vendredi 29 mars 2024

Vieux Farka Touré SEXTET Losso Keïta SOLO : virtuoses...et hypnotiques ambassadeurs de racines et d'ailes du monde.

 


Guitariste virtuose, Vieux Farka Touré conjugue avec génie la tradition malienne de ses racines et le blues rock moderne. Grâce à de nombreuses collaborations de prestige, il incarne cette passerelle à travers le monde, comme récemment avec les incontournables texans Khruangbin et ce splendide album « Ali », en hommage à son père regretté. Ce même Ali Farka Touré qui a justement ouvert la voie à la musique, dans une famille traditionnellement issue d’une tribu plutôt guerrière. Son fils Vieux lui a emboîté le pas pour le plus grand plaisir des oreilles du monde et de la fierté nationale malienne. Sa tournée en sextet s’annonce exceptionnelle, un concert magique, puissant, foncièrement tellurique. Le burkinabé 

Losso Keïta ouvre la soirée avec un solo majestueux avec kamalengoni et calebasse pour ajouter une pierre au monumental édifice de la culture d’Afrique de l’Ouest. Régalade. Et sincérité, générosité et enthousiasme pour cet artiste en "lever de rideau" très convaincant, faiseur d'ambiance, de partage avec ses longues extensions de chevelure mobile et puissante. Un beau moment de musique en solo pour chauffer l'ambiance... Puis place au "Afro blues Mali"....

Au Mali, il existe un proverbe populaire qui dit que la vie a un nom de famille : le changement. C’est un dicton que Vieux Farka Touré a suivi tout au long de sa carrière, au fil d’une série d’explorations et de collaborations transfrontalières aventureuses. Un autre dicton plus universel dit lui, que pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. C’est ce besoin humain essentiel d’embrasser son héritage qui se trouve au coeur de « Les Racines ». Le titre en dit long, car l’album représente une profonde reconnexion avec la musique traditionnelle Songhai du nord du Mali, l’une des traditions musicales du nord de l’Afrique de l’Ouest. En Occident, elle est connue sous l’étiquette de « Blues Touareg ». Les racines de Vieux sont bien profondes. Fils du regretté Ali Farka Touré, il est acclamé comme le meilleur guitariste que l’Afrique ait jamais produit

Alors les six artiste tout de moiré vêtus en costume traditionnel revisité donnent le "la". L'ici et là d'une musique colorée, soft en enjouée, lascive et envoutante pour les corps des auditeurs massés à leurs pieds devant l'estrade qui les magnifie. La salle est comble, le groupe très attendu qui ne décevra pas, deux heures durant. Ça chaloupe, ça danse au son des guitares magnétiques, envoutantes comme dans un rituel enivrant, hallucinant, hypnotique. Sourires et bonhommie au poing. Le concert va son court, de la sobriété à l'éclat des rythmes qui peut à peu s'emballent, vont crescendo allumer les instruments et leurs protagonistes. Éclats ou mélodies sous-jacentes, sommeil ou réveils fulgurants. Un concert événement à l'Espace Django qui ne finit pas d'ouvrir la scène à ces ambassadeurs d'une musique métissées, profonde et emblématique d'un esprit de liberté et de divulgation de "cultures" à partager de toute urgence. Chose faite et accomplie comme une cérémonie païenne, populaire et universelle, partage de musique fédérative au delà de toute querelle de genres et d'origine...

 A l'Espace Django le 28 Mars

Januibe Tejera et l'Accroche Note :"par dessus les mers": la toupie véloce et pugnace d'une musique inspirée....

 


Mars se veut tropical avec les oeuvres du compositeur brésilien Januibe Tejera.
Temos o prazer de receber o compositor Januibe Tejera em Estrasburgo!
 
Programme
Dans la confidentielle salle d'orchestre du Conservatoire en cette fin d'après -midi: réjouissances. Retrouver l'ensemble Accroche Note qui interprète en compagnie de jeunes professionnels de la place, une petite partie de l'oeuvre de Januibe Tejera, compositeur dont on se souvient de "Moi Singe" opéra de poche joué à Musica....par l'Accroche Note. En terrain connu? Pas vraiment puisqu'ici six oeuvres seront interprétées devant nous, en proximité physique étroite.Et en présence chaleureuse et émue de l'auteur!
 
"Jardin Vertical" - violon, violoncelle, clarinette basse, piano
Une fresque architecturale de notre temps, très marquée, appuyée comme un ragtime à la Stravinski , sur le temps de base dans une belle véhémence. Répétition entêtée de ce leitmotiv qui propulse dans le rythme comme une reprise d'un motif récurent. Obsédant, bordé d'interludes paisibles, réconfortants. Force et tonicité dans la facture et le rendu sonore de cet opus qui va crescendo envahir l'espace, tectonique comme une architecture de Portzemparc... Un trio de cordes, avec clarinette pour planer dans une belle sensualité ambiante. La rage  très en contraste suit , déferlement de tonalités rythmiques subitement. Puis c'est à pas de loup, feutrés que, pugnace, la variation du thème regagne du terrain. Obsédante et magnétique.
 
 
"Tremble" - accordéon solo
Petit chignon et chaussures colorées en marqueterie ou mosaïque, l'accordéoniste Timothée Anthouard vibre dans des langueurs stridentes, dissonantes, insistantes. En mouvements saccadés, le corps engagé comme une cage thoracique déployée dans le souffle. Contraint mais qui ne cède pas devant l'aspect virtuose de la pièce virulente.En secousses, vibratoires dans un acharnement, une insistante devant laquelle l'écoute ne peut se dérober. Acharnement qui frôle les touches et clapets de l'instrument outre-noir scintillant. Un mince filet  de sons aigus, calme et repos à l'appui pour un retour aux saccades au final. Une cage sonore qui vibre, "monolithe" sculpté par l'interprète. Courant de haute tension d'infra-harmoniques, ces sons graves "fantômes" non joués par l'instrument mais perçus par l"auditeur. Magique ambiance athlétique en diable pour celui qui se donne à la créer.
 
"Utopie de la toupie" - Duo flûte/percussion
Des sons infimes sourdent, raffinés, dans un clair-obscur sensible, ténu. Des petits frappés multiples agrémentent les sons de la flûte: question-réponse de l'un à l'autre, dialogue dans un phrasé subtil en tournoiements de sons. Envolée, échappée belle, douceur du souffle émis, tenues filées, soutenues comme un chant. Des oiseaux siffleurs se profilent, sylvestres dans une clairière vaste, dans des vols et battements d'ailes en ascension céleste. Sifflet de carnaval ou de parade nuptiale...Flexatone, flûte à coulisse, glokenspiel pour complices sonores en résurrection légitime.
 
"Cela ne serait peut-être pas…" - voix et clarinette contrebasse
Un extrait de "Moi Singe" récité, murmuré ou psalmodié à toute vitesse par Françoise Kubler : des cris modulés, une voix parlée très véloce, rapide, hachée bordée par la clarinette basse, cette chaufferie centrale de tubes aux dires d'Armand Angster... Un débit, un flux de paroles de ce singe en mutation sorti de sa cage pour s’émanciper... Duo de souffles, de ponctuation syntaxique dans les répétitions de texte aux séquences qui s'accentuent. Osmose et doublure de l'un par l'autre qui ne chante pas... Cris et singeries pour sortir de ses gonds.
 
"Cortège – Éloge du Reflet" - clarinette, accordéon et percussion
Vibraphone et accordéon pour des fréquences inédites, intenses. Des phrasés et couches sonores s'entremêlent, s'imbriquent, émergent dans ce flux, lent et paisible d'une marche, un cortège joyeux. Des vrombissements en rémanence sonore pour décor spatial, crescendo et amplitude à l'envi. Une belle amplitude, envergure de l'accordéon en majesté. Quelques touches d'humour en staccato, des échos et réverbération de sons pour incarner la démarche solennelle d'une musique qui passe devant nous. Zoom sonore comme crédo.
 
"Trois fois silence I" - Trio - flûte soliste, piano et guitare électrique
Pour clore ce florilège sonore plein de fantaisie rigoureuse , une pièce détonante, électrique, magnétique, le piano comme percussion préparée et jouée à vue comme un spectacle musical.  Tous aux aguets, à l'affut, à l'écoute instantanée des autres. Pour des correspondances de sons en couches. Piano gymnique, de Martina Copello grande concentration de l'interprétation: du sur mesure inédit. La flute vers l’asphyxie, l'apnée ou la retenue salvatrice. Le chemin se déploie sur la partition déployée devant la jeune artiste Lisa Meignin, virtuose. Coups de sons affirmés puis langueurs alternent dans cette performance tectonique en diable. Le corps en osmose avec le rythme et l'émission de sons La musique comme spectacle et dévoilement de secrets de fabrication. Beau final pour ce concert comme un mouvement perpétuel insufflé par une écriture musicale de haute voltige. Haute tension acharnée pour des courants sonores contrastés, convergeant vers des affluents musicaux indomptables. Accompagnement acoustique augmenté très probant. Ensembles et en solistes pour ce "trois fois silence" comme haut parleur, vecteur d'effets enveloppant à l'unisson.
 
 
Interprètes
Accroche Note et Étudiants de la HEAR-Musique
Françoise Kubler, voix / Armand Angster, clarinette / Thomas Gautier, violon / Christophe Beau, violoncelle / Hugo Degorre, accordéon / Emmanuel Séjourné, percussion / Kotoko Matsuda, piano / Timothée Anthouard, accordéon / Lisa Meignin, flûte / Sami Bounechada, percussion / Martina Copello, piano / Gaspard Schlich, guitare
 
Le 28 Mars   cité de la musique et de la danse

pour mémoire:

https://genevieve-charras.blogspot.com/2017/09/moi-singe-musica-par-ici-la-monnaie.html

 

jeudi 28 mars 2024

"Les fantasticks": indisciplinés....united colors of the wall....Sobre ébriété d'un millésime corsé!

 


Les Fantasticks
Tom Jones & Harvey Schmidt Nouvelle production. En coréalisation avec la Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace.


Comédie musicale.
Inspirée de la pièce d’Edmond Rostand Les Romanesques.
Paroles et livret de Tom Jones. En version française.
Créée le 3 mai 1960 au Sullivan Street Playhouse de New York.
Opéra Volant.


Un conseil à tous les parents : interdisez à vos enfants ce que vous voulez qu’ils fassent ; vous serez alors certains qu’ils le feront ! Il ne s’agit pas de manipulation mais bien d’éducation. Et rappelez-vous : c’est pour leur bien. Cette méthode originale est expérimentée avec succès par Mme Hucklebee et M. Bellomy. Pour favoriser l’union de leurs enfants, ils inventent une fausse dispute, dressent un mur entre leurs deux maisons et leur interdisent toute communication. Résultat : l’amour est tout de suite au rendez-vous. Attention cependant à ne pas révéler le pot aux roses, car rien n’est plus ennuyeux pour des enfants qu’un destin tout tracé.


Deux clans, deux mesures, se mesurent pour un plaisir grandissant sur le plateau du Théâtre de Hautepierre. Un "opéra volant" sur tapis de rebondissement, petit cabaret de poche que l'on porte sous son bras. Chanteurs, comédiens tiennent la scène dans un univers ouvert, extérieur: un jardin divisé par un mur et gardé scrupuleusement par un monsieur Loyal, Maitre de cérémonie, Ell Gallo joué par Bruno Khouri. Et par un mur, personnage à part entière incarné par Quentin Ehret. Deux tourtereaux seront notre fil conducteur de cette fable au livret tout simple, aux caractéristiques dramatiques évidentes et sobres. Sobriété de la mise en espace avec un décor léger, deux jolies serres, vérandas ou jardin d'été, un fauteuil à bascule, un transat pour le repos...
 

L'intrigue se déroule entre musique légère, harpe et piano, un "ensemble" réduit mais très efficace aux mains de Hugo Mathieu et  Lauriehanh Nguyen. Alors en avant pour des péripéties multiples, haletantes entre les membres de ces deux familles démembrées par ce mur omniprésent, témoin et vecteur de la séparation, des frontières entre êtres humains, comportements et classes sociales. Clins d'oeil à Shakespeare bien vu !Un mur "muet" qui se glisse sempiternellement dans la narration en traçant les contours des déplacements, déplaçant les accessoires de la discorde. Droit, rigide ou souple selon les circonstances. En costume gris, chapeau melon et maquillage lisse. Une performance physique à souligner pour ce comédien qui ne dit mot ni ne murmure quasi trois heures durant. Faire le mur, tout gris face à ces furies qui lui font obstacle est une gageure et un chalenge qui tient en haleine. Alors que le père, Michal Karski tout en vert et la mère Bernadette Johns tout en jaune animent le plateau de leur jeu tonique, joyeux ou revanchard.Un "tableau" désopilant avec cadre véridique pour cerner ou unir ce qui ne le peut pas demeure la séquence de charme avant et après l'entracte.Portrait pictural vivant de cette famille ou les deux amants se découvrent après l'abolition du mur comme deux étrangers aux prises à de mauvaises surprises.
 

Anna Escudero et Jean Miannay en rouge, en mauve,en protagonistes éclairés de cette comédie musicale "de poche" tonitruante.Ils sont espiègles, malins, naifs ou déconfits, drôles et animés de bons sentiment. Les voix seyantes à ces deux rôles juvéniles et attendrissants. Le mentor, lui, de sa belle voix de basse se fait conteur et animateur subtil de ce ballet de farfelus en état de sobre ébriété. Bon choix que cette programmation de cette oeuvre méconnue qui enchante le public fredonnant à la sortie le "tube" bien connu "try to remember". Myriam Marzouki qui fait ici du "mur" une entité à part entière, singulier perturbateur et symbole de la bêtise humaine: diviser pour dissimuler, engendrer les querelles, démembrer les voisins.Sur un théâtre de tréteaux populaire et accessible.Les murs font échos à tant d'actualité politique, économique et stratégique que celui-ci est emblématique et pertinent au delà de l'imagination...La musique et le chant signés de Harvey Schmitt, le livret de Tom Jones sont un régal de fantasmes et frugalité de mise pour cette "opérette" en chambre digne des plus fantaisistes joyaux du genre.La chorégraphie signée Christine  vom Scheidt comme une mise en espace et en corps donnant entre autre naissance à un tango savant de toute beauté entre les deux amants. Aux couleurs flashes d'un conte d'effets fluorescent et endiablé.


(Librement inspirée d’une pièce d’Edmond Rostand, la comédie musicale The Fantasticks détient le record absolu de longévité, avec près de quarante-deux années passées à l’affiche du même théâtre new-yorkais. Son histoire rocambolesque, à mi-chemin entre Roméo et Juliette et Così fan tutte, et ses titres à succès comme « Try to Remember », devenu un standard du répertoire américain (et un tube publicitaire), en ont fait une œuvre phare de l’Off-Broadway. Elle est interprétée en version française par les artistes de l’Opéra Studio dans un spectacle pour petits et grands de Myriam Marzouki, présenté en tournée régionale. 


Mise en scène
Myriam Marzouki
Chorégraphie Christine vom Scheidt Décors Margaux Folléa Costumes Laure Mahéo Lumières Emmanuel Valette Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, Musiciens de la HEAR

photos Klara Beck 




mercredi 27 mars 2024

"Saigon" : une fresque bien "restaurée", des pleurs partagées, un huit clos territorial explosif !




Texte Caroline Guiela Nguyen avec l'ensemble de l'équipe artistique - Avec Caroline Arrouas, Dan Artus, Adeline Guillot, Thi Trúc Ly Huynh, Hoàng Son Lê, Phú Hau Nguyen, My Chau Nguyen thi, Pierric Plathier, Thi Thanh Thu Tô, Anh Tran Nghia, Hiep Tran Nghia -
Mise en scène Caroline Guiela Nguyen. 
Pour écrire et mettre en scène SAIGON, Caroline Guiela Nguyen a réuni des acteurs français, vietnamiens et français d’origine vietnamienne. Le décor est un restaurant vietnamien, qui se situe alternativement à Saïgon en 1956 - date des derniers départs des Français d'Indochine - et à Paris en 1996 - année où le gouvernement vietnamien a autorisé les gens ayant émigré à rentrer dans leur pays natal. Un lieu où les personnages se retrouvent pour manger, parler, chanter. Des trajectoires intimes qui se croisent, des histoires d’amour, de famille, d’amitiés et d’exil, prises dans le tourbillon de la grande Histoire.
C'est l'histoire d'une communauté, déchirée mais aussi unie, soudée qui plus de trois heures durant va nous tenir en haleine, en alarme; comme leur destin qui va au gré d'une actualité cruelle, sauvage, politique et économique, tragique. La guerre du Vietnam, va marquer à jamais les comportements, les amours de cette tribu, au creux d'un restaurant, le fief, le berceau de tant d'émotions, de péripéties, de drames. De joies aussi, mais plus rarement !
Un restaurant "vintage" aux couleurs vives, au mobilier d'époque 1956 puis dans le même jus en 19996. Rien n'a changé en apparence dans ce petit local singulier, typique de ces lieux "communs", un peu tous pareils qui accueille cette population d'exilés, de "fugitifs" en quête de leur être. Seule la lumière change selon les époques pour stigmatiser les ambiances, les états d'âme. Alice Duchange et Jérémie Papin pour s'atteler à la tâche de restituer atmosphère, espace géographique et notion de territoire délocalisé, déplacé.Douleurs et passions animent tous les personnages très attachants. De la mère possessive, au fils ingrat, de la "patronne" à tout son entourage au service c'est à des destinées frappées par l'histoire que l'on tombe en empathie. Les douze comédiens, aux accents des langues qui traversent la pièce: vietnamien, français, anglais dans un doux mélange, melting-pot de timbres métissés, de langage conjugués par les aléas de l'histoire, par cette dérive des territoires. Chacun se cherche  et tente de se profiler un personnage sur ses contrées mouvantes de l'histoire qui se déroule d'un continent à l'autre: Saigon, Phnom Pen,Ho Chi Min et Paris et son faubourg St Antoine.Chacun pour soi dans une cruauté singulière: ce soldat revenu du front qui exploite la naïveté de sa future compagne, ce mariage où personne ne vient et où seule une jeune femme comprend cette misère affective... Ce désert d'amour, cette absence de tendresse qui se révèle à travers les corps cabossés, les voix hésitantes, les langues diverses qui ne se comprennent pas: Babel, pour mieux désunifier ce qui dans l'exil aurait pu être de la solidarité, de l'entraide, du coude à coude.µ
On apprend beaucoup au fil des trois chapitres sur le sort des vietnamiens, incarnés par ceux qui portent l'histoire de ce grand chambardement ethnique, ces déracinements, cet exode, exil, qui cependant trouve refuge dans cette gargote où les mets rappellent les fragrances, saveurs et odeurs du pays perdu!
Un spectacle tendu, toute ouïe sollicitée par les tonalités, la musique de la langue et aussi les "tubes" bien français que s'approprient deux des personnages: Christophe et Sheila interprétés de façon très audacieuse et touchante par ces voix au timbre chuchoté, parfois à peine audibles.
Un pot de première pour mieux se faire croiser les êtres humains et le tour est joué: on a fait connaissance et débroussailler même les figures religieuses: oui, Bouda est un homme comme Jésus, alors pouquoi s'affronter, se battre, se haïr même au sein de la famille?
Le message est passé....

Au TNS jusqu'au 16 Novembre

mardi 26 mars 2024

"slowly, slowly… until the sun comes up" Ivana Müller / ORLA : j'ai fais un rêve...Ce qui nous re-lit...

 


Sauter dans le vide, explorer des mondes étranges, croiser les visages de la journée ou retrouver ceux que l’on croyait oubliés, enfouis sous le poids des années : voilà ce que nous faisons durant un tiers de nos existences, nous rêvons. Rêver, c’est une autre façon d’observer et d’expérimenter la vie, qui nous offre un champ de liberté radical. Aujourd’hui ou demain, ici ou ailleurs, tous les humains et même les autres animaux rêvent. Mais chacun·e dans l’intimité de son propre domaine onirique, avec ses peurs et ses plaisirs, ses doutes et ses surprises. Pourquoi ne pas, pour une fois, partager ces récits et les transformer en une expérience collective et potentiellement politique ? 


Dans un espace sans cesse en mouvement, fait de strates de tissus qui s’empilent comme différents espaces de sommeil, trois interprètes nous racontent leurs rêves qui, au fur et à mesure, deviennent les nôtres, avec fantaisie et liberté, laissant la place à notre imagination de se réparer et à notre corps de plonger dans un état doux.

 


"I have a dream..." Et nous aussi avec ces trois conteurs-magiciens redonnant vie et corps à leurs rêves qu'ils nous content devant nous installés en carré autour d'eux. En chaussettes moelleuse, bien calés dans un dispositif scénique très cosy, enveloppant. Car il s'agit ici d'enveloppe, de tissu, de bâche autant que de laie, tendue sur la scène comme un immense drap de lit froissé par les mouvements des corps en sommeil. "Comme on fait son lit, on se couche". Comme on fait des rêves, on voyage en leur compagnie. Du sol ils tirent de longs pans de tissus comme des prolongements de matière, des formes extraordinaires. Des nappes se forment au fur et à mesure de ces récits très intimes que chacun évoque à tour de rôle. Joignant toujours le geste à la parole en déroulant ces longues étoles tissées de rêves. Comme des strates aussi qui forment un palimpseste géologique de couches de mémoire ou d'inconscient. Une illustration de Jung et de ses révélations sur l'analyse des rêves... Les trois comédiens avec humour, tendresse et imagination fertile dressent une sorte d'inventaire méticuleux de récits de rêves encore tout chauds, vécus et partagés entre eux et pour nous. 


Collectivité témoin de leurs paroles qui ricochent, touchent émeuvent. Et le sol mouvant toujours se transformant en immense chapiteau terrien, froissé, foulé à l'envi. Les tissus enrobant les corps, reliant les uns aux autres comme des figures carnavalesques, un cheval de Troie enrubanné. Visions surréalistes garanties.Une toile noire se déplie pour mieux nous envahir, nous protéger et l'on anime cette tenture avec un jeu de tension-détente qui réjouit. Du quasi Annette Messager...Une manière de se joindre à eux , de participer à l'élaboration d'un rêve commun dans un non-lieu onirique. Les récits s'enchainent stupéfiants, absurdes, poétiques plein d'aveux d'inconscient, sans jugement-ou presque- des contenus qui s'en échappent. Les corps des trois comédiens comme des passeurs d'émotion, de fantaisie, d'irréel. Vecteurs, transporteurs en commun de fantasmes bien assumés. Un homme "mou", un chien plus qu'humain et tant d'autres acteurs de cette arène douce, tendre, énigmatique. Un voyage comme une immersion dans une mer tranquille pour mieux nous border, nous bercer pour passer des nuits intranquilles en toute sécurité. Draps foulés par les corps ou tendu au final. Défaits encore chauds de la présence des corps en sommeil. Chambres d'amour à la Bernard Faucon: 


Ou l'hotel de Sophie Calle

Ou le lit défait d'imogen cunningham...

Danse et mise en espace sur tapis bienveillant pour envol garanti vers des contrées inconnues. Un moment de grâce où l'on a du mal à quitter le "théâtre" singulier des événements qui se sont déroulés. Chambre d'amour telles celles de Aurions-nous fait un rêve? Au dessus de nous cinq néons font un toit ouvré qui nous protège....Comme cet escargot, pliage et enroulement du décor comme une botte de foin dans un paysage onirique, ou un habitacle transportable...


Ivana Müller
est une chorégraphe, metteuse en scène et autrice d’origine croate. À travers son travail (performances, installations, textes, vidéoconférences, audios, visites guidées…), elle repense la politique du spectacle et du spectaculaire, revisite le lieu de l’imaginaire, questionne la notion de « participation », le public étant souvent appelé à devenir performeur le temps d’une représentation, brisant ainsi la frontière entre la scène et le public. Depuis 2002, elle a créé une quinzaine de pièces de théâtre et de danse jouées en Europe, aux États-Unis et en Asie. Son travail expérimental, radical et formellement innovant exprime l’idée du mouvement et du corps, au cœur de ses préoccupations artistiques : questionner les normes et proposer les formes poétiques pour re-créer le commun. En 2021, elle présente Forces de la nature
dans le cadre du Temps fort Narrations du futur à Strasbourg.

Au Maillon jusqu'au 28 Mars

dimanche 24 mars 2024

Soirée d'ouverture du "Friejohr fer unseri sproch": chante comme le bec t'a poussé ! L'Ill eau de vie...Au fil du répertoire.

 


Le spectacle musical "L’Ill aux trésors - D’Wùnderìnsel ìn de Ill" vous propose d’aller à la rencontre des artistes qui ont fait battre le coeur de l’Alsace. Venez remonter le fil de I’Ill en vous laissant emporter par les courants… venez (re)découvrir les magnifiques trésors légués par Hans Arp, Cookie Dingler, Goethe, Abd Al Malik, Albert Matthis, Roger Siffer, Tomi Ungerer, René Egles, et bien d’autres… ainsi que les créations originales de Matskat en alsacien.

Germinal Alsacien, prarial..floréal républicains....

C'est une surprise que  cette soirée exceptionnelle de valorisation de la langue régionale, l'alsacien et de toutes les langues régionales! Qualité de la musique, des textes et compositions originales signées Matskat. Recherche sur le programme fourni qui tisse l'histoire de la chanson en alsacien dans une générosité inégalée. Cathy Bernecker en maitresse de cérémonie, madame Loyale, introduisant chaque morceau par un prologue en alsacien bordé d'une version française de bon aloi. Du chien, du tonus, de la verve pour ce verbe alsacien, sa syntaxe, son érudition qui font de ce "dialecte" un riche berceau de la culture du cru. Et quel cru! Cépages multiples pour des alliances remarquables: on y apprend que Léo Schnug peignait sur commande et en retour de trop bons verres de vin. Que Matthis le poète et d'autres inspirent les musiciens à l'envi. Clins d'oeil à tous ceux qui œuvrent pour magnifier une langue: ainsi "Noir Désir" avec son vent alsacien pour Roger Siffer, Cookie Dingler...Cahhy Bernecker entonne ce beau texte de Germain Muller sur les lavandières des bords de l'Ill avec charme et drôlerie. Le plus étonnant, les chansons de Hans Arp pour "Sophie" Taeuber: inédites et encore inconnues du "grand public". L'aspect très contemporain de cette soirée musicale ébouriffe, époustoufle et dépoussière le répertoire. La voix tendre ou incisive de Matsak envoute et magnifie les textes de  Christian Hahn entre autres. Un investissement majeur pour cette "formation" autour de la comédienne, du chanteur et des instrumentistes au top. La Wantzenau comme berceau et terre d'accueil de ce festival ludique, bon enfant et plein d'avenir concret pour revaloriser un patrimoine qui se ressource et trouve un nouvel ancrage très prometteur. Tradition, répertoire et modernité comme fer de lance. Avec de jolis éclairages et un très bon son pour nous éveiller toujours et enchanter...

Ce spectacle est produit par l’OLCA et créé par Matskat avec la complicité de Jean-Francois Untrau – pour les arrangements et certaines compositions - et Cathy Bernecker en conteuse et magicienne des mots.
 
Avec : Cathy Bernecker (chant), Christian Clua (guitare), Matskat (chant /violon/guitare), Gregory Ott (piano), Jean-François Untrau (basse) et Matthieu Zirn (batterie).
Au fil d'eau le 23 MARS

Au Fil d'Eau ce 23 Mars à la Wantzenau

"Après la répétition": le spectacle... et plus personne....Bergman et van Hove fusionnent.

 


Acteur·ices magistraux·ales, textes somptueux, scénographie à couper le souffle, notre portrait d’Ivo van Hove se conclue par un hommage au cinéma qui a inspiré bien de ses mises en scène. Il transpose ici deux films du maître suédois Ingmar Bergman pour une soirée portée par Emmanuelle Bercot et Charles Berling.

Du cinéaste suédois Ingmar Bergman, dont il n’oublie pas qu’il est avant tout auteur, Ivo van Hove est un inconditionnel lecteur, l’estimant comme l’un des artistes maîtres du XXe siècle. Parce que l’art de Bergman parle de la vraie vie. Après la répétition est l’histoire d’un metteur en scène vivant en huis clos dans une salle de répétition, pour qui le théâtre est tout. 


Le plateau est dressé comme le cadre d'un théâtre, d'une loge ou coulisse où vont se dérouler, monologues, dialogues entre ce metteur en scène perturbé, animé de sentiments troubles et perfides et deux femmes, interprètes de ses pièces de théâtre. Lui est fasciné par son métier et en parle avec les accents de addiction, phénomène qui le prend, le ravit et l'embarque dans un microcosme, un huis clos désarmant, égocentrique à souhait. Charles Berling s'empare de ce monstre comme d'un gentil pervers qui distille son amour pour le théâtre comme un vampire. Elles, se sont Emmanuelle Bercot et Justine Bachelet qui accompagnent cet être égoiste pour magnifier son oeuvre. La première est mûre et consciente, la seconde plus innocente et victime. Emmanuelle Bercot vue récemment dans le rôle de Lucie dans le film sur "l'Abbé Pierre, une vie de combat" de Frédéric Tellier, excelle en assurance, le verbe haut et cadencé, le corps investi par les émotions. La pièce se déroule en ascension dramatique, dans un enfermement qui mène à la folie, au ravissement, à la capture des protagonistes féminines. Une performance théâtrale d'envergure façonnée par la mise en scène de Ivo Van Hove, un amoureux des textes de Bergman qu'il met à jour et à flot avec humilité, respect et amour des comédiens. A l'image du créateur de "Monika", "Jeux d'été" (Une danseuse de ballet reçoit dans sa loge, par un mystérieux porteur, le journal intime de l'homme qui fut son premier amour. Elle se souvient de leur été ensemble…): férocité, clairvoyance et délectation. Tendresse, mémoire ou amnésie, journal intime, confidences, complicité. 

Persona

Ici dans "Persona"une actrice qui traverse une grave crise personnelle, et perd l'usage de la parole, est envoyée en cure de repos, surveillée par une infirmière qui lui raconte sa vie. Autour de ces deux femmes, interprétées par Liv Ullman et Bibi Andersson, au cinéma un effet de miroir infini se met en place, de l'opposition à la fusion de leurs visages. Visuellement, ce jeu de dames est si marquant que Persona trouve un écho dans tous les films où deux héroïnes se reflètent dangereusement l'une dans l'autre (telles celles de Mulholland Drive, de David Lynch). 


Comme au cinéma, le jeu d'Emmanuelle Bercot et Justine Bachelet sublime la narration. Le corps de la première, mise à nue, étendue sur une table, endormie est une performance physique remarquable. Faut-il y entrevoir la formation de danseuse d'Emmanuelle Bercot pour si bien jouer des expressions de son corps, "muet" mais si parlant qu'on le pense animé de l'intérieur par une pensée chorégraphique.Et le décor de plonger dans les abimes des pensées des deux protagonistes. De l'eau dans laquelle elles se mouillent, trempent leurs sentiments, se noient ou sont submergées,mais  la tête hors de l'eau. Sans se faire inonder ni assaillir par la matière verbale compulsive. L'infirmière confidente déborde et inonde le plateau de ses paroles. Alors que le corps d’Élisabeth se tarit dans un mutisme maladif. L'une parle, l'autre pas: elle danse de toute sa nudité, ici dévoilée discrètement par des éclairages rares et ourlant les contours de l'actrice. La folie au corps se défendant de réactions impulsives. Le format "16 neuvième" du plateau grand angle sans focale accompagne la lecture de ce scénario kinesthésique à souhait. Il s'agit ici de transposer sans trahir les dimensions visuelles, spirituelles de l'écriture de Bergman. S'il n'y a "persona" au chapitre c'est dans cette absence de mot mais immense présence du corps de Emmanuelle Bercot. Une réussite sensible et forte, oppressive, submergeante comme cette tempête de vent glacé, mouillé par la pluie diluvienne qui s'abat sur ce dialogue fertile. Bergman au sommet de son sens visuel et dramatique. Une soirée judicieuse qui marie deux évocations de la passion théâtrale des êtres qui la servent à leur corps et âme défendant.

Avec ce diptyque déployant littéralement un double théâtre, Ivo van Hove signe encore une fois une œuvre éminemment personnelle, à l’affût de questions intemporelles qui traversent l’expérience humaine dans toutes ses nuances, dont la puissance réside aussi dans l’hommage qu’elle adresse à l’héritage d’un immense artiste qui l’a précédé.  Persona, à l’inverse,  met en scène une actrice qui a perdu pied dans la vie, ayant trop sacrifié au théâtre. Alors qu'auparavant, l’un avait abandonné la vie à la faveur du théâtre, l’autre abandonne l’art par nostalgie de la vie, et ces personnages aux multiples facettes de se complexifier au fil des circonstances qu’ils rencontrent.

 

A la Filature jusqu'au 23 Mars

"Visites dansées" Aurélie Gandit a-Muse la galerie au Musée des Beaux Arts de Mulhouse.

 


par – Aurélie Gandit / CCN•Ballet de l’Opéra national du Rhin


Forte d'une double formation en danse et en histoire de l'art, Aurélie Gandit crée les Visites dansées en 2007. Elle sollicite les corps pour inventer de nouveaux chemins d'accès aux œuvres. La rencontre avec l'art ne fait pas que nous plonger dans le passé, elle ramène aussi chaque œuvre à l'espace et au temps dans lesquels les spectateur·rices la regardent. Ces chorégraphies muséales se dessinent dans l'amour des œuvres, de leur diversité et de leurs particularités si souvent occultées. L’artiste scrute le détail et son attention s'arrête volontiers sur des œuvres délaissées par le parcours dessiné du musée. La danse devient une « courroie de transmission » entre le public et l'œuvre, réinventant leurs rapports et plongeant le·la spectateur·rice dans un régime d'attention nouveau et unique.

C’est en 2011 qu’elle imagine la Visite dansée pour le Musée des Beaux-Arts de Mulhouse, reprise et adaptée aujourd’hui pour La Quinzaine de la Danse par des danseur·euses du CCN•Ballet de l'Opéra national du Rhin. Danser dans le Musée des Beaux-Arts de Mulhouse, c'est épouser un parcours qui prend racine dans le XVe siècle et traverse, jusqu'au XXe siècle, les écoles française, flamande, hollandaise, allemande et italienne de l'art.

Visite incongrue où l'on se réunit comme à l'habitude, petit groupe qui attend son guide pour une visite d'un musée de légende. Mais ce soir, ils seront trois à nous conduire dans les contrées des toiles pour nous en révéler la matière, la couleur, la densité-danse/sitée- charnelle. Sans oublier d'évoquer le contexte historique de la naissance et genèse des œuvres suspendues aux cimaises et non aux cintres de la boite noire pour un spectacle plus "traditionnel". C'est une danseuse au corps longiligne qui se déploie dans l'espace pour nous conduire aux pieds de tableaux et peintures choisies pour leur atmosphère, ambiance ou par le sujet. Petit discours d'introduction, clair et précis proche d'une "déclamation" d'une guide professionnelle affectée à la visite conventionnelle. Mais tout dérape, se décale quand du verbe, elle bascule imperceptiblement vers le geste dansé. Où commence d'ailleurs ce revirement, ce déséquilibre qui fait que l'on quitte le récit narratif pour celui du corps dansant. Encore plus évocateur quand les mots faiblissent et ne rendent plus compte-conte- du leurre de la peinture. Exercice périlleux qui trouve son apogée en ce qui concerne l'interprétation de Julie Weiss, aux pieds des oeuvres de Jean Jacques Henner.


Une femme s'allonge langoureuse au sol, doublant la silhouette endormie d'une créature de  rêve, nue, blanche sur fond noir. Alors que la danseuse, tout de noir vêtue, se love sur le parquet de bois doré de la salle. La visite se poursuit d'étage en étage et l'on suit les consignes de parcours de deux autres guides. 


C'est Pierre Doncq qui sublime par le geste d'autres chefs d'oeuvre, des portraits entre autres que l'on regarde alors d'un autre oeil. Celui de la dimension utopique et onirique de chacun des tableaux visés. Dans la salle des alsatiques on prend conscience du drame historique de l'exode forcé des alsaciens en 1870. "Français-Allemands?".... Et pourquoi pas migrants universels et transfrontaliers dans cette danse puissante, forte et cruelle de la séparation, de l'exil, du corps seul et fracassé par la douleur, le doute ou la décision de fuir. C'est Alain Trividic qui s'y colle et partage cette empathie, ce désir de communiquer l'incommensurable déchirement. Une séquence fort réussie auprès de l'évocation d'Orphée et Eurydice dans la salle des peintres dits "pompiers" lui donne l'occasion d'exprimer un talent de jeu dansé extraordinaire. Alors que Julia Weiss nous balade et transporte dans les univers charmeurs de Boudin, paysages et danse langoureuse des "marines", les gestes étirés, allongés par la sensualité des propos picturaux.

Juste avant de nous éconduire dans les boudoirs érotiques de JJ Henner. On n'oubliera pas de mémoire, la scène de patinage de Brueghel le jeune où la danseuse mimétise subtilement avec les poses, attitudes ou postures les quittant pour en sublimer l'énergie, la grâce, le vertige. Le voyage n'est pas terminé qui revisite encore par les mots les natures mortes, les sujets fétiches des tableaux choisis à l'occasion de cette performance imaginée par la magicienne Aurélie Gandit de l'ex-compagnie, la"Brèche". Qui portait bien son nom d'esquisse , de fresques, d'interstices à pénétrer, franchir des premières peintures de l'homme sur les toiles des grottes de nos aïeux.Certes ici les gestes ne sont pas primitifs, mais sculptés par le médium du corps, multiple tant la musicalité des gestes, le son de la parole viennent hausser les toiles au rang d'opus multimédia. Alain Trividic maniant les textes introductifs, puis dansés avec brio et maitrise. Il n'est pas aisé de joindre le geste à la parole.Surtout que l'un sourd de l'autre sans transition mais dans un glissement progressif vers le plaisir de voir et d'entendre les répercussions sensorielles s'emparer de notre regard et écoute. 

 
 

Une réussite émotionnelle et esthétique que ce parcours inattendu mais rêvé des collections rares et précieuses du Musée des Beaux Arts. La danse en en constituant ce soir là une matière à s'émouvoir et se mouvoir comme une pensée en mouvement, des esthétiques à bouleverser, des points de vue à franchir et dépasser.

jeudi 21 mars 2024

"10 000 gestes" et pas un de plus! Charmatz: le compte est bon....


 "10 000 gestes" de Boris Charmatz 

« Une forêt chorégraphique », « une pluie de mouvements » : ce n’est sans doute pas un hasard si la nature intervient dans les mots choisis par Boris Charmatz pour décrire son spectacle. Car 10000 gestes est tout d’abord un moment de désordre dans un monde policé. L’expression spontanée de la liberté de chacun et chacune, inscrite dans celle de toutes et tous, en fait naître et se déployer une autre : la liberté d’association du public. Sans jamais se répéter, 19 danseurs et danseuses, puisant dans leur propre subjectivité, exécutent 10 000 mouvements différents, du tremblement le plus discret au saut spectaculaire, du regard adressé à l’autre aux combinaisons farfelues des corps. Mais la performance conçue par le nouveau directeur du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch est aussi une archive dansée de la danse, une immense mémoire déployée sur les notes du Requiem de Mozart. En convoquant tous les mots du langage corporel, c’est la matière même de toute chorégraphie qu’il donne à voir sur une scène nue. 


Bien plus de 1001 voici un dénombrement hallucinant de facture de gestes interprétés par des danseurs, ici au sein du Maillon sur l'immense plateau nu. Performance "reprise" à chaque fois différemment selon les étapes et depuis la genèse de ce gigantesque projet international. Et Boris Charmatz de réinventer la "notion de reprise"pas à l'identique mais respectant l'esprit de cette performance au plus près. C'est une danseuse projetée sur le plateau qui inaugure l'événement: multi-gestuelle fébrile, rapide, désordonnée, fractionnée. Rapidement rejointe par ses pairs, d'autres interprètes qui plus d'une heure durant sont lancés comme des salves sur la scène.Chaos très organisé et très écrit, respectant les espaces d'évolution de chacun.C'est comme un tableau constitué de 1001images qui font sens et formes lorsque l'on s'en éloigne: puzzle rétinien inouï, illusion, kaléidoscope scintillant, versatile...D'abord individualisée, la gestuelle se prend au jeu de duo et trio et s'enrichit de mouvements de groupe, toujours chaque geste individualisé, propre à chacun. Radeau de la Méduse, scènes empruntées à l'histoire de l'art académique, cour des miracles qui s'anime en tableaux successifs jamais interrompus. Des moments de silence quand le fracas de Mozart se tait, quand la musique, les choeurs se tarissent. Chacun exulte se défonce, se lance dans cette arène nue, immense plateau dédié aux déplacements, courses folles, divagations toujours très organisées. Et surprise, la horde sauvage, la meute se disperse dans le trouble parmi le public sur les gradins, hurlant, vociférant pour regagner plus tard le bercail de la scène. C'est jouissif, exhalant, enivrant et l'empathie gagne tout au long de cette ruée vers le paradis: le compte est bon et on compte sur ces 19 énergumènes, en slip, torse nu ou legging pour nous ramener sur terre alors que Mozart s'est éteint dans un final magistral. Les lumière de Yves Godin à la poursuite de cette meute hurlante comme des rasants ou douches caressant les corps survoltés. Huit néons doubles encadrent ce plateau nu et cru comme une ère de jeu. La danse fait signe, les voix en disent long sur notre vocation à vivre haut et fort les gestes les plus ancrés, les plus fous et désordonnées de nos carcasses humaines. Boris Charmatz laissant divaguer ses interprètes de toute leur singularité...collective! Nadia Beugré, Solène Wachter et les autres pour nous entrainer dans cette course folle contre le temps, contre la mort...On compte sur eux pour additionner tout mouvement sans un soustraire un seul. Le conte est bon dans cette scénographie et dramaturgie ascendante pétrifiante, médusante...

« Une forêt chorégraphique », « une pluie de mouvements » : ce n’est sans doute pas un hasard si la nature intervient dans les mots choisis par Boris Charmatz pour décrire son spectacle. Car 10000 gestes est tout d’abord un moment de désordre dans un monde policé. L’expression spontanée de la liberté de chacun et chacune, inscrite dans celle de toutes et tous, en fait naître et se déployer une autre : la liberté d’association du public. Sans jamais se répéter, 19 danseurs et danseuses, puisant dans leur propre subjectivité, exécutent 10 000 mouvements différents, du tremblement le plus discret au saut spectaculaire, du regard adressé à l’autre aux combinaisons farfelues des corps. Mais la performance conçue par le nouveau directeur du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch est aussi une archive dansée de la danse, une immense mémoire déployée sur les notes du Requiem de Mozart. En convoquant tous les mots du langage corporel, c’est la matière même de toute chorégraphie qu’il donne à voir sur une scène nue.

Au Maillon en collaboration avec Pole Sud les 20 et 21 Mars

"Robot l'amour éternel" de Kaori Ito : le geste juste en morceaux, en miette, en mutation : démembrement et désamorce.


 Après 2 spectacles la mettant en scène avec son père puis son compagnon, Kaori Ito boucle avec un solo la trilogie autobiographique qui a initié son répertoire de compagnie. À partir de ses carnets de bord, d’une voix artificielle et de moulages de son corps, elle raconte son mode de vie presque robotique. Tantôt prothèses qui démultiplient ce corps, tantôt dépouilles qui le dispersent, les moulages des parties de son corps qui accompagnent le jeu, figurent toutes les mues d’une vie.

 


Le plateau est comme une vaste étendue de montagnes. C'est une bâche, enveloppe plastifiée qui se meut au grès des secousses et glissements d'un manipulateur invisible. Surgit un membre d'un corps tout blanc, une tête telle celle de Man Ray, endormie, rêveuse. ou de Brancusi. 


Image forte et qui impacte une atmosphère de rêve portée par la musique égrenée du piano.. 


Elle, l'interprète, être hybride vêtue d'un justaucorps seyant se love dans cet univers, cette matière et se meut dans les interstices de béances, de trous dans le sol convoqué. Pour faire terrain, terroir où la danseuse s’immisce et amorce des gestes robotiques, segment par segment de corps. Une voix off nous conte ses journées de labeur, ses emplois du temps à horaires millimétrés d'un continent à l'autre. Calendrier draconien pour cette femme sans repos ni répit. Les gestes sont ceux d'une femme qui enfile des morceaux de membres de plâtre, les habite, les adopte comme handicap ou empêchement. Tel un costume à danser sur mesure avec restriction d'espace. Schlemmer ou Depero comme habits de ballet plastique où le corps est soumis à la matière mais trouve les chemins de son mouvement. Au delà des entraves.
depero
schlemmer
Remembrer son corps en le manipulant, le mesurant, l'évaluant. Comme une carapace, seconde peau ou armure. La musique reprend son cours pour animer cette larve qui deviendra papillon éphémère en mutation et la chrysalide sera celle d'une mère désireuse de porte un enfant. Kaori Ito prend de la distance, désamorce le rêve en haranguant le public avec humour et malice. Démembre et remembre son ossature en la confrontant à des espaces, des béances, avens d'une tectonique géologique d'un terrain instable. Le jeu est jovial, discret, sobre et impacte nos fantasmes, notre fantaisie. Un peu de buto en référence, les orteils évasés, tendus, le corps couché, les jambes agitées...Carlotta Ikeda n'est pas loin et ce clin d'oeil rend hommage à toutes ces "petites morts" qui la hantent. Si loin, si proches de la vie. Et que la "solitude" soit bordée de Purcell et d'une voix sensible qui emporte très loin notre sentiment d'être "seul". L'amour éternel, la mort irrévocable pour tracer le chemin, son chemin sur son terrain à conquérir, à gagner sempiternellement.
Au final un énorme cordon ombilical passe entre les jambes de la danseuse, corps offert et conquis par la maternité: de toute beauté dans une lenteur sublime. Et Rodin de hanter cet opus avec ses corps morcelés de plâtre.
rodin

DE ET AVEC KAORI ITO – TEXTE, MISE EN SCÈNE ET CHORÉGRAPHIE KAORI ITO – COLLABORATION À LA CHORÉGRAPHIE GABRIEL WONG – COLLABORATION UNIVERS PLASTIQUE ERHARD STIEFEL ET AURORE THIBOUT – COMPOSITION JOAN CAMBON  

Au TJP jusqu'au 23 MARS dans le cadre des micro giboulées

mercredi 20 mars 2024

"Retour à X": trans-mission , adieu ou bonjour tristesse....Un drame sensible en quête d'autrice.

 


mercredi 20 mars Retour à X 

actuelles - 26ème édition du 19 au 23 mars 2024 - 19h TAPS Laiterie

 FAIRE DÉCOUVRIR AU PUBLIC DES TEXTES DE THÉÂTRE ACTUELS,INVITER LEUR·ES AUTEUR·ES, FAVORISER LES ÉCHANGES ET PARTAGER DES ÉMOTIONS :TEL EST LE PRINCIPE D’ACTUELLES, TEMPS FORT DE LA SAISON DU TAPS CONSACRÉ A L’ÉCRITURE THÉÂTRALE D’AUJOURD’HUI.La saison 2023-2024 accueille la 26ème édition d’Actuelles, cinq soirées dédiées aux écritures théâtrales contemporaines. Pour cette édition, cinq pièces de théâtre ont été sélectionnées parmi la centaine reçue par les artistes associé·es Pauline Leurent et Logan Person, et le comité de lecture du TAPS.Ces textes sont ensuite confiés à des directeurs et directrices de lecture qui rassemblent autour d’eux une équipe d’artistes pour en assurer la lecture et la partition musicale, différentes chaque soir. À ces comédien·nes et musicien·nes viennent s’ajouter cinq équipes d’étudiant·es de la section scénographie de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR), qui repensent entièrement le TAPS Laiterie chaque soir pour une mise en espace originale.La cuisinière Léonie Durr concocte des mises en bouche inspirées par les textes et dégustées à l’issue de la soirée.

 Une femme revient sur les traces de son enfance en s’installant là où elle est née et a grandi, et avant elle ses parents. Au plaisir de retrouver le paysage familier, les souvenirs qui jonchent le chemin, se mêlent les doutes : pourquoi être revenue ? Et puis, il y a cette boîte rouge qui retient les photographies de la famille : pourquoi les femmes sur les photos semblent-elles si tristes ? Et si la tristesse pouvait se transmettre ? De mère en fille ?Commence alors ce qui pourrait s’apparenter à une enquête intime et générationnelle. Et, petit à petit, c’est un souvenir enfoui qui resurgit. Et un présent qui se répare, en même temps que le passé se reconstruit. 

Comme sur une estrade de chorale les sept comédiens en dégradé entament cette longue marche à travers le temps et les paysages, sur les sentiers de l'âne qui va brouter où bon lui semble. Dans le tréfonds de cette fameuse boite rouge, boite d'une Pandore absente. Des souvenirs à l'appel d'une femme, pilier et plaque tournante de ce texte à mille et une entrées et sorties construit comme un rubiks cube multi-facettes d'une narration à tiroir, kaléidoscope lumineux réfléchissant les couleurs. Les "X" ne sont pas ceux de la censure ni de la taille quoique les mots sont énormes ou étroits à porter sur les épaules. Ces X comme des didascalies qui ouvrent des portes à l'interprétation et grandissent le chant d'action. Comme des croix, des repères sur les sentiers balisés d'un tapis de danse. Le champ et hors champs d'un fil conducteur cinématographique, séquencé, monté en autant de strates, couches géologiques et généalogiques de cette famille fantôme utopique. Des lieux et non lieux, bistrot, boutique fantasque de campagne superette-bazar où l'on trouve tout, et montagne du Forez ou du Jura. Là où l'on sert "la sapinette" apéritive aux bons clients du café. 


Les souvenirs remontent à la surface et abreuvent notre lectrice-actrice principale, cheville ouvrière de cette nouvelles atypique. Sans ponctuation, ce qui fait respirer la syntaxe en enjambements ou césure très musicale. On respire de la bonne oxygène à son rythme, on sent les fragrances de ce tapis végétal d'épicéas, de  brindilles rousses qui participent au dépaysement fictif. Tous engagés dans un texte très évocateur d'émotions, de sensations, de mémoire familiale. Les femmes y sont échelle du ciel d'une famille en vrac, d'une jeune gamine "tâchée" de plaques maladives qui s'épanchent, se répandent sur sa peau, son corps. Une curiosité, une bête de foire que l'on cache dans ce secret de fabrication de famille. Enquête au coeur d'un drame sensible dixit Béatrix Beaucaire, maitre de cérémonie, madame Loyale de la soirée. Discrète participation sur l'estrade comme orchestrant à l'aveugle sa bande de comédiens diseurs de bonnes aventures romanesques. L'autrice, parmi nous dévoilant ses intentions de vertige, de trouble quant à l'écriture de ce texte ici incarné pour la première fois. Du bonheur que cette rencontre entre artisans de la scène. La scénographie comme des courbes de niveau sur une carte IGN, des balcons géologiques comme dans les monts du Massif Central, le Jura ou le Kaisersthul.


Belle équipe artistique pour ce voyage au bout de la mémoire, du patrimoine familial contenu dans cette matrice rouge sang. Au ferment de photographies évoquées au fur et à mesure pour nous présenter les habitants de cette contrée mentale. Marine Bedon signe ici un opus littéraire plein d'images animées, de mots et d'expressions sensibles. Douces comme la musique égrenée au piano en improvisation par Thomas Valentin. En symbiose sismique avec la tectonique des couches de cette géologie mémorial vivant et très terrestre.Des bouchées comme entremets en strates et couches de fromage et pâte à choux concoctées par Léonie Durr et Jacques Delamarre en amuse bouche avant le plat de résistance d'un débat-rencontre à l'issue de la représentation. Du terroir pour le gout et les papilles après la première étape gourmande des textes incarnés par ces choristes du verbe sur leur estrade.

Directrice de lecture : Béatriz Beaucaire Musicien : Thomas ValentinScénographie (HEAR) : Ninon Blanchiet, Ninon Savate, Zacharie Charlier, Valentine Coque Comédien.nes : Hélène Hoohs, Carole Breyer, Jenny Macquart, Maxime Pacaud, Francisco Gi