Les spectacles de Nathalie Béasse invitent le public à la rêverie en libérant la pensée, le souvenir, le récit, à partir d’un presque rien : un objet qui tombe, un bruit qui résonne, un souffle qui agite le rideau. velvet ne déroge pas à la règle. Une nouvelle fois inspiré par les arts plastiques, à travers la contemplation d’une peinture de Whistler, le spectacle prend cette fois pour point de départ le tissu, justement : matériau à toucher, qui enveloppe ou dissimule, que l’on soulève ou que l’on tire, mais aussi matière dont sont faits les rêves. Dans la tradition des tableaux vivants, la metteuse en scène agence une fantasmagorie où les corps, les couleurs et les sons se répondent. Dans les mondes à la fois mystérieux et évocateurs de Nathalie Béasse, objets, accessoires et décor ne sont pas mis au seul service du jeu de l’interprète : ensemble, ils animent le théâtre, lui insufflent une âme. Sans doute pas pour délivrer un message, mais pour (r)éveiller notre sensibilité aux choses.
Un long rideau protège la scène en front de plateau: gris, longs plissés enrobant, enveloppant les côtés. Que se cache-t-il derrière? Un visage fait son apparition, échevelé, comme en apesanteur, il grimpe le long des plis et disparait: Méduse, Gorgonde au regard pétrifiant. Des sonorités d'eau et le vent font bouger, se mouvoir les rideau immense: du vent dans les voiles histoire de regarder, scruter cette immense paroi Ce visage, masque humain, hors sol, inquiète, questionne et renvoie aux images, icônes de l'histoire de l'art. qui tranche l'espace, dissimule l'ob-scène, ce qui est "derrière la scène". Balancement du tissus très langoureux dans le silence. L'observation est un temps de contemplation du vide, du silence et cela demande beaucoup d'attention au spectateur. Au travail donc...Ambiance mystérieuse, étrange, énigmatique due à des personnages qui apparaissent entre les plis du rideau. Muets, solitaires, une valise à la main, des rubans au bout d'un bâton de majorette... Absurde monde kafkaïen, à la Ionesco aussi. Un fond sonore intemporel et cosmique pour border le tout.Le rideau devient costume, toge, un gros ours embrasse une femme dans une étreinte burlesque et passionnée Et voici le peintre, un italien très stylé, costume du dimanche et verbe prolixe très bien prononcé. Il raconte la peinture, le paysage. Soudain, c'est le lever de rideau sur un boudoir baudelairien où une femme susurre quelques mots. Tension et extrême attention de l'écoute. Une belle mise en abime du "cadre" s'offre à notre regard: les rideaux se démultiplient , créent de l'espace, scandent les volumes architectoniques. Comme un panorama qui s'emboite et résonne à l'infini. Les toiles dansent, se meuvent, le mouvement, sans corps, est lisse, fragile, spectaculaire comme un souffle. Les rideaux se replient, froissés L’alcôve disparait au profit d'un diorama digne d'un vieux musée zoologique. Des animaux taxidermisés y prennent place sur une estrade mouvante que déplacent des techniciens, manipulateurs de fortune. Beau tableau suranné d'un monde disparu où un officier fait office de statue de cire comme au musée Grévin!
L'estrade devient l'endroit du modèle: un amas de tissus sur un fauteil, six chaises distribuées comme pour un orchestre de chambre. Surréaliste et absurde en diable. Cinq pierres pour caler le tout qui part à la dérive comme un navire. Une installation digne d'un diorama muséal d'autrefois.Puis c'est la danse qui prend le pas, le temps d'un duo, frontal à l'unisson des deux corps, puis un très beau solo, fluide, enrobant d'une femme qui danse ses émois, cheveux défaits, libre, enroulant ses gestes en chutes et glissades. Chiffons, tissus que la danseuse ôte rageusement, histoire de dévoiler sa robe blanche immaculée. Danse où les tissus-objets deviennent partenaires et geôliers La Dame blanche se défroque. A vue.Jusqu'au plissé mode de la jupe à la Fortuny. Peintre couturier du pli. Chevalière en armure, St Sébastien ou Jeanne d'Arc, les visions de personnages se multiplient dans les cadres en poupées gigogne. Musique médiévale en fond pour oublier qu'elle se flagelle.La beauté et l'étrangeté de la scénographie atteint son apogée, son zénith avec cet immense rideau, mer rouge qui avance, se redresse, se gonfle. Envahissant le plateau sur son chemin. Marée montante menaçante. Le rideau gonflé avance. Vision à la Magritte d'un corps sans tête, dont le voile ascendant glisse peu à peu. C'est magique et surréaliste à point! Un lustre, un air d'opéra pour couronner le tout. Encore un ruban spiralé qui oscille sous l'effet d'un ventilateur, et le tout se calme dans la pénombre. On serait quasiment chez Méliès où la magie de la mise en scène opère pour les plus belles images kinématographique. En mouvement. " La vie dans les plis" de Michaux où "Le pli" de Deleuze en référence constante. Ici on "caresse le velours", expression argotique parisienne comme au théâtre, où l'on vient en avance pour se sentir chez soi.On se "paye une toile"
Au Maillon jusqu'au 8 Novembre
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