vendredi 9 décembre 2011

"Loredreamsong" de Latifa Laâbissi: quand des ectoplasmes dévoilent une certaine matérialité de l'hypocritie...

La compagnie "Figure Project" dirigée par Latifa Laâbissi est "hantée" par une préoccupation récurrente: dénoncer les ostracismes, dévoiler toutes les figures de la manifestation de l'intolérance, du racisme: toutes "les différences" qui subissent injures, humiliations, qui sont bafouées et meurtries.Avec "Loredreamsong", cette petite musique de nuit qui se niche en chacun, signal d'alarme ou de détresse, elle signe en compagnie de sa fidèle comparse, Sophiatou Kossoko, une pièce riche en rebondissements humoristiques et sarcastiques.
Deux jolis fantômes sautillent et virevoltent à l'envi, à l'image d'autant de figures de rhétorique sur le sujet brûlant qui les tarabuste: le racisme. On découvrira par la suite quand nos deux ectoplasmes se dévoilent, qu'elle est "blanche" que l'autre est "noire" et que chacune s'exprime dans son langage qui peu à peu devient le même.
La "femme arabe" et la "femme noire" revêtent les atours du singulier-pluriel, dans la joie, le respect, l'humour et la distanciation.Belle prestation de ses deux danseuses dont l'une est passée par les chemins de traverse d'un Boris Charmatz et d'une Robyn Orlin.
C'est peu dire sur la rigueur et l'authenticité de leur propos et de leur jeu , jamais gratuit, jamais fortuit; toujours juste et impertinent.Nadia Lauro signe ici la conception scénographique, sobre et efficace, Olivier Renouf au son affute son compagnonnage et sa complicité avec nos deux protagonistes.Un ouvrage de "dames" très osé, très indiscipliné pour énoncer parfois l'indicible, pour montere l'invisible de nos pulsions pas toujours avouables.
La différence a droit de cité dans l'agora de la danse!

lundi 5 décembre 2011

Crazy Horse: le film, le livre, les croquis: crazy!!!!

En vogue bien sur, mais de tout temps, le "Crazy Horse", célèbre cabaret parisien, a donné lieu à un documentaire de création atypique, "Crazy Horse" de Frédérik Wiseman.Déjà auteur du très beau documentaire sur l'Opéra de Paris et son Ballet, le scénariste prend à bras le corps son sujet et nous fait pénétrer dans les coulisses du temple mondial de la sensualité.Troisième institution française après la Comédie française et l'Opéra de Paris, s'il vous plait!!! Au cœur du plus avant-gardiste des cabarets parisiens, la caméra du documentariste américain suit le metteur en scène Philippe Decouflé et Ali Madhavi, directeur artistique, qui réinventent les numéros de la célèbre revue de danseuses nues.Découvrez la vie du Crazy, des répétitions aux représentations publiques!!!Les premières images sont kaléidoscopiques, la caméra frôlent les corps nus, sculpte les fesses arrondies des danseuses sans pudeur: c'est bien la lumière qui les habille et non un oeil de voyeur.Indescent? Jamais, car le propos du chorégraphe et de l'institution se rejoignent pour manifier la femme, la décaler de son image de petit soldat à la frange coupée court à la Louise Brook.
Les "dessous" du Crazy s'affichent lors de scènes de tournage du quotidien: salon d'essayage, de coiffure, visionnage déconcertant d'un bêtisier du Ballet du Bolchoi....Les filles sont croquées "nature", belles, simples, artistes exigeantes découvrant une gestuelle habitée par Decouflé qui tente de leur faire passer un autre "phrasé", érotique dans sa sobriété. Le pari n'est pas gagné pour lui quand il se confronte à la mécanique bureaucratique de l'institution parisienne et de ses actionnaires! Mais il tient tête et l'entreprise est réussie.Des images du cabaret, seaux de bouteilles de champagne translucides, verres pétillants, ambiance calfeutrée et cosy: tout y est pour entrer dans cet univers de rêve ou l'inaccessible beauté des corps devient réalité. Intouchable, certes!!! Voici un grand documentaire qui fera date! Intrusion dans l'univers d'un casting aussi: une scène plus vraie que nature, insolite, implacable réalité incontournable?,impitoyable : ce sont les plus belles fesses et cambrures qui gagnent..."Obscène", ce film? Oui dans la mesure ou il dévoile l'arrière scène, celle qui se dévoile, ses coulisses, ce qui se passe derrière le rideau.Alwin Nikolais serait ravi de voir que son art de la lumière, des formes , des volumes est transcendé, magnifié sous la houlette de son fiston spirituel: Decouflé décidément en pleine possession d'un imaginaire fécond, respectueux et innovant.

Deux livres accompagnent cette coqueluche "Crazy":
"Crazy" par Antoine Kruk, couverture de velours rouge et croquis de danse savoureux...(éditions Eyrolles 2011)
"Crazy Inside" de Corinne Decottignies, photos de Antoine Poupel. (éditions du Chêne E/P/A, photos)

mardi 29 novembre 2011

"Mues" installation chorégraphique de Nicole et Norbert Corsino: la théâtralité spectrale de l'icône chorégraphique

Ces deux chorégraphes de l'image qui ont depuis presque trente ans basculé de la scène à l'écran sont aujourd'hui auteurs des plus pertinentes fictions chorégraphiques, écrites pour de nouveaux territoires de la danse.Ils ont inventé sur la page blanche des écrans l'écriture singulière de leur imaginaire, basé sur les plus solides et innovantes techniques du monde de l'image et des signes virtuels. Leur dernière création présentée à l'occasion du Festival de Danse de Cannes 2011 en est la plus impressionnante illustration.
"Mues" est le titre de cette nouvelle œuvre, installation présentée dans l'espace dépouillé de la salle "Miramar" à Cannes.Entièrement dédiée à une réflexion sur la nudité, l'apesanteur et l'extrême virtuosité d'un ralenti du mouvement, cette installation de six écrans de format rectangulaire, posés à la verticale sur des supports, se révèle aux sensations du spectateur, immergé dans une atmosphère d'un calme et d'une sérénité radieuse.
Le corps nu y est exploré à travers la lente chute ou le paradoxal rebond d'un corps dansant. L'illusion du ralenti extrême touche et fait se mouvoir notre pensée au rythme de cet exercice inoui du corps en quasi apesanteur.
Chaque écran est un tableau mouvant qui offre en perspective une approche de jamais vu, de jamais vécu tant le fondu, le flouté est synonyme d'anti-gravité, de rêve non incarné de chute sempiternelle d'un corps léger, diaphane quasi fantomatique.
La texture en semble immatérielle, comme une cire translucide qui fait se renverser les codes, basculer les principes et critères reçus de verticalité, d'horizontalité. On échappe ainsi à la gravité, on s'affronte à l'irréel par l'analyse complexe des données du mouvement passées au crible par la scientificité des outils . La 3D entre autre qui modélise ces corps suspendus, immergés comme dans une eau scintillante de lumières.
Quelques icônes réagissent au passage du spectateur, les mots d'un texte-écran se lovent dans la danse de celui qui fait face à l'écran. Les mots inscrits dansent, se transforment, muent comme des chrysalides, des enveloppes qui se déploient.Une expérience unique de chacun donne vie au corps du texte. Lui permet de prendre forme, volume et volutes au gré de la déambulation.
Une autre image encore: celle d'un corps féminin, gracile posé dans un parterre d'herbes fines, mobiles, stabiles, mues par un mouvement incessant.
Belle rêverie poétique à la lisière de nouveaux horizons pour les Corsino.Une grande sobriété des effets en place confère à cette mise en espace du "ralenti" ,à cette fiction du mouvement qui n'existerait que sur l'écran un caractère fascinant, hypnotique Absorbant aussi, proche d'une méditation, d'une spiritualité de la démarche des eux créateurs dans son acceptation  d'intelligence du monde au delà des apparences. "Mues" c'est aussi la métamorphose du corps, sa splendeur virginale, éprouvée ici par son aspect spectral, laiteux, virtuel.
Une fois de plus, cette danse de l'impossible est rendue perceptible, visible comme une expérience des sens en alerte, en éveil. De quoi brouiller les pistes du sensible par une sensualité des médias employés. Et de surcroit revoir la danse comme "médium multiples" qui tisse et conjugue la beauté.