samedi 30 septembre 2023

"Memento : un livre des matières": Jérôme Combier, Ensemble Cairn : comme un monticule de phonolite incandescante.

 


CONCERT

Jérôme Combien peint une nature morte musicale, animée dans l'esprit de l'arte povera.

Les feuilles, la pierre ou le bois, les métaux, le verre ou le sable délivrent des propriétés sonores sur une scène aux allures de grand tableau. La musique — c’est aussi son pouvoir — redonne vie aux objets inertes de la nature morte. Elle les fait sortir du cadre et les porte à notre attention, comme pour mesurer l’écart entre le temps géologique de la matière et le fragile temps de l’humain à l’écoute.

Avec sa dernière création, Jérôme Combier fait écho au courant de l’arte povera et aux artistes Jannis Kounellis, Giuseppe Penone et Claudio Parmiggiani, ainsi qu’au land art de Richard Long. La salle de concert devient une surface sur laquelle gravitent des îlots sonores. La composition comme la disposition des choses font l’œuvre. Au centre du dispositif, un percussionniste fait exister les matières naturelles, et en les manipulant, les projette parmi les instrumentistes qui l’environnent. Ainsi absorbées dans l’écriture et dans l’espace, elles deviennent phénomènes, gestes, mouvements. La musique dès lors s’observe, exposée, sculptée, frottée, caressée, parfois brisée.

Memento est dédié à la mémoire de Raphaël Thierry.

Au sein de la salle de spectacle du Palais des Fêtes, le public est rassemblé autour de trois estrades et un coeur central d'où vont vibrer les sons incongrus et savamment orchestré par Corentin Marillier. Des plages plus ou moins longues engrènent le concert: les musiciens rassemblés par petit groupe dont un composé de trois instruments à vent entre autre. Sous la direction de Guillaume Bourgogne. Sons-matière pour chaque pupitre où l'instrument est considéré comme émetteur et vecteur de son hors norme. Le violoncelle devient percussion, les vents se font corde, et toutes les astuces sonores nées de la manipulation de matériaux bruts divers est un enchantement. A l'oeuvre le percussionniste rivalise d'inventivité en manipulant graines, cassantes, cosses, végétaux musicaux en diable! Du sable en cascade lumineuse au final, très esthétique image de la matière sonore et vivante. Peu de chose pour un rendu sonore déroutant: de "l'Art Pauvre" plein de richesse, de densité, de poids et légèreté en même temps.Les pièces sonores se succèdent offrant un panorama visuel flatteur. Les sons s'y glissent, radieux, solaires, inattendus et aiguisent la curiosité et l'attention chez l'auditeur. Un vaste paysage sonore où se renvoient les ondes, réverbérations et bruissements naturels. Comme un jeu d'aller et retour entre les groupes composés, tributaires d'un chef de partie singulier: ce prestidigitateur, agitateur de vibrations, de sonorités inouïes, qui font du bien dans leur chaleur et sensualité vivante. Le son acoustique au plus près des auditeurs dans cette vaste arène musicale. L'ensemble "Cairn"  exécutant cette cérémonie rituelle comme un culte à la beauté du son . Monticule ou tumulus de terre ou de pierre élevé par les Celtes en Europe, les Tibétains en Asie :  Pyramide élevée par les alpinistes et les explorateurs comme point de repère ou pour marquer leur passage ...A vous de choisir la meilleur définition pour qualifier ces explorateurs de sons, ces aventuriers des matériaux singuliers ou instruments acoutiques...


création mondiale du cycle complet

Jérôme Combier Memento : un livre des matières (2019-2023)


percussions | Corentin Marillier
direction | Guillaume Bourgogne

Ensemble Cairn
flûtes | Cédric Jullion
clarinette basse | Ayumi Mori
trompette | André Feydy
accordéon | Julia Sinoimeri
violon | Constance Ronzatti
violoncelle | Alexa Ciciretti
piano | Maroussia Gentet

électronique | Etienne Démoulin
création lumière | NN

Commande Musica, Noirlac - Centre culturel de rencontre
production Ensemble Cairn
coproduction Musica, GMEM - Centre national de création musicale
avec le soutien de la SACEM, de la SPEDIDAM et de la SACD

Jérôme Combier a bénéficié d’une résidence de travail à la Maison Dutilleux Joy à Candes-Saint-Martin durant l’été 2023.

La musique de Jérôme Combier est publiée aux éditions Lemoine

© Gaelle Belot


"Concert pour soi, nostalgie": une écoute intimiste de la musique "domestique"

 


Des musiciens et musiciennes vous accueillent chez eux pour une expérience unique. S’ouvrir à l’intimité, stopper le temps, laisser la mémoire prendre corps.

La musique possède un pouvoir mystérieux, fascinant, terrifiant même... celui de nous absorber dans l’écoute. Comme un liquide, on glisse dans les sons. Parfois même, on disparaît l’espace d’un instant, avant de réapparaître autrement l’instant d’après. C’est dans cette faille spatio-temporelle, cet entre-deux-mondes étrange, que réside notre sentiment de « nostalgie » : une douce tristesse née entre un présent qui nous semble toujours incomplet et un passé que l’on est à deux doigts faire revivre mais qui s’efface si on l’approche. 

Un bel appartement dans le quartier de l'Orangerie nous accueille: chez des violoncellistes, interprètes de haut niveau pour un petit séjour en cocooning musical. Franchi l'immense couloir, en attendant la prestation, on se détend et s'imprègne du lieu;deux petits salons d'accueil cosy pour une mise "en forme" recueillie. C'est Paola Bodin Navas qui nous conduit au grand salon, où assis nous ferons face aux musiciens le temps d'un voyage très intimiste dans trois univers musicaux, si proches, si lointains. Un solo de Witold Lutoslawski "Sacher Variations" pour violoncelle bien sur! Une oeuvre où l'artiste fait vibrer son instrument, prolongation de son corps dans des ralentissements, lamento ou glissando remarquables. L'émotion de cette proximité avec l'interprète joue et gagne en écoute, concentration et partage interactif. La grande armoire qui nous fait face laisse entrouverte une reproduction de Joan Martin, peintre, "Sadak à la recherche des eaux de l'oubli": sturm und drang musical autant que pictural: la scénographie inspire cette "nostalgie" thématique du récital.

Fait suite, la "Suite n°2 en si mineur, BWV 1067-extraits de Bach"

Un départ en soliste pour Paula qui sera rejointe par Antoine Martynciow: une étrange complicité d'interprètes qui se bordent, s'accompagnent, se doublent dans cette interprétation au plus près de l'instrument, de sa sensualité, de ses mesures, hauteurs et timbres si nuancés.

Fera office d'épilogue une oeuvre de Kaija Saariaho, "Sept papillons" pour une ballade bucolique sur les cordes du violoncelle: ajustant une multitude de timbres insolites, des passages virtuoses, guidés par la musicalité de l'interprète. Celui qui nous sortit sa partition d'un joyeux désordre créatif, se révèle stricte et confiant dans son toucher, ses glisser et petits coups de doigts sur les cordes.

Un récital bien "chambré"comme dans une alcôve baudelairienne, bien timbrée et tempérée au plus juste d'une relation étroite entre auditeur et interprète.

Le samedi 30 Septembre 15H 30 dans le cadre du festival MUSICA

vendredi 29 septembre 2023

"Everything is important": Jennifer Walshe enflamme le Quatuor Arditti!

 


SPECTACLE

Tout, tout, tout peut être pris en considération en musique : le désastre écologique, les technologies numériques de contrôle de la société, l’accroissement des inégalités sociales… EVERYTHING IS IMPORTANT est peut-être le meilleur exemple de ce que Jennifer Walshe nomme « une nouvelle discipline ». C’est-à-dire une façon ouverte de créer, en prise avec le monde et usant de tous les moyens disponibles : la notation, l’improvisation, le texte, la vidéo, les actions scéniques, l’environnement, les avis et convictions de chacun, chacune, etc. Composée non pas « pour » mais « avec » le Quatuor Arditti, la pièce expose une liberté de penser et d’agir peu commune. Peut-être frise-t-on le relativisme ? Absolument, et celui de la compositrice irlandaise est strict et rigoureux, jubilatoire même, renversant tout procès en anticonformisme en affaire de sens.


création française

Jennifer Walshe Everything is important pour voix, quatuor à cordes et vidéo (2016)

Ecouter et voir le Quatuor Arditti est toujours un bonheur, un délice d'écoute : alors en compagnie de Jennifer Walsche c'est une surprise plus que déroutante. Les complices de toujours se piquent au jeu pluridisciplinaire de la performeuse-chanteuse avec malice, humour et engagement. Leur performance inouïe de servir cette oeuvre atypique est à saluer et l'on peut souligner leur aisance à se frotter à tous les registres. Cette opus très "nouvelle discipline" se révèle objet non identifiable tant les rebonds sonores, les événements vocaux versatiles s'accumulent et donnent le ton: irrévérencieuse prestation d'une trublione de la scène musicale auprès de solides interprètes aguéris à toute forme d'hybride, de baroque formel et c'est un phénomène dorénavant apprivoisé que cette formule spectaculaire originale qui mène sur les chemins du décalé, coupé, crié ou murmuré. La technique vocale usant et abusant de sautes de timbres, de hauteur, d'octave à profusion. Comédienne, chanteuse, performeuse Jennifer Walshe prouve ici que tout est important, rien n'a négliger dans la sphère de la recherche laboratoire de la musique indisciplinée, indisciplinaire...


performance | Jennifer Walshe

Quatuor Arditti
violon | Irvine Arditti
violon | Ashot Sarkissjan
alto | Ralf Ehlers
violoncelle | Lucas Fels

commande Internationales Musikinstitut de Darmstadt, Huddersfield Contemporary Music Festival, Gong Tomorrow (Danemark), November Music (Pays-Bas), Centre Culturel d’Onassis (Grèce) et le Quatuor Arditti
© Kai Bienert

Salle Ponnelle dans le cadre du festival MUSICA le 29 Septembre


"KV385" Séverine Chavrier, Pierre Jodlowski, Orchestre philharmonique de Strasbourg : chéri j'ai rétréci Mozart....

 


CONCERT MIS EN SCÈNE

La Symphonie Haffner de Mozart sur les planches du théâtre. Une dramaturgie de l'écoute.

Elle n’était plus qu’un numéro d’archive, un document, un code à déchiffrer. Auditeurs et auditrices, dit-on, s’en étaient lassés à force de l’entendre. Désormais, les musiciens œuvrent à la manière d’archéologues dans les dédales d’un site funéraire. Que peut encore nous dire une partition musicale issue d’un passé perdu ? Que révèlent ses différentes strates, ses codes et conventions oubliées ?

Le génie de Mozart : d’avoir été en avance sur son temps, de transcender les moindres formules musicales de ses prédécesseurs et de ses contemporains, et cela en revendiquant une indépendance que nul n’avait su atteindre jusque-là… Le panégyrique pourrait être infini, mais il retient plus rarement une autre qualité. Celle d’avoir été en avance sur le désespoir et de nous prendre aujourd’hui encore au piège de la mélancolie.

En usant des moyens du théâtre, Séverine Chavrier et Pierre Jodlowski sondent cet héritage sous la forme d’une expérience et d’une fiction musicale : cette Symphonie Haffner de Mozart, faisons mine de l’entendre pour la première fois et tentons collectivement de lui résister. Là où elle nous tient en joue — l’oreille comme cible —, décomposons et recomposons-la, pétrifions son harmonie, livrons ses motifs au chaos… et tentons ainsi, stoïques à l’écoute, de la déjouer.

Sur le plateau du TNS, une partie de l'Orchestre philarmonique, dissimulé derrière un rideau opaque, futur écran récepteur d'images. Et la musique de Mozart d'entonner ses poncifs archi connus en tranches comme des strates de millefeuilles sonores. Du classique déroulé de la symphonie Haffner, voici façonné un ouvrage en couches interrompues par des sons et bruits synthétiques de haute volée technologique. Interruptions dans ce vaste phrasé ainsi saucissonné en tranches toujours comme une architecture en déséquilibre instable, éphémère construction en devenir. La musique surprend, se hache, se coupe, se fractionne en suspension frustrante et castratrice. Le flux s’interrompt alors que la montée orgasmique des sons en plateau parvient difficilement a trouver son apogée. Les images de l'orchestre, enregistrées ou en direct impactent la dramaturgie, l'écran en bord de scène sème le trouble, des images de forets, d'arbres menacés de mort, de la neige au sol et des sapins décatis évoquent une catastrophe naturelle proche.Curieuse pièce courte où tout bascule entre classique et contemporain dans cette "new discipline" multimédia qui décortique, malmène et maltraite le son avec délectation et virtuosité technologique. Mozart rétréci, Mozart distendu, prolongé, pétri et endommagé à l'envi dans des intentions de déconstruction avouée d'une référence musicale galvaudée.
création mondiale

Wolfgang Amadeus Mozart Symphonie no 35 en ré majeur, KV 385, dite ”Haffner”

direction | Jean Deroyer

Orchestre philharmonique de Strasbourg

mise en scène | Séverine Chavrier
adaptation de la partition et conception électroacoustique | Pierre Jodlowski
scénographie et régie plateau | Louise Sari
vidéo | Quentin Vigier
régie vidéo | Claire Willemann
cadreur | Frédéric Letterier
régie générale et lumière | Germain Fourvel


 représentations au TNS dans le cadre du festival MUSICA
ven 29 sept - 20h30
sam 30 sept - 20h30


production Musica
coproduction Orchestre philharmonique de Strasbourg, CDN d’Orléans
avec le soutien du Théâtre National de Strasbourg et de la SACD

© Mathias Steffen
© Lukasz Rajchert


PERFORMANCE Kaori Ito & Lou Renaud-Bailly TJP CDN & Les Percussions de Strasbourg


 Le titre de l’un de ses spectacles l’avance – Je danse parce que je me méfie des mots (2015) : Kaori Ito, danseuse, chorégraphe, exprime par le corps ce qui ne peut se dire. Au fil des années, elle s’attache à dialoguer avec les gens et raconter des histoires, souvent intimes, parfois inventées. Sur scène, toujours en dansant et avec humour, prendre la parole est pour elle un moyen de s’ouvrir aux spectateur·rices et partager la danse avec les personnes qui n’en sont pas forcément familières. Elle aime le faire en improvisant avec un·e musicienne. Parfois il ou elle aussi parle et confie des anecdotes personnelles. Parfois il ou elle danse et Kaori Ito se met, elle, à jouer de la musique. Elle grimpe sur l’autre pour le·la déstabiliser. Iels restent disponibles à tout ce qui se passe. Une situation cocasse ou ridicule, le dialogue spontané entre deux personnalités, l’élan de la musique et de la danse, l’inattendu : tout ce qui compose la performance contribue à instaurer une relation simple, intime et touchante avec le public. Amatrice de ce format de jeu et de la surprise qu’il offre, Kaori Ito a performé avec de nombreux·euses musicien·nes, notamment Lucie Antunes, Elise Caron, Theo Ceccaldi, Christophe, Peter Corser, Médéric Collignon et Arthur H.

Pour cette ouverture de saison, elle invite dans la danse Lou Renaud-Bailly, musicienne des Percussions de Strasbourg.

Danseuse et créatrice depuis 20 ans, Kaori Ito cherche à faire émerger un mouvement vital qui relie les corps et fait exister le vide, l’invisible et le sacré. Née au Japon dans une famille d’artistes, elle se forme très jeune à la danse classique puis à la modern dance à New York. Interprète pendant plus de 10 ans pour de grandes compagnies européennes, elle ressent le besoin de créer sa propre compagnie afin de développer sa démarche artistique et son écriture chorégraphique. Elle fonde la compagnie Himé en 2015. Après une trilogie autobiographique, elle opère un retour à sa culture japonaise dont elle s’inspire notamment pour créer, en 2020, la première pièce où elle n’est pas au plateau. Convaincue de la nécessité de faire entendre la parole des enfants et de donner une place à leur créativité, elle commence en 2021 à créer avec et pour le jeune public. À la croisée des cultures et des langues, des courants, pratiques et disciplines, Kaori Ito développe un vocabulaire artistique hybride et une démarche de création sur la voie de rituels contemporains. Animée du désir de porter un projet qui rêve l’avenir avec la jeunesse et lui donne corps par l’art, Kaori Ito se consacre à ce vœu en 2023 en prenant la direction du TJP, Centre Dramatique National de Strasbourg. Elle souhaite en faire un lieu de théâtre transdisciplinaire, interculturel et intergénérationnel qui défend la transversalité de l’art, l’importance des questionnements des enfants et leur implication dans les processus de création.

 

Également dans le cadre de l’ouverture de saison :
Manuel, laveur de mains
; Battle mon cœur et Issue de secours.

DE ET PAR KAORI ITO ET LOU RENAUD-BAILLY, MUSICIENNE DES PERCUSSIONS DE STRASBOURG

"" Sonic Temple #5 La lutte libre" : en un combat singulier! L'insoutenable poids des ondes. La frappe comme tonique sonore..

 


Méryll Ampe
a mené une longue enquête sonore au Mexique dans le contexte de la lucha libre, le catch masqué devenu symbole du pays. L’artiste pose le cadre — le ring imaginaire — d’une soirée où la musique devient elle aussi un sport de combat. Dans le bruissement de la foule des supporters se dégagent différents phénomènes de tradition expérimentale, des inspirations préhispaniques de Vica Pacheco aux maracas réinventées par Daniel Zea et François Papirer, en passant par la folk bruitiste de Julien Desprez. L’issue de la lutte est toujours une victoire, toujours une défaite. Alors, dans l’espace vidé de ses corps vaillants, de ses éclats et huées résonnent El llamado de Mario de Vega et les sifflets de la mélancolie.

Tonnerre d'applaudissements sur la bande son, sifflets, cris et rumeurs des houligans ou supporters d'un match invisible. C'est "Lucia libre" de Meryll Ampe 1st round comme prologue à la soirée Sonic Temple de MUSICA . Alors que le public s'installe calmement : Nicolas De Stael aurait adoré lui qui dans ses toiles sur les footballeurs revendiquait le son..Ici c'est le catch qui est visé, combat mexicain, masqué qui remplit l'atmosphère et l'espace de toute l'église St Paul.— C'est Gilles Olz qui succède à cette entrée en matière sonore avec deux oeuvres pour orgues: "Juan Cabanilles Pasacalles de 1tono" et "Estanciao Lacerna Tento de 6° tono": l "Primitivo" en création mondiale'instrument résonne et amplifie les sons par une gymnastique sonore incroyable...Belle image de l'instrumentiste aux commande dans une scénographie lumière adéquate.

"Primitivo" en création mondiale fait mouche. Dans un halo de lumières rougeoyantes, la silhouette du percussionniste se fait diabolique. François Papirer signe un opus digne de toutes ses capacités inventives et techniques, nourries d"une expérience prolifique et raisonnée d'un art de la percussion à perte de vue et d’ouïe. Les morceaux se chevauchent, s'articulent, s'emboitent et se superposent en nappes sonores denses et fluides. Celui ci est tel les sons de criquets, du ressac de la mer, de bâtons de pluie en tempête ou résonances percussives. Seul aux commandes il crée des univers singuliers, battements d'ailes d'un oiseau mécanique à la Hitchcock ou Nino Rota. Images cinématographiques qui sèment le trouble et mélange les genres... Locomotive, dynamo, moteur aérodynamique futuriste qui s'emballent autour de la nef et en font une performance de circuit automobile au Lingotto...Le sport est convié dans sa hargne, avec ses hordes de souteneurs infaillibles...Guerres, mitrailleuses, salves s'y rajoutent en un combat singulier tribal, la meute de sons rejoint les ondes déferlantes, les tonalités des matériaux préconisés. Coups de canon, feu d'artifice, pétarades et sirènes pour une réverbération du son amplifié par Daniel Zéa aux consoles. Les grésillements et scratchs comme ferments volubiles d'une musique tectonique à souhait. Murmurations célestes de bon aloi...

Une ou deux pauses encore en entremets ou entractes de Meryll Ampe pour nous ramener dans l'arène du jeu et du pain populaire : ça crie, ça cogne en "quatre boules de cuir", ça castagne pour une mise à tabac virtuelle. Tout bascule dans la vibration, la guérilla. pas d'arbitre dans cette embuscade sonore perpétuelle, sismique telle un tremblement de terre qui enfle et déborde.

Puis c'est "Animacy-or a breath manifest" que nous convie  Vica Pacheco: Foret vierge à l'ambiance végétale tropicale aussi soulignée par les pois de couleurs des spots à la Yayoi Kusama.

Julien Deprez à la guitare et au chant s'ingénie à crever l'espace avec "Simply Are": déflagrations et vibrations d'usine en délire technologique pour effets titanesques de bruits et de fureur.

Au final après ces secousses telluriques, "llamadot" de Mario de Vega offre des images de cracheurs de feu, de sifflements stridents, vibratiles persistants, amplifiés, solubles dans l'air en fragrances musicales détonantes. Les phénomènes géologiques et sociétaux de concert dans cet événement inclassable, "lutte libre" sans toit ni loi aux moeurs de notre temps: violence, décibels à fond...L'arbitre sifflera trois fois pour extension des feux de la rampe sur le ring invisible d'un film transparent, d'une éloquence des sons et des bruits de foules.. Un assortiment où "nos héros sont morts ce soir" "racing bull" ou "rocky"musicaux pour un match tonitruant vu des estrades confortables du spectateur, témoin de combats, de luttes, d'affrontements musicaux bien particuliers.

commande Festival Musica, production Festival Musica, avec le soutien de Césaré, Centre national de création musicale de Reims, Pro Helvetia et FONDATION SUISA (Daniel Zea, François Papirer Primitivo)

jeudi 28 septembre 2023 — 21h00
Église Saint-Paul

 


mercredi 27 septembre 2023

"Poppe par Poppe" : poppe art singulier!

 


CONCERT

Enno Poppe est un compositeur de la prolifération. Chacune de ses pièces naît d’une idée ou d’un processus singulier qui se déploie de manière quasi virale dans la partition. Considéré comme l’un des compositeurs les plus originaux et accomplis de sa génération, il prend aussi régulièrement la baguette pour diriger sa propre musique. Tel est le cas à Musica où il conduit l’Ensemble intercontemporain dans l’interprétation d’une de ses pièces les plus marquantes, Prozession. L’œuvre est un immense flux découpé en neuf parties, chacune introduite par un duo différent. Est également donnée en création française, sa dernière œuvre en date, Blumen. Alors, Enno Poppe, le nouveau pape de la musique contemporaine ?


Enno Poppe
Blumen (2023), création française : un panel , une corolle florale séduisante

Un véritable florilège   de l'art de composer de Poppe, cet artiste inclassable qui dirige lui-même ce soir là l'Ensemble Intercontemporain de sa gestuelle atypique, longue silhouette gracile très mobile aux gestes précis, infléchis par le rythme et les interventions ciblées de chaque instrument. Ode aux chants des instruments dont le trombone sera une véritable révélation de sons inouïs et décalés, évoquant une voix languissante, un cri d'enfant, un râle animal...C'est tout un univers, une ambiance surprenante et pétrifiante qui anime cet opus fait de quinze séquences qui s'enchainent par de courts silences interrogateurs.Chacune possède son caractère, brève ou plus longue comme autant de "nouvelles" en littérature formant un recueil, un bouquet de pièces comme un herbier. Que l'on feuillette en regardant et écoutant ce jardinier qui s'affaire à distribuer les rôles des instruments, leur place sonore dans ces compositions miniatures de grande classe. Comme autant d'enluminures d'un recueil horticole, d'un petit catalogue de fleurs dispensant des fragrances et autres matières végétales. Blumen, c'est une ode à la diversité, à la singularité de chaque instrument, un doigté de direction d'ensemble à la mesure de la précision des orientations, des décisions d'écriture dans un espace temps restreint, une surface, ou superficie du son vaste et inventive. Monsieur Jack dans une narration sonore et sa mécanique du coeur...

Prozession (2015-2020) : un genre musical unique..

Une oeuvre gigantesque marquée par les contrastes et modulations constants. Du point de départ en prologue sur de légères percussions évoquant des gouttes de pluie  Puis le volume enfle, les instruments se font apparition sonore virulente et singulière, chacun dans sa sphère, rivalisant avec les autres pour mieux se perdre dans l'énorme masse sonore tonitruante. C'est magistral et pointilliste à la fois, chaque touche composant un paysage impressionniste chatoyant.Tableau très plastiquement sonore où la composition semble celle d'un peintre devant son chevalet. Poppe très investi physiquement dans une gestuelle nette et engagée, très chorégraphiée. Un homme singulier dirigeant sa musique à l'affut, aux aguets. Procession quasi mystique pour honorer les percussions, morceau de choix comme une "fanfare qui ne marche pas"....Processus de création en marche comme un flux incessant nourri de duos et solos d'instruments qui révèlent timbres, hauteurs, espace et densité sonore à l'envi.Une "microtonalité" au service du trouble et de l'incertain de la justesse des notes ou de leur appréciation par l'auditeur convoqué à cette messe ou cérémonie inaugurale.Une envergure sonore inouïe qui donne des ailes à l'Ensemble intercontemporain se jouant des embuches et difficultés, guidé par la baguette du prestidigitateur conducteur de cet opus unique et atypique à souhait.

A la cité de la musique et de la danse le 26 Septembre dans le cadre du festival MUSICA


direction | Enno Poppe

Ensemble Intercontemporain
flûte | Sophie Cherrier
hautbois | Philippe Grauvogel
clarinette | Martin Adámek
cor | Jean-Christophe Vervoitte
trompette | Lucas Lipari-Mayer et Clément Saunier
trombone | Lucas Ounissi
saxophone | Vincent David
violon | Jeanne-Marie Conquer et Diégo Tosi
alto | John Stulz
violoncelle | Eric-Maria Couturier et Renaud Déjardin
contrebasse | Nicolas Crosse
guitare électrique | Benjamin Garson
piano | Hidéki Nagano et Sébastien Vichard
harpe | Valeria Kafelnikov
percussions | Gilles Durot, Aurélien Gignoux, Samuel Favre et Emil Kuyumcuyan

commande Ensemble intercontemporain, Festival Lucerne et de la Casa da Musica (Enno Poppe Blumen)
avec le soutien de la SACEM

© Harald Hoffmann


mardi 26 septembre 2023

"Lébranlement" : un concert sismique aux soulèvements tectoniques sur mesure à MUSICA: concert phonolitique....

 


CONCERT

L’Ensemble intercontemporain au grand complet, sous la direction de Pierre Bleuse, fait son retour à Musica pour une rencontre au sommet entre Hugues Dufourt et Michaël Levinas. Du premier est donnée La Horde d’après Max Ernst, une œuvre sombre qui fait référence à une série de compositions picturales du peintre surréaliste. Le second nous offre L’Ébranlement en création mondiale, une œuvre dont la composition est mue par l’idée de vibration. Le concert est aussi l’occasion de découvrir l’Australienne Liza Lim avec The Tailor of Time, une nouvelle œuvre pour hautbois, harpe et ensemble inspirée par la pensée soufie du poète et mystique persan Jelaluddin Rumi (1207-1273).


Michaël Levinas | Les voix ébranlées (2023), création mondiale

Les vibrations sont de bon ton, les instruments vont fonctionner comme des corps qui émettent des sons proche de la voix: ces "larmes de la voix" au dire du compositeur, un chant émis de l'orchestre entre rythme et forme de la passacaille ainsi que du  chant choral.Une oeuvre très tectonique et chorégraphique, , lignes croisées de cordes qui évoquent des enlacements de figure de danses tracées baroques. Les cuivres et les bois, proche de la réverbération vocale sont de bon aloi et servent un registre très puissant, vivant, organique, charnel et sensuel. Tous ces phénomènes d'instabilité nous rapproche de la danse, du souffle et les entrelacs esquissés comme du graphisme sonore basculent dans la cadence et le geste.Les registres de timbre comme autant de modulations, surprises ou plein et déliés d'une composition sonore virtuose. Ebranlement, soulèvement qui transportent l'auditeur dans un monde et une atmosphère singulière planante qui rebondit sur ses appuis comme un bon danseur de cordes en équilibre précaire. Mouvements de strates sonores sismiques pour un tremblement très émouvant de sons en fréquences singulières.
Hugues Dufourt | La Horde d’après Max Ernst (2022) 

Les traits, traces et fulgurances de l'écriture picturale de Max Ernst sont à l'origine de cette oeuvre forte, sombre et virulente.Frottage et grattages, des formes de tracés de dessin oniriques du peintre suréalistes seront les fondements de la pensée musicale de Hugues Dufour. Toujours proche du matériaux, des sons des matières, le voilà qui s'attelle à l"évocation géologique des couches, des traits, des signes graphiques de la densité, de la dynamique des plaques. Des "correspondances" à la Baudelaire, non pas des concordances fortuites animent cet opus atypique. On y décèle des traces de vent, de souffle, une érosion qui respire et entame le son, des déflagrations salvatrice d'une dynamo sonore intense et percussive. Les vents et bois comme des médias d'écriture sur une partition de rocs et minéraux, comme les forêts de Max Ernst, fossiles et étranges topic de choix pour le compositeur animé de la volonté de prolonger l'oeuvre du peintre de sa touche musicale. Une rencontre d'univers qui se catapultent, s'embrassent et se choquent comme des plaques géologiques mouvantes, cassantes. Un fossé d'effondrement des tabous et clichés de la composi tion pour créer un bassin 'de réception comme une surface de réparation des terres inconnues.Une "horde", tribu de sons aux mœurs indigènes chamarrés.La passion de Hugues Dufour pour l'art graphique et les beaux arts, une fois de plus convoquée pour nourrir son imaginaire, son esthétique, sa griffe musicale.


Liza Lim | The Tailor of time (2023), création mondiale

Que voici fantaisie, humour et exigence mêlés pour ce morceau de choix sonore plein de surprises, de décalages frondeurs et  pacifiques dans cette réflexion sur le temps, "la taille" du couturier sur le vêtement artisanal, le savoir faire et être des métiers de la couture. Coudre la musique, en découdre avec les ourlets imparfaits et singuliers de la facture d'un vêtement sur la mesure musicale Comme autant de points, traces et signes de marquages à la Kandinsky, l'oeuvre tisse, pique et coud du singulier, de l'humour issu d'une dramaturgie inédite: celle d'un percussioniste, trublion du concert, artisan de sons du quotidien, d'une joyeuse pagaille tonique et percussive au sein de l'opus. Une ponctuation drôle et décalée qui bascule dans le comique et la performance. Alors que harpe et hautbois fractionnent le temps dans leurs interventions pertinentes, venant orner le morceau d'une tinte, de timbres clairs ou chaleureux.Se tailler la part belle dans cet atelier de couturière des sons de Liza Lim qui enchante une "collection d'automne"défilé malin de sonorités sur le podium d'un voguin musical décapant. Haute couture sur mesure pour tous! Et l'Ensemble Intercontemporain au mieux de sa forme pour soutenir, transporter ces oeuvres en un ébranlement offensif!


hautbois | Philippe Grauvogel
harpe | Valeria Kafelnikov

direction | Pierre Bleuse

Ensemble intercontemporain
flûte | Sophie Cherrier et Emmanuelle Ophèle
hautbois | Coline Prouvost
clarinette | Martin Adámek, Alain Billard et Jérôme Comte
basson | Paul Riveaux et Marceau Lefevre
saxophone | Vincent David
cor | Jean-Christophe Vervoitte et Jean-Noël Weller
trompette | Lucas Lipari-Mayer et Clément Saunier
trombone | Augustin Barre et Lucas Ounissi
tuba | Jérémie Dufort
violon | Jeanne-Marie Conquer, Hae-Sun Kang et Diégo Tosi
alto | Laurent Camatte et John Stulz
violoncelle | Eric-Maria Couturier et Renaud Déjardin
contrebasse | Nicolas Crosse
guitare électrique | Benjamin Garson
piano | Géraldine Dutroncy et Sébastien Vichard
percussions | Jean-Baptiste Bonnard, Gilles Durot, Samuel Favre et Aurélien Gignoux

réalisateur informatique et musical | Carlo Lorenzi
ingénieur du son | Clément Marie

— A la Cité de la Musique et de la danse le 25 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

commande Musica, Ensemble intercontemporain (Michaël Levinas, L’ébranlement) / Musica, Ensemble intercontemporain, Festival d’Automne à Paris (Liza Lim, The Tailor of Time)
avec l'aide à l’écriture d’une oeuvre musical originale du Ministère de la Culture et de la DRAC Grand-Est (Liza Lim, The Tailor of Time)
avec le soutien de la SACEM


samedi 23 septembre 2023

"Place": l'envers de l'Endroit..

 


CONCERT

Is this the promised land
or just another cool neighborhood?

À partir de l’anglais gentry — la petite noblesse, celles et ceux qui sont bien nés — a été forgé dans les années 1960 le concept sociologique de « gentrification ». Le terme désigne le processus d’installation de classes aisées dans des zones urbaines auparavant populaires, défavorisées et multiraciales. Tel est le sujet de Place, né dans le quartier de Fort Greene à Brooklyn.

Place, c’est l’histoire d’un lieu comme il en est d’innombrables dans le monde aujourd’hui. C’est aussi l’expérience personnelle de Ted Hearne, un compositeur témoin des mutations sociales de son lieu de vie, non sans conscience ni culpabilité d’être lui-même un maillon de la cartographie. Pour faire résonner le problème, il fait appel au poète, rappeur et activiste Saul Williams, lui aussi habitant de Fort Greene par le passé. En dialogue, ils écrivent le livret de cet oratorio contemporain qui porte les enjeux de justice sociale à la scène et fait de la boboïsation une question métaphysique. Comme le champ social qu’elle décrit, la musique de Ted Hearne fourmille d’idiomes et joue sur le collage et la fragmentation. Sa partition, à la croisée des influences du rap, du R’n’B, de la musique de chambre et des chorals luthériens de sa jeunesse trouve également, sous l’influence de Saul Williams, une perspective afro-futuriste inouïe.

Bel oratorio, concert visuel chanté comme un cri de gospel social et sociétal, cet opus de Ted Hearne oscille entre Starmania et  autre comédie musicale contemporaine. Les chanteurs y tiennent une place de choix et donnent à cette oeuvre étrange de par sa forme concertante et vidéographie, mêle étude sociologique et art total. Les médias s"y croisent et tricotent une narration limpide, celle dévoilant le sort de "migrants" ceux qu'on déplace d'un quartier à l'autre, d"un continent à l'autre de force ou subrepticement...Les musiciens, nombreux à la tâche de rendre une atmosphère tantôt dramatique, tantôt joyeuse excellent en qualité de surprises, détournements d'effets acoustiques, impromptus sonores. Les voix sont  d'une présente étonnante, marquées par les différences de tonalités, de timbres, de hauteurs et trahissent désarroi, injustice, révolte ou constat. Ces "endroits" où il faut être ou ne pas être, ces lieux, troisièmes lieux ou place forte de la gente propriétaire immobilière sans vergogne ni complexe sont évoqués par les circulations de personnages sur écran vidéo. Les quartiers urbains, les habitants, les destins déplacés, empêchés s'y croisent et interpellent notre réflexion et prise de conscience.. Le spectacle servis par le collectif "lovemusic" et les artiste qui entourent le dramaturge compositeur sont justes et pertinents et oeuvrent pour une musique chamarrée, variée, quasi mélodique qui séduit et enchante de le temps de cette pause musicale sur "la place", agora symbolique, lieu dit et surface de réparation d'une époque sans toit ni loi où l'autre, déplacé, est comme un pion manipulable à  merci Le soulèvement des vois agite la révolte, l'empathie et la complicité avec une population menacée, contrainte et violentée dans ses accroches et territoires violés...Par la loi de l'économie autant que par l'indifférence généralisée à ce sujet.


création française

Place (2018)
musique et direction | Ted Hearne
livret | Ted Hearne, Saul Williams, Patricia McGregor

voix | Steven Bradshaw, Sophia Byrd, Josephine Lee, Isaiah Robinson, Sol Ruiz, Krystle Warren, Eliza Bagg
guitare | Taylor Levine
basse | Braylon Lacy
synthé | RC Williams
batterie | Ron Wiltrout
éléctronique | Rohan Chander

collectif lovemusic
alto | Emily Yabe
violoncelle | Lola Malique
flûte | Emiliano Gavito
clarinette | Adam Starkie
trombone | Gabrielle Rachel
percussion | Marin Lambert

Au Maillon Waken dans le cadre du festival MUSICA—



coréalisation Musica, Maillon
commande Philharmonie de Los Angeles, Centre Barbican (Londres), Beth Morrison Projects (New York)
avec le soutien de Jazz & New Music, un programme de la Villa Albertine et de la Fondation FACE, en partenariat avec l'Ambassade de France aux Etats-Unis et avec le soutien du Ministère français de la Culture, de l'Institut français, de la SACEM et du CNM.


"Queen of Hearts" un biopic original sur le harcellement médiatique: royal... ! Paparrazzis rois des médias....Reine de coer sur le carreau....

 

THÉÂTRE MUSICAL

Quel pouvoir une femme a-t-elle sur son propre récit dans un monde surmédiatisé ?


THÉÂTRE MUSICAL

Quel pouvoir une femme a-t-elle sur son propre récit dans un monde surmédiatisé ?

Jannik Giger, Leo Hofmann, Benjamin van Bebber, Sarah Maria Sun, Jude Ellison Sady Doyle

L’interview télévisée du journaliste de la BBC Martin Bashir avec la Princesse de Galles en 1995 est le point de départ de Queen of Hearts, une création collective qui expose dans une perspective féministe les relations complexes liant la capacité d’agir individuelle et le pouvoir des médias, la vie privée et le domaine public, la politique, l’opinion et les émotions. Depuis, les réseaux sociaux ont supplanté la presse people mais le règne de l’image subsiste, créant des icônes féminines portées aux nues ou conspuées en un battement de tweet. Le mythe de la Reine des cœurs demeure toutefois exemplaire de la revanche systémique à laquelle se confrontent les femmes qui osent parler — et la librettiste du spectacle de mêler aux mots de Diana ceux de Meghan Markle, Sinéad O’Connor, Paris Hilton ou Britney Spears. Pour exprimer les non-dits, au centre de la scène, la soprano Sarah Maria Sun déploie toutes ses qualités vocales dans une situation d’interview rejouée une fois encore, pour le meilleur et pour le pire.

C'est une très intéressante approche, un "biopic" théâtral et musical que nous livrent Jannik Giger et Leo Hofmann dans une mise en scène de Benjamin  van Bebber. Dans un dispositif sobre, un salon d'interview banal, deux personnages se scrutent, s'interrogent et vont faire basculer un simple entretien, en drame médiatique et personnel. Du destin de Lady Di joué et interprété par Sarah Maria Sun nous n'apprendrons pas grand chose, excepté la puissance et dureté de l'impact des rumeurs ou encensements à son sujet. Les images, les paparazzis la poursuivent, la traquent et sur l'écran frontal des images trahissent les méfaits de ces parasites incontournables. Documents qui stigmatisent notre héroïne et encourage le speaker à la bousculer dans ses retranchements. La voix est changeante, virtuose et oscille entre texte et chant, bascule de l'un à l'autre pour devenir aussi cris et aveux d'impuissance. Fatalité d'un destin qui se montre derrière un voile opaque pour dissimuler les contours de la vérité. Sorte de flou pour pénétrer les secrets d'un mythe encore jamais traité en terme de scénographie et spectacle musical. La pièce est sobre, émouvante et décrit toute une époque où la "princesse" est reine et subit toutes sortes de pression. Corps contraint de la cantatrice qui se meut hors les canons de sa condition de princesse et campe un personnage livré à une partition simple et accessible donnant lieu à un opus convaincant et perspicace sur une femme victime de sa position sociale. Son partenaire, Silvester von Hosslin comme un écho et extracteur d'aveux et confidence fort réjouissant. Faire valoir d'icônes vidéo omniprésentes, histoire de dessiner des espaces de mémoire autant que des gros plans serrés sur les visages. Un castelet de praticables comme rideau de fin dans laquelle les deux personnages perdent pieds et tirent le rideau.


création française

performance | Sarah Maria Sun et Silvester von Hösslin

composition | Jannik Giger et Leo Hofmann
mise en scène, livret et video | Benjamin van Bebber
livret | Jude Ellison, Sady Doyle
lumière | Thomas Giger
vidéo | Flor de Fuego
scène et costumes | Lea Burkhalter
dramaturgie | Juliane Votteler
œil extérieur et management tournée | Jeanne Charlotte Vogt
assistante mise en scène | Judith Holland-Moritz
scène et assistante costumes | Julia Kraushaar
scène et assistante tournée | Prisca Grandi
voix | Josef Böhm, Lisa Pottstock, Alexandra Idele, Marla Johanna Breuker, Clara Gallagher
direction technique | Julian Gresenz

Orchesterschule Insel
coordination | Dorothee Mariani
violon | Iryna Polova, Lou Scheffer, Alma Bleich, Diart Krasniqi et Alesandro Garcia Fontan
alto | Fabian Louzan, Jari Szekely et Benjamin Sutter
violoncelle | Dorothée Mariani, Tomas Dias, Josefa Schweizer et Anjay Arumugam
Contrebasse | Noah Sutter et Alan Infante

Au Maillon Wacken dans le cadre du festival MUSICA—


représentations
ven 22 sept - 19h
sam 23 sept - 19h


coréalisation Musica et Le Maillon
commande Gare du Nord, soutenue par la Fondation pour la musique Ernst von Siemens, la Fondation Nicati-de Luze et la Fondation Suisa
avec le soutien de Pro Helvetia et Ernst Göhner Foundation.


jeudi 21 septembre 2023

"Oration of loss" une musique afro diasporique...

 


Pour son premier concert en France, la formation vocale Ekmeles nous fait découvrir trois figures qui incarnent le renouveau de la création musicale afro-américaine. Libérer les consciences, œuvrer pour la diversité et décoloniser la musique contemporaine est l’engagement de George Lewis depuis les années 1970. Sa voix est l’une des plus influentes dans le monde de la musique aujourd’hui, et dans son sillage, une nouvelle génération arrive. En font partie les compositrices Hannah Kendall et Corie Rose Soumah qui toutes deux s’appuient sur un héritage profond, celui de la mémoire de l’esclavage et des corps suppliciés pour la première, celui de la mélancolie des identités fragmentées pour la seconde.


créations françaises

Hannah Kendall this is but an oration of loss (2023)

Trois harmonica comme sur un filet de souffle ténu tiennent une ligne musicale fine et fragile. Les voix des trois chanteurs se distinguent alors en timbres, hauteur, tenue et variations multiples Un jeu scénique discret anime les interprètes habités et mus par une précision extrême et radicale de la partition.


George Lewis Lone Coast Anacrucis (2023) 

L'ensemble interprète avec brio une oeuvre complexe en hommage à la diversité; celle des langues, des couleurs de peau, celle des origines. Texte, voix et corps engagés dans cette cérémonie où de petites percussions timbrent le tout.Des expressions, des mimiques et surtout toute une gamme de sons issus des tréfonds de la voix: gorge, souffle, respiration, jusqu'à l'ecoeurement parfois simulé, l'espectoration, le cri, le borborygme.Et l'accordéon de s'immiscer dans ce gouffre de sons étranges pour mieux étirer l'espace sonore.


Corie Rose Soumah like a frog on the road to it (2023)

A nouveau de l'expression vocale en touches étouffées, les mains en percussion sur le souffle de la bouche et toutes sortes de manières d'émettre ce qui donne naissance à un panorama infini des possibilités d'inventivité du vent corporel Sur fond de bande sonore, les sonorités se fondent et s'accompagnent somptueusement.

A St Paul le 21 Septembre dans le cadre du festival MUSICA


Ekmeles
soprano | Charlotte Mundy
mezzo-soprano | Elisa Sutherland
contre-ténor | Timothy Parsons
ténor | Tomás Cruz
baryton et direction artistique | Jeffrey Gavett
basse | Steven Hrycelak

accordéon | Iwo Jedynecki



commande du Festival Ultima pour la nouvelle pièce de George Lewis
Ekmeles est lauréat du prix Ensemble 2023 de la Fondation pour la musique Ernst von Siemens

ce projet est soutenu en partie par Mid Atlantic Arts par l'intermédiaire de USArtists International, un programme en partenariat avec la Fondation nationale pour les Arts, la Fondation Andrew W. Mellon et Trust for Mutual Understanding.


"Hide to show" : leurre exquise qui nous grise. Quand le trouble règne, l'incarnation se fait virtuelle, la musique réelle! Fabuloserie ou musée des arts modestes très sophistiqués

 


En 2007, l’entreprise japonaise Crypton Future Media lançait la carrière de Miku Hatsune, une chanteuse virtuelle à la une voix de synthèse se produisant en concert sous la forme d’un hologramme. Cette icône de la culture pop allait-elle sonner le glas de la musique vivante ? Était-elle le signe d’une vie future vouée aux illusions digitales ? Rien n’est moins sûr… Quinze ans plus tard, le compositeur allemand Michael Beil joue avec le phénomène et avec notre perception : les musiciens et musiciennes que nous voyons, là devant nous sur scène, emprisonnés dans leurs cellules domestiques, sont-ils réels ou virtuels ? Un spectacle pluridisciplinaire virtuose où tous les artifices naissent encore et toujours d’un artisanat bel et bien vivant.


Sur la scène de la Cité de la Musique et de la Danse six"cabines" ou cellules abritent six musiciens habillés de couleurs chatoyantes...Dans une atmosphère bon enfant chacun y va de son instrument, isolé dans sa cabane.Rien de fascinant encore dans cette mise en bouche, prologue à bien d'autres aventures visuelles.

Une chanteuse toute japonaise , longues nattes violettes, style jeunesse dorée urbaine :Les courants de mode de rue au Japon sont multiples et ont pour la plupart vu le jour dans les années 1990. Il n'est pas rare de croiser dans les rues de Tokyo des jeunes filles ou jeunes garçons en costume, semblant sortir d'un parc d'attraction ou d'un dessin animé. Par exemple, les kogaru sont des adolescentes reconnaissables à leurs cheveux blonds ondulés, leur teint très mat et leur maquillage marqué, leurs chaussures à hauts talons compensés et leurs mini-jupes, robes à froufrous et autres accessoires bling-bling et tape-à-l’oeil. L'objectif pour ces jeunes filles est de ressembler aux filles occidentales, dans un style « kawai » (« mignon ») en poussant bien sûr le concept au maximum puisque, par nature, le japonais ne connaît pas la demi-mesure.Alors devenue pianiste, elle s'attèle au chant et séduit par son exotisme.Les choses se compliquent quand pour remplacer les musiciens dans leur cage dorée, des images se confondent et font leurre.Fausse incarnation puisqu'il n'y a plus personne en place sauf des avatars, clones ou autre icône artificielle à la place des corps. C'est visuellement bluffant et l'art vidéographique trouve une seconde dimension dramaturgique et humoristique. Six ou huit personnages en quête de compositeurs, musiques variées qui oscillent du pop au classique, font danser chacun pour soi puis collectivement nos héros de bande dessinée vivante.Le sourire aux lèvres ou le visage déconfit, les voici en groupe de chanteurs, formation improbable de joyeux lurons en pullover à carreaux: les nouveaux "Frères Jacques" de la scène musicale.Tout ceci vire à la virtuosité d'interprétation tant chacun est synchrone avec son voisin, sans se voir, hormis la perception innée, le rythme comme indicateur fédérateur. Les images se métamorphosent, se surexposent dans des couleurs flashies, les panneaux et petits rideaux qui se montent et se baissent à l'envi pour dévoiler la supercherie font office de jeu de cache cache



.Ça dansouille à l'envi et chaque corps se meut comme sur un dance floor épatant.Et les cabines de se transformer en petit salon de prestidigitation.. Fabuloserie ou musée de l'art modeste en superficie, alors que la complexité de la technologie nous livre un scénario-image loufoque et très sophistiqué. Quand la technique vire à l’irréel et à la fantaisie tout concorde pour instaurer une ambiance étrange, maline et burlesque. Ce petit castelet à six cases devient l'antre, l'endroit où se fabrique le rêve et l'illusion: du beau travail hypnotique et trompeur comme on l'aime au festival MUSICA. Et la lumière de transformer la scène en erre de jeu fantastique et drôle, la musique d'accompagner ces trublions modestes et innocents, responsables cependant d'un joyeux pataquès ludique et performant!L'ensemble Nadar n'a jamais autant porté son nom: roi de l'image et découvreur de la magie opératoire des images!

A la Cité de la Musique et de la danse le 20 Septembre dans le cadre du festival MUSICA


création française

musique, mise en scène, création vidéo | Michael Beil
vidéo live, scénographie | WARPED TYPE (Andreas Huck, Roland Nebe)
conseillère chorégraphique | Barbara Galli-Jescheck
livret | Charlotte Triebus

Ensemble Nadar
flûte | Katrien Gaelens
clarinette | Dries Tack
trombone et euphonium | Thomas Moore
saxophone | Bertel Schollaert

violon | Winnie Huang
violoncelle et direction artistique | Pieter Matthynssens
piano | Elisa Medinilla
percussion | Yves Goemaere
IG son et coordination technique | Wannes Gonnissen
IG lumières | Steven Reymer
administrateur | Robin Goossens
production | Veerle Vervoort 

mercredi 20 septembre 2023

"Answer machine tape 87"" Philip Venables, Zubin Kanga : vulnérable et poignante messagerie résiliante.

 


SPECTACLE

Après Psychosis 4.48 en 2019 et un concert-portrait en 2021, Philip Venables est de retour à Musica avec une nouvelle pièce forte en émotion. Comme son nom l’indique, Answer Machine Tape, 1987 est une cassette de répondeur automatique découverte dans les archives de l’artiste américain David Wojnarowicz. Celle-ci contient près de 300 messages fixés en 1987, au moment où son ami et compagnon, le photographe Peter Hujar, mourrait du Sida. Philip Venables a opéré une sélection à travers ces instantanés, avant de les lier entre eux grâce à un « piano préparé » devenu transcripteur musical automatique. Une œuvre poignante et un témoignage sur la vie de la communauté queer à New York au moment où toute une génération était frappée par l’épidémie.

Evoquer la maladie sans prendre possession des corps en otage, sans saisir le spectateur de démagogie empathique: voici une oeuvre très bouleversante dont les médias qu'ils soient instrument acoustique tel le piano, la bande son ou le graphisme instantané sur écran qui bouleverse les codes d'interprétation, de sens et de communication. Le pianiste Zubin Kanga se met à l'oeuvre, les paroles d'amis enregistrées sur répondeur comme des messages au début de banalité professionnelles sont apparemment celle du quotidien d'un artiste.Les choses s"éclaircissent quand les mots, les messages entendus et écrits qui défilent sur l'écran évoquent la destinée d'un ami, celui de Richard, Peter atteint du sida. L'époque parait lointaine tant le contenu est celui obligé d'une technologie obsolète: on laisse ses coordonnées, son lieu de contact, ses horaires pour être joint! Loin de nous avec nos "t'es où" et SMS pour rester en contact, exister. La dramaturgie s'accélère, la musique se tend, s’interrompt alors que défilent simultanément signes, lettres et signaux d'une tabulation de machine à écrire. Instrument d'une autre époque où la consternation devant la maladie quasi incurable fait se relier les uns les autres dans l'attente, le désarroi, l'inquiétude Jamais une telle évocation de l"épidémie ne s'est faite aussi touchante et bouleversante. Texte, musique, rythme se mêlent pour évoquer le drame, la perte, les espoirs, les excuses, notre maladresse face à l'impuissance.

La messagerie patine, s'obstine, pugnace, le son se fait obsession, le graphisme pourtant tectonique et volubile confère une dramaturgie signée Ted Huffman  qui ressasse lettres, signes et calligraphie poétique et sans concession. Un moment de haute tension : au "temps du sida" cette pièce de référence est unique et catapulte dans une réalité où "ce que le sida à fait de l'art" ce que l'art a fait du sida" pose question et repositionne les postures à ce sujet. Un "discours"qui fait mouche loin de toutes les banalités. A bon répondeur, salut. La bande magnétique, témoin, trace et empreinte est un trésor d'ingéniosité artistique, support-surface sonore oublié mais tant révélateur des comportements et aveux d'une société sous le choc. Philip Venables frappe haut et fort dans une intimité pudique plus que recevable, intelligente et "contagieuse"....

 A Pole Sud le 19 SEPTEMBRE dans le cadre du festival MUSICA

 


Philip Venables Answer Machine Tape, 1987 (2022)
pour piano solo, avec bande et projection de texte


piano | Zubin Kanga
musique | Philip Venables
dramaturgie | Ted Huffman
programmation logiciel | Simon Hendry

"Sonates et interludes" John Cage | Lenio Kaklea: un couple tectonique gymnopédique et pianistique sidérant.

 


Les Sonates & Interludes de John Cage et le « piano préparé » ont durablement influencé la création musicale jusqu’à nos jours. On relie souvent cette invention à des pièces de Henry Cowell, telles The Aeolian Harp
où le pianiste joue à l’intérieur du piano. On met plus rarement l’invention en équation avec son contexte d’origine, c’est-à-dire les collaborations de Cage avec les chorégraphes afro-américaines Pearl Primus et Syvilla Fort. C’est à la demande de cette dernière, en 1937, qu’il composa la musique du ballet Bacchanale, première pièce pour piano préparé. Et c’est à partir de ce contexte relégué aux marges de l’histoire et du travail d’archive qui caractérise sa pratique que Lenio Kaklea bâtit sa chorégraphie. Une relecture féministe de la modernité à travers ses références mineures dans le cinéma, le jazz ou la comédie musicale.

On l'avait découverte dans "Ballad" une évocation raisonnée de l'histoire de l'art gestuel à travers les postures des grandes chorégraphes de référence dans l'histoire de la danse... Face et avec la musique de John Cage, la voici en proie à un désir entier de plonger dans les interstices du son: ceux d'un piano préparé. Alors ce sera son corps qu'elle "prépare" elle aussi à cette endurance "sportive" de son corps athlétique, façonné par la pratique corporelle, l'exercice quotidien et la musicalité inhérente à sa pensée chorégraphique. Pianiste et danseuse ne font qu'un même si les positions sont à l"opposé: lui est assis mais à l'affut des plissements, de la tectonique géologique de la musique de Cage. Elle est debout en blouson et pantalon de cuir noirs, un justaucorps rouge sous cet accoutrement de motard et esquisse des mouvements abruptes, parfois interrompus dans leur course par des silences, des attitudes à l'écoute des sons percussifs du piano. Silhouette plantureuse, massive, elle impose un rythme plein de détails visuels émanant de chaque membre et va jusqu'à se filmer en direct, son visage projeté sur un écran: mascarade, déformation de la bouche, yeux exorbités tournant les globes comme ceux de Joséphine Baker. En gros plan fixe, l'effet est monstrueux, atypique comme ces sonorités qui sourdent des doigts virtuoses de Orlando Bass. La mouvance se révèle obsédante, les membres se démembrent, le corps se défait de sa seconde peau de cuir pour en retrouver une autre: collant transparent très seyant, guêtres ou jambières de sport comme des protections ou enflements des mollets. Son corps investi à l'envi dans des mouvements stricts, des pauses évoquant ses pairs chorégraphes où l'on se plait à identifier des symboles, des postures emblématiques...Le blouson ôté devient plastique étirable formé sur le corps qui se penche, tête bêche, à l'envers, à l'endroit...Bien loin des chorégraphies de Merce Cunningham pour le même compositeur...Quand le pianiste la rejoint sur le plateau, c'est pour dessiner des silhouettes jumelles sur un écran de théâtre d'ombres. Enlacement ou quasi contact de proximité dans ce qui auparavant n'était que prestation individuelle propre. Jusqu'à pour la danseuse se rapprocher plus tard de l'instrument qui résonne de vibrations percussives. C'est à demi nue qu'elle réapparait, dévoilant son corps très architecturé, massif, construit pour servir une danse rompue à la performance, à l'audace aussi de franchir des tabous: Cage, une musique à danser? Toujours conçue comme une partition stricte et organisée où le hasard n'a pas toujours sa place. Clins d'oeil à ses compagnes de route, pionnières de la modern dance, Lenio Kaklea interprète et rejoue la partition de toute l'attention rythmique qu'elle porte à Cage. Un couple bien vivant qui aurait ravi le compositeur par son rire franc et son sens de l'humour.Une performance qui évoque un pan de l'histoire chorégraphique, écriture historienne bien singulière et qui échappe à une narration classique style "histoire de la Danse": du live et du sens pour servir l'éphémère, construire et inventer un répertoire, laisser des traces et signes singuliers pour constituer un panorama vivant hors bocal-formol ou muséal digne de cet art qui échappe à la conservation académique. Et quand au final un drone filme et s'effondre sur scène c'est pour mieux tourner en dérision images et mémoire qui flanchent devant tant de vie et d'incarnation.


musique | John Cage
concept, chorégraphie et interprétation | Lenio Kaklea
piano | Orlando Bass

son et direction technique | Éric Yvelin
lumière | Βruno Pocheron
image vidéo | Guillaume Robert
costume | Pierre Paulin
confection | Laszlo Badet
stylisme | Lenio Kaklea
dramaturgie et recherche | Lou Forster
assistant de création | Dimitris Mytilinaios

A Pole Sud dans le cadre du festival MUSICAA le 19 Septembre

mardi 19 septembre 2023

"Artisans du son" ensemble Itinéraire : la musique au travail au Nouveau CFA des Compagnons du devoir: en bonne compagnie !

 


CONCERT PROGRAMMÉ PAR LE PUBLIC
une proposition de Louis Piccon

Louis Piccon est un jeune étudiant en architecture lorsqu’il assiste à la première édition de Musica en 1983. Dans le sillage de Iannis Xenakis, sa curiosité est piquée par les relations entre les arts. Quarante ans plus tard, son agence nunc architectes conçoit le nouveau centre de formation des Compagnons du devoir à Strasbourg. Fraîchement inauguré, les 6000m2 de l’imposant édifice, ses ateliers et sa rue intérieure de 60 mètres de long, sont un terrain de jeu idéal pour confondre le temps d’une soirée la matière sonore et la matière bâtie. L’architecte et les jeunes compagnons en apprentissage nous invitent à déambuler dans l’espace aux côtés des musiciens de L’Itinéraire, l’ensemble des « spectraux » qui célèbre cette année ses cinquante ans d’existence.

 C'est un lieu de travail que ce centre de formation des Compagnons du devoir et du "savoir faire": travail qui reste secret, confidentiel et qui ce soir là va être mis à l'épeuve de la création musicale à l'initiative de son jeune architecte et du festival Musica Idée lumineuse, ingénieuse pour mettre en valeur l'acoustique d'un lieu pensé pour accueillir aussi les sons, les bruits du quotidien de l'apprentissage et de l'excellence du savoir faire...Ce soir là le public est accueilli dans la grande "nef" hall central pour une déambulation silencieuse et recueillie concoctée par Pauline Oliveros "Sonic Méditation V": marche lente, posée, pointes et talons du spectateur posés au sol pour une empreinte pondérale, bien dans son assiette. Ecouter le silence, se confronter à la circulation des autres dans l'espace: très Rudolf von Laban et sa danse dynamique, directionnelle, intentionnelle, réfléchie dans tout le corps curieux de son espace sensible à créer.La plante des pieds devient une oreille et prépare à l'écoute des oeuvres qui vont suivre, choisies en fonction de leur relation étroite à l'architecture, à la réverbération et propagation du son dans l'espace.

Suit de Grégoire Lorieux Very Long Durations (2023) - création mondiale. En configuration classique l'ensemble nous donne à écouter un morceaux vibrant où chaque interprète dont l’accordéoniste semble laisser libre cour à une composition stricte et rythmée de longues durées sonores emportant l’ouïe et le regard au delà des configurations architecturales. Des impromptus sonres des "artisans du son" faisant appel aux sons percussifs d'objets du quotidien vont ponctuer le concert de façon joyeuse et ludique comme des entremets à déguster sans modération.

"Nomos Alpha" de Xénakis sera l'occasion pour le violoncelliste Florient Loridon de partager du haut de son estrade dans la nef, une oeuvre sobre et qui réinvente toutes les possibilités sonores de deux instruments en alternance: du frotté, du piqué, du pincé percussif avec quelques notes d'humour non dissimulées.Le plaisir affiché du musicien fait entrer en empathie dans cette musicalité pleine de fragrances sonores inédites. 

Michaël Levinas Quatre études pour piano (1992-2012) succède en salle dans une interprétation solo virtuose de Fuminori Tanada, concentré, oeuvre courte mais pleine de rebondissements acoustiques, le piano trituré en pincements, percussions et autres sonorités improbables.

Ascension du public dans les escaliers, les cursives du centre de formation pour écouter à pleines oreilles et résonances, les vibrations de la voix de Sarah Brabo-Durand pour l'oeuvre de Núria Giménez-Comas Coratge (Comme un écho dans la distance) (2023)

Echo, en duo avec son complice logé à l'autre bout du bâtiment, au rez de chaussée. Voix et clarinette se répondent dans l'espace avec grâce et promptitude. Vibrations du timbre incroyable de la chanteuse qui grimpe dans les aigus avec en enveloppé chaleureux inouï, une force et une nuance surprenante de phrasés onctueux.Chevelure colorée fluorescente comme les couleurs sonores des sons émis par des cordes vocales virtuoses Un "instrument" corporel comme un médium semblable à ceux des artisans du son des compagnons du devoir! Une pièce spatiale qui implique le spectateur dans l'espace, stimule l'écoute et le regard, plonge le corps qui écoute dans les interstices de la musique.

Enfin pour terminer ce cheminement sonre trois pièces vont se succéder comme autant d"écho au concept de la soirée: les sons inédits issus de l'écoute et de l'observation des bruits du quotidien, interprétées par tout l'ensemble Itinéraire au grand complet, son chef Mathieu Romano pour coordonner toutes les complexités des morceaux

Vont se succéder de Gérard Grisey Périodes (1974)
d'Annette Schlünz In den Flüssen (2005) et pour clore le joyeux et inédit morceau de
Iannis Xenakis Phlegra (1975) : une suite étonnante de sons d'instruments à vent qui comme des klaxons réinventent un espace à la Jacques Tati dans "Trafic   ": un joyeux embouteillage où le son rivalise de courts circuits, de pratiques musicales inédites où le compositeur excelle en touches humoristiques. Des espaces sonores qui épousent toute une architecture d'un bâtiment dévolu à l'apprentissage autant qu'à l'inventivité de ces "artisans du son", musiciens, apprentis ou architectes au service de ce qui se nommerait : le paradis des droits et des devoirs de la création...sur les sentiers inconnus de la découverte.


Pauline Oliveros Sonic Meditation V : Native (1971)
Grégoire Lorieux Very Long Durations (2023) - création mondiale
Iannis Xenakis Nomos Alpha (1966)
Michaël Levinas Quatre études pour piano (1992-2012)
Núria Giménez-Comas Coratge (Comme un écho dans la distance) (2023)
Gérard Grisey Périodes (1974)
Annette Schlünz In den Flüssen (2005)
Iannis Xenakis Phlegra (1975)

dimanche 17 septembre 2023

"Don Giovanni aux enfers": polymorphe méphistophelès musical, monstre, hydre maléfique: un opéra dévastateur...

 

clara beck

« Repens-toi, c’est ta dernière chance ! » Don Giovanni tente de se dégager de l’étreinte glacée de la statue du Commandeur : « Non, vieil orgueilleux ! » – « Alors il n’est plus temps ! » De tous côtés surgissent des flammes et la terre commence à trembler sous ses pieds. Un chœur de démons s’écrie : « Cette horreur n’est rien comparée à tes péchés, viens, il y a pire encore ! » Dans un cri d’effroi, Don Giovanni est précipité dans les enfers, au milieu des âmes suppliciées et de leurs bourreaux. Sa carrière de libertin achevée sur terre, le voilà qui entreprend dans les enfers de l’opéra une odyssée cocasse sur les traces de Dante et d’Orphée, en  compagnie de personnages maudits ou démoniaques empruntés à quatre cents ans de répertoire.


Il y a eu "la nouvelle vague" au cinéma, la "nouvelle danse" et voici venir en majesté "la new discipline" en musique contemporaine. Rien de neuf en soi si l'on songe à "Dance" où Sol LeWitt, Phil Glass et Lucinda Childs opéraient déjà la pluridisciplinarité, le multi média pour une oeuvre totale, surexposant image, danse en live et rythme musical...Sauf que les technologies ont évolué et qu'à présent le mixage, découpage, la surexposition, le meltingpot sont des outils banalisés. Exhalation pestilentielle que ce "Polystopheles" anti héros du nouvel opéra du trublion de la scénographie sonore, visuelle, musicale Simon Steen Andersen : conteur hors pair dans le monde de la narration dramatique pourtant liée à la dérision, la distanciation de mise en scène. Se frottant à des interprètes chanteurs lyriques, le voilà quelque peu piégé par une accumulation, un empilement, un patchwork de citations, de références autant au véritable Don Juan qu' à des semblables dans d'autres univers musicaux: de l'opérette au baroque. Savantes références, certes, qui nous transforme Zerlina en homme-objet nu pathétique, Méphistophélès en un diable suspendu dans les airs..Qu'importe, l'impact visuel est fort et poignant.

La descente aux enfers est source d'images filmiques, sortes de plans séquences vertigineux où le metteur en scène est acteur de cette dégringolade symbolique, cette course infernale, poursuite, fugue, où il s'implique comme performeur. Ainsi le rythme est tambour battant,essoufflant, hypnotique. Décors et costumes en osmose avec les périodes musicales traversées: du french cancan aux gambette en boites hirsutes, aux atours baroques froufroutants. Les voix sont celles du belcanto autant que proches des scratches et turbulences synthétiques.Un grand fatras prolixe et chatoyant pour détrôner un mythe envahissant: Don Juan séducteur, ravageur des coeurs devient victime d'une chute fatale à sa gloire, sa réussite. Les pieds dans le plat, Andersen ne fait de cadeau à personne, ni même au spectateur, témoin d'un glissement de sens dramaturgique. Un conte de fée peu orthodoxe qui déboussole les canons du genre, renverse en spirale comme dans un gouffre sans fond, les valeurs d'antan.


Du Sam Szafran en toute évidence iconique et plasticienne, aspirant au vertige.Le festival MUSICA complice et protagoniste avec l'Opéra du Rhin pour cette célébration d'un tournant de la "nouvelle discipline" musicale, indisciplinaire et peut- être un peu trop rangée, déjà!

L'Orchestre Philarmonique et l'Ensemble Ictus se révélant à saute mouton d"un registre à l'autre dans une incroyable maitrise et une réelle performance rythmique!



À la fois compositeur, metteur en scène et vidéaste, l’artiste danois Simon Steen-Andersen s’empare d’un thème majeur qui hante l’histoire de l’opéra depuis ses origines : la descente aux enfers. Jouant malicieusement avec l’art du collage, de la déconstruction et de la transposition, il fond dans une nouvelle création personnages, situations et musiques empruntés à un large corpus d’œuvres du répertoire lyrique, de Rameau à Boito en passant par Berlioz, avec pour point de départ la scène finale du Don Giovanni de Mozart. Esthétiques, époques et langues s’entremêlent au fil d’une plongée spectaculaire dans les entrailles de la plus infernale des machines : le théâtre.

Ictus, Chœur de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg

Direction musicale Bassem Akiki Conception, mise en scène, décors, vidéo, lumières Simon Steen-Andersen  

La Statue du Commandeur, Polystophélès, Un médecin Damien Pass

Christophe Gay 

Sandrine Buendia Tisiphone, Turandot, Sycorax, Eurydice, Une ombre, Une parque Julia Deit-Ferrand 

François Rougier

Geoffroy Buffière   

A l'Opéra du Rhin jusqu'au 21 Septembre

samedi 16 septembre 2023

"Nightmare" j'ai fait un rêve....Lovemusic et la new discipline à Musica

 


Nightmare

CONCERT

Le collectif lovemusic orchestre un cauchemar diurne duquel jaillissent quelques-uns des plus jolis monstres musicaux composés ces dernières années. Comme dans tout bon film d’horreur, Ted Hearne commence par instaurer un sentiment de douce nostalgie… pour mieux nous faire glisser dans les atmosphères inquiétantes de Bára Gísladóttir et Christopher Cerrone, avant d’assister au dédoublement de personnalité selon Natacha Diels et à l’irruption des voix dans la partition d’Andreas Eduardo Frank. Le pieu du concert est planté par Helmut Oehring qui nous conduit en langue des signes et en cris d’effroi dans les méandres de l’enfer de Dante et Botticelli en compagnie des charmants Vladimir Poutine et Sergueï Lavrov.

Dans l'enceinte du Temple Neuf, le collectif Lovemusic a trouvé refuge et va surprendre à sa bonne habitude. Déjà metteur en espace et graphistes de la musique d'aujourd'hui qu'ils chérissent, les voici plongés au coeur d"une tendance qu'ils cultivaient déjà; la musique qui se regarde autant qu'elle s"écoute, la mise en espace des musiciens, frontale délibérément. Et les costumes; des "bleus" de travail violets, couleur ecclésiastique, baskets blanches: des musiciens au travail....Un violon esseulé en prologue du haut de la tribune, puis un quatuor se forme, guitare électrique, violoncelle, violon, clarinette . Les sons fusent, dissonants, décalés, les corps des musiciens impliqués dans des postures singulières.Les créations s'enchainent à l'envi dans une ambiance, un univers bousculé, meurtri; cauchemar ou musique décapante, à vous de choisir. Le clou du concert résidant dans un morceau de Helmut Oehring ou les quatre musiciens simulent des gestes chorégraphiés au cordeau, sorte de signalétique du buste, des bras et mains avoisinant le langage des signes à la Philippe Decouflé. Un régal visuel,rythmique où les percussions corporelles font écho à cette gestuelle ponctuée de cris divers et épatants.Précision des postures qui s'enchainent rapidement, attitudes de recueil ou d'explosion corporelle. Un jeu saisissant pour cette oeuvre phare, infernale écriture musicale, vocale et physique où le quatuor excelle. Un concert édifiant où chaque interprète se prête au jeu instrumental, théâtral et vocale avec une aisance et un talent fou.


Ted Hearne Nobody’s (2010), création française
Bára Gísladóttir Rage against reply guy (2021), création française
Natacha Diels Second nightmare for KIKU (2013)
Christopher Cerrone The Night Mare (2011), création française
Andreas Eduardo Frank m0nster (2022)
Helmut Oehring (iɱˈfɛrno) (from MAPPA) Contrapasso I–V (to: Wladimir Putin : Sergej Lawrow) (2022)


collectif lovemusic
flûte | Emiliano Gavito
clarinette | Adam Starkie
violon | Emily Yabe
alto | Léa Legros Pontal
violoncelle | Lola Malique
guitare | Christian Lozano Sedano
piano | Nina Maghsoodloo
percussions | Marin Lambert
électronique | Finbar Hosie