vendredi 24 septembre 2021

"Shaw only" /Il Giardini : on women show !

 


La musique de chambre de Caroline Shaw est faite de souvenirs, de résurgences du passé. Chacune de ses pièces laisse entrevoir sans ambiguïté une référence à un style historique ou à une oeuvre en particulier : un geste issu d’une suite baroque, quatre accords volés à Brahms, une mazurka de Chopin dont la matière est filtrée, répétée, ralentie, approfondie… Pour la compositrice, projeter ainsi l’ancien monde dans le nouveau monde n’est en rien un geste rétrograde. Elle cherche davantage à jouer avec la nostalgie que provoque en nous les ritournelles qui nous sont chères, pour finalement confronter l’histoire à l’évolution de notre écoute, au présent.

Caroline Shaw
  Limestone and felt (2012) : un duo violon alto-violoncelle pour inaugurer cette soirée "monotype"dédiée à Caroline Shaw! Et de toute beauté!Des piqués staccato, petits touchés sur les cordes tendues pour aller vers l'archet qui glisse dans de très beaux gestes des interprètes féminines.Une mélodie semble sourdre, comme un leitmotiv qui se prolonge en reprises ou retenues délicates.

Boris Kerner (2012): un solo de violoncelle très lent, exécuté par petits touchés comme une spirale ascendante: un chant s'en détache comme écho et résonance...Quasi fugue ou suite de Bach, baroque dans ses tonalités timbrées dans la jouissance non simulée de Pauline Buet, sensuelle, abandonnée dans un corps-accord avec son instrument.Dans une scénographie lumineuse de l'église Saint Paul, une acoustique réverbérante pour souligner les contrastes autant architecturaux que musicaux La préciosité des silences, des harmoniques font de la pièce une partition légère, aérienne, évanescente: des espaces pour voyager mentalement en suspension Seul l'archet coupe court à la rêverie faite de tant de contrastes!

  Thousandth Orange (2018) :le viloncelle poursuit sa course folle, en révérences et pas de danse glissés, en arabesques dans l'espace, en pliés, relevés très baroques.L'intrusion de petits pots de terre, de fleurs sous les baguettes agiles de Eriko Minami font le reste: petites percussions claires et brèves, sèches, en tintinnabules fragiles.Dans une accélération commune, la musique fonde ce duo pertinent à son zénith d'intensité sonore.Des frappes sur les pots comme autant de clochettes d'un carillon ou glockenspiel.Des accalmies aussi, rythmées, intimes, délicates, des gammes de sons, de hauteurs, de couleurs pour une vision live très animée et dynamique!Les cordes enveloppent ces percussions primaires et si simples.


Gustave Le Gray (2012): un solo de piano, très mélodique surprend et enchante:dans des ascensions romantiques bordées de graves renforcés, des ondes délicates, en eau de pluie, se répandent.Des paysages changeants se révèlent dans des tensions, des retombées sonores, des respirations très spatiales.Une narration en émane, nostalgique à la Michel Legrand ou William Sheller...Valse mélancolique et langoureux vertige!Des inflexions dansantes, des reprises, un pianiste très inspiré,David Violi, qui frôle les touches délicieusement...Une gradation extrême dans crescendo et diminuando, un imperceptible jeu aérien: tout concourt ici au décollage cosmique sentimental!

In manus tuas (2009) : duo violoncelle et piano en petites touches précises, pincés du violoncelle dans un relai rythmique virtuose.Fantaisie ornementale, fluide, claire, vivace; l'un enveloppe l'autre qui fléchit, se penche mais ne rompt pas!Tours en rond de bosse des instruments qui s'observent, se rencontrent et s'allient...La musique est chorégraphique, mouvementée, cinématographique, sensuelle, en voltes et volutes dansantes.L'atmosphère de montée en puissance émotionnelle donne naissance au filet de voix qui sourd du corps du violoncelle.

The Wheel (2021) création mondiale: le clou du spectacle, introduit avec émotion par le pianiste.Comme les élégies de Satie, ce petit orchestre de chambre s'adonne à la créativité de la compositrice: cordes en tuilage, piqués, glissés à foison, à l'envi.Très audacieuse écriture dans des tonalités et harmoniques singulières frôlant la dissonances incongrue.Un caractère bien trempé pour cette œuvre qui se crée devant nous, bien chambrée, pleine et retentissante de résonances particulières.Marche, démarche solennelle, toujours perturbée, agacée par l'intrus, mais affirmée: les notes s"évadent du canevas traditionnel académique pour s'éparpiller, divines et magnanimes, en leitmotivs récurrents.Des reprises comme des ritournelles qui vont et viennent ou s'enroule dans un mouvement circulaire.Épilogue et fin du film étiré comme une partition de l'image animée.

I Giardini
violoncelle | Pauline Buet 
piano | David Violi
alto | Léa Hennino
violon | Thomas Gautier
percussions | Eriko Minami

A l'église Saint Paul le 23 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

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