THÉÂTRE MUSICAL
Leurs regards et leurs corps musclés rayonnent de gaîté et de confiance. Les figures de la Jeunesse chantante respirent le bonheur. » En 1953 fut bâti le Népstadion (Stade du peuple) à Budapest, symbole du premier plan quinquennal hongrois.
Celui-ci a été remplacé en 2019 par la Puskás Aréna, construite à partir du béton concassé de l’ancien stade à la demande de Viktor Orbán. À ses abords trône toujours la statue Jeunesse chantante, figure du réalisme socialiste, témoin de l’histoire politique tortueuse de la Hongrie et point de départ du spectacle. Sur scène, un chœur entonne les chants du passé comme les discours politiques contemporains et leurs injonctions à faire peuple ou nation.
Des images d'architectures, un contexte monumental va raconter l'histoire géopolitique de la Hongrie. Quand parlent les sculptures...que racontent les voix, porte paroles et mégaphones des pouvoirs politiques en place.Inspirés de chants de lutte populaires, de slogans politiques, les motifs vocaux sont riches d'enseignement sur le fonctionnement affectif, émotionnel d'une chorale, groupe communautaire au service des pouvoirs... Petite chorale de sportifs, en baskets, soquette, short et maillots blancs, uniformisés, voici nos anti-héros de pacotille virtuoses des mélodies rapportées, transformées en exercice de style très musical, sophistiqué. En canon, soliste ou en groupe compact, cet ensemble vocal se mouvant à l'envi dans l'espace est de toute rigueur et de grande beauté acoustique.L'histoire des statues, des stades qui se démolissent et resurgissent de leurs gravas-cendres récupérées, est édifiante. Un pouvoir en chasse un autre mais les vecteurs de la propagande et de la démagogie ne changent pas. Les voix de leurs maitres résonnent quoi qu'il en soit! Corps en érection, verticaux, sans faille extérieure.Chiens fidèles obéissants, polis-petits-chiens de garde à vous. Au poste. L'éducation physique,la ré-éducation en cheval de combat, arme du pouvoir, chant de la terre promise. Pour la jeunesse embrigadée. Tout de briques et de broc que ce stade, où les dieux sont l'effigie de la jeunesse malléable et manipulée. Pas cadencés, cadenassés, militaires, poses d'un statuaire déboulonné mais pas déboussolé où les repères-travail, union, patrie- font loi. Comme une sorte de fresque, abécédaire de codes de bonne conduite irréprochable. Frise, enluminure politique à déchiffrer et décrypter sur les bandes défilantes de textes de discours et autres préceptes recommandés à suivre. La dictature passe par le verbe, le chant qui galvanise et fait office de bourrage de crâne salutaire... Dénonciateur du pouvoir sur des airs pourtant légers, agréables, réjouissants, entrainants. Carmina Burana païennes, en canon, hymnes nationaux et patriotes au poing. Arène nationale dans une ère bouleversée et compromettante. En ordre de grandeur croissante, nos six chanteurs-performeurs se jouent d'une certaine ambiguïté des propos et situations. La musique va-t-elle nous tromper, nous induire en erreur? Travail, combat, des valeurs communautaires dont la "famille" semble exclue, niche trop étroite et individualise. Restons groupés! Exercices corporels gymniques en rond, cercle solidaire, expression corporelle et rythmique du XIX siècle Dalcrozien.On est bien dans l'éducation saine et mentale, physique de corporation soudée. Pas un pas de travers ni digression possibles. Le chant est arme de combat retentissante. Quelques pas de bourrée pour illustrer discipline et savoir-faire à l'encontre de la liberté et créativité. Un sculpteur grec exilé devient porte parole de l'intégration minutieuse de l'étranger dans la Hongrie chaotique. Les chants, doux, réservés et fort à propos nous bercent aussi dans cette joyeuse démagogie ambiante. Les statues chantent aussi au bord des stades, lieux de torture et de labeur, endroit où la forme olympique est de rigueur. Pour l'image d'un pouvoir fort et incarné par ses ouilles. Des berceuses nostalgiques pour émouvoir et attendrir, où l'on y voit cependant "rouge". La solidarité est de mise dans ce groupe homogène à souhait, voix enveloppantes et charmeuses, au service de la domination des corps et esprits. Eloge du peuple docile, mené par le bout de la langue de bois des pouvoirs en place. Frappements de mains pour fédérer et partager l'énergie constituante. Cris de foule revendicative au final: va-t-il y avoir soulèvement? Le chant déstabilise l'ennemi. Notre corps est "arc tendu" pour mieux viser l'autre en faute. Les chanteurs comme "chars d'assaut", debout, fidèles au poste de surveillance accrue. Pour la "survie" de la Hongrie... Jamais seul, pour ce chant de cérémonie, messe païenne, de foi et de croyances.
Au Maillon le 1 Octobre dans le cadre du festival MUSICA
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