lundi 23 juillet 2012

Avignon, festival très "in" de la danse polymorphe

Avignon affiche dans le cadre du festival "IN", des spectacles identifiés "danse" qui se fondent dans la programmation générale.
Cette année, le cru 2012 est varié et donne à voir des pièces à la beauté singulière comme "Trait" de Nacera Belaza qui trace un parcours sans faute sur le "non savoir", ce que son corps peut et pourra faire au delà des limites du convenu, du savoir.Sa vigilance dans ce rapport à l'inconnu est toujours vierge et son interrogation demeure dans deux très beaux solo qu'elle interprète, ainsi que sa soeur Dalila.
Hypnotique tournoiement dans l'espace, frangé de lumières imperceptibles qui confère à l'œuvre un caractère mystérieux, fragile imperceptible danse de l'éternité.C'est magique et magnétique, envoutant, effrayant.Le duo d'hommes qui,ouvre le spectacle, est lui, franchement détonnant, puissant et fonctionne sur la dépense: une énergie sans fin pour interpréter une performance physique inouïe, qui procède de la virtuosité Que peut encore le corps après cette éprouvante prestation qui tente de séduire, de convaincre sans jamais bombarder les esprits, demeurés libres et affranchis. Le regard que l'on porte sur la danse des Belaza demeure lui aussi toujours neuf.
Joseph Nadj, lui fait aussi dans l'énigmatique et le fantastique dans "Atem, le souffle": souffle de vie, respiration de l'inquiétude, de l'intranquilité qui fait sa griffe de chorégraphe du surnaturel.
Un duo bizarre, étrange où homme et femme sont métamorphosés en autant de personnages singuliers affublés d'accessoires, d'objets magiques, multiples. Le décor participe à l'étrangeté de la pièce: une boite noire, des parois qui laissent apparaitre et disparaitre objets et corps à l'envie La lenteur de l'exécution, la poésie des regard dirigés vers le lointain, l'effacement, la perte, tout est dit dans cette magistrale fresque de danse.Jeu d'acteur, expressions comme dans une apesanteur suspendue au temps qui n'en finit pas de dire que les légendes font la beauté du monde. Un conte, une fable oubliée et ressuscitée, c'est tout cela "Atem" et l'on retient son souffle pour mieux partager les instants d'apnée, de suspens.Un objet chorégraphique en boite qui s'ouvre comme un recueil, un grimoire ensorcelé,précieux, riche en icônes de rêves. L'onirique est omniprésent et l'on décolle avec les deux danseurs pour s'envoler vers d'autres contrées magiques. Le prestidigitateur Nadj n'a pas fini de nous secouer!
Restons dans des univers pas comme les autres avec la pièce de Sidi Larbi Cherkaoui, "Puz/zle" à la carrière Boulbon: un cadre à la démesure du chorégraphe qui parie ici déjouer les pièges d'un espace gigantesque et minéral. Cherkaoui et sa compagnie en font aussi un "morceau" qui appartiendra à la légende.Un hommage à la pierre, à la carrière avec une scénographie inventive et brillante. Des corps enchevêtrés en font des enluminures surdimentionnées, cascades de corps et de grâce, de constructions architectoniques divines. Le sacré revient au galop avec la présence des voix a capella du groupe A Filetta et de musiciens sur scène qui répondent aux danseurs.C'est comme pour un meilleur ouvrier de France, la balade initiatique de Cherkaoui dans le minéral. Les groupes sont cohérents, habités par une présence méditative, enchantée Ils nous ravissent, nous captivent en haleine, le souffle coupé, l'attention en apnée.C'est à la fois japonais, musulman, totalement métissé, bigarré, pluriculturel et cultuel.
Le pari de faire vibrer la carrière semble gagné, les échos résonnent dans la nuit comme autant de signes mystiques auxquels on adhère sans contrainte ni discours.Comme un rituel, un sacre des corps, tout de noir vêtus qui hantent la carrière et font bouger les parois d'un monde en cassures, ruptures et dislocation perpétuelle. L'avalanche et la dérive des continents est proche de celle des corps, souples et contorsionnistes qui gravitent dans cet espace unique et magique.La sculpture y est évoquée comme référence incontournable des icônes du corps: on songe à Rodin, Falguières ou Carpeaux et à tous les compagnons tailleurs de pierre des cathédrales!
Quant à Christian Rizzo avec "Sakinan Göze Cop Batar" (c'est l'œil que tu protèges qui sera perforé), c'est aux fondamentaux du chorégraphe-scénographe et plasticien que l'on revient avec bonheur.
Le dispositif est sobre et sur un plot de bois qui va se transformer sempiternellement, est juché un personnage, arpenteur de vie, sac au dos, marcheur apaisé au repos, figé qui nous attend pour démarrer sa route. Tout au long de cette pièce, délicate et fragile, il nous embarque avec lui sur les sentiers de l'espace, des objets qui animent sa pensée. Kerem Gelebek danse, tout simplement, gracieux dans une fluidité et une suspension aérienne.De l'audace, du risque dans cette balade, comme un auto portrait du chorégraphe qui se retrouve avec cet interprète des fétiches de Rizzo.
Poétique et calme, baigné de sérénité, cette pièce est sobre et très évocatrice des multiples chemins que l'on peut emprunter dans la vie Joyeux voyage que cette ode à l'errance et la divagation, aux chemins de Compostelle qui mèneraient où l'on veut, sans foi ni loi mais avec détermination et ravissement.
Régine Chopinot, elle aussi part en voyage, en Nouvelle Calédonie avec "Very Wetr" et sa nouvelle compagnie "Cornucopiae".C'est la culture kanak qui la fascine durant un long périple initiatique où elle parcours le pays et ses coutumes.Elle y découvre la danse et le chant rituels, l'amitié et la simplicité Chopinot en ramène pour le Cloitre des Célestins, une fresque légère, sobre et enjouée, à l'image de ses hommes et femmes simples et fidèles. Jean-Paul Gaultier en signe de somptueux costumes, à la fois brutes et sophistiqués, en rien caricaturaux d'une civilisation "à plumes" et paille. C'est beau et vivant, drôle et jamais montré comme des bêtes de cirque venues d'un pays lointain pour une exposition coloniale. Chants, danse, rythme, humour et tendresse en font un spectacle jubilatoire à l'image de la chorégraphe qui nous offre un solo très contemporain parmi cette gestuelle tribale et loufoque. Elle s'y plait et s'y retrouve et c'est bien ainsi, revendiqué comme tel. Aux détracteurs de mauvais poils, salut!
Jérôme Bel, quant à lui, se fourvoie dans le flou et le convenu dans "Disabled Theater", pièce conçue pour des acteurs handicapés mentaux de la compagnie suisse "Thaater Hora": une stupide manipulation des handicaps pour soit disant montrer que les différences n'existent pas. Leurre et falsification, méprises et grossièreté du jeu et de la manipulation sur scène de personnes différentes qui n'ont rien à y faire, pas même danser alors que c'est bien dans l'art du geste, du bougé et du mouvement qu'ils nous dépassent largement.
La SACD, elle, présentait comme à l'accoutumé "Sujets à vif", deux séries de quatre propositions artistiques, présidées par la notion de métissages des genres et des arts. Les rencontres des programmes A et B furent jubilatoires!Toujours dans la très belle et douce cour du jardin de la vierge du lycée St Joseph, ces quatre propositions de 30 minutes firent mouche!
D'abord "Sonata Hamlet", une commande à Mitia Fedotenko avec le musicien Bertrand Blessig et avec "les circonstances" de François Tanguy: la pièce est un petit manifeste, très soviétique, à "Hamlet Machine" de Heiner Muller, un solo décapant, usant de toute la machinerie corporelle de l'acteur-danseur Mitia Fedotenko. Belles astuces de mise en scène, verbe cru et corps en révolte pour un espace partagé avec avec une musique tonitruante ET ENGAG2E
"La fille" une pièce signée de la féroce Aude Lachaise, aguerrie aux textes qu'elle écrit sur le corps, le sexe et le plaisir est un régal d'inconvenances, de pieds de nez à la bienséance et aux conventions de la société. En bonne compagnie, celle du comédien Michaël Allibert, elle tisse mots et gestes, clins d'œil et coquineries sur le propos du corps, celui qui vit, jouit, éructe bande et tangue de plaisir. Cette pièce ressemble à la danseuse-plasticienne-performeuse qu'est Aude Lachaise, avec brio et justesse.Charivarieuse à souhait, chahuteuse et très dans le vif du sujet, la voilà endiablée sur scène, convaincante et émouvante aussi. Qu'ell "fille" que voilà!
"Le vertige" autre pièce de 30 minutes convoquait l'écrivain Olivia Rosenthal à la rencontre avec la circasienne Chloé Moglia pour une évocation du vertige sur une variation du "Vertigo" de Hitchcock.
Rappels sur la sémantique du mot "vertige", philosophie salutaire du corps en état d'équilibre-déséquilibre, c'est une pièce drôle et pleine de suspens et de "suspensions" acrobatiques. Le rêve, l'onorisme s'envolent et s'y déploient avec poésie, engageant le corps du spectateur dans un exercice de voltige physique et intellectuel de bon aloi!
Ca fait du bien et les deux complices sur le plateau et dans les airs nous font parcourir bien des contrées d'investigations spirituelles.
La part belle à "Projet Luciole" (théâtre philosophique) sur une proposition de Nicolas Truong, essayiste et journaliste au Monde.Joué par la formidable comédienne Judith Henry et le génial comédien Nicolas Bouchaud, le projet s'articule sur l'évocation de départ des lucioles: leur disparition du paysage nocturne.A partir d'un savant collage de textes d'auteurs de référence, sont convoqués les fantômes des ouvrages livresques ou des initiateurs des textes. Les livres tombent en rafale des fenêtres, s'abattent au sol, évoquent les absents. Mais l'amour et l'amitié survivent et le jeu jubilatoire des deux interprètes inonde le plateau pour le meilleur.Les "lucioles" refont surfacent, métaphore de la joie, de la lumière, de la complicité avec la nuit des temps. Judith Henry grimace, frétille, se meut comme une ballerine, oiseau de nuit, émouvante, charmeuse et envoutante.Son partenaire déborde d'humour et de distanciation le duo est brillant , leur numéro, unique, vif, en plein dans le mille du "Sujets à vif": vif argent, pétillant, déroutant, multiple et prolixe dans toutes les répercutions qu'il pourra avoir sur le reste de votre journée!

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