Dans The Rise de la compositrice autrichienne Eva Reiter et du chorégraphe belge Michiel Vandevelde, les corps qui jouent, les corps qui dansent et les corps qui chantent font émerger sur scène un nouveau monde à partir du cycle de poèmes Averno de Louise Glück.
Le maître de cérémonie est Ruben Grandits, un acteur sourd, magicien de la traduction, qui fait circuler le sens entre la langue, le signe et le son. Il guide les dix interprètes à travers la bouche du volcan du lac Averne, lieu de passage entre le monde des vivants et celui des morts. S’inventent alors sous nos yeux : des instruments extraordinaires, de nouvelles harmonies, une autre grammaire, une politique de l’art.
Il est devant nous, très proche et s'exprime uniquement avec des gestes, amples, précis, fluides: conteur d'une histoire qui se lit en surtitre, cet acteur "muet" est de toute franchise et beauté. Dans un costume pastel, bigarré, ample, il se meut très à l'aise, visage et regard ouverts, à l'écoute. En fond, une toile argentée, froissée l'enveloppe, le protège. Ce prologue, préambule entre danse, langage des signes et gestuelle corporelle singulière touche et ouvre vers un spectacle inattendu. Bruits d'effondrement, de cataclysme, de tempête pour ornement. Deux personnages en bord de scène, mimes, faiseurs de corporéité unique en son genre. Puis c'est l'apparition de quatre autres interprètes, alignés, accroupis frottant, grattant le sol en des gestes circulaires, souples: on y simule l'écriture, l'effacement, la perte ou la disparition. En s'essoufflant et émettant des signes de vie et de respiration.Gestes vifs et fébriles qui augurent du rythme de l'opus en train de naitre. La danse y tient la part belle, reptation et autres circonvolutions en toges blanches comme une frise apollinienne, blanche, profilée comme des Isadorables ou danseurs grecs. De tubes de diverses formes surgissent vents et souffles; ceux de la danse et de son énergie motrice. Huit interprètes tiennent le plateau et entourent notre conteur-narrateur "sans le son". Mais avec toutes les suggestions de lectures possibles engendrées par la langue des signes, revue et corrigée au profit de la chorégraphie. Des faunes, a-phones en diable, des nymphes comme chez Nijinsky et Debussy. Discours dans le vent. Danse de bras à l'unisson en segments, passages fulgurants et acrobatiques, capoeira et hip-hop comme fondamentaux. Mudras indiens quasi tétaniques comme ornement et musicalité très codée. Danse de bâtons alors que la toile de fond s'est effondrée, fait place à une autre, sorte de photographie géantes sépia noir et blanc, floutée. L'univers est cosmique et onirique. Au sol, le blanc poudré évoque sable ou neige dans laquelle foule un danseur acrobate se défiant des embuches. Le relief des éclairages au sol en fond une aire de déplacements dangereuse. Ce cortège de nymphettes se double par l'exercice de bruits sortant d'instruments à vent confectionnés de toute pièce. Soufflet géant qu'active une danseuse grâce au poids de son corps, immense cor, sorte de vent étiré de toute beauté. Les artistes s'y adonnent avec bonheur à la percussion, au souffle à la tempête. Comme un chemin de croix, ils portent un dispositif fait de branches et bâtons, assez singulier. Les toges de couleur flottent comme pour des vestales ou autres gardiens d'un temple ténébreux, mystique et mystérieux. Une scie musicale et corporelle s'y ajoute dans ce chaos corporel, foisonnant et très "musical". Notre narrateur toujours au poste de garde. Des jeux de loupe viennent faire de nos acteurs des monstres détirées, malmenés, grotesques et comiques. Quasi burlesque interprétation corporelle de la différence. En trompe l'oeil comme un leurre scénographique corporel. Un cornet à quatre pavillon fait fureur, géant et très esthétique, longue forme énigmatique dans ce cabinet de curiosité, cette danse en chambre pour octuor diabolique. Tremblements, oscillations, parcours spatiaux des danseurs comme occupation du territoire évanescent.et de l'étrangeté. Une voix s'élève, angélique, pure, aiguë pleine de charme divins.Brouillard et fumigènes à l'appui. Des tourbillons de danse, des volutes fluides et éphémères arrêtent le temps. Des reptations épileptiques, hystériques en contraste. Au final une sorte de chant choram médiéviste, religieux font office d'épilogue pour cette épopée singulière, odysée du langage entre silence et expression des corps dans tout leur état musical et sonore. Corps vecteurs de souffle, de vie, d'énergie, de tous et de dynamique. On rêve dans un univers archaïque, léger plein de matière transparentes; des toges à la toile-rideau de fond, la transparence est de mise.
sA la salle gruber dans le cadre du festival MUSICA
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