samedi 23 décembre 2023

"Orphée aux enfers" : Olivier Py a trouvé son Eurydice!

 


Offenbach enfin se lâche!

1858. Acculé par les huissiers qui menacent de fermer son théâtre des Bouffes-Parisiens aux caisses désespérément vides depuis son ouverture trois ans plus tôt, Jacques Offenbach tente le tout pour le tout : écrire (enfin !) une grande œuvre pour rétablir l’équilibre budgétaire et asseoir sa notoriété de compositeur. Conforté dans sa démarche par l’amitié que lui voue le duc de Morny, demi-frère de Napoléon III – qui signera sous pseudonyme le livret de Monsieur Choufleuri restera chez lui le… et n’est sans doute pas étranger à l’abrogation du nombre limite de personnages et de chœurs attribué jusque-là aux pièces montées aux Bouffes-Parisiens –, il prend le large et met sur le métier l’opéra qui fondra effectivement sa légende : Orphée aux Enfers. Le rendez-vous avec l’éternité a lieu le 21 octobre 1858. Hector Crémieux a concocté un livret de haut vol sur une idée originale de Ludovic Halévy (auquel Offenbach dédiera sa partition) : une plongée décalée et pleine d’anachronismes dans la Grèce antique pour peindre en filigrane – mais à grands traits caustiques – l’insipide vanité de la société du Second Empire. L’audace fait mouche et le public – pourtant premier visé ! – ne boude pas son enthousiasme : pour son premier ouvrage « sans limites », le compositeur s’est fait plaisir. Quatre actes, sept chanteurs, sept chanteuses, un large chœur et un grand orchestre : les opérettes en un acte d’avant cet « opéra bouffon » – c’est son appellation exacte – font désormais figure d’esquisses. Osons le dire : il s’agit là de la première grande opérette française

Orphée Samy Camps
Eurydice Marie Perbost
Artistée/Pluton Julien Dran
Jupiter Nicolas Cavallier
L'Opinion publique Sophie Pondjiclis
Junon Carole Meyer Vénus Béatrice Nani
Cupidon Yuki Tsurusaki
Diane Clémentine Bourgoin
Minerve Emma Delannoy
Mercure Hoël Troadec
John Styx Frédéric Longbois
Mars Aslam Safla
 
Maîtrise du Conservatoire de Lausanne
Ensemble de violonistes du Conservatoire de Lausanne
Direction musicale Arie Van Beek
Mise en scène Olivier Py
Décors & costumes Pierre-André Weitz
Lumières Bertrand Killy
Chorégraphie Ivo Bauchiero
Assistant décors Mathieu Crescence
Assistant costumes Nathalie Bègue


de plonk et replonk


 L’Opéra de Lausanne dédie les représentations d’Orphée aux Enfers à la mémoire de Léonard Gianadda, Mécène et soutien indéfectible du Théâtre.


mercredi 20 décembre 2023

"A la ligne": point barre ou virgule ! Mathieu Létuvé et Renaud Aubin font bonne pêche. Ma petite usine connait pas la crise...

 

La fonction de l’analyse est d’être allongé sur un divan à devoir parler, la fonction de l’usine est d’être debout à devoir travailler et se taire.

« L’autre jour à la pause j’entends une ouvrière dire à un de ses collègues Tu te rends compte aujourd’hui c’est tellement speed que j’ai même pas le temps de chanter Je crois que c’est une des phrases les plus belles les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière »


 À la ligne met un point final à l’aventure mystique et philosophique de Joseph Ponthus dans le monde ouvrier. Dans sa prose baroque et percutante, l’ancien khâgneux détaille à la hache son expérience d’intérimaire dans l’industrie agro-alimentaire. Un monologue épique qui convoque Shakespeare et Apollinaire pour retracer son Odyssée absurde d’ébouillanteur de crevettes, d’égoutteur de tofu, d’enfourneur de bulots, de lessiveur d’abattoir…

 


Ce seul-en-scène mystique et philosophique interprété par Mathieu Létuvé fait retentir les mots de Ponthus dans ses os et dans sa chair. Vibrant de musicalité, ce poème-testament dévoile la réalité crue des enjeux de nos modes de production qui font de l’usine un champ de bataille où rien ne distingue l’homme de la bête, la souffrance humaine de la torture animale.


Seul mais avec son musicien DJ, voici venir en scène un personnage multiple, protéiforme. Dans un train d'enfer il nous embarque dans le récit très imagé de sa vie de travailleur au long court dans une conserverie de poisson et autres crustacés. Jovial autant que grave et sombre, notre anti-héros n'aura de cesse de décrire ses conditions de travail avec le verbe haut , la syntaxe brève, rythmée comme le travail à la chaine. Son corps s'emballe ou s'arrête, se pose en "débauche" ce temps de repos imparti dans celui du travail et ré-embauche de plus belle. Souple, volatile, ondoyant, notre ouvrier pêcheur, cuiseur, trafiquant de saveurs et odeurs variées et plurielles séduit par des touches de jeu justes, sobres, émouvantes. On ne reste pas de bois avec cet être parcouru d'une histoire difficile et l'empathie opère dès le départ tonitruant. Pas de supplication ni de désespoir sur son sort: la dure réalité du labeur, du travail, ce "martyr obligé" pour gagner sa croute, se fait évidence. Et le slam de sourdre parfois de ses lèvres pour rythmer cet engrenage mécanique du savoir faire industriel qui dénature et torture le produit et l'ouvrier. Un texte sans concession pour une mise en scène où des pans de plaques mobiles,murets aux néons fluorescents encerclent et déterminent l'espace. Enfermé ou délivré selon le contexte évoqué, le comédien partage ce plateau changeant au gré des beaux caprices du musicien compère et complice de ce jeu malin. Renaud Aubin à la console, au gouvernail de cet embarcation poissonneuse qui  fait son cabotage le long des côtes maritimes. Mathieu Létuvé en capitaine scrupuleux aux commandes. Un "penseur" de Rodin concentré, explosif, très versatile qui enchante et hypnotise bordé par les notes d'une musique enrobante et éclectique. Une usine de trouvailles et attrapes scéniques qui va bon train, à la productivité et rentabilité scénographique à la mesure et hauteur du texte expurgé. Et notre homme de disparaitre en ombre chinoise éthérée, vague et effacée...

 


D’après À la ligne – Feuillets d’usine de Joseph Ponthus Éditions La Table Ronde 

Adaptation et mise en scène Mathieu Létuvé Compagnie Caliband Théâtre, Rouen

 Avec Mathieu Létuvé (jeu), Renaud Aubin ou Anne-Laure Bastide (musique live électro)

Au TAPS SCALA jusqu'au 21 Décembre

"I lost my poncho".. mais pas retourné ma veste...Frank Micheletti et sa danse buissonnière

 

Frank Micheletti France trio création 2023 kubilai khan investigations


I lost my poncho

Kubilai Khan investigations s’est affirmée au fil du temps comme une plateforme de créations plurielles, un comptoir d’échanges artistiques de l’échelle locale à l’échelle internationale. Généreux et inventif, Frank Micheletti, son co-fondateur et directeur artistique, réunit cette fois sur le plateau trois curieux complices s’en allant collecter et interroger les mutations du temps posées sur leurs corps en long, en large et en travers. Ce nouvel atlas fourmille d’interrelations fertiles, d’écarts de conduites, de traversées vives, turbulentes et sensuelles des gestes de chacun. Construite autour de la personnalité et de l’histoire des trois interprètes – Frank Micheletti, que nous retrouvons enfin sur les plateaux, Idio Chichava danseur-interprète qui travaille avec Frank depuis 2005 et Fabio Bergamaschi danseur passé maître dans la pratique et l’enseignement de l‘improvisation – la pièce déploie toute une variété d’imaginaires corporels. Faire tomber l’armure, changer les axes, chercher les lignes de vies pour composer des manières inédites d’occuper l’espace. Véritable petit laboratoire de gestes, ils s’en donnent à cœur joie dans ces retrouvailles au plateau.

C'est un étrange duo qui s'avance, bête à deux dos ou face à face en proximité étroite. Deux qui ne font qu'un, debout, soudés par un contact des mains en revers. Travail des bras extrêmement précis et de toute beauté.Belle évolution dans l'espace que ce couple sobrement vêtu de bermudas fleuris, de t-shirt vagues laissant toute liberté au mouvement. Bras de Shiva, de méduse voluptueuse à la Paul Valéry...Statuaire mouvant de corps entremêles, sans entrave ni barrière comme la danse et la pensée de Frank Micheletti. Le voici d'ailleurs qui s’immisce dans ce tandem pour créer un trio , un trèfle à trois feuilles qui parcourt le plateau, sautillant, joyeux, sur les sentiers de l'âne, comme dans une cour de récréation. Déambulations ludiques et poses nonchalantes qui délivrent des portraits cernés par leurs bras, encerclant le visage comme un tondo, cadre idéal pour magnifier le visage. L'architecture des corps faisant le reste: un solo de Idio Chichava pour illuminer la scène de tourbillons, embraser l'atmosphère sereine et ludique en mouvements tectoniques plein de vitalité, d'animalité feinte. Des derviches tourneurs emballés par le rythme de la musique de Frank qui épouse la danse en osmose et symbiose naturelle et juste. La simplicité des gestes, des sauts et autres facéties dans l'espace augure d'un esprit libre et à l'écoute. La danse, en canon se tuile, s'emboite et ricoche au gré des accents de la musique. Joviale et sobre, la danse réjouit et emballe le regard focalisé sur les trois protagonistes. Encore un solo étonnant de Fabio Bergamaschi plein d'humour et de sensualité, au sol, roulades, traces de salive à terre laissées par la parole et les borborygmes qu'il s'ingénie à faire sourdre de toute sa peau. Reptations subtiles, glissades fugaces rivées au plancher. Et pendant ce temps là se dessine sur le plateau une géométrie lumineuse changeante, versatile et prolixe comme ces mouvements qui s'enchainent docilement pour le plus grand plaisir du spectateur. Et surtout l'espace des corps qui se sculptent sans cesse, déterminant des lignes de conduite inédites, des fragments de contours, des limites d'énergie fractionnée par une écriture savante, réjouissante, qui transporte et porte au zénith le geste frugal, pesé, généreux.

A Pole Sud les 19 et 20 Décembre



samedi 16 décembre 2023

"Le journal d'Hélène Beer" : au jour le jour....la nuit....pour consolation ultime.

 


Le Journal d’Hélène Berr Bernard Foccroulle Commande de l’OnR et La Belle Saison.Création mondiale musicale au Trident à Cherbourg le 3 mai 2023. Création mondiale scénique à l’OnR.En coréalisation avec la Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace.


Monodrame lyrique pour mezzo-soprano, piano et quatuor à cordes.
Livret d’après le Journal d’Hélène Berr. Strasbourg Théâtre de Hautepierre Dates 03 déc. 202312 janv. 2024

Composition Bernard Foccroulle Mise en scène Matthieu Cruciani Scénographie Marc Lainé Costumes Thibaut Welchlin Lumières Kelig Le Bars

Les Artistes Hélène Adèle Charvet Piano Jeanne Bleuse Quatuor Béla


« Les êtres comme Hélène propagent le sens de la beauté et donnent force à ceux qui savent les comprendre. Pour moi, Hélène était le symbole de la force radieuse, qui est magnétisme, beauté, harmonie, persuasion, confiance et loyauté. Oui, six mois ont suffi pour attacher nos deux existences avec un lien que seule la mort pouvait défaire, que seule la mort a défait. De ces six mois qui ont paru durer une heure, que reste-t-il ? Un parfum indéfinissable, qui flotte autour de nous, un peu de lavande, je crois… »
Lettre de Jean Morawiecki à Denise Job, sœur d’Hélène Berr (20 juin 1946).


Un opéra singulier où huit toiles en hamac déjà présentes sur scène vont accompagner la narration durant tout le spectacle. Huit cloisons, huit acteurs pour cette intrigante histoire racontée au fil des pages du journal intime de notre héroïne. Une femme apparait sur le plateau pour nous conter son sort, sa vie, ses émotions de jeune étudiante jetée dans le monde de la littérature. Un portrait sensible rehaussé par une création musicale qui parait sur mesure, haute couture de la composition musicale: celle de Bernard Foccroulle. La voix contée, la voix chantée de Adèle Charvet se fond dans les disharmonies du quatuor à cordes Béla. En tuilage quasi constant, en bordure, osmose et symbiose étonnantes. Ourlée par la présence de ces toiles qui s'abaissent et se haussent en harmonie avec les espaces évoqués dans le textes. Murs, paravents et plus tard spectres, ectoplasmes des esprits des morts des camps de concentration. Personnage solaire et lumineux, généreux jusqu'au bout de sa folle trajectoire vers la mort annoncée, Hélène charme et séduit et l'empathie avec ce caractère déterminé et puissant se tisse peu à peu. La mezzo-soprano enfilant ce rôle avec aisance, force et puissance vocale .Le costume très simple daté de cette époque fait de cette jeune fille un modèle de simplicité, de sobriété non dénuée de féminité et d'espièglerie.Ce journal ainsi ressuscité provoque compassion et sympathie, curiosité et concentration de la part d'un public conquis et très à l'écoute de toutes ces variations de points de vue. Celui de la musique, du chant et du conte, de la scénographie mobile, des lumières focalisées sur les interprètes. Deux manipulateurs à vue actionnant les toiles blanches au gré de la narration. Un opus bouleversant bordé de tonalités, de rythmes évocateurs de tensions autant que de douceur, de tragédie autant que de théâtre de la vie. La mise en scène judicieuse de Matthieu Cruciani pour magnifier ces écrits touchants, bouleversants. Jeanne Bleuse au piano, complice de notre écrivaine, au diapason de la musique interprétée avec brio par la quatuor Béla.


Le journal tenu par Hélène Berr débute le 7 avril 1942 par l’évocation d’une dédicace que lui a adressée Paul Valéry dans un livre : « Au réveil, si douce la lumière, et si beau ce bleu vivant. » Il s’achève le 15 février 1944 par un cri dans la nuit emprunté à
Macbeth, « Horror ! Horror ! Horror ! », quelques semaines avant sa déportation dans un camp de concentration. Au fil de ces pages, la jeune étudiante passionnée de littérature et de musique raconte avec sensibilité ses joies, ses émois amoureux, le port de l’étoile jaune et les rumeurs venues de Drancy. À l’invitation du Quatuor Béla, le compositeur Bernard Foccroulle signe d’elle un portrait intime et bouleversant, mis en scène par Matthieu Cruciani. Un monodrame essentiel pour sa portée historique et sa force poétique, présenté en création mondiale scénique.

photos Clara Beck


vendredi 15 décembre 2023

"Dieu n'est pas avec nous" que la Camarde est belle. Hervé Bohnert police la danse macabre en abstraction lettrée inouie.

 


La Danse macabre, tout un chapitre de l'histoire de l'art et de la religion. Et pour la gente chorégraphique, le paroxysme de deux mots incompatibles: la mort ne peut danser puisqu'il n'y a plus de souffle, de vie, de mouvement. Même la mort incarnée dans "La table verte" de Kurt Joos, ballet de la danse d'expression allemande, n'a jamais su la représenter....Alors pour Hervé Bohnert qui n'a de cesse de travailler à partir de matrice d'objets religieux, christ et autres accessoires de monuments religieux liés au souvenir et à la mort, la tache est simple. Evacuer toute représentation pour extraire le sens des mots: l'écriture, les lettres et leur police de caractère s'associent à cette réflexion spirituelle pour donner naissance à un opus singulier."Souviens -toi que tu vas mourir…" Pour sa nouvelle exposition personnelle "Dieu n’est pas avec nous" Hervé Bohnert, a collaboré avec l’atelier typographique de Bettina Muller, et présente une version inédite et surprenante de ses “danses macabres”. Soulevant à cette occasion des questions liées à l’action de l’Homme sur l’environnement, de l’Homme sur lui-même et celles de ses croyances, elle est aussi une critique sociale engagée et très actuelle. Surprenante relecture de la danse macabre que ces lettres de forme, de grandeur, de "police de caractère" bien différente qui viennent s'ancrer dans le papier Et donner des empreintes du poids de l'impression, de la trace des masses visibles issues de la force de celui qui les a immortaliser ainsi. Éternité de ces traces qui rend toute vanité possible. Révolution de palais pour la danse macabre qui ne s'affiche plus sur les murs des basiliques rhénanes pour apeurer la foule dévote. Décalage de lecture dans ces niveaux graphiques noirs qui rythment la tectonique des lettres de l'alphabet qui s'affichent. Affiche murale à décrypter selon la musicalité de cette composition radicale. Mais aussi très organique, comme la danse des corps de ces lettres majuscules, minuscules. Grands écarts ou petits bougés d'espace en mouvement cinétique. La réverbération du balayage oculaire faisant le reste de l'illusion du bouger. Suspension dans le vide en apesanteur de ces corps, illusion optique pour une approche poétique et distancée de la Faucheuse. Et tout le reste du travail de Hervé Bohnert, supports et surfaces fort divers pour nous mettre au pied du mur. Lui, le passe-muraille, fantôme bien incarné pour franchir les limites de notre entendement. Danseur qui s'ignore employant les mêmes fondamentaux que Rudolf von Laban: le poids, la trace, l'espace, l'ancrage pour créer et incarner le temps et l'espace.


En prime une brioche de sa confection en dégustation de vernissage comme un cercueil ouvert sur un squelette gisant à savourer en anthropophage sans modération...Humour et distanciation rituelle, païens sans hésitation.Une immersion saisissante, perturbante,du 'mort" représenté qui interroge le vivant. Ce face à face inopiné ressemble étrangement à une immersion indiscrète vers notre propre questionnement.

cauchemars du passé 2017 exposition musée alsacien: vanités eat-art pour le vernissage !


Souviens -toi que tu vas mourir… et "dansez, dansez sinon nous sommes perdus....." Pina Bausch

A la Galerie JP Ritsch-Fisch jusqu'au 15 Janvier 2024




"Danseuses: 50 heroines" de de Rosita Boisseau : hommage et restitution d'icones oubliées de la danse.

 


Valoriser des créatrices danseuses et chorégraphes, qui ont marqué la scène de la danse moderne et surtout contemporaine, a nourri de façon électrisante la démarche et l’écriture de ce projet. Spontanément, le désir de rendre hommage à des artistes dont les œuvres, les processus de fabrication, les réflexions m’accompagnent depuis longtemps s’est imposé.

Le choix des 50 noms déclinés dans cet ouvrage évidemment subjectif, qui jette une passerelle du XVIIIe au XXIe siècle, résulte de différents paramètres. D’abord, l’élan spontané d’adhésion à une œuvre, un travail et une trajectoire qui m’emportent et me stimulent. Les danseuses ici sont pour la majorité d’entre elles des chorégraphes et leurs univers sont tatoués dans leur corps et leur vie de femmes.

Elles ont formalisé parfois explicitement leurs péripéties personnelles dans leurs spectacles. Autrices, elles possèdent une écriture unique et se révèlent hautement originales. Certaines sont des pédagogues qui ont fait école et des «?maîtres?» dont on transmet l’esprit et la technique de génération en génération.



Rosita Boisseau est journaliste au Monde et à Télérama et critique de danse. Elle a publié des monographies sur Régine Chopinot, Philippe Decouflé, José Montalvo et Dominique Hervieu, un Panorama de la danse contemporaine (2006), Danse et art contemporain (2011 et 2021), Photographier la danse (2013 et 2018), Danse contemporaine (2016 et 2022), Le Cirque contemporain (2017), Pina Bausch (2019) et Danser hip hop (2021).

jeudi 14 décembre 2023

"Péplum médiéval": jeu de mains, jeu de vilains. Jeu de massacre. Farce et trappes aux oubliettes...

 


Fresque truculente et merveilleuse, ce péplum médiéval exprime toute la fascination de son metteur en scène pour le Moyen Âge. De cette époque souvent réduite à un sombre mélange d’obscurantisme et de cruauté, Olivier Martin-Salvan se concentre sur le déclin, lorsque la guerre de Cent Ans et la fin du monde féodal constituent aussi le décor d’un incroyable foisonnement culturel et artistique. Ce n’est plus l’Antiquité du cinéma qui se dresse sur scène, mais un vrai château fort et ses environs. 


Toutes et tous, du Roi au bouffon, partagent une langue aussi vivante qu’étrange, polyphonique et poétique, composée par l’auteur Valérian Guillaume en tressant les mots du présent et ceux du passé. Pas moins de 15 comédien·ne·s dont ceux et celles, en situation de handicap, de la troupe Catalyse, habitent ce monde haut en couleurs, inspiré de Brueghel l’Ancien et de Rabelais, qui puise dans les contes et les farces de l’époque. Avec ce jeune héraut nouvellement arrivé, nous sommes invité·e·s à le parcourir.

C'est comme un magasin de friandises, de sucre d'orge, une boutique fantasque animée de petits personnages tonitruants. Un château "en Espagne", château de carte pour décor, un arbre où poussent des artichauts, et une foule de petits pions de jeu de dames ou d’échec pour faire vivre le plateau. Un roitelet de pacotille Ubuesque avant l'heure, des cavaliers montant des animaux de carnaval. C'est dire si l'ambiance est relevée, le ton pas toujours flatteur et rehaussé par des mots affriolants, néologismes ou virelangue, calembours ou jeu de mots d'un langage peu châtié. Les costumes de cette cour des miracles sont dignes d'un Philippe Guillotel, d'un jeu de cartes où les jokers, roi, valet et reine sont tête bêche et font des galipettes pour nous émerveiller, nous ravir le temps de la représentation quasi circasienne.Du quasi Decouflé où tous ont des airs de bestioles, pattes et griffes dehors, queue ou prolongements, extensions du corps burlesques et satiriques. Dignes de Clédat et Petitpierre ainsi que la scénographie Quant à la musique fanfare ou populaire de Vivien Trelcat elle enchante ce microcosme bigarré à l'envi.Et les comédiens de la compagnie Catalyse de brûler les planches, de se jeter à l'eau avec talent et savoir être sur scène. Se mêlant aisément aux autres interprètes, faisant figures de bouffons, comiques et autres farfadet volubiles et généreux à souhait. "Avec l’invitation que je fais à la Troupe Catalyse (7 interprètes), nous sommes nombreux sur le plateau, quinze acteurs ! Je dis souvent que les acteurs de Catalyse sont imbattables sur le Moyen Âge. C’est-à-dire, dans l’idée que je me fais de la culture médiévale, il y a quelque chose de très direct et de très intense dans leur manière de s’exprimer. Avec eux, les mises en abyme, enchâssements, digressions et intrigues ou théâtres simultanés m’apparaissent comme une évidence. Nous construisons de grands tableaux collectifs et sommes pour la majorité présents au plateau de façon quasiment ininterrompue, formant des fresques dans lesquelles on découvre, en s’attardant, des miniatures, comme des événements soudain plus intimes au cœur du nombre." dixit Olivier Marmin Salvan . Et le texte signé Valérian Guillaume de traduire cet amour du monde Médiéval, bien loin d'un scénario "péplum" cinématographique réduisant l'époque à un fatras chaotique désopilant.

guillotel

.Entravés, empêchés dans ces oripeaux de luxe, chatoyants leur donnant des aspects enfantins, naïfs, comiques Grotesque aussi. Rabelais et Brueghel au rendez . Et pas que: on songe à Fortunato Depero et son ballet plastique, à Oskar Schlemmer avec ses formes géométriques et monstrueuses...

depero

Ca va tambour battant à un bon rythme alors que l'histoire nous est contée et animée par les interprètes tous galvanisés par ce "vivre ensemble" très prégnant. Le Moyen Age comme univers où tout semble trivial, rustre, entier et franc de collier L'imagerie d'Epinal ou de Wissembourg surgit parfois tant les sketches ou saynètes parlent de postures, d'attitudes, de comportements du quotidien, de caractère. Le mime parfois s'ingère, la danse macabre, Camarde tendre et affolée se profile. Et la matrice avale chacun dans son tunnel évocateur de l'Origine du Monde de Courbet. On s'amuse, on sourit devant cette communauté de biens ou réduite aux acquêts, on s'émerveille du jeu des acteurs tous égaux sur le plateau, égaux à eux-mêmes et farceurs , arroseurs arrosés dans ce monde tonitruant. Chanson de geste et monde mystérieux au poing.

Au Maillon les 14 et 15 Décembre

"Spécificité de la danse sur le territoire alsacien": d'un mouvement dansé à un mouvement adapté: Christiane Leckler en majesté

 


La Faculté des sciences du sport avec Pierre BOILEAU, Artiste danseur chorégraphe Performer de la Cie L’UnDesPaonsDanse
Accueillent Jeudi 14 décembre 2023 à 16h en salle d'évolution Christiane LECKLER, Présidente de L’association Danse Ma Joie Bas-Rhin et Pédagogue du mouvement dansé
Pour aborder la spécificité de la danse contemporaine dans le territoire alsacien
Pour évoquer le mouvement dansé tourné vers des publics variés et particuliers
Pour discuter de cette danse promulguée à l’École, à l’Université, en Maison de Retraite, dans des Structures d'accompagnement pour personnes en situation de handicap…
Vaste domaine où le corps sensible est au cœur du débat.
 

Une femme libre, enjouée, une "cinquième" âge qui n'a pas d'âge ou qui le porte si bien qu'on a envie de la prendre par la main et de danser. Christiane Leckler c'est la modestie incarnée, la sobriété et la sobre ébriété de la danse en Alsace. Après un bel exposé "à sa façon" sur l'histoire de la danse moderne et de ses protagonistes, la voici embarquée dans le récit de son "vécu" de son expérience de danseuse, apprentie, et de pédagogue invitée par la vie à rencontrer toute sorte de public. Pas venue de "nulle part" notre héroïne du jour: des rencontres avec Rosalia Chladek et d'autres pionniers de la danse libre pour fonder sa "maison" avec Denise Coutier: "Danse ma joi" ou "Demajik danse".... Du Diaconat où, infirmière elle s'occupait des "corps à soigner", aux enfants et parents, tout semble lui convenir comme terreau de recherche, de rencontre toujours dans un esprit de respect, de considération de l'autre. Son travail acharné, son caractère pugnace autant que doux et attentionné la rendent populaire, accessible et charmante. Cette rencontre fertile et de bon aloi fut un moment de partage à part égale avec son public étudiant. La voir assise à une table en compagnie de Pierre Boileau fut un instant d'étonnement: Christiane se lève sans cesse pour montrer, s'exprimer avec joie et jubilation. 
 

Un profil d'artiste singulier, porté par l'enthousiasme et le côté pionnière défricheuse de bien des expériences au regard de Terpsichore. Une science infusion des relations humaines, instinctives et profondes compréhension des corps, de tous les corps en leur mouvement propre et identitaire. Du "social" avant l'heure pour le bien-être de tous se sauvant par la pratique du mouvement dansé. 
 

Merci à Sabine Cornus de nous avoir concocté ce moment "historique" où l'on remet les pendules à l'heure en partage équitable et durable. Et toute simplicité.




mercredi 13 décembre 2023

"Evangile de la nature" : un planétarium prémonitoire, un manifeste sacral d'une cosmogomie en marche.

 


Le philosophe-poète Lucrèce (né et mort vers 97 – 55 av. J.-C.) a environ 35 ans quand il écrit les six livres composant De rerum natura (De la nature). Reprenant dans ce grand poème antique les théories de son maître Épicure, il y expose la puissance scientifique de l’atome à l’origine de la création de l’univers, exaltant la nature sans dieux ni maîtres comme devraient l’être les hommes et les animaux. Le metteur en scène Christophe Perton met en scène une traduction inédite de l’autrice Marie NDiaye, avec l’acteur Stanislas Nordey. Il envisage le spectacle comme un « pur festin de poésie ». Une création musicale et visuelle accompagne la générosité et la modernité de ce texte millénaire invitant les humain·es à se soustraire aux dogmes et à la peur, pour aller vers les lumières de la connaissance.

Dans un espace quasi en trois dimensions, trois écrans portent des images mouvantes évoquant des formes végétales, peintes, esquissées comme de la calligraphie japonaise à l'encre de chine... Le plateau est une plaque tournante arrondie, inclinée qui laisse entrevoir des mouvements de lente rotation quand le protagoniste conteur chavire avec les mots, le texte. Prémonitoires en diable déjà se révèlent les écrits ainsi racontés, murmurés en direct au creux de nos oreilles par le fabuleux comédien-musicien du rythme parlé, Stanislas Nordey. On a peine à croire qu'ils ne nous sont pas contemporains tant le propos est d'actualité: l'inversion climatique pressentie, les virus inconnus vecteurs d'épidémie, le trop plein d'eau ou de chaleur...Et le comédien de nous conduire dans des sphères scientifiques et philosophiques accessibles, compréhensibles dans une écriture forte et une syntaxe musicale évidente. Alors que le décor évoque un planétarium, un ciel étoilé ou un parc végétal riche et plein d'arabesques tracées. Stanislas Nordey, pieds nus bien ancré dans le sol autant qu'aérien se livre, se donne corps et âme comme conteur-lecteur, vecteur d'un texte lyrique et audacieux. Son jeu est émerveillé, solaire et lumineux, à l'image de cette philosophie iconique si bien incarnée par images, dessins et socle penché comme une scène glissante où le corps s'adapte pour préserver son équilibre. Une performance digne de ce cosmos, cet univers évoqué, les atomes, la construction du monde avant le christianisme étouffant la connaissance au profit de la croyance. Notre homme, Lucrèce incarné se débat librement: chant et poème pour tissus et matière à jouer sans en faire obligatoirement une histoire d'aujourd'hui.. La nature chante et le son environnant épouse la musicalité des mots. La musique additionnelle apporte une touche émotionnelle persistante et hypnotique, se fondant aux mouvements des images glissant sur les trois écrans. L'adresse au public, le "tu" comme partenaire d'élocution renforce la proximité et l'adhésion à ce manifeste total: vidéo, lumière, musique, voix et corps.Et le costume de notre génial penseur comme celui d'un magicien brillantissime, pantalon large noir anthracite, brillant, pailleté comme un ciel étoilé.Une approche de rêve d'un texte mythique trop peu connu. Christophe Perton de mettre en scène ce corps céleste, cet atome comme un électron libre inspiré par Vénus, femme autant que planète dans la constellation lumineuse du plateau. Un anneau comme univers clos et mouvant, un socle périlleux incliné pour mieus se pencher sans faillir.

D'après
De rerum natura 
de Lucrèce
Traduction
Marie NDiaye
Christophe Perton
avec la collaboration
d’Alain Gluckstein
Adaptation, mise en scène et scénographie
Christophe Perton
Avec
Stanislas Nordey


Christophe Perton est metteur en scène, réalisateur et scénographe. Il a dirigé la Comédie de Valence − Centre dramatique national Drôme-Ardèche (2000-2009) et dirige depuis la compagnie Scènes et Cités. Passionné par les écritures contemporaines, il a notamment mis en scène Pier Paolo Pasolini, Lars Norén, Bernard-Marie Koltès, Marius Von Mayenburg, Peter Handke, Marie NDiaye, Thomas Bernhard… En 2023, il a créé une version musicale inédite du Bel indifférent de Jean Cocteau.

Au TNS jusqu'au 21 Décembre

"Hip Hop Nakupenda" : sur les pavés, la danse....Et un danseur " passe-partout" qui ouvre bien des portes.

 


Anne Nguyen & Yves Mwamba  cie par Terre France solocréation 2021

Hip-Hop Nakupenda

Co-écrite avec la chorégraphe Anne Nguyen, cette pièce nous emmène dans les années 2000 en République Démocratique du Congo, où Yves Mwamba, 12 ans à l’époque, y pratique la danse hip-hop au lendemain des guerres à Kisangani. À travers la danse, le chant, la musique et la voix, il nous conte l’histoire de toute une génération de jeunes danseurs de rue, les Mudjansa. Star du hip-hop au Congo, il revient sur cette période trouble où la dictature de Mobutu faisait sa propagande politique grâce à une danse populaire : la rumba congolaise. Ses paroles et ses danses, qui vont de la tradition africaine aux danses urbaines en passant par Mickaël Jackson et Kery James, nous transportent, avec humour dans un univers onirique, peuplé d’ancêtres et de démons. Un récit touchant et engagé porté par l’enthousiasme réjouissant d’Yves Mwamba.

 Un solo très édifiant qui se fabrique en grande complicité avec le public: le regard et les yeux interrogateurs, suspicieux du danseur pour nous jeter dans le bain de l'histoire du Congo et de tout le continent noir. Il démarre par un inventaire des formes et grammaires gestuelles du hip-hop, krump et autres expressions des danses de rue, danses urgentes, danses de l'extrême, expression populaire et langage d'actualité sociétale. Yves Mwamba dénonce, dévoile, détisse les mensonges, les abus d'une classe politique dictatoriale où la danse rumba fut largement exploitée à des fins de propagande. Il fait même scander par le public des slogans peu recommandables. Mais c'est pour mieux mettre en exergue le danger de ce bourrage de crâne qui coupe les ailes de la liberté. Son geste est libre et très formaté danse de rue sans autre soucis de les transgresser, de les transformer. Franc, juste et cinglant il tâte le terrain et nous positionne au pied de nos responsabilités et engagements. Fier et altier, drôle et scrupuleux, le danseur cause, parle, chante et promet à chacun un bel avenir s'il est prêt à acheter sa célébrité, à se vendre au diable et à se soumettre au troupeau. En se laissant dédier un chant repris par les médias et en en faisant une star!Le spectacle comme un manifeste de l'indépendance autant d'un pays que d'un être humain, libre de ses choix et de ses pensées dansantes. Le public alors bien éclairé sur les risques de l'embrigadement ou de l'instinct grégaire auquel on nous prépare trop souvent. A saute mouton, saute frontières, ce passe muraille détenteur du bon "trousseau de clef" ouvre des perspectives qui sont loin d'être des "passe-partout". 

A Pole Sud le 13 Décembre

"Il Tartufo": Molière-spaghetti en italien : le rythme est dévot, et la cuisine est bonne. La truffe sur le gâteau.

 


Le Teatro di Napoli − Teatro Nazionale a invité Jean Bellorini à créer un spectacle et celui-ci a choisi Le Tartuffe de Molière en italien. Cette comédie « noire et sale », mêlant « force de vie, brutalité et joie » selon le metteur en scène, montre un faux dévot, imposteur et manipulateur, tentant de flouer un homme, dérober sa fortune et séduire son épouse. À travers cette pièce qui critique l’hypocrisie et la mystification religieuse, c’est aussi et surtout une façon d’« affirmer la nécessité d’une rébellion clairvoyante » qu’il vise. Car ce qui compte, au fond, c’est d’exposer, au terme d’une tempête humaine où il y a lutte intérieure, la capacité politique et morale à sortir de la confusion et à retrouver la clarté, la lucidité et sa conscience. 


Un Christ suspendu, en croix au mur en chair et en os comme dans une crèche vivante, un appartement banal et surtout sa cuisine: le décor est planté pour cette fausse comédie qui va nous conduire dans un rythme endiablé, au sein d'une intrigue pas toujours fameuse. La langue d'emblée emporte dans la fougue et la tornade du début de la pièce: chacun y va de sa diatribe et l'on a peine à identifier qui s'exprime tant la lecture des surtitres agace le regard et le concentre sur les lignes qui défilent plutôt que sur le jeu des acteurs truculents. Alors que sur le plateau les personnages se dessinent et se profilent à l'envi. La vivacité de la langue italienne fait le reste: à très  grande vitesse tout s'enchaine et l'italien magnifie la précipitation de l'enchainement des rebonds, des intrigues. Tambour battant on est engagé et submergé par cette marée joyeuse musicale au tempo si rapide et véloce. Ce qui rend cette fièvre contagieuse et une empathie féroce avec chacun. 


Les acteurs sont tous italiens de toutes régions hormis Valère, un bon "français" qui se mêle à cette troupe éphémère avec habileté, humour et distanciation. Ici pas de farce de tréteaux joyeuse mais une évidente ode à la vie et à son tourbillon. Vélocité du jeu, accélération contrôlée, la conduite est bonne et la circulation des corps efficace et sans limitation de vitesse autorisée. Pas de feu rouge ni sens interdit pour cette version pêchue, drôle et subtile.Simplicité sobriété sobre-ébriété pour cette adaptation italienne pleine de charme et de répondant. Quelques bribes de musique et chanson populaire pour magnifier ce ravissement et le tour est joué. Quelques pas de danse bien marqués, arrivant au sein de l'intrigue comme une pause, une respiration ludique et très divertissante. Comédie"ballet" qui s'ignore, ce Tartuffe est vivant et le personnage central revêt toute sa noirceur. 


Les rimes ne sont plus alexandrins mais peu importe, la traduction a le mérite de souligner le dynamisme du verbe et de la syntaxe. Qui mène la danse sinon chacun et tous pour ce corps de ballet charmeur et désopilant. Le Christ veille suspendu aux cintres comme une Sylphide, "servante" illuminée comme au théâtre et qui a tant veillé sur le plateau pendant la crise du covid: vide des scènes et théâtres qui a tant bouleversé le monde de l'art scénique... Foi et mafia de la vie à Naples notre Jésus veille au grain et descend de sa croix pour incarner la vie. Deus ex machina bien pensé pour cette mise en scène truculente et bien relevée. Du gout et des saveurs plein les yeux et les oreilles pour ce classique made in Italie. Tous les personnages s’accommodant ou non de leur sort, de Marianne à Valère, de Tartuffe à Orgon. On les connaissait mal, on les découvre au delà du dévot dans un jeu malin, habile et décoiffant. On y croit sans problème à ce tableau de famille aux enjeux sociaux si mesquins et absurdes. On y pétrit la pâte, se lance de la farine sans se laisser enfariner dans un vaudeville périlleux.


Molière défend les droits de chacun à l'émancipation et l'identité, au choix de la vie sans la contrainte: rébellion de mise ici et scènes truculentes au poing. Sous la table un joli jeu d'amour dans de beaux draps, des danses comme entremets fugaces délicieux. Petite cuisine aux ingrédients et ustensiles domestiques proches du quotidien. Ou "piano"de grand chef et maitre queux...L a table multifonction fait office de tremplin et socle de l'action. Chef de cuisine Jean Bellorini nous régale à la nage ou au bouillon, maitre de rang pour cette communauté empêtrée dans des situations sociétales bien compliquées. Fantômes que le théâtre fait revivre, les comédiens excellent par leur présence deux heures durant sur le plateau.Un délice à déguster sans modération.Tout semble permis de s'y éconduire sans procès verbal à la clef de sol! Si ce m'est cet accent italien et ce rythme linguistique qui emporte et transporte au plus haut des cieux. Si bien qu'au final c'est la robe de mariée-chrysalide qui tombe des cintres et se voit enfilée direct par Marianne! Miracle!

Défenseur d’un théâtre populaire, littéraire et poétique, et généreusement animé d’un esprit de troupe, Jean Bellorini, après avoir été à la tête du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis (2014-2020), dirige aujourd’hui le Théâtre National Populaire à Villeurbanne. Jean Bellorini et le Teatro di Napoli ont recruté ensemble une troupe composée à la fois de fidèles du théâtre et des acteur·rices venu·es de toute l’Italie. 

Au TNS jusqu'au 16 Décembre