jeudi 11 décembre 2025

Pièce sans acteur(s) , François Gremaud et Victor Lenoble : en attendant l'absence...Deux parturiantes sous maieutique.


 On connaît le théâtre sans décors, sans costumes, fait seulement de la présence humaine qui habite le plateau. Avec Pièce sans acteur(s), François Gremaud et Victor Lenoble poussent l’expérience plus loin encore : plus rien sur la scène désormais que deux hautes enceintes à cour et à jardin, d’où s’élèvent une voix, puis deux, de la musique. De quoi parle-t-on ? Des comédiens eux-mêmes, jouant une autre pièce, ailleurs, bien réelle, elle (ou pas ?). De poules, de ballet, de Goethe, d’une biche qui entrerait soudain en scène... et on se surprend à ressentir cette puissance des mots à faire émerger mentalement tout un monde. Mais d’où viennent ces voix, qui dialoguent si spontanément apparemment ? Sont-elles enregistrées ? Dans ce minimalisme à haute teneur poétique, c’est du théâtre qu’il sera question finalement, de ses artifices et de ses dissimulations, du plaisir qu’il procure, lorsqu’il redouble le monde dans ses moindres détails ou lorsqu’il est réduit à son plus simple appareil.

Il y a eu des pièces sans danseurs dès 1917 avec "Feux d'artifice" de Giacomo Balla, voici une pièce sans comédien... Il y a eu des jours de "relâches" sans relâche mais avec "entr'acte" du temps de Picabia, Clair,Satie et Borlin pour l'opus "Relâche" des Ballets Suédois


..Voici une pièce de jeu sans pion, ni roi, ni reine mais avec des diagonales de fous..Deux enceintes sur scène: c'est pas une rave party avec ses murs d'immenses enceintes, ni celles de Pierre Henry pour ses sculptures sonres.amoncellement de hauts-parleurs, empilés tels les robots de Nam June Paik...Deux personnages immobiles, figés bien ancrés sur la plateau nu. Des mots sourdent de "la bouche" de chacune des enceintes. Ce sont d'abord ceux de Victor Leconte qui nous raconte la genèse de l’expérimentation: donner la parole puis le son puis les deux simultanément à ces colonnes, totems muets et statiques. Et ça marche: peu à peu, les deux enceintes prennent vie, accouchent à tour de rôle comme des acteurs dans leurs rôles respectifs. Les deux auteurs comme des écrivains confiant leur textes à ces bouches bées. Au tour de François de s'exprimer, de dire son avis et de faire avancer le schmilblick..Face à nous, tout semble s'animer et si une biche vient bientôt faire partie du voyage, c'est aussi désincarnée, absente, arlésienne diaphane, spectre bienveillant en rupture avec la chair. C'est un leurre et tout se renforce par une mise en abime souhaitée par les acteurs virtuels. Faire une pièce qui raconte celle ci mais en chair et en os. Alors pourquoi pas s'y atteler et nous monter ces deux protagonistes sur scène, costumés en enceinte. La maïeutique semble opérer et l'on imagine le tableau vivant et désopilant de ce show hors pair. Un gros travail pour le spectateur, obligé de se faire son film avec images et humour. Beaucoup de tendresse dans ce dialogue entre machine, robot bien bâti comme de sculptures sonores. Rien d'autres que leur présence habitée par l'absence des comédiens: absurde en diable à la Ionesco, une petite heure durant, le piège fonctionne jusqu'au coup de théâtre final.


Il y a bien un faune dans la cage et un humain dans l'autre habitacle. Après une description d'une séquence de "L’après-midi d'un faune" de Nijinsky/ Roerich/Debussy suite à une panne de courant nous ramenant dans le silence et l'obscurité totale. 


C'est bluffant et plein de fausses routes, de leurres, de farces et attrapes de bon gout.On image les nymphettes à la Duncan virevolter auteur du faune -comme Charlot dans son film "une idylle au champ"- alors que rien ne se passe excepté dans notre imagination. Alors à quoi bon se flageller et mettre en place des dispositifs lourds et encombrants, alors que l'imagination peut faire le reste! Un musicien par pupitre suffirait pour l'orchestre!Coup de théâtre final quand les deux auteurs-comédiens-metteurs en scène sortent des cages des enceintes...Les créatures ainsi évacuées et engendrées sont bien de beaux bébés réels. La maïeutique a opéré et longue vie à cet opus et à celui qui n'aura jamais lieu: le récit par deux acteurs de ce que nous venons de voir! Les coquins! Le "Theâtre et son double" d'Antonin Artaud en filigrane, sur la perte et la vacuité...Deux enceintes, "une porte et un soupir", on ira loin...

Au Maillon les 9 et 10 Décembre 

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