mercredi 17 juillet 2024

"Madame Arthur fait son opéra" et donne de la voix et du corps aux grands airs!


 "Madame Arthur" est un cabaret qui fait parler de lui depuis longtemps...Il expérimente toutes formes de spectacles, du plus "cabaret de la rue des Martyrs" à des spectacles "de poche" ou de plus petite configuration comme c'est le cas en Avignon au Rouge Gorge durant le festival off de 2024.


Opéra de chambre qui déborde de l'estrade et nous conduit d'emblée dans une ambiance torride et enthousiasmante. Menée de mains de maitre par quatre comédiennes, chanteuses, frondeuses, insolentes et charmeuses, dirigées par la pianiste de légende qui les guide et accompagne en toute fausse modestie et intimité. Car ces furies talentueuses aux costumes extravagants sont de toute beauté et charment en empathie contagieuse un public enchanté. En-chanté par des voix extraordinaires qui n'ont rien à envier aux chanteuses lyriques.

Affrontant le répertoire classique de Mozart à Saint Saens, les voilà galvanisées et transportées dans des vocalises subtiles, des phrasés lyriques contrastés et un humour décalé, fou trac et déjanté. Malice, complicité, érotisme tendre ou voluptueux, ou parade "sexuelle" saugrenue interpelant le public. De quoi jubiler et s'envoyer dans les hautes sphères du grand spectacle de divertissement plein de surprises, de retentissement. Au clavier la meneuse de jeu est sublime et indispensable. Du grand art à ne pas négliger.

Du Lac des Cygnes à Samson et Dalila, de Carmen à la variété,un trésor de florilège d'airs d'Opéra passés à la moulinette de la Place Pigalle. On se souvient de "Mourir sur scène" au dernier Festival Musica 2023 à Strasbourg: de quoi étendre un répertoire à l'infini, forever!


Au Rouge Gorge à Avignon le OFF jusqu'au 21 JUILLET

"Close Up" de Noe Soulier: S'ouvrir au monde d'une autre dimension visuelle.


 Noé Soulier exulte les corps, étourdit le mouvement, trace pointes et lignes convergents ou diffracte l'espace à l'unisson des corps qui chuchotent a capella l'ouverture de l'action."Frapper, éviter, lancer" les maitres mots du mouvement qui ont inspiré le chorégraphe se déclinent et conjuguent à l'envi.


Transportés par la présence musicale même de l'Ensemble Il Convito qui interprète des compositions de Bach: des oeuvres contrapuntiques d'une grande richesse rythmique. Les six danseuses et danseuses s'adonnent de façon jubilatoire à des conversions de mouvements, horizontaux, verticaux avec une fluidité et grâce extravagante. Entre perles baroques et danse contemporaine de "répertoire" très assimilée. Simultanément des images vidéo capturées en live sont projetées au dessus des corps mouvants ou les emprisonnant à un second niveau de lecture. Le phénomène de symbiose est rare et précieux qui ne condamne pas le regard sur ce qui est surdimensionné. Le cadrage en direct est savamment anticipé pour donner toute liberté à l'interprète de se mouvoir en même temps sans l'ignorer. Miracle de la technologie de haut vol pour opérer une synthèse visuelle très esthétisante et magnétique. Il n'y a plus qu'un seul point de vue, celui de la caméra. Une petite fenêtre horizontale munie de barreaux les filme au milieu du corps. 


Curieuse impression de mouvement bordé, bercé et magnifié. Une oeuvre très originale, musicale qui échappe à tout critère ou canon , toute référence ou cliché.  La puissance de la danse interrompue galvanise et propulse les danseurs hors de la gravité ou d'un savoir faire pré-existant. La musique transporte en temps réel ces images mouvantes d'êtres dansants dans une flamboyance inédite, surnaturelle. Noé Soulier intrigue et questionne les champs et perspectives de la danse avec un enthousiasme et une profonde réflexion empreinte de polyphonies autant que de singularité. Fugues ou logique imperturbable, la danse est incarnation et narration fictive de toute beauté.


photos Christophe Raynaud de Lage

A l'Opéra Grand Avignon jusqu'au 20 JUILLET dans le cadre du 78 ème Festival d'Avignon

"Quichotte" au festival d'Avignon 2024: Jeanne Balibar et Marie-Noelle guerrières et moulins à paroles débonnaires.


 Voir Jeanne Balibar débouler en "nuisette" légère, armes de carton pâte au poing, chevauchant rêves et illusions est un régal, un miracle: rêveuse, maline, espiègle, diabolique ennemie du mal pour faire l'utopie du bien sur cette planète terre. C'est Marie-Noelle qui introduit en prologue lu et récité de façon presque dérapante et naïve cette farce picaresque et audacieuse. Deux heures durant, le rythme farouche de cette digression chevaleresque laisse pantois. Verve, furie, chevauchée de carton, lancer de hallebardes de pacotille, tout est fragile et sur le fil. Dans une scénographie de fortune et sous des éclairages propices au Jardin  de la rue de Mons à Avignon, l'oeuvre de Cervantes est servie avec humour et distanciation. Dans le plus simple appareil ou presque les quatre comédiens-acteurs se taillent la part belle "Démonter les remparts pour finir le pont" et le tour est joué. Thierry Dupont en Sancho Panza et Gwenael Morin dans le rôle de l'âne, celui qui va son chemin cahin-caha. Frustre et simple, véridique parcours du combattant des moulins à vent fantoches. 


La pêche à la truitelle est bonne et miraculeuse et on se régale de cet humour distancé fait de bonbons a sucer, de cavalcades bigarrées. Balibar, sublime androgyne vertueuse, fascinante, belle, garçonne idéale à la présence et au regard redoutable. Marie-Noelle, désopilante, drôle et malicieuse en conteuse Rossinante, monture qui parle et raconte cette diatribe  au crépuscule du soir sous les platanes protecteurs.Un moment de théâtre inoubliable, inclassable, proche des esquisses et tableaux de Garouste éperdu du conquérant Don Quichotte.

garouste don quichotte

Au Jardin de la rue de Mons jusqu'au 20 JUILLET

"Forever" (Immersion dans Café Müller de Pina Bausch): Boris Charmatz, artiste complice du Festival d'Avignon 2024: corsé ou longo, Café Mûller sur le comptoir de la mémoire vive

 


Osez l'impossible, l'improbable tout en se basant sur la mémoire corporelle des danseurs de la création de cette pièce emblématique du répertoire du Tanztheater Wuppertal c'est le pari gagné de Boris Charmatz. Le "Terrain" est favorable  pour notre "fêlé du bocal" si entreprenant, si audacieux, si attachant, et propice à une "restauration" d'un "chef d'oeuvre" non intouchable d'un répertoire consacré. Sur le zinc et dans l'arène de la Fabrika à Avignon, il embarque le public pour plus de sept heures de représentation possible.Aventure et plongée immersive au plus près des artistes performeurs, ou installés sur les derniers gradins, en hauteur. On choisit son point de vue, sa position, son rapport physique et émotionnel aux danseurs. C'est cadeau et voir interpréter les rôles phares soit par les danseurs d'origine, soit par les tous jeunes venus est émotion et discernement. Tables et chaises bien sur pour le morceau de bravoure de 45 minutes repris à six reprises durant tout un après-midi. On y ressent toute l'énergie de ces personnages, errant les bras tendus et offerts ou se fracassant contre les murs comme à l'origine. Pina semble veiller en bonne fée sur ce berceau de la résurrection de son oeuvre chargée d'auto fiction, de sensibilité, d'humanité profonde.Alors on regarde, on écoute Purcell, on comprend que "la plainte de l'impératrice" hante encore bien des esprits et que comme Wim Wenders dans "Pina"ou Chantal Akerman, le chorégraphe se frotte et se pique au jeu du respect, de l'inclination, de la révérence. "Forever" c'est un monument et non un mausolée, une architecture de tension-détente, une maison qui danse à la Frank O.Gehry.


C'est une visite dans tous ces états de danse, guidée d'un corps à l'autre, rompu aux gestes, déplacements errances et divagations de la pièce. Entre les six versions dansées par d'autres danseurs, se glissent en entremets, entractes et sans relâche des "involving", sorte de clins d'oeil à la genèse de l'oeuvre, à sa vie à travers les expériences de chacun des interprètes.Celle de "Kaspar Hauser", la plus belle et fameuse évocation de celui que Pina désigne comme le clone du héros du film de  Werner Herzog...Comme on fouillerait la mémoire même de Boris Charmatz qui confie son cheminement auprès de bien de compagnons de route dont Raphaëlle Delaunay. Et aussi Jeanne Balibar également "Quichotte" au festival, "la danseuse malade"...Retrouvailles et complicités obligent.On se remémore ou on découvre tout un univers chorégraphique, physique, mental et "une école" Charmatz, ferment de bien des expériences plurielles. Forever pour toujours, sans fin, sans toit ni loi mais bercé d'un total respect vis à vis d'une femme dansant sa vie avec celle des autres. En s'impliquant, en s'engageant, en participant à l'existence de Terpsichore."Danser, danser, sinon nous sommes perdus"

Au festival d'Avignon 2024 jusqu'au 21 JUILLET

Les coups de coeur du festival Avignon le OFF 2024 : Danse éclectique.....

 


"C'EST LA VIDA!" Que viva Mexico!

Aurélien Kairo fait son show en compagnie du metteur en scène Patrice Thibaud et ça roule ma poule. Sur des airs de chansons emblématiques de Brassens et Trenet entre autres le voici chorégraphiant deux fameux comédiens danseurs David Walther et Liesbeth Kiebooms. Et voilà que démarre pour une bonne heure de bonheur total une enjambée poétique, acrobatique et ludique. Grand écart entre tendresse et férocité de la vie. Un humour décalé y est distillé à l'envi, la nostalgie de la bohème et du temps passé: mime et malice, mimiques cocasses et désopilantes du danseur amoureux déçu et de la Carmensita outragée, dévoreuse et enjôleuse. De la verve et du punch, du rythme tonique et branché pour sourire, rire ou pleurer. "Una danza poético hip-hopé burlesquo" qui avoisine certaines saynètes de Chaplin, c'est peu dire. On est en empathie avec tout ce qui se passe devant et derrière un petit paravent trompeur qui semble nous dissimuler les secrets de l'intimité dévoilée des deux amants. A la recherche de sa Dulcinée envolée aux quatre coins du monde. Un voyage désorganisé indiscipliné au pays de l'amour fou et de ses tracasseries. La danse est tendre autant que sauvage, les deux interprètes à fond dans le jeu et la complicité Fraicheur de la comédie musicale de chambre bien chambrée, tonicité du burlesque au poing , brandi comme un fer de lance de la gaité lyrique et chorégraphique. Kairo au meilleur de sa flamme olympique!

A la Fabrik' Théâtre jusqu'au 21 JUILLET


"ATTENDEZ MOI Solo pour Zouzou" : Regarde Maman, je danse....Zouzou dans le Lot

Sarah Crépin fait sa Zouzou, sa "peluche vivante" fétiche, brebis d'enfance égarée dans le temps qui remonte pour nous conter son enfance. Des récits de sports d'hiver mal vécus, du froid dans les doigts et des angoisses de rater la perche à saisir au vol, tout se dévoile justement et tendrement. Regarde Maman, je danse...Une danse belle et douce de structure "classique" revisité à une syntaxe contemporaine. Soliste émérite, gracieuse, aux yeux de biche non effarouchée. 


Une femme qui danse sobrement en slip kangourou rose et de tout corps, ballerine légère autant que solide. Une Jeanne Balibar juvénile et fragile.Les confessions verbales s'effacent au profit de la narration du corps dansant, en proximité dans la très jolie et sobre petite salle du Hangar décentré de la Scierie. Sur fond d'un décor de franges murales colorées qui s'agitent à son passage. Les révérences sont quasi baroques et évoquent une humilité profonde et ressentie, une modestie bien trempée pour un ouvrage de damoiselle zélée. Le tout dans des choix musicaux rares et distingués.Affaire à suivre...

A la Scierie hangar


"PILLOWGRAPHIES Danse pour sept fantômes et lumière noire" :danse spectrale

C'est à nouveau Sarah Crépin et Etienne Cuppens de La BaZooka qui nous régalent d'un septet d'ectoplasmes  bien remuant sur fond de noir d'ivoire. Outre noir dans lequel scintillent et se révèlent des formes approuvées de fantômes drapés, Loie Fuller déjantés et démultipliés allègrement aux profils de drapés ondulants. Tels de petits personnages glissant dans le vide et l'apesanteur, ils défilent, tournoient, échappent à la gravité. Rêve et noirceur quand se dévoilent les manipulateurs cachés sous ces soutanes de la nuit... 


Daphnis et Chloé de Ravel fait séquence de transition et l'on s'envole à nouveau vers le fantastique monde de l'irréel.C'est drôle et charmant, enchanteur et ravissant. Merlin veille au grain et c'est le Boléro de Ravel qui aura le dernier mot pour les entrainer dans un rythme infernal sur le chemin des feux follets de pacotille. Hypnotiques figures récurrentes qui hantent le plateau et font la nique à la mort. Au final ils s'écroulent comme des dégonflés au sol et forment des ilots flottants au gré des lumières magnétiques.Des fantômes évanescents plein d'effets de rémanence visuelle fantastique.Et l'on ne s'endort pas sur ces oreillers palpitants!

A la Scierie théâtre et tiers lieu. jusqu'au 21 JUILLET


"LE MENSONGE": le corps ne ment pas (Martha Graham)

Histoire de famille et d'empreintes sur le corps et l'esprit d'une gamine entourée de sa famille: c'est un point rouge leitmotiv du credo de la fillette qui hante son existence, la gâche ou la magnifie. Selon la forme chorégraphique choisie par Catherine Dreyfuss. Trois personnages nous entrainent dans leurs déboires et péripéties dans une danse ajustée au petit poil, sur mesure, taillée pour chacun dans une étoffe solide, ourlée, brodée ou la couleur change selon les humeurs. Obéissance ou transgression , peur du Loup pour Louise, la petite danseuse pleine de charme, de feu, de verve et de tonus. Le rond rouge obsessionnel grandit comme une tache, une souillure ou un soleil: au choix du point de vue de la psychanalyse évoquée ici de bon aloi. Gestes taillés, précis dans un décor à la mesure des enjeux: table pliante, parquet amovible structurent les esprits et la scénographie très inventive. L'espace est impacté par ces décors mouvants L'histoire se répète, les gestes reviennent sur les surfaces carrelées de la mémoire. Des trappes, farces et attrapes pour mieux décaler et faire basculer la réalité. Vérité ou mensonge: qui se fait son scénario pour contrer ou évacuer les angoisses et les phobies. Résilience, réconciliation et reconstruction d'un être cher à ses parents qui se laissent eux aussi envahir et impacter par ce "rond rouge" omniprésent jusqu'au gigantisme.et à la surdimension du fantasme. Très bel ouvrage scénique et chorégraphique porté par des danseurs techniquement à la hauteur de l'exigence au cordeau de la calligraphie de Catherine Dreyfus.

A la Scierie jusqu'au 21 JUILLET

"Impulls": pull over dance de Farfeloup à la Cour des Spectateurs Festival Off Avignon 2024


 Une maille à l'envers, une maille à l'endroit , il n'y a que maille qui maille pour ce truculent spectacle tout public signé du metteur en scène  Guillaume Carrignon : pull's arte povera pour ces cinq farfelus comédiens danseurs, mines et autres catégories d'interprètes inclassables...Ici tout se forme et se déforme à l'envi dans cette boutique fantasque "Au bonheur des Dames" ou "Bon marché" du pull-over. Rangées, dressing pour rôdeuses à la veille des soldes ou ventes privées. Des couleurs chatoyantes, de la laine moutonnante et que du bonheur. Sentir la matière, caresser la laine à perdre haleine et se retrouver dans un univers ludique et burlesque à foison, serait le credo de cette allégorie du compagnonnage burlesque et humoristique. Presque du Momix, Pilobolus ou Nikolais tant les formes abstraites de ces secondes peaux du quotidien envahissent le plateau. Jusqu'à devenir des formes suggestives; bouches, organes génitaux bien pendouillant...Amas de pulls comme du Boltansky au sol au final après un effeuillage drolatique d'un d'entre eux, de couche en couche. Désir et convoitise de la peau de l'autre qui exulte et séduit. Les peluches qui grattent ou se roulent entre les doigts sont autant de petits détails croustillants qui pimentent la narration suggestive du mouvement. Tambour battant, le rythme va bon train et l'on ne se lasse jamais de cette déclinaison du "pull-over", cet objet du désir vestimentaire des froids pays de cocagne. 


Torsades et tricot au menu, tradition et modernité d'un vêtement de légende qui hante nos armoires. Les pulls s'étirent, dansent font chainette, cordons et autres maillages en tout genre. Ca fait relâche ou entracte , on déguste les excellents choix musicaux et sous les platanes en plein air, la magie du lieu opère à potron minet. Petrits et grands sont comme des pelotes de laine qu'on dévide dans la patience de l'art du tricotage manuel.Cols roulés, bras extensibles comme des prolongements du corps, des prothèses salvatrices pour transformistes. "Impulls", c'est farfelu en diable, salutaire, inventif, hors norme XXL de l'humour dansé, frôlé, caressé dans le mauvais sens du poil : sans irrite ni gratter pour mieux se frotter à la réalité du monde textile qui nous habille.


 

A la Cour du Spectateur jusqu'au 21 JUILLET

mardi 2 juillet 2024

"Lacrima" Christi ....Pour petites mains dans l'ombre: éteindre l'incendie....Martyrs et saintes...Point de suture..sans ourlet.

 


Après la reprise de SAIGON cette saison, LACRIMA est la première création de l’autrice et metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen depuis son arrivée à la direction du TNS en septembre 2023. Une maison de haute couture parisienne reçoit une commande extraordinaire. Pendant plusieurs mois, dans le secret le mieux gardé, une trentaine d’hommes et de femmes vont travailler dans l’atelier parisien, mais aussi à Alençon pour la confection des dentelles et Mumbaï en Inde pour les broderies. Des milliers d’heures seront consacrées à cet ouvrage. Dans un grand récit choral, Caroline Guiela Nguyen raconte ces ouvrières et ouvriers de l’ombre, ces couturières, modélistes, brodeurs au savoir-faire exceptionnel, au moment où leur vie va basculer.


Le secret, la blessure, la réparation impossible d'une femme victime de son savoir-faire, de l'ambition ambiante d'une grande maison de haute couture... La violence faite à une mère, une femme-mère qui se laisse posséder par un mari pervers narcissique... Que de malheurs, que de pleurs inscrits dans la confection d'une robe de mariée de légende. Celle d'une princesse dont le narcissisme se moque bien des conditions de fabrication de son vêtement d'apparat, parade nuptiale d'un jour pour  des milliers d'heures de travail, de labeur, de "martyre". Car ici l'étymologie du mot "travail" prend toute sa dimension: martyre, pénibilité, esclavagisme... D'ailleurs l'une des étapes de fabrication de ce vêtement ne s'appelle-t-elle pas "martyr": patron ou modèle en 3D de l'ébauche des dessins, croquis et autres préfigurations du produit à livrer. Dans les plus brefs délais bien sûr: ce qui met la pression, fait des charrettes horaires, multiplie les embûches et autres questionnements d'urgence sur la facture de la robe blanche: brodée de perles et revêtue de la mythique traine de dentelle d'Alençon, une pièce de musée inestimable au regard de l'art vestimentaire. On apprend beaucoup de détails sur le "métier" de ces femmes laborieuses, ici brillamment incarnées par des actrices "amateures" pétries de présence et d'authenticité de jeu. Aussi bien dans l'action théâtrale que lors de deux interviews radiophoniques sur le plateau: rencontre entre journaliste, spécialiste du projet muséal et ouvrières. Des aveux troublants et déchirants sur la profession, son auréole secrète de fabrication qui deviendra protocole drastique de secret-défense. Rien ne doit filtrer, fuir ou se savoir à propos de cet événement gigantesque et ambitieux. 


Respire...

Atelier de modéliste, de couture au coeur de Paris ou en Inde comme berceau et réceptacle des récits, des histoires qui s'enchevêtrent comme des fils de couture de la dentelle légendaire. Éthique et grande histoire post-colonialiste sur le travail fait à l'étranger par des petites mains exploitées, torturées jusqu'à la cécité, maladie chroniques du métier de couturière, ainsi que le souffle et la respiration atteinte par l'apnée de la tension. Les inspections, contrôles de santé, médecine du travail y sont superbement vécus et interprétés par une comédienne Natasha Cashman qui endosse également le rôle de psychologue psychiatre auprès de l'héroïne Marion.  Brodeurs artisans au coeur du sujet, responsable de la direction artistique, inventeur et designer de mode hystérique: beaucoup de vrais personnages comme dans la réalité qui s'affrontent, se démembrent, rivalisent ou se détruisent par l'ambition et l'égocentrisme individualiste. La transmission au coeur de l'opus évoquée par les témoignages de nouvelles et d'anciennes dentellières: un métier qui disparait dans le secret, sans relève. La documentation sur la profession est sans cesse éclairée par le texte, la mise en scène la dramaturgie signée Caroline Guiela Nguyen: un espace qui change, se transforme au gré des séquences "cinématographiques" très proches d'une écriture de scénario pour séries. Tout commence d'ailleurs par la fin tragique de  Marion, cheffe de projet de la maison Beliana. Et tout se déroule pour dévoiler les raisons et l'histoire de ce suicide tragique d'une femme-mère-créatrice-amante. "Responsable" qui doit répondre de tout..Une charge mentale trop lourde à tenir


Le spectre de la rose-des roses: keine Rose ohne Dornen...

L'histoire des membres d'une famille qui oeuvre sous le même toit et viennent polluer l'atmosphère d'attitudes perverses et toxiques. Un drame fatal doublé d'un récit virtuel d'une autre famille: récit similaire à l'autre bout du monde où les secrets de famille tuent, épuisent, affaiblissent et rentrent dans le déni, le mensonge de Rose et Rosalie... Ces mêmes "roses" qui ornent la robe meurtrière et maléfique d'une mariée désincarnée, virtuelle, absente, exceptée par la voix off de cette Lady Di malfaisante... Dans les "points d'Alençon" se nichent des légendes néfastes et si peu d'amour: excepté celui du travail d'orfèvre exemplaire, parfait. De ces "mères courages" martyres et sacrifiées. Ne rien laisser "fuiter" surtout de tout cela pour préserver une icône, une image d'exception du métier et de ses protagonistes. Et les langues de se délier cependant par le truchements des nouveaux moyens de communication à distance: dans cette mise en espace, concrétisés par des images projetées sur écran en direct. Les wathsapp au rendez-vous des confidences, des dénis évacués mais jamais taris par le silence. Le langage des signes ici convoqué par une femme indienne qui se livre dans une gestuelle chorégraphiée au sujet des conditions de travail de son métier. Ici c'est la fatalité, l'acceptation et jamais la révolte ni la rébellion: les enjeux politiques, économiques, la renommée en question. Et ce décor qui évolue, berceau de cette magnifique robe de mariée, "inhabitée" au corps absent, vidée de sa chair, écho transparent et invisible de tout ce qui reste dissimulé au regard, à la mémoire. Alençon comme point de mire, cible et au coeur du récit: actualité, mémoire, muséale et sociétale. La musique amplifie le drame, le conduit, le devance dans un suspense inquiétant et tendu.Un "petit chef d'oeuvre" que ce tissu de mensonges et vérité porté par des comédiens "naturels", façonnés par un savoir-faire et être ensemble que seule Caroline Guiela Nguyen sait piloter, engendrer, créer. Comme cette cheffe d'atelier enthousiaste, Maud le Grevellec, porteuse de désirs, de volonté, de fraternité et d'ambition positive! Les costumes comme seconde peau du quotidien ou de la magnificence. Mais prend garde aux apparences: le brillant, les perles sont aussi des larmes amères d'un Kampf, combat perdu d'avance, larmes inscrites dans les entrelacs de la dentelle: pas de frivolité ici mais l'empreinte indéfectible de l'histoire de l'artisanat d'excellence, de rêve, de haute volée qui atteint les mécanismes du drame comme nulle autre vermine ou peste contagieuse. La mort comme issue fatale, la cécité, la fatalité comme sacrifice.

Points de croix et de chainette: instruments de la passion lacrymogène

Et au final, la boucle est bouclée: retour case départ après ce long flashback: coupures, tissage, juxtapositions cinématographiques aux accents de montage et cut propres au cinéma.Un cinéma-théâtre, nouvelle forme d'écriture dramaturgique du plateau. Les "servantes" en tremblent...Et les références sur le monde de la haute-couture au cinéma déferlent: la plus touchante: celle de Wang Bing avec son "Jeunesse-le printemps" sur des ateliers-villes ghettos de couture clandestins en Chine actuelle.

Vous ne porterez plus jamais un costume ou une parure comme avant...... Les plaies ne se réparent pas sans "points de suture"...

Au gymnase du lycée Aubanel jusqu'au 11 JUILLET 17H Au Festival d'Avignon


Spectacle en français, avec des scènes en tamoul, anglais, langue des signes