jeudi 23 mai 2013

"Les étonnistes 2 " et Andréa Sitter se "positionnent! En dehors, en dedans!"

Les étonnistes"
Quel beau manège de détonnants personnages!


Que voici un OVNI du spectacle vivant, pour une programmation concoctée en ce début de soirée du mercredi 22 Mai par Pôle Sud et le FRAC Alsace
Yan Duyvendak, Julie Nioche, Michel Schweitzer et Chloé Moglia sont-ils un quatuor, un trèfle à quatre feuilles, un morceau à quatre mains?
A quoi jouent-ils, que font-il sous l’œil vigilant de Stéphanie Aubin ,metteur en scène,qui interroge le rapport à l'art entretenu différemment par chacun des acteurs.
Grâce à un dispositif de casques er de micros chaque spectateur rentre en contact avec un artiste sur le mode du récit et de la confidence.Proximité oblige, on devient complice de ce théâtre vivant, subjectif ou chacun peut imaginer la partition de son choix et de son imagination guidée par les protagonistes du spectacle."Etonnez-moi" demandait Diaghilev à Cocteau on l'on créa "Parade" en 1917, spectacle loufoque et provocateur à souhait qui fit scandale...en son temps
Ici pas de bruit mais un joli remue-méninges, remue-ménage à la hauteur des ambitions de la chorégraphe.Entre scène et salle le dialogue s'installe et nos quatre "fortes personnalités" sèment le trouble et nous tende un miroir réfléchissant derrière lequel se trament mille et un phénomènes décapants.Chaque spectateur, casqué, est témoin de la parole d'un des artistes.Il en reçoit le discours, les murmures, ou simplement visualise ses faits et gestes sur scène. Scotché à l'un d'entre eux, on est séduit ou agacé. On se concentre tant la tentation de suivre aussi les ébats des autres est présente.
Alors que Michel Schweitzer nous conte son rapport intellectuel à l'art, Julie Nioche danse le boléro de Ravel, version Béjart. On apprendra plus tard pourquoi, en changeant de partenaire "de casque". A 13 ans, elle est émue et ébranlée par la vision de Jorge Don dans "1789" et tout bascule pour elle: elle entre en danse, en coup de foudre amoureux.Elle nous suggère alors, couchés sur la scène, de se remémorer une scène originelle et nous hypnotise à l'aide d'une voix douce et envoutante.
Quand le spectacle se termine, le public échange avec ses voisins. Et vous qu'avez-vous appris, entendu des autres partenaires? On est un peu "jaloux" de ne pas avoir suivi Julie Nioche ou Duyvendak, interprètes plus "libres" que les deux autres....On a envie de recommencer l'expérience!


"La cinquième position, une chronique dansée" de Andréa Sitter.
Dehors, dedans!
On connaissait "Le bassin de la danseuse classique" de Louis Ziegler, et bien à présent laissons nous conter les fantasmes de la chorégraphe allemande Andréa Sitter à propos de la plus curieuse position de code de la danse classique, "la 5ème position": posture aux risques et périls de la déformation des hanches, attitude au antipodes du confort et du naturel organique!
Torture ou jouissance de formater cette figure de proue, de prouesse emblématique d'un abécédaire académique brûlant de douleurs ou de souffrance.
Le solo de Andréa Sitter rend hommage aux chorégraphes qui ont su s'en servir comme une marque de fabrique pour leurs interprètes torturés ou consentants! Elle apparait, ravie et souriante, nous présente avec ses vdeux chaussures croisées, la parfaite positiuon, qu'elle va délibérément abandonner pour se livrer à un hommage à Nijinski, celui qui balaya ven son temps toutes les conventions académiques de langage et de scénographie.
Elle brandit son trophée, un"Nijinski" de la danse et nous conte son histoire, ses rencontres artistiques, ses "maîtres" de ballet contemporain.
Gracieuse, volubile, enjouée, André Sitter séduit et enchante, malicieuse et convaincante.Sa dernière apparition, vêtue de rouge, coiffée d'une couronne de fleurs, les pieds gainés de pointes rouges, est émouvante et précieuse.
Son "histoire de la danse à sa façon" enseigne bien plus que les livres de référence sur la danse et l'on referme son carnet secret avec respect et émotion.
Se livrer ainsi, se délivrer comporte des risques et une volonté de se mettre "à nu" qui opère et laisse rêveur.Si la 5 ème position n'est qu'un prétexte, elle est bien le lieu de la déclinaison de la fidélité de l'artiste à ce et ceux qui l'on construite.Sans renier personne, surtout ses choix personnels, induits par ses racines!

Encore une soirée riche et fertile qui permet à chaque spectateur de repartir à la conquête de son propre espace de liberté, convaincu sans doute que la danse d'aujourd'hui a beaucoup à nous apprendre, si nos "maîtres" sont justes et sans contours d'artifice.

mercredi 22 mai 2013

Festival Nouvelles Strasbourg-danse-performance-:un chantier bouillonant!

Première soirée d'ouverture officielle ce mardi 21 Mai de la 23 ème édition du festival "Nouvelles" à Strasbourg, initié par Pôle Sud depuis l'origine.
L'eau a coulé sous les ponts de l'Ill depuis, la structure a tissé de nombreux partenariats, dont cette année encore celui avec le FRAC Alsace et la HEAR.
Démarrage en trombe avec la performance de Jozsef Trefeli et Gabor Varga ""Jinx103", un duo "suisse" ou helvète de la plus grande originalité.
Un "branle" bas de combat!
Ils sont tous deux d'origine hongroise et revendique pour cette prestation, au studio, tout près du public, leurs origines mêlées de danses dites traditionnelles ou folkloriques.Le ton est donné, juste ,rythmique, scandé du bruit de leurs pas sur le sol. Auparavant ils se sont amusés à se mesurer à définir un espace corporel à l'aide d'une guirlande rouge et blanche? ruban de chantier urbain.
Une balise dès lors qui va fonctionner comme un métrage, une frontière, une limite.Souriants, légers, les deux danseurs virevoltent sous nos yeux devenus "fertiles".A l'unisson, puis en écho et canon, leurs figures très virtuoses, exigent concentration et précision. On se plait à y reconnaitre postures et gestuelles empruntés au folklore suisse et autrichien, à cette géométrie de l'espace corporel propre à un langage très mathématique , très "tyrolien" aussi avec jeux de jambes, de genoux, frappés corporel, changements de direction....Rythme endiablé, toujours à l'écoute l'un de l'autre, en osmose dans une belle complicité performative. A vous couper le souffle parfois, tant la tension et la précision semble pourtant si simple, si naturelle à assurer, coulant de source vive.Ils oscillent en déséquilibre, chancellent, esquivent les gestes, décalent les espaces en autant de scènes de vertige.
Les langages se mêlent opérant une fusion des cultures, des styles, des genres. Du bel ouvrage pour cette revisitation de la "czardas", leur danse d'origine.Ce "branle" hongrois contemporain dès lors, ébranle les traditions et relooke avec bonheur ce que l'on aurait pu consigner avec dédain dans les placards de la mémoire.La musique de Frédéric Jarabo mêle aussi les genres qui se fondent les uns aux autres et donnent une tonicité réjouissante à cette prestation qui faisait ce soir là office d'apéritif, de mise en bouche d'une longue soirée.


Lettres dansées,missives épistolaires télégraphiques.

Lui succède "From B to B", une pièce chorégraphiée et dansée par Angels Margarit et Thomas Hauert.
Elle est espagnole, il est allemand. Une génération les sépare, leurs origines aussi, leur formation, leurs parcours divergent. Mais ici, il s'agit bien d'une rencontre, d'une connivence et complicité recherchée et trouvée. "B" comme Bruxelles ou Barcelone leur inspire une architecture et un joli combat pour défendre leur territoire respectif. Des lettres géantes, comme autant d'éléments plastiques pour un nouvel alphabet chorégraphique seront leur matériaux de base. Construire, assembler, déconstruire à l'image de leur gestuelle, un paysage chorégraphique original et décalé.
Comme deux "facteurs" ils transportent leurs lettres, racontent des histoires de verbes, avec des mots qui s'inscrivent dans l'espace du regard.Comme de bonnes "nouvelles" à partager.
Ils improvisent une danse aléatoire basée sur les appuis, l'exploration du rapport au sol, les incidents ou rencontres de corps dus au hasard de la composition instantanée.Le décor comme un château de carte s’effondre, se reconstruit pour bâtir autant d'univers que d'indices à déchiffrer selon le vocabulaire de langues différentes: l'espagnol bien sûr, où chaque évocation verbales s’inscrit à l'aide d'une définition de dictionnaire comme un glossaire de mots choisis délibérément à cette occasion. Danser les mots, inventer un langage pour les vivre et non pas les illustrer: bel exercice de style ou la syntaxe s'invente et se lit comme autant de "nouvelles" littéraires, dansées!
Les corps racontent des histoires, comme une narration sans objet, mais remplie des sujets qui les animent.Comme autant de cartes postales et de "bons baisers" de tous pays adressés à nous, spectateurs destinataires privilégiés!

"Chantier 2014/ 2018" (études pour percussions, voix et gestes): la brèche est ouverte.

Encore un "chantier" en devenir, une brèche qui s'ouvre dans le parcours de François Verret, un autre chorégraphe des années 1980, celles de l’avènement de la lumineuse et désormais légendaire danse contemporaine française.Ce projet s'inscrit dans le vaste paysage des années 1914/ 1918, celles de la guerre, de la mémoire, partageant ainsi un soucis de souvenir collectif, d'impact émotionnel.
Cette première proposition est celle d'un atelier où les protagonistes se confrontent et improvisent sur le sujet.
Jean Christophe Parré sur scène, au creux du studio, transformé en laboratoire, manipule les croix d'un cimetière garant de la mémoire. Ces croix sont lourdes et chargées d'histoire: un reliquat de l'anonymat des cimetières militaires de guerre, rassemblant les corps de soldats inconnus au sommeil troublé.
Alors que Jean-Pierre Drouet manipule une petit magasin de percussions de son cru, avec force bruitages et sons inouis.
Charline Grand égraine des mots, des phrases construites sur ce son, "mémoire" et percussions de l'âme.Elle conte ce que l'on observe.
Le danseur manipule des hallebardes métalliques qui résonnent sur un sol bruissant en direct. Danse des battons? Mikado géant, décidant des postes de hasard à attribuer au pouvoir politique ou militaire?
Autant de questions qui ouvre le débat: "la danse est un art de combat" qui, met à jour, ouvre un chantier qui n'est pas prêt de se refermer...A suivre sur le front du mouvement tectonique de la création, vaste brèche, faille où se glisser pour mettre à la lumière les questions de notre temps.

Soirée "mémorable" à Pôle Sud sous les plus fameux des auspices de la découverte!!!

samedi 18 mai 2013

"Les pêcheurs de perles" à l'Opéra du Rhin: une immersion salvatrice dans l'univers de Bizet


Cet opéra de jeunesse-Bizet l'écrit alors qu'il a tout juste 25 ans- est une perle rare, un petit bijoux datant de 1863, dont le livret écrit par Michel Carré et Eugène Cormon, situe l'action sur l'île de Ceylan: un grain exotique que la nouvelle mise en scène de Vincent Broussard veut éloigner de toute teinte folkloriste.
Cette localisation permit à l'époque au jeune compositeur de laisser libre cours à l'exploration des sentiments de chacun des personnages. L'intrigue est complexe, récit de péripéties amoureuses, de serments d'amitié au sein d'une communauté de pêcheurs, dont le chef Zurga et son ami Nadir seront les protagonistes.

Leur lien, c'est un amour pour la même femme qu'ils délaisseront au profit de leur amitié. Mais le sort en décidera autrement.Ce drame lyrique, proche du grand opéra est ici revisité comme une matière première qui ne trouve de raison d'être que dans sa forme musicale.La mélodie, les accords, les instruments expriment subtilement les sentiments et donnent un charme teinté d'exotisme à cette œuvre  plus que séduisante.
La mise en scène opte pour déployer la présence des quatre éléments dont la forte présence de l'eau tout au long de l’œuvre.La mer, la tempête comme autant de métaphores du drame pour mieux insister sur les tumultes de l'amour qui déverse ses flots. Flux et reflux, vagues à l'âme, pour mieux cerner l'intrigue et ses émotions.Comme dans une immense arène façonnée de six arches, les personnages évoluent dans une atmosphère aquatique rendue par les reflets de l'eau qui recouvre le plateau.
Les images ainsi projetées en fond de scène contribuent à créer une ambiance baignée de lumière, de mouvements calmes qui vont crescendo augmenter la tension du drame.

photo Alain Kayser
Très bel accompagnement visuel qui fascine et immerge le spectateur dans l'évocation subtile de la mer.Le chœur s'y révèle magnifié, comme flottant au dessus des tumultes de l'action, suspendu, en "plongée".
Annick Massis dans le rôle de Leila est étourdissante, les voix de Sébastien Guez (Nadir) et Etienne Dupuis (Zurga) sont
 en pleine maturité et Jean Teitgen dans le rôle de Nourabad séduit par sa verve.
Quant aux costumes signés Christian Lacroix, artiste et artisan créateur pour l'opéra de longue date, ils évoquent une époque plutôt XIX ème siécle dans un théâtre à l'italienne.
"En tant que costumier, j'ai mon rôle d'illustrateur" confie le couturier.Imaginer, illustrer l'ambiance, cerner les contours des personnages et des costumes qu'ils porteront pour mieux les définir.
Une ambiance de gravures du XIX ème siècle, sombre, grave: tout ce que l'on n'attendait pas d'une œuvre, dite chatoyante, aux couleurs de Ceylan!. Une belle réussite comme pour évoquer l'ambiance d' un clair de lune, drapé de soie, dans la tradition du vêtement noir, qui contient toutes les couleurs.
Et de plus le couturier a travaillé à partir de stocks de costumes que possède l'ONR:redonner vie à un costume plutôt que de le laisser dormir et de créer un costume neuf qui aurait moins d'âme! 
Les silhouettes des chanteurs sont magnifiées par ces atours délicats dans la lignée du travail sur les matières et les formes, cher à Christian Lacroix.Le noir est de mise, particulièrement pour le chœur, chacun des chanteurs arborant fièrement des atours dignes d'un tableau de maître.On souhaiterait presque les admirer un à un en catimini, pour le plaisir d'y découvrir chaque pli, chaque perle, chaque échantillon de dentelle noire ajourée.Du grand art , une fois de plus de la part du couturier "touche à tout"!
Ces "Pêcheurs de perles", comme un collier précieux à égrener est du bel ouvrage, inédit, surprenant et interprété à merveille par l'Orchestre Symphonique de Mulhouse et les chœurs de l'Opéra du Rhin dirigé par Patrick Davin.
Au final, le soir de la première, c'est en chaussant "les bottes de sept lieuX" que les protagonistes de la mise en scène et des costumes, viennent saluer un public conquis, ovationnant les chanteurs.

à Strasbourg jusqu'au 30 MAI, puis à Mulhouse à la Filature les 7 et 9 Juin
www.operanationaldurhin.eu