dimanche 29 septembre 2024

"Sirius"  Karlheinz Stockhausen : sidéral et cosmogonique: des voix lactées dramatiques sublimes, poussières d'étoiles..

 


CONCERT INTERGALACTIQUE

J’ai dit assez souvent — au grand dam de tous les planétariens — que je m’étais formé sur Sirius. Tout le monde trouve cela tellement stupide que je dois bien insister pour que l’on me croie. Je me suis formé sur Sirius et je veux y retourner, bien que je vive actuellement à Kürten, près de Cologne. Sur Sirius, tout est très spirituel. De la conception à la réalisation, il s’écoule très peu de temps. Ici, ce que l’on appelle un public, des observateurs passifs, n’existe pas du tout. Tout le monde est créatif. Ce qui est important, c’est de savoir qui crée quelque chose. Invention, créativité, surprise, beauté. — (Karlheinz Stockhausen)


Sirius est un carrefour dans l’œuvre de Karlheinz Stockhausen. Après avoir cherché à faire la synthèse de cultures musicales et de spiritualités du monde entier, de Telemusik (1966) à Mantra (1970) en passant par Stimmung (1968), le compositeur dépassait le cadre terrestre pour prendre le chemin des étoiles… En 1977, lors de la création de Sirius, il s’engage déjà dans la composition de son monumental cycle opératique Licht. La pièce en est un embryon, reliant les voix, les instruments et une extraordinaire partie électronique au sein d’une dramaturgie de space opera proche de la science-fiction contemporaine, alors marquée par la sortie du premier opus de Star Wars.

Sous un ciel étoilé, la salle du Palais des Fêtes devient observatoire sidéral.Le public au choeur de la scénographie, entouré de quatre podium: le repère des dieux célestes. Sous des effets sonores de bande enregistrée, des vols de chauve souris tournoyantes, de carlingue décollantes, les  étoiles et satellites de sons surgissent. En nappes et couches denses. Quatre podiums, quatre interprètes pour servir cette oeuvre phare en "live" ! Une occasion en or de découvrir aujourd'hui ce monument de la musique contemporaine. Des bruitages et effets sonores assumés réagissent aux intervention des voix: soprano et basse et des instruments:clarinette basse et trompette. Tornade venteuse de sons pour accompagner une discussion animée entre les quatre protagonistes de cet opéra spatial de grande envergure.En toges cérémonielles, cultuelles les artistes incarnent ce que Karlheinz Stockhausen avait systématisé la couleur de ses vêtements en fonction des jours de la semaine. jaune, rouge, gris, noir. La musique dans les plis et froissés des costumes. Alliages des matériaux sonores comme un élixir des dieux, mélange de cépages harmonieux malgré les apparences grinçantes. Les ombres portées des interprètes comme des prolongations oniriques mouvantes de la musique. Dédoublés, les voici acteurs d'une tragédie dans une cosmogonie impressionnante. Personnages tragédiens surtout Damien Pass et la sublime Sophia Korber à la tessiture sidérante, au timbre chaleureux surement trois octaves pour enchanter l'atmosphère avec des tenues sans faille. Un voyage sidéral sans commune mesure, tout en démesure de composition électronique aussi. Arachnéen univers dans les é-toiles. Stella matutina oblige.Deux joutes, voix et vents implacables, irrévocable hymne à l'espace de science fiction ici évoqué. Johanna Stephens-Janning à la clarinette basse, sculpturale et divine, Paul Hûbner à la trompette inclassable.Des "stars" pour incarner ce phénomène musical qu'est "Sirius". Les visages maquillés des artistes, leur proximité, scintillent comme les astres et étoiles filantes et montantes du spectacle. Les tessitures et timbres des voix, basse et soprano colorature sont fascinants, hypnotiques. Son de vent après une accalmie, souffle, voix chuchotées presque maléfiques: les quatre interprètes se rejoignent au centre, conversation intimiste: le jeu d'acteur comme pour renforcer la grandeur lyrique et sonore de l'opus qui se déroule. Répliques des vents aux paroles des voix: litanie, sermon harangue, prières: les tons sont modulés, variés. Incroyable tenue de la trompette pour allonger espace-temps en un long fleuve intranquille. Soudain, un arrêt sur image: statues médusées, pétrifiées, tétanisée du son incarné par les corps charnels. Des clochettes, sonneries jaillissent, tintinnabulent au coeur de la bande son électronique. Constellations en perspectives pour franchir les espaces célestes. Echos, réverbérations, pulsations et vibrations nous traversent et bouleversent.Les résonances opèrent les prolongations et étirements sonores.Moteurs, coupez! La prise est bonne au final. Vrombissements de décollage aérien d'une fusée spatiale, démarrage de moteur aérodynamique comme dans un registre de futurisme italien à la Marinetti...Ou la danseuse aérodynamique féministe,Valentine de Saint Point en poupe!Spirales, éoliennes, pales, élises, turbines et ventilateurs en évocation iconique de toute beauté. Du tarmac, l'envolée, échappée belle n'est pas terminée: ce voyage de fiction musicale planétaire est un bijou, un travail d'orfèvre inédit. Les vibrations intenses qui nous ébranlent, la tectonique des masses sonores secouent et place à un silence religieux à l'issue de cet épilogue.

Karlheinz Stockhausen, SIRIUS, Version automne (1975/77)


direction artistique | Suzanne Stephens-Janning
son | Kathinka Pasveer

soprano | Sophia Körber
basse | Damien Pass
clarinette basse | Johanna Stephens-Janning
trompette | Paul Hübner

Au Palais des Fêtes le 28 Septembre dans le cadre du festival MUSICA



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