mercredi 14 mai 2025

"Une fête à Robert Filliou": un quasi cadavre exquis du Petit Robert, le Filou....

 


L’ART EST CE QUI REND LA VIE PLUS INTÉRESSANTE QUE L’ART.

« À l’intérieur de ma casquette, au sommet de ma tête, j’avais de petites œuvres. J’allais le long des rues à pied et j’adressais la parole à d’autres piétons. Le dialogue pouvait prendre, par exemple, la forme suivante : je demandais « Monsieur ou Madame ou Mademoiselle, est-ce que l’art vous intéresse ? » Si l’on me répondait « Oui, oui », je disais « Eh bien, saviez-vous que j’ai une galerie ? » Si mon interlocuteur manifestait de l’intérêt, je lui disais « La voici, ma galerie ». Mes œuvres se trouvaient là, à l’intérieur de mon chapeau. Puis, nous les regardions ensemble. »

 

 


Pour Robert Filliou, chacun d’entre nous est un génie qui s’ignore. Et tout le monde est un artiste capable de transformer sa vie en œuvre d’art. Effervescente et loufoque sous ses multiples casquettes, sa création, souvent tirée par les cheveux, n’est jamais rasoir. Car, ça ne fait rien si l’art n’existe pas, pourvu que les gens soient heureux !

 Catherine Tartarin explore l’univers festif de cet artiste-poète, bricoleur, assembleur, penseur, agitateur et performeur. Dans ce spectacle, acteurs et spectateurs expérimentent l’utopie de la création permanente, un art des petits riens du quotidien qui pourrait bien changer le monde.

 

Et que la fête commence! Dans le Hall du Théâtre un pianiste écoute le silence d'une partition style John Cage "4'33" Et quitte l'instrument sur des applaudissements alors que les compères distribuent des chamallow en suggérant de ne pas les manger et prononcent quelques phrases ou slogans énigmatiques. A l'entrée de la salle ils entonnent une chanson de Brigitte Fontaine.. Y aurait-il une filliou-tion entre toutes ces introductions apéritives, ces amuse-bouche plein de saveurs?

C'est ce qu'on va voir assis aux côtés d'un style à bille et d'un petit feuillet sur lequel une réponse à une énigme est suggérée. On ne va pas nous laisser tranquille, cela va de soi. Alors au travail pour découvrir l'univers abracadabrantesque d'un génie sans bouillir de l'écriture quasi automatique de ce champion du dérapage contrôlé, des glissades verbales, des quiproquos invraisemblables et des mots qui chahutent sans cesse. Ca fait des carambolages inédits, des revirements linguistiques, des chevauchements et autres états de lecture déglinguée à souhait. L'esprit Filliou est bien présent et plane joyeusement sur ce décor de chaises suspendues au plafond, de tables empilées, d'escabeaux chancelants et autres agrès et prosceniums de fortune: tout de bois et de guingois, en déséquilibre permanent comme cette littérature sans toit ni loi, désossées, désarticulée. Démembrée pour mieux construire un monde sonore utopique et invertébré, jovial, bon enfant, naïf et futile. Quatre comédiens, chanteurs, musiciens, conteurs s'emparent à l'envi des textes incongrus du professeur enchanteur Filliou, maitre de cérémonie burlesque mais si contemporaine et décapante. Si juste si on prend tout au pied de la lettre. Francisco Gil mène la barque, sobre, juste et sans atours inutiles. Va droit au but et touche juste. Chante cette poésie chatoyante et enchante, débonnaire poète du hasard calculé. Elle, lunettes de femme savante au poing se débrouille et s'embrouille joliment. C'est Cathy Tartarin, l'autrice et initiatrice du projet de mise en forme d'un hypothétique spectacle sur Filliou qui illumine les situations et éclaire nos lanternes magiques. Un accordéon pour relier le tout dont se saisit un bel homme à la chevelure cendrée: c'est Yves Beraud, savant fou un peu décalé, le ravi de cette crèche pas très catholique. Et pour rythmer le tout, les apparitions sonores live de la guitare de Kalevi Uibo, sonneur de sons incongrus inspirés de Catherine Ribeiro, de Victor Hugo. Des belles pointures en références complices de l'esprit planant de Filliou. Le tout dans une scénographie constructive, des costumes, matières à développer textures, matières plastiques et autres transparences génératrices de froissements, de bruissements. En jaillit une poésie sonore douce, optimiste, régénérante qui fait du bien. A nos stylos plumes pour faire de même du haut de nos fauteuils pour broder sur le thème "de quoi souhaitez vous vous débarrasser?"Mises bout à bout les propositions du public sollicité, participatif et donc complice font un cadavre exquis drôle et fracassant. On s'amuse à décrypter les mécanismes de l'écriture sans pour autant dévoiler les secrets de fabrication de Filliou. C'est là que réside la richesse de toutes ces propositions des comédiens, facteurs de magie autant que de véracité. L'opus hybride auquel on participe fabrique du bonheur, de l'intelligence et aiguise la curiosité. Vitrine autant qu'objet OVNI théâtral, ce petit bijou porte bonheur va droit dans la direction d'un auteur-performeur-plasticien dont le chapeau contient toute la galerie de l'évolution littéraire. On songe à tous ces chercheurs de littérature raturée, Queneau, et autres perturbateurs ...Gérard Collin Thiébaut et autres agitateurs de particules en accélération.


D’après des textes et poèmes* de Robert Filliou Adaptation et mise en scène Cathy Tartarin Compagnie Le cri des poissons, Strasbourg

Avec Yves Beraud (accordéon), Francisco Gil, Cathy Tartarin, Kalevi Uibo (guitare électrique)

Scénographie Jane Joyet Création lumière Cyrille Siffer Construction décors Nour Alkhatib Régie générale et régie lumière Cyrille Siffer Régie plateau Vincent Rousselle 

Au TAPS Laiterie jusqu'au 17 MAI

"Giuditta" de Franz Lehár: l'Ange bleu, viennoiserie, friandise délicate.


« Et si la mort m’enlève,
Je veux qu’elle m’achève
Dans un baiser de flamme
Où chantera le mot : aimer ! »


Quand Giuditta se met à chanter l’amour au cabaret Alcazar, le temps suspend son vol. Elle a tout d’un oiseau de paradis ou d’un ange tombé du ciel. Plusieurs hommes ont tenté de l’enfermer dans une cage dorée et de l’attraper avec des rivières de diamants en guise de collets. Sans succès : la belle est aussi jalouse de sa liberté que de ses secrets. Personne ne connaît vraiment son histoire, ni l’oiseleur qui l’a découverte un jour sur une plage et l’a épousée sans lui poser de question, ni même ce beau légionnaire avec lequel elle s’est enfuie en Afrique du Nord.


Qualifiée de « musikalische Komödie » par son auteur, la dernière œuvre de Lehár se rapproche bien plus des grands opéras de Puccini que des comédies musicales américaines, comme en témoigne sa création en grande pompe au Staatsoper de Vienne en 1934. Si Giuditta n’est pas sans rappeler certaines héroïnes lyriques (Carmen, Violetta, Mélisande) et quelques célèbres courtisanes bien réelles (notamment la « Belle Otero », danseuse espagnole devenue l’amante des souverains européens), elle doit beaucoup à Marlène Dietrich et à ses rôles iconiques de meneuse de revue dans les films
L’Ange bleu et Morocco. À la tête de l’Orchestre symphonique de Mulhouse, Thomas Rösner dirige la version française de cette envoûtante rareté, dans un spectacle flamboyant de Pierre-André Weitz inspiré par les univers du cirque et du cabaret.

 Comédie en musique en cinq tableaux.
Livret de Paul Knepler et Fritz Löhner.
Créée à l’Opéra de Vienne le 20 janvier 1934.
Version française d’André Mauprey. 

 
Un champ de foire tel une exposition d'affiches des rues de Paris-voir la très riche exposition du Musée d'Orsay: "l'art est dans la rue"- s'offre au regard: décor de Foire du Trône où les "monstres" s'exposent: deux soeurs siamoises irrésistiblement soudées par un costume commun font des signes désespérés d'amour au public réuni, friand de divertissement...Et les saltimbanques de venir enrichir ce tableau mouvant, jovial et entrainant au son d'une musique emblématique du genre.
La "comédie en musique" démarre ainsi dans un registre festif et joyeux, parsemé de personnages qui se profilent. Le vendeur de rue qui met aux enchères sa charrette pour subsister en dit long sur la population de cette opérette en mutation.Et c'est ainsi que navigue la narration, affichant rebonds et suspens, dans un registre dédié à l'expression de l'Amour. L'amour du jeune couple enthousiaste, Anita et Séraphin, ceux qui vont suivre Giuditta et Octavio sur la paquebot de l'exil. Des destins qui se croisent et que l'on suivra jusqu'à leur dénouement cinq actes durant. Entre chant lyrique sophistiqué et théâtre parlé, l'objet hybride signé Franz Lehar. La voix de Melody Louledjian fait son oeuvre, au départ chant d'oiseau discret dans sa cage dorée suspendue à ses rêves, puis au fur et à mesure s'épanouissant dans la dramaturgie montante. Octavio, Thomas Bettinger rayonne d'un timbre puissant et chaleureux aux tenues resplendissantes. Son jeu d'amoureux féru est librement naturel et cet officier transit séduit devant les charmes d'une Carmen ressuscitée. 


Alors qu' Anita éprise de son fantasque partenaire, Sandrine Buendia excelle en phrasés toniques, puissance et envergure vocale de toute beauté. Elle tient tête à son Séraphin, angelot drôlatique et plein de verve, Sahy Ratia, personnage attachant et comique. L'intrigue de cet opus hybride tient en haleine, les duos et solos font mouche et ponctuent la narration de plein fouet. La danse y est omniprésente, servie par des artistes dit "de complément" qui brillent par une présence intelligente, discrète mais efficace. Deux demoiselles de ce monde chatoyant tiennent le plateau: 


Charlotte Dambach, sensuelle et coquine femme gainée de dessous à dentelles et jarretières seyantes à la gestuelle empreinte de mudras comme celles de Giuditta dans son rayon de lumières en ombres portées et Ivanka Moizan: dans un duo fulgurant style portés classiques et longs détirés acrobatiques.Un instant de grâce dans un moment unique de rêveries et d'Amour stylisé. Chorégraphie d'ensemble également, architecturée par Ivo Bauchiero, habile complice de Pierre André Weitz. Ce dernier signe également décor et costumes chatoyants, fantasques et séduisants. L'univers du cirque, de la scène comme une mise en abime de ce drame entre comédie désuète et opéra "sérieux". Un divertissement où la langue française trouve une niche originale, succédant à la poétique plus épurée de la langue allemande...La danse de Giuditta entre Dietrich et La Argentina, belle séquence où la chanteuse-comédienne se fait femme qui danse sa colère et sa révolte. Pas de collier ni de prison pour cette héroïne aux prises aussi avec Manuel, Nicolas Rivenq, odieux personnage attestant du pouvoir masculin. Toute lecture possible de cette opus atypique orchestré par main de maitre par Thomas Rosner et l'Orchestre national de Mulhouse. Le Choeur de l'Opéra du Rhin
dirigé par Hendrick Haas en farandole et petit peuple à chapeaux  canotiers, irrésistible berceau de cette musique pas si légère que cela.

 

 

Direction musicale Thomas Rösner Mise en scène, décors, costumes Pierre-André Weitz Chorégraphie Ivo Bauchiero Lumières Bertrand Killy Chef de Chœur de l’Opéra national du Rhin Hendrik Haas

Les Artistes

Giuditta Melody Louledjian Anita Sandrine Buendia Octavio Thomas Bettinger Manuel, Sir Barrymore, son Altesse Nicolas Rivenq Séraphin Sahy Ratia Marcelin, l’Attaché, Ibrahim, un chanteur de rue Christophe Gay Jean Cévenol Jacques Verzier L’Hôtelier, le Maître d’hôtel Rodolphe Briand Lollita, le Chasseur de l’Alcazar Sissi Duparc Le Garçon de restaurant, un chanteur de rue, un sous-officier, un pêcheur Pierre Lebon Chœur de l’Opéra national du Rhin, Orchestre national de Mulhouse

A l'Opéra du Rhin jusqu'au 20 MAI
photos Klara Beck