Madame Lemarchand, bourgeoise d’une ville de
province, convoque Frank Meyer, ouvrier précaire travaillant au noir.
Elle veut recruter sa jeune épouse, prénommée Hilda, pour faire le
ménage, s’occuper de ses enfants, et lui tenir compagnie. Marie NDiaye
compose un drame effroyable de la domination à la mécanique vampirique
implacable, dans laquelle Madame Lemarchand, insatiable, est poussée à
demander toujours plus à Hilda. Quelles seront les armes de résistance ?
Élisabeth Chailloux met en scène la pièce avec l’actrice et cantatrice
Natalie Dessay : une langue concrète, musicale et envoûtante, œuvrant au
décalage étrange avec le réel.
Décor sobre, intérieur sur fond de panneaux mobiles opaques: un fauteuil club, une femme assise en robe rouge sur le plateau...Et tout démarre à fond de cale: cette femme c'est la future"patronne" d'une femme de service embauchée par "une maitresse de gauche", à tout prix! Etrange transaction humaine sur fond d'humanisme bourgeois caricatural à souhait. Patronne et "matrone", Natalie Dessay excellence dans ce phrasé loquace, volubile, tranchant d'autoritarisme, de tyrannie féroce et perverse.Hilda sera ce fantôme, Arlésienne du propos qu'on ne verra jamais et qui hante les fantasmes d'une femme aux abois, quasi hystérique tant son pouvoir sur l'autre fait des ravages, soumet et asservit ses partenaires.Frank, Gauthier Baillot, en sera la proie,la victime soumise et débordée devant l'autorité malsaine et calculée de cet être redoutable et arriviste.Six séquences pour cette odyssée qui trahit et révèle l'hypocrisie autant que la haine de l'autre.Coup de cloche pour chaque chapitre et l'on tourne la page, le décor où vivent les deux protagonistes mute. L'argent est aussi le moteur de toutes ces transactions humaines où l'on ne peut racheter sa femme car on a éclusé le salaire avant le travail payé d'avance: les pièges se tendent devant Frank, ligoté, acculé à un triste sort de vaincu. Hilda est une chose, un objet de désir, "une petite danseuse de chair au fond du flacon" qu'on atteint en le brisant.Vampire insatiable, Natalie Dessay emballe et subjugue, agace et déçoit parfois tant le débit de sa voix et ses intonations demeurent linéaires et sans surprise ni contraste ou modulations...La mise en scène poussant à bout ce duo fébrile sur le qui vive et l'aridité d'un texte où la perversion se déploie au fur et à mesure crescendo, submergeante...Au final c'est la "patronne" qui se métamorphose en Hilda, celle qu'elle aurait voulu transformer à sa guise en femme de service domptée, éduquée, reniant ainsi son identité pour en faire l'objet de ces ambitions!
Marie NDiaye, autrice associée au TNS depuis 2015, a écrit une quinzaine de romans, dont La Vengeance m’appartient (Gallimard, 2021). Écrivant également pour le théâtre, elle a fait paraître récemment Royan. La professeure de français (Gallimard, 2020) et Berlin mon garçon suite à une commande de Stanislas Nordey (Gallimard, 2019). Élisabeth Chailloux, directrice artistique de la compagnie La Balance, a co-dirigé le Théâtre des Quartiers d’Ivry avec Adel Hakim de 1992 à 2019. Elle a notamment mis en scène des textes de Bernard-Marie Koltès, Philippe Minyana et Normand Chaurette.
7 oct au 17 oct 2021 au TNS
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