jeudi 3 octobre 2024

"White dog" : du chien, de la rage, du mordant et de l'empathie!


 

Adapté de Chien blanc, récit autobiographique de Romain Gary (Éditions Gallimard, 1970), cette pièce prend la forme d’un thriller social en pleine Amérique ségrégationniste. Le romancier, installé avec son épouse Jean Seberg à Hollywood, recueille un berger allemand abandonné. Découvrant qu’il attaque systématiquement les afro-américain·es, il met en parallèle la monstruosité humaine et la sauvagerie qui fait rage dans le pays, en pleine lutte pour les Droits civiques. Au rythme d’une batterie jazz, deux marionnettistes blanc et noir se partagent tous les rôles de cette histoire d’une manipulation très politique. Humaniste forcené, l’écrivain d’ascendance juive et polonaise, qui fut aussi deux fois lauréat du prix Goncourt, interroge la fabrique de la haine et la possibilité de la désapprendre. Le chien, pantin de papier manipulé par les hommes, suscite l’empathie du public qui voit sa part sombre naître grâce au théâtre d’ombre. Au milieu de grandes feuilles vierges dont les métamorphoses en direct viennent donner vie aux chapitres du livre, les pages se noircissent de mots, d’images d’archives et de pop-up révélant, pas-à-pas, les trous et les non-dits de l’histoire.

 


Une petite estrade, un sol carrelé, des ombres chinoises en prologue tracées sur des pendrillons blancs. Cela a déjà du "mordant" dans la diction, les paroles et gestes du comédien qui se profile. Percussions et traduction en langage des signes comme accompagnement fidèle tout le long de ce spectacle-manifeste poétique et politiquement très correct. Belle relecture de l'oeuvre et du destin de Romain Garry auprès de l'actrice Jean Seberg, personnages incarnés par deux marionnettes de taille humaines, manipulées et enfilées par les comédiens.C'est tout à fait réussi et probant, mobile, agile et les mouvements des personnages sont parfaitement adaptés à cette singulière motricité. Le chien , personnage principal de cette histoire revisitée est exceptionnel de véracité et authenticité Marionnette, enfilée, long corps animal souple, flexible. Le tout bordé d'une scénographie savante et sophistiquée. De la blancheur pour cette scène tournante qui devient manège peuplé de polis petits chiens politiciens. Les crocs attaquent, le chien est menaçant métaphoriquement: croc blanc qui dévore les noirs. Dressé pour et pourtant très attachant. Ses attitudes, posture pleines d'attention et d'observation sur les us et coutumes d' un canin! 

C'est le milieu du cinéma qui est interrogé: un cascadeur désacralise le métier dans son carré 4/3 de poste de télévision. Reconverti en dresseur de chien, il est chargé de déconstruire l'éducation du chien d'attaque, chasseur de noirs.Ce sont aussi les médias et les images d'archive qui interrogent l'actualité des USA durant les émeutes raciales de 1968. Une belle leçon d'histoire que ce "white dog" mené bon train dans un rythme palpitant au son des percussions omniprésentes. Le chien dans son enclos de bois, comme prisonnier de ses maitres. La scène tournante est de bon aloi, de petits pas de danse jazzy pour l'ambiance country font le reste de la mise en scène. Ce décor de papier blanc, de la race blanche qui est puissante, devient symbole d'occupation de territoire. On rêve d'une nation noire, sur fond blanc... Désapprendre le dressage, qu'il soit du chien ou de la propagande raciste serait le leitmotiv: tous au final portent ce masque canin. Bas les masques...



 

Formée à l’art de la marionnette à Glasgow, Camille Trouvé co-fonde la Compagnie Les Chiffonnières. Jusqu’en 2006, elle mène avec ces plasticiennes et musiciennes une recherche sur le rapport entre image et musique. Elle se forme auprès de grand·es metteur·euses en scène et auteur·rices de théâtre tels que Wajdi Mouawad, François Cervantes et Catherine Germain, avant de suivre la formation continue de l’École nationale supérieure des Arts de la Marionnette de Charleville-Mézières. Constructrice, bricoleuse d’objets articulés et insolites, marionnettiste et comédienne, elle poursuit ses expérimentations, traçant au fil des créations un univers visuel, original et décalé. Circassien de formation, Brice Berthoud a débuté comme fil-de-fériste et jongleur dans la compagnie Le Colimaçon, créant des spectacles mêlant les arts du cirque et la comédie. En 1994, il intègre la compagnie strasbourgeoise Flash Marionnettes. Sa technique de manipulation emprunte d’une certaine manière au jonglage par la dextérité et la virtuosité avec laquelle il change de marionnettes. En 2000, Camille Trouvé et Brice Berthoud co-fondent Les Anges au Plafond, projet pluridisciplinaire à la croisée des arts : théâtre, arts plastiques, art du mouvement, magie nouvelle et musique dans le domaine théâtral. En octobre 2021, le duo devient co-directeur·ices du Centre Dramatique National de Normandie Rouen. Iels ont présenté au TJP Le Bal marionnettique.

 
  Au TJP Grande scène jusqu'au 5 octobre

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