Ce beau film de vampires est très incarné. Jarmusch joue
modestement avec les codes du genre pour poursuivre sa réflexion
mélancolique sur l'état du monde, et sur sa place à lui. A travers le
portrait d'un couple multi centenaire, il se demande : comment vivre
quand on a déjà vécu plusieurs vies, a fortiori au sein d'une humanité
qui semble aller toujours plus mal ?
Sa réponse : il faut de l'amour, de la musique, des voyages immobiles
et transatlantiques, des vagabondages nocturnes bras dessus bras
dessous et, parfois, du sang frais... Ils sont sublimes, Tilda Swinton
et Tom Hiddleston, longues silhouettes d'adolescents, teint pâle et
lunettes noires. Elle vit à Tanger, lui à Detroit (ils sont mariés
depuis des siècles, se voient de temps en temps ) : deux villes filmées
par Jarmusch avec une curiosité inquiète, et, souvent, une grâce
irrésistible.
L'humour « lo-fi » du cinéaste opère à plein - beaucoup de
références ironiques à des célébrités des siècles passés. Tilda Swinton,
inquiète de l'humeur suicidaire de son amant, dit en vouloir toujours à
ses mauvaises fréquentations d'autrefois, comme Byron ! A Tanger, elle
fréquente Christopher Marlowe (John Hurt), manifestement devenu
vampire, au contraire de son exact contemporain Shakespeare... Et si les
deux héros n'ont rien dans leur frigo, ils sont, dans leur freezer, des
glaces comme on en a jamais vues, sans doute, sur un écran.
Un peu long, le film déploie cependant ses trouvailles et ses
charmes jusqu'à la dernière seconde : la fin est magnifique. Ceux qui
adorent, plus ou moins honteusement,
Les Prédateurs avec Deneuve et Bowie, aimeront au grand jour
Only Lovers Left Alive comme une version arty, détachée et contemporaine du film de Tony Scott...