales!Nudité aussi dépouillée pour montrer le corps qui s'expose, se montre dans sa plastique sculpturale.Réanimant le défilé d'une histoire de l'Art possible. En format renaissance, 16 ème très cinématographique, cette oeuvre dans sa largeur, amplitude et envergure est un chef d'oeuvre de meilleur ouvrier de danse. Esthétique du beau et de la métamorphose des corps qui s'imbriquent, siamois hydre à deux têtes ou chimères fantastiques.Mystique et spiritualité de concert.Une sirène debout sur sa queue qui oscille pour figure de proue de ce navire chavirant, ivre de spendeur décousue.
Au Corum
"en son lieu" de Christian Rizzo: à l'endroit, vous êtes ici !
Le solo est une "petite forme" qui va si bien à Christian Rizzo! Renouant avec ce style court et sobre, la pièce est portée par Nicolas Fayol, danseur hip-hop, pétri de délicatesse, de fluidité, de rebonds subtils.Apuis au sol, reptations, vélocité pour exprimer une solitude volontaire, ancrée, vécue au plus profond des muscles. Marcheur, arpenteur, plié, glissé il va et vient dans une forêt de micro sur pieds sur fond de cloches suisses dans des paysages alpestres ainsi convoqués: par le son, le frisson des fréquences, des tintillements sonores.Des fumées envahissent ce désert comme dans une oeuvre du plasticien Laurent Grasso et ses brouillards menaçants qui avancent de front sur vous!Des lumières rougeoyantes de soleil couchant façonnent une atmosphère unique d'au delà, d'errance, de beauté.La grâce et la rédemption se font jour dans une nudité silencieuse, ralentie, apaisée.En son temps et lieu, ici et maintenant dans une altérité confondante de sobriété.
Au studio Bagouet
"Deleuze/Hendrix" de Angelin Preljocaj: l'éthique du corps spinozien
Angelin excelle dans les rencontres, de pensées, d'espaces, de disciplines: le voici en compagnie d'un philosophe qui questionne le corps et d'un musicien habité par la performance. Une gageure à la hauteur de l'ambition de pouvoir et savoir restituer une pensée en mouvement, un savoir évoluer au fil du temps.Les prises de Paroles de Deleuze lors de ses collèges sauvages de ses interventions révolutionnaires sur des sites éphémères sont à écouter alors qu'évoluent face à nous sa danse tonique, duelle, en portés et portées musicales adéquates.L'immortalité comme sujet de débat spinozien entre autre Au tableau de ces facultés universitaires, des graffitis "moi" "chien" que les danseurs griffonnent comme des icônes corporelles, empreintes de corps plaqués à la Keth Haring. Composition constante et changeante des huit danseurs sur une musique galvanisante: justaucorps pour faire apparaitre tous les signes, phares de la danse de Preljocaj: virtuosité, enthousiasme de ces transports jubilatoires...Courbes, traces et signes dans l'espace.Les unissons sont drastiques, tirées au cordeau; la rigueur performante est au diapason du discours deleuzien: de "crétin" à "idiot" que peut raconter le corps sinon en rire. La sensualité toujours présente dans cette ambiance réfléchie qui avance et chemine sur la peau du monde.Cela ne fait pas "un pli" !
Au Théâtre de l'Agora
Une fois de plus le Festival Montpellier Danse donne l'occasion de rencontrer les chemins de la création chorégraphique au carrefour du monde.
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