vendredi 29 avril 2022

"Giselle.....": lec-dem de l'effacement! La bonne pomme d'Adam! Chaplin faite Giselle....

 


Après Phèdre !, et avant Carmen à venir, François Gremaud s’attaque à un autre classique, emprunté cette fois au répertoire de la danse.

Giselle… « trois petits points », comme l’explique Samantha van Wissen face au public, est à la fois le récit et le commentaire de Giselle (« sans petits points »), œuvre-clé du ballet romantique.

La performeuse-danseuse, membre de la compagnie Rosas dirigée par Anne Teresa De Keersmaeker, fait ici office de conférencière, et nous en fait découvrir non sans humour les multiples facettes. Au fil du spectacle, elle-même se met à en esquisser quelques gestes, sur les notes d’un violon, d’une flûte, d’une harpe et d’un saxophone. Quatre musiciennes présentes sur la scène, pour une adaptation surprenante de la partition composée par Adolphe Adam. Le commentaire devient mouvement, le mouvement devient commentaire, dans une variation sur l’histoire tragique d’amour et de folie écrite par Théophile Gautier. Une histoire qui, au fil des interprétations à travers le monde, est parvenue jusqu’à nous et jusqu’au Maillon, où Gremaud avait déjà présenté son hilarante Conférence de choses en 2019 et Auréliens en 2021. Une forme inédite donnée à l’original.

En avant pour la lecture désopilante du chef d'oeuvre de la danse romantique!

C'est à une interprète hors pair qu'est confiée la "lourde" tache de conter les péripéties de la plus "légère" des héroïnes du ballet classique: Samantha van Wissen!Une femme qui danse, joue, mime et se débat avec les rebondissements multiples, les imitations de tous les personnages-complexes- du récit "épique" des amours de la jeune Giselle! Tout y passe à la vitesse grand V: les relations avec sa mère, les amours troublés de ces "trois" hommes fétiches que sont Albrecht-Loys, Hilarion ...On la suit dans ses allées et venues, ses déplacements furtifs ou vagabonds, sillonnant le plateau, le sourire et l'enthousiasme aux lèvres. Elle possède le don de vous saisir, vous emballer dans ce voyage au long court dans l'épopée de cette Giselle, tendre oiseau de proie de ses proches autant que des Willis.Car qui croit avoir saisi les racines et tenant et aboutissant de la narration, se trompe: il y en a des mimiques, des hésitations, des soubresauts et tremblements, des courses et déboulés, des manèges et autres cabrioles que la danseuse-comédienne-mine exécute avec l'âge de son corps mure et bien bâti, robuste, aguerri aux performances de la danse magnétique de Anne Teresa de Keersmaeker...Dans une autre vie!Elle caracole, s'émeut, s'empare de tous les personnages, sobre ou exaltée dans le rôle de la mère au bord de la crise de nerfs, s'adressant en néerlandais et vociférant à l'envi. Beaucoup de calme et de tendresse aussi dans le deuxième acte des Willis où les scènes de retrouvailles entre Albrecht et Giselle sont de toute beauté.Très subtiles postures, attitudes renvoyant aux gestes et à la chorégraphie d'origine. Cette conférence "gesticulée", dansée, parlée est aussi performance physique, aérobique, éprouve le corps de la danseuse, galvanisée par le rythmes et la composition du texte de François Gremaud qui signe un "livret" romanesque de monologue bariolé de toute intelligence sémantique et sonore.La musique, présente sur le plateau grâce au talents de quatre interprètes, complices de l'action et en dialogue avec la performeuse quasi deux heures durant. En cadeau une "fugue" de trop dans cette partition jugée souvent comme futile et descriptive.Comme "le vers" dans le fruit, pas piqué des vers, cette ode à la beauté est aussi chaplinesque tant la dextérité, la précision et la rigueur du jeu est millimétrée comme le texte. On songe entre autre à Mats Eck ou à De Keersmaeker dans ce beau clin d'oeil à "Rosas" sur la chaise où Giselle dé-mime et démine la gestuelle de notre jeune héroïne.Gaga, aussi, sa gestuelle débridée, sa folie emblématique faite d'errances et d'adresses au monde des vivants, basculant dans la méprise, la déraison...Un spectacle en "audio description" singulière où le langage et la musique de concert, prenne toute la dimension autant sauvage que classique.

Au final, un livret vous est confié pour ne pas oublier que la danse est corps-texte, cortex et bien le berceau historique de tant de genre: comédie ballet, ballet d'action, opéra et comédie musicale. Et les Willis prennent corps et graphies devant nous, elle seule endossant le rôle des rangées en batteries de ses spectres désincarnés qui firent les beaux jours des abonnées du foyer du Palais Garnier!

 

Au Maillon avec Pole Sud jusqu'au 30 Avril

jeudi 28 avril 2022

"Les serpents": les hauts parleurs de hurle vent sifflent sur nos têtes!

 


Un 14 juillet, trois femmes vont se croiser sur le seuil d’une maison isolée, entourée de champs de maïs. À l’intérieur se trouve un homme, avec ses deux enfants, qui semble seul pouvoir décider qui entrera et sortira. Mme Diss, sa mère, est venue pour réclamer de l’argent. Nancy, son ex-femme, vient réclamer la vérité sur le destin de Jacky, le fils qu’ils ont eu ensemble. France, sa seconde femme, semble vouloir protéger tout le monde, mais de quoi ? Jacques Vincey met en scène cette pièce de Marie NDiaye (Goncourt 2009) qui, dit-il, « tient autant du fait-divers sordide que du conte mythologique ». Quel est le seuil qu’il ne faut pas franchir, sous peine de se perdre ?

Un décor fait d'enceintes, de haut-parleurs, noir, en fond de scène, des projecteurs de côté en muraille et rang serré. Emprise, enfermement....Presque le décor de Picabia pour Relâche/ Entracte.Ou du Pierre Henry!Les deux personnages qui viennent animer le plateau se présentent, la belle-mère, Madame Diss,stricte, raide, rigide, en tailleur rêche et gris en quête d'argent pour subvenir à ses besoins volages, la belle-fille, France , naïve, entière, généreuse, admirative et dévouée fille de "rien", simple et vêtue d'un short risible. Deux classes sociales en lutte ou en fausse empathie se disputent l'appartenance au fils, un absent constant de la pièce, qui n'apparaitra jamais, mais sera l'objet de toute convoitise, reproche, désir...A la recherche d'un bailleur de fond, la femme extorque à sa seconde et ancienne belle-fille, Nancy, les quelques deniers ou chèque restant. L'autre s'incline, obéit, s'abaisse, se rend.Le pouvoir autoritaire de Madame Diss, sur les lèvres, dans les postures et attitudes de Hélène Alexandridis, se fait envahissant, alors que ses deux proies, Bénédicte Cerutti et Thifaine Raffier, elles aussi s'entretiennent de propos virulents. C'est le 14 Juillet qui fascine, fête populaire que l'on pressent dans le son et l'atmosphère, bordée du chant des champs de mais tout proches. Un paysage se dessine, se pressent et fige les personnages dans des émotions diverses, sensibles, à fleur de peau.Tout se monnaie ici, l'amour, les alliances, les membres d'une "famille" fantoche, artificielle, forcée à se croiser, se fréquenter France est admirative, se défend d'être un être humain digne de considération. Madame Diss l'enfonce, l'accule à se trouver laide et stupide.Féroces relations dignes d'un conte de fée où le maléfice rôde, les sons bordent un drame à venir, le mur murmure, parle, présent, plastiquement impressionnant, râleur, grondeur.Il mugit comme une sirène, une murène aux abois..Acteur à part entière, frontière, coulisse obscène, derrière ce rideau de sons terrifiants, un ogre va surgir du tréfonds des imaginations. Menaces, épée de Damoclès comme dans une mythologie inventée de toute pièce où le destin des personnages, demi-dieux, semble tout tracé! La mise en scène de ces trois corps féminins éperdus d'avidité, de jalousie, de compassion outrageante, est forte et amène chacune à se confronter à l'autre avec avidité, parfois respect et tendresse...Robe de cuir seyante pour Nancy, chevelure défaite et sensuelle femme piégée qui va bientôt troquer ses atours pour ceux de France. Osmose, mélange et confusion des sentiments, terreur de la domination de Madame Diss, omniprésent démon et Lucifer de la partie.Le texte a vive allure, inconditionnel langue qui n'est pas de bois er révèle par son agilité à être émise et prononcée, une verve et des appuis quasi chorégraphiques.On y échange son identité, on y imagine ce fils, ogre ou démon, Minotaure d'un Dédale, derrière le rideau: que se trame-t-il dans cet espace fantasmé qui hurle ou susurre des bruits et de la fureur intense, étrange, inquiétante.Aspirées par ce mur, les femmes s'y collent où y disparaissent happées par une adhésion, une adhérence à leur sort, incroyable.Sacrifice, dévotion, capitulation devant des divinités, feu d'artifice ou champs de mais sacrés, déesse des serpents qui gobent, avalent leurs proie avec compulsion et avidité: le sort, le destin est irrévocable, vipères au poing, peau de serpent en bandoulière...Et quand Madame Diss capitule, chute, s'effondre, c'est tout un univers qui bascule, une prise de pouvoir qui s'inverse, des corps jetés dans la bataille qui perdent ou gagnent au tirage au sort.La soif hante la pièce, le feu d'arfitice carbonise les âmes perturbées et notre implpoorante à genoux, telle une sculpture de Camille Claudel semble de rependre.Au loin, le bruit fait rage, tectonique sonore imposante, puis le mur recule, se tait et laisse place à la voix plaintive de l'une d'entre elles:France, Nancy...? La mégère non apprivoisée, Madame Diss capitule, échevelée, en lambeaux devant sa belle fille métamorphosée dans un vilain manteau noir: finis la chevelure blonde nattée de Gretchen, tout s'éteint, même les traces de sons parsemées.Une pièce entre conte de fée cruel et mythologie implacable, servie par trois comédiennes hors pair, une mise en scène subtile signée Jacques Vincey  bordée de dramaturgie sensible de Pierre Lesquelen

Jacques Vincey est metteur en scène et comédien. Depuis 2014, il dirige le Théâtre Olympia − Centre dramatique national de Tours. Le public du TNS a pu voir, en 2009, Madame de Sade de Yukio Mishima. Il met en scène des auteurs classiques – Shakespeare, Platon, Molière, Marivaux − comme contemporains − Arne Lygre, Joël Pommerat, Howard Barker, William Pellier… Écrite en 2004 par Marie NDiaye, écrivaine de romans et de théâtre, la pièce Les Serpents (Éditions de Minuit, 2004), a été créée au Théâtre Olympia en 2020.

 

Au TNS jusqu'au 5 Mai

mardi 26 avril 2022

"Julie de Lespinasse": une loge pour "Orphée", Eurydice, en Echo!

 



La metteure en scène Christine Letailleur a découvert et adapté les lettres adressées par Julie de Lespinasse (1732-1776) au comte de Guibert. Fascinée par cette littérature qui témoigne d’un caractère hors des normes de son temps, elle s’est penchée sur la vie de cette femme : fille illégitime, marquée par une enfance malheureuse, dont l’intelligence et le charisme feront de son salon parisien l’un des plus célèbres de l’époque − où dialogueront d’Alembert, Condorcet, Diderot. Au sommet du succès, elle fuit la société. À 40 ans, loin de renoncer à l’amour et à la sexualité comme le voudraient les mœurs de son époque, elle s’éprend du comte de Guibert, de dix ans son cadet. Il est ici question des dernières années de sa vie où Julie aimera jusqu’au bout comme elle l’entend : « avec excès, avec folie, transport et désespoir ».

Une mélodie au loin, celle d’Orphée et Eurydice: "j'ai perdu mon Eurydice" pourrait condenser cette pièce toute empreinte de nostalgie, d'amour, de lien, de liaison...Une femme, seule, longue robe comme du taffetas ou satin de soie, dévoilant discrètement un buste prude et une poitrine discrète à l'image du personnage: des "atours" qui dissimulent la passion et l'amour qui animeront cette âme sensible durant toute la représentation.Une voix off pose le personnage en résumé succinct.C'est Judith Henry qui incarne cet oiseau rare, proie du désir et du tumulte amoureux auprès de deux hommes en particulier.Elle, charnelle, présente, lui, le fantôme de Mora, spectre errant sur le plateau ou simple ombre portée par des éclairages subtils et audacieux. Ce qui hante notre héroïne de basse naissance c'est le chagrin ou la joie, la bipolarité des sentiments épistolaires. Car ici c'est la lettre qui fait foi et qui fait la loi. De petits pupitres jaillissent des parois du décor pour qu'elle puise lire ou coucher ses propos de sa plume. Quel siècle ravissant où le geste amoureux est lecture, écriture, pensée en mouvement couchée sur le papier. Jamais de "rencontre" ente elle et ce fameux et prétentieux de Mora: personnage spectral "incarné" par Manuel Garcie Kilian , troublante apparition régulière, glissant dans l'espace ou simplement le visage éclairé par la flamme d'une bougie.Silhouette de noir découpée, ectoplasme, le voici "songe ou chimère de l'imagination" de Julie. Ils ne cessent de se croiser, de se  frôler, de ne pas s’atteindre, sans contact et installe ce "monologue seule mais entendue" avec brio et délicatesse. Tendresse même si le personnage de Guibert devient odieux à nos yeux. Sa voix off- de Alain Fromager-douce et tendre donne le change.Les péripéties s'enchainent autour de ces deux figures emblématiques de l'amour passion irraisonné, mondain, d'époque!Puis les lumières se fondent aux sentiments, la croisée s'obscurcit, le noir flouté s'installe, le trouble mouvant sur les murs de cette pièce en huis-clos tremblent, se meuvent comme la prédilection de la folie qui vient s'emparer de Julie. Lumières, oiseaux virevoltants, menaçants dans des nuées magnifiques, délire de l'opium, de la raison d'un esprit bouleversé par le destin.Julie touche le sol, son corps s'y repose, elle chute pour ne plus retrouver que la couche horizontale d'un divan noir....Un "climat d'amour" l'envahit, c'est la saison qu'elle chérit: "vivez"même dans les hallucinations magiques d'une scène de mariage, bordée de sons de cloches terrorisants....Noces de délire, silhouettes qui dansent à son insu en découpage noir...

La mise en scène de Christine Letailleur, comme une révélation des sensations et sentiments de ces deux êtres perdus dans le flou ou la radicalité de leur position. Attitudes, postures et déclinaisons des affres des âmes en proie à la fusion, la profondeur des émotions humaines.Les lumières y sont le berceau du trouble, de ce qui émeut et fait bouger, de ce qui profondément éclaire ou éteint passion et entendement.Signées Grégoire de Lafond, elles sont peinture, ambiance, atmosphères singulières et touches impressionnistes des mouvements de l'âme, des espaces du corps sensible.

Des destins singuliers qui questionnent l'entendement dans des coulisses où les accessoires semblent apparaitre eux aussi comme évidence: lampes, tiroirs et autres astuces scénographiques très judicieuses.

Et une Judith Henry lumineuse, fine, gracieuse, sensible ou déterminée, frôlant la grâce et la félicité, que l'on a du mal à quitter!

Christine Letailleur est adaptatrice et metteure en scène. Au TNS, elle a présenté Les Liaisons dangereuses de Laclos en 2015, Baal de Brecht en en 2017 et L’Eden Cinéma de Marguerite Duras en 2020. Passionnée par littérature du XVIIIe siècle, elle s’est plongée dans le parcours de Julie de Lespinasse, cette femme dont on dit qu’elle fut l’égérie des inventeurs de l’Encyclopédie, et qui, dans ses lettres, se livre tout entière à la passion amoureuse.


 

 

Au TNS jusqu'au 5 Mai

mardi 12 avril 2022

"Courant d'Airs": je ventile à tort ou la matinée d'un foehn...


 "Courant d'Airs"

Récital: Lieder, mélodies, airs "dans le vent" !

Chant: Geneviève Charras Piano: Christian Vidal

Sentir le vent sur le "Pont des Arts" de Brassens, les cavalcades de "la Brise" de Saint-Saëns, la nostalgie des "Mistral gagnant" de Renaud et apprendre bien d'autres noms de Vents avec Juliette et sa "balade des vents"....

Un courant d'air romantique avec Schubert -"die Wetterfahne"-ou Clara Schumann, souffle sur ce récital concocté par Christian Vidal pianiste- accompagnateur et interprété  par Geneviève Charras, soprano.

Quand Poulenc fait vibrer la campagne d'un vent d'orage d'un "Air Romantique"et arpente d'un "Air vif"verger et jardin en fête, c'est la tourmente qui prend le relais: celle de "Fleur jetée" de Fauré...

Pour calmer le souffle d’Éole, "La chanson des Sirènes" de Honegger, "Si mes vers avaient des ailes" de Reynaldo Hahn se font rêverie comme "Harmonie du soir" de Debussy.

Et pour enjouer l'atmosphère, "La chanson de Magalie" de Gounod, "La chanson du Papillon" de Campra prennent le relais de ce récital qui décoiffera plus d'un!

Recherche musicale: Christian Vidal

Scénographie Corine Kleck Véronique Moser

Dimanche 15 MAI  11H

CIARUS 7 rue Finkmatt STRASBOURG

Entrée libre-plateau



lundi 11 avril 2022

"28 i mig": pas de huit et demie mesure ! Mais un grand écran large, en 16/9 ème sur le monde fellinien!

 


Nourrie de sa fascination pour l’Italie et notamment du mouvement cinématographique néoréaliste, la compagnie catalane La Perla 29 rend hommage avec le spectacle 28 i mig au monde de la fiction, du théâtre et du cinéma. Créée à partir d’improvisations collectives s’appuyant sur Huit et demi, film mythique de Federico Fellini, la troupe revisite cette pièce de son répertoire.

Mosaïque de scènes, poèmes, danses, musiques, projections et textes d’artistes comme Dante, Pirandello, Ettore Scola, Eduardo di Filippo, Shakespeare, Espriu, Vicent Andrés Estellés, Bergman, Sisa, Tchekhov, Wajdi Mouawad, 28 i mig mène une réflexion joyeuse sur les vicissitudes de la création, la recherche du bonheur, l’enfance et la nécessaire acceptation de la mort.

À la question « Comment être heureux ? », le collectif répond par une  fête des sens et de la pensée, en faisant sienne la maxime fellinienne : « Non c’è fine. Non c’è inizio. C’è solo l’infinita passione per la vita. »*Il n’y a pas de fin. Il n’y a pas de début. Il n’y a que la passion infinie de la vie. »

Lorsque je me demande ce qui compte le plus dans l’acte créateur, la réponse qui me vient à l’esprit est simple : “Est-ce vivant ou non ?”

C'est un spectacle bouillonnant de vie, de jeu, de musique et certes de références judicieuses et bien amenées de l'univers de Frederico Fellini! Jeu subtil de ceux qui parlent catalan magnifiquement sans qu'on se dise que l'Italie est le sujet, lieu et endroit de la réflexion du metteur en scène.Très belle interprétation donc de tous les protagonistes, personnages revisités à l'occasion de ce panorama grand angle du cinéma fellinien. Ça jacasse, ça ensorcelle, ça palabre à l'envie, le rythme de la mise en scène opérant pour créer une atmosphère festive, endiablée, musicale, chatoyante et enjouée Pas de répit pour les comédiens aux talents multiples qui se dédoublent, se multiplient, se métamorphosent sans cesse.Un montage de saynètes très efficace, des collages pour mieux brouiller les pistes et ne pas "reconnaitre" les références qui se glissent d'un texte à l'autre, d'une image à l'autre. Comme un grand traveling ou un plan fixe, un plan séquence où un gros plan-plein cadre, tout est cinématographique et défile sur la bobine à 25 images secondes! Artisanat de la mise en espace, des décors, des costumes qui soulignent une écriture dramaturgique mûrie, installée dans le déséquilibre constant!Et "la nave va", affronte la tempête des sentiments ou la placidité d'un Mastroianni émouvant à l'écran noir et blanc! Sans oublier le cadre à la Méliès qui occupe le plateau sans cesse pour mieux   se faire  champ-hors champ et délivrer des images hors norme dans une joie non dissimulée!

conception et mise en scène Oriol Broggi

Grand théâtre de la Colline jusqu'au 10 Avril


"1001 danses" (pour 2021): 100°/° danses tracées..... !

 


Mille et une danses en un spectacle qui nous parle de l’importance de danser, de nous toucher, nous étreindre, de transmettre par nos corps tout ce qui nous anime. Revivre.

Au moment où Thomas Lebrun met en chantier Mille et une danses (pour 2021), c’est pour fêter les vingt ans de sa compagnie. Il s’agit alors pour lui d’inventer une ode à ses interprètes qui ont jalonné son épopée chorégraphique et émotionnelle. Il imagine regrouper de nombreux danseurs, de toutes les générations, de ceux qui l’accompagnent depuis toujours à de nouvelles surprises, dans une diversité, une mixité sans pareille pour faire jaillir toutes les danses : savantes, populaires, passées, récentes, à venir. Entretemps, une pandémie bouleverse ses projets et nos vies, ferme les théâtres, les studios, et interdit toute rencontre. Ces Mille et une danses pour 2021 se transforment alors en nécessité absolue car cette fête de la danse devient celle des premières retrouvailles créatives, des premières rencontres charnelles et, cette encyclopédie du mouvement dansé, une sorte d’hommage à tous les danseurs et à notre monde qui reprend vie.

Et c'est peu dire : dès le démarrage, un solo d'une femme, mémoire échevelée grisonnante tient le plateau: mémoire des corps, entourée bientôt d'une troupe de danseurs, soudés, les hommes en arabesques pour dégenrer et plus d'une transition de gestes vient signifier que le temps passe, les styles se reconnaissent, se rejoignent, se mêlent et s’emmêlent. Doucement, les signatures se révèlent à travers les corps de chacun des danseurs: l'une est plus "Trisha Brown", l'autre Elue de Pina Bausch...Peu importe la source, le palimpseste de la mémoire de la matière opère à fond et l'on déguste ce beau clin d'oeil à "Insurrection" d'Odile Duboc, à l'époque éclairé par Françoise Michel, dansé par Rachid Ouramdane, celui qui se démarquait de la foule....De beaux engrenages de gestes, unisson du groupe qui se déplace en danse chorale, leader en tête pour guide éclairé directionnel.Un solo hispanisant d'une femme devant un homme-animal qui se joue de sa félinité, une sculpture mouvante à la Rodin, des ralentis très ouverts, un faune à la Nijinsky..Tout est jubilatoire, suggéré ou assumé ouvertement.Des costumes arc en ciel ou noir qui se font et se défont à l'envi: toute la panoplie, le panorama serait incomplet si l'on y ajoutait pas la signature de Thomas Lebrun! Car c'est bien une oeuvre à lui, de lui qui fait surface peu à peu et envahit cette écriture chorégraphique, dramaturgique efficace, drôle, légère, en paillettes , cabaret de l'impossible, revue de corps en demi-cercle, membres désaxés: cet être ensemble solide, ferme, engagé où chacun y va aussi de son altérité: une fuite magnifique d'une interprète en folie, irrésistible jeu à la Mats Ek pour éclairer la danse d'une luminosité et d'une intelligence sacrale.Cinéma en écran total, musique glamour au final, battements de coeur musical pour ne pas freiner notre imaginaire.Un "Bagouet" débridé à la Necesito, urgence de danser et de séduire..

Thomas Lebrun signe ici une pièce étrange, multiple, gorgée d'une mémoire que chacun s'est appropriée à sa façon: autant danseurs, que spectateurs qui identifient ces deux robes crinolines d'un spectacle de Bagouet, "Valse des fleurs" qui deviennent les atours des amours de Roser Montlo Guberna et Brigitte Seth Esmérate...invitées pour ce beau duo de tendresse!

 

Au théâtre national de la danse Chaillot jusqu'au 9 Avril

jeudi 7 avril 2022

"Bajazet" en considérant le théâtre et la peste. A fleur de peau, à fleur de prises...Les corps jetés dans la bataille!

 


Le metteur en scène allemand Frank Castorf, avec des actrices et acteurs français, dont Jeanne Balibar, fait dialoguer Bajazet de Racine avec les œuvres d’Antonin Artaud. Roxane et Atalide se disputent l’amour de Bajazet, les conspirations politiques et amoureuses s’imbriquent jusqu’à rendre le doute et la suspicion omniprésents. Que produit la parole sur le corps, sur l’esprit ? Quel bouleversement profond ? Cette puissance de la parole, du souffle vital, est aussi ce qui hante Artaud, dans son œuvre comme dans sa vie. Ici, les êtres humains − acteur·rice·s/personnages −, sont suivi·e·s par une caméra dans l’explosion de leur intimité. Tout se mêle : la passion amoureuse et les enjeux de pouvoir, leur bouffonnerie et la nécessité de « ramener au théâtre la notion d’une vie passionnée et convulsive » comme le voulait Artaud.

Décor planté sur scène: un immense et surdimentionné portrait de carton-pâte d'un émir aux yeux éclairés directionnels braqués sur  la salle, une tente aux formes de voile abritant les regards de femme voilée comme un moucharabieh....Et une panoplie de costumes rutilants, chasubles accrochées à des portiques roulants...Le verbe sort timidement des lèvres des personnages protagonistes,Osmin et Acomat devisant sur l'anatomie, les genres, Roxane apparaissant gainée de cuir noir très sexy seyant, dévoilant les contours parfaits du corps de Jeanne Balibar.Les textes d'Antonin Artaud au bout des lèvres sensuelles, le souffle, l'espace, le vide comme axe de tourments: dans des cris ou murmures caricaturaux, des accents de voix inédits, les acteurs s'emparent autant de Racine que de Artaud, vociférant, dégueulant le verbe à l'envi.Quand Atalide apparait après une course poursuite folle, filmée en direct en plan séquence du dehors du théâtre et projetée simultanément sur un écran, tout bascule.Des coulisses que seront désormais la tente et l'autre abri sur le plateau, l'action oscille entre film à l'arrache et jeu scénique: un pari, une performance étonnante de la part des acteurs, qui sème le trouble entre direct et léger différé du temps.Les costumes se succèdent pour cerner les variations des personnages féminins: Balibar en Mistinguett, vamp ou dans sa pure nudité, en dentelles sexy de sous vêtements érotiques...Le "Wild Turkey Bourbon" fait rage dans cet univers d'oiseaux de plumes, dindes ou dindons de la farce à consommer sans modération..De diaboliques séquences sous le dais, des "drogués" de la vie en herbe, débauche de corps traqués, ourlés, à l'orientale, exotisme débridé, outrancier: les couleurs criardes et virulentes des images, la proximité des visages filmés en gros plans, renvoient à un théâtre de la cruauté, nu et cru, hilarant autant que pathétique....Rixes corporelles des hommes, Bajazet, victime hirsute de ces compagnons, de ces femmes au bord de la crise de nerfs.

Jeanne Balibar, odalisque Maja nue de toute beauté !

La chair à vif Jeanne Balibar livte et campe une Roxane possédée, charnelle, violente dans une séquence où le nœud du narguilé, pendaison factice, ne lui ôte pas pour autant,la vie...Terrienne, danseuse rituelle; elle jette son corps dans la bataille sans concession, abrupte, entière, nue, à vif: le visage défait, plissé, au jeu qui voisine une Bernadette Lafont étonnante....La musique de William Minke accompagne et dépasse l'action, double la tragédie avec virulence, lente ou profonde pour accentuer ambiance et univers de catastrophe humaine annoncée.Autre "numéro" de bravoure pour Jeanne Balibar, cuisinière de pot au feu aux doigts agiles, blessée, solo et monologue à cru, filmée nue, dévorant les mots: un jeu très corporel, expressif en diable, hystérique, fou, halluciné...Des électrochocs pour Bajazet, Jean Damien Barbin en lambeaux constants, hirsute et décapant vizir sidérant.L'ambiance va des années folles empanachées, à la désuétude, l'effondrement d'une atmosphère digne des photographies de Cindy Sherman...ou Nan Goldin.Un peuple, une micro-société ravagée mais si touchante dont l'empathie fonctionne à fond sans relâche. Ni entracte ou entremets, sans relâche, tambour battant, haletantes variations sur la nature humaine abus de pouvoirs, de prétention, de mesquinerie.Des astres dans ce désastre vivant, dans cet effondrement des façades, cette cage aux folles péripéties d'enfermement délirant, dans l'urgence toujours du jeu à fleur de peau, à fleur de prises.Adama Diop, Mounir Margoum excellent dans un jeu malin, sarcastique, manichéen à volonté, drôles, décapants, complices du pire et du meilleur face à leurs partenaires de plateau quatre heures durant! Sur la sellette, la corde raide. Jeu improbable dicté par l'instant, la réactivité des comédiens rompus à l'exercice du hasard, de l'instantané! Performance inouïe aussi de Claire Sermonne en Atalide attachante, sensuelle, hirsute, hérissée...Les costumes de Adriana Braga Peretzki, fabuleuse boite de Pandore aux multiples textures et couleurs, formes seyantes magnifiant chacun dans sa peau, son allure, ses postures ou attitudes variées. La mise en scène captivante de Frank Castorf comme une fresque immense ou des tableaux exotiques orientalistes de toute rareté!Les images de Andréas Deinert , fabuleuses peintures lumineuses, éclairant en direct, sur la brèche, les failles de ce monde en déliquescence!

Le metteur en scène Frank Castorf a dirigé la Volksbühne à Berlin de 1992 à 2017. Célèbre pour sa direction d’acteur·rice·s, il a été l’un des tous premiers à utiliser la vidéo, le jeu filmé en direct, comme un puissant outil pour aller capter au plus près les émotions, les failles. Cherchant à révéler les arrière-plans des enjeux dramaturgiques, il met en relation des écritures – ici, Racine et Artaud. Avec l’actrice Jeanne Balibar, il a créé plusieurs spectacles dont, en français, en 2012, La Dame aux camélias à L’Odéon-Théâtre de l’Europe – dans lequel jouaient également Jean-Damien Barbin et Claire Sermonne.

Au Maillon avec le TNS jusqu'au 10 Avril

samedi 2 avril 2022

"Duo de Quintettes": l'OPS en balade, en campagne à Dalhunden, les vents en poupe!

 


Par un samedi enneigé, rien ne vaut une escapade en campagne, loin du PMC, berceau de nos habitudes strasbourgeoises....C'est à l'église St Laurent que se produit un petit miracle: cinq musiciens de l'OPS pour le plaisir des habitants autochtones,pour les mélomanes qui bénéficient ainsi du plan de décentralisation de l'Orchestre et de la volonté de sensibilisation à des publics ruraux.Public nombreux ce soir là et gratifié de la présence des élus locaux de proximité accueillis par monsieur le Maire Michel Degoursy..A près une savante présentation des deux oeuvres et des deux compositeurs, Mozart et Beethoven, ce mélomane, directeur de la chorale locale se fait un plaisir de nous inviter à l'écoute des deux opus du soir.

"Quintette pour piano et vents en mi bémol majeur" de Mozart: une oeuvre de maturité déjà qui associe clarinette, hautbois, basson, cor et piano de façon inédite!Musique qui s'avère simple et touchante, aux mélodies identifiables, au langage clair, aérien, léger.De facture classique, de tonalités égales, timbres équilibrés avec des interventions mélodiques de chacun des instruments. En alternance, en écho, en ricochet.En extrême complicité, ce groupe de chambriste au coeur de l'orchestre se lie à la pianiste Naoko Perrouault pour une expérience singulière.Un dialogue complice et à l'écoute, clin d'oeil et respiration commune dans une belle continuité sans faille.Samuel Retaillaud (hautbois), Gérald Porretti (basson), Nicolas Ramez (cor), Jérôme Salier(clarinette), chacun a droit à sa place, sa présence sonore, loin de la flûte, absente de ce quatuor idéal! Mozart séduit, enchante et procure plaisir de l'écoute, envol de musicalité diaphane, volatile, au sein de l'église résonante.


 

Au tour de Beethoven de s’atteler à l'écriture d'un même type de quintette avec vélocité, ampleur des sons et tonalités, rôle du piano assuré par la vélocité virtuose des doigts de Naoko Perrouault qui murmure, soulève ses bras de fée gracieux tout en créant mélodies et timbres en osmose et symbiose avec les lignes musicales des quatre vents partenaires atypiques. Musique bien "chambrée" pour un cocktail majestueux, plus accentué que celui de Mozart, plus souligné d'accents martiaux, ascendants, modulés, nuancés. Plus narratif et dramatique, pesée de notes graves suggestives de sentiments profonds, d'émotion humaine.

Ces deux quintettes judicieusement associés pour un concert plein de surprises à l'écoute d'une formation pleine de charme. Une chance d'y être présent ce soir là, si proche des frontières musicales, du Rhin, européen par excellence, voisin mélomane de proximité qui fit chanter tant de talents musicaux!

A Dalhunden le 2 Avril     L'OPS en mission de décentralisation.

vendredi 1 avril 2022

Papusza : "A Traves del Humo" : amore et amore!


 « A Traves del Humo » (littéralement : « À travers la fumée ») est un spectacle musical éclectique créé et interprété par Bogumiła Delimata « La Bogusha » et Cristo Osario, magnifique duo d'artistes expérimental et polyvalent. Bogumiła est peintre et danseuse de flamenco, Cristo est musicien et chanteur de flamenco. Ils présentent une soirée pleine de brio et d'énergie, mêlant les chants traditionnels gitans aux cultures polonaises, romanes et gitanes espagnoles, à travers la danse, la musique, la poésie, le théâtre. Un voyage artistique sans frontières, inspiré de la vie de la poétesse et chanteuse polonaise-rom Bronisława Wajs, dite Papusza, qui tout au long de sa vie a dansé, chanté et récité ses « gilas » (chansons roms).

Une table, deux chaises, un bouquet de fleurs et deux artistes en conversation musicale : du vent, des arbres en fond d'image.Elle, tout de rouge vêtue, lui, guitare au poing, longs cheveux grisonnants, costume vintage...La palabre commence à force de frappes des phalanges sur le plateau de la table. Le ton est donné: du rythme et toujours du rythme, percussions des pieds et des mains, vibrations du corps de la chanteuse-danseuse qui se dresse et d'une voix langoureuse, se lamente en beauté!Chants lancinants, répétitifs accompagnant l'image surdimentionnée de la "mama"  Les piétinements se font hargneux, les bras, oiseaux, la jupe retroussée, virevoltant juste ce qu'il faut: gestes précis, mesurés: de la rage, de la volupté dans la danse très sensuelle, affirmée de l'artiste aux longs cheveux noirs défaits, qu'elle fait tourner en spirale.La lumière est chaleureuse, orangée, accueillante comme les voix des deux interprètes, s'exprimant dans leur langue avec fantaisie et enthousiasme.Générosité et étincelante vivacité contagieuse.C'est vêtue d'une longue robe verte qu'elle réapparait, gitane aguichante dans une danse quasi orientale, bombant le torse, de profil, déterminée, frondeuse, guerrière. Un solo de guitare sur fond d'image de petit chien niché au coeur d'une fleur de magnolia pour éclairer la scène de sons rauques, tonitruants, sauvages...Et la robe se fait noire à fleurs rouges, la danseuse cueille l'espace de ses bras moelleux, de ses doigts agiles, souples. Le rythme s'accélère vertigineux. Elle bascule, chavire, ondule, piaffe d'impatience.Danse serpentine animant son corps gracieux, volage, très charnel, présent, fort et s'imposant par la volupté et la fluidité des gestes précis.Victorieuse conquérante, amazone acharnée. Au final un duo sur "la soupe de poulet" met en appétit de vivre sur fond d'image de coq à sacrifier! Un rappel de rumba espagnole pour couronner cette soirée chaleureuse, portée par deux grands artistes, riches et généreux sur trois fois rien de mise en espace.Une réussite de charme et d'audace, de complicité, de partage et d'empathie!

 

Jeu, chant, danse Bogumiła Delimata Jeu, chant, guitare Cristóbal Osorio 

CMD, Cité de la Musique et de la Danse 01 avr. 2022 Dans le cadre du festival Arsmondo de l'Opéra du Rhin