dimanche 28 septembre 2014

"Jeunes compositeurs" à Musica: vivent les jeunes pousses!

Depuis 2013, Philippe Manoury enseigne la composition au Conservatoire de Strasbourg. Emmené par Armand Angster, l’Ensemble de musique contemporaine du Conservatoire présente les travaux de trois des élèves de la classe de composition.
 
Il y a certainement une « dynamique strasbourgeoise » bien spécifique. Un environnement propice à l’épanouissement de jeunes talents, motivés par la présence dans la capitale alsacienne de nombreuses personnalités œuvrant à l’inscription de la création musicale au sein du Conservatoire et de l’Académie supérieure de musique.
Compositeurs et interprètes réunis, les conditions sont posées depuis de nombreuses années pour accompagner et motiver les jeunes musiciens dans leur parcours et leur relation avec la musique d’aujourd’hui.
L’arrivée à Strasbourg de Philippe Manoury vivifie plus encore cette réalité. Avec Tom Mays, Armand Angster et Olivier Achard, il est en quelque sorte le parrain des trois pièces en création, travaillées depuis de longs mois dans le cadre de la classe de composition.
Si Charles David Wajnberg et Aurélien Marion-Gallois (tous deux nés en 1980) sont venus à Strasbourg pour poursuivre un cursus déjà bien avancé, on découvrira avec curiosité les premiers pas d’Étienne Haan, jeune strasbourgeois (né en 1992), tout récemment primé au concours  de composition d’Isla Verde Bronces en Argentine.
Alors le résultat?
Ils ont bien de la chance ces étudiants, car il s'agit bien d'une pépinière de jeunes pousses prometteuses!
Pour preuve "Lithium" de Charles David Wajnberg, une création mondiale pour évoquer le monde alchimique du métal, des matières sonores et des strates de la musique.
Très inspiré par sa formation de chimiste et mathématicien , de philosophe, ce jeune homme, très clair dans ses propos en prologue du concert, avoue travailler sur les les traces de la musique spectrale, sur celles de ses maitres contemporains pour intensifier l'aspect non narratif de sa musique.
En jaillit une belle tectonique des couleurs et matériaux sonores enchevêtrés, superposés.Les états sonores, comme les états gazeux ou liquides, se fondent, s'amalgament , se cristalisent pour mieux nous immerger, nous tremper dans le bain chimique de la transformation des sons.
S' y révèlent des fragrances sonores, des états, des sensations aussi spatiales fort intéressantes et captivantes.Sur sa "paillasse" d'alchimiste, ce jeune compositeurs peut encore aller plus loin dans la création de nouvelles textures et fusions étranges Musique déstructurée ou moléculaire comme la cuisine de Thierry Marx, voici un bon remèdevsalvateur inédit contre la morosité
Les synthétiseurs en prime, histoire de ne pas renier le passé proche de l'histoire de la musique d'aujourd'hui!

 

"Quai Ouest": embarquement immédiat!

Une création mondiale, commande de l'Opéra National du Rhin et de l'Opéra de Nuremberg, coproduction avec l'Opéra de Nuremberg.(Staatstheater Nürnberg)
Une première représentation proposée dans le cadre du festival Musica, qui tient toujours à proposer des projets sur le rapport musique contemporaine et opéra: voici donc le "Quai Ouest" de Bernard Marie Koltès adapté pour la scène lyrique et mis en musique par Régis Campo.
D'emblée le sort en est jeté: sur scène, règne le doute, l'étrangeté d'un décor portuaire: un quai sombre, louche où homme et femme semblent errer dans le vague et l'angoisse. L'homme traverse le mur qui s'abat sur lui: destin fragile et imposé?
Tour au long du spectacle, suspens garanti et empathie avec ces personnages semblant surgir d'un univers corrompu, tendu et incertain. Le destin les poursuivra, aussi implacable et fort que dans la pièce théâtralisée de Koltès. En faire un opéra semblait un défi tant les références furent singulières à partir de la mise en scène de Chéreau en 1986. Théâtre chanté, métamorphosé par la musique et la mise en scène de Frédéric Kristian, sous la direction de Marcus Bosch pour l'Orchestre symphonique de Mulhouse.
Les voix des chanteurs y sont brillantes en particulier, celle de Mireille Delunsch et Paul Gay. La musique révèle à la fois l'aspect dramatique et lyrique du texte et renvoie à des sonorités lointaines, celle de la guitare électrique entre autre originalité.
Les décors, tels ceux d'un west side story, urbains et réalistes enferment les protagonistes et contribuent à forger une atmosphère lourde et oppressante. L'obscurité ambiante souligne les solitudes et renforce le suspens.
Du bel ouvrage très convaincant et émouvant!

La musique de Régis Campo – né en 1968, auteur déjà d’un opéra bouffe inspiré de Copi (Les Quatre jumelles, 2008), mais aussi de symphonies, quatuors à cordes ou concertos régulièrement primés en France et à l’étranger – vient donc saisir « à bras le corps » ce texte qui interroge de manière toujours très actuelle la question de la survie, du passage, de la décision… Elle s’empare aussi des personnages (tous ceux de la pièce sont conservés) qui tressent une psychologie de groupe et de domination avouée : Koch qui se réfugie dans ce lieu de dock improbable avec l’idée de mettre fin à ses jours, Charles, jeune homme ambitieux qui veut à tout prix s’en sortir, Claire sa sœur encore adolescente, Cécile leur mère vénale, Rodolfe leur père (ancien combattant qui doute de sa paternité), Fak, petite frappe, Monique secrétaire de Koch et Abad, âme muette et noire qui hante ce territoire aboli.
En projetant sa pièce dans les limites sombres d’une ville portuaire, Koltès pariait sur cette alchimie trouble des confins qui modifie les corps et les relations, exacerbe les pulsions, les sentiments et les ressentiments. Régis Campo fait, lui, le pari que l’opéra est un vecteur idéal pour accompagner cette transformation des êtres, jusqu’aux moments fatals et irréversibles de leurs parcours.

samedi 27 septembre 2014

"Mitsou": Balthus, Rilke et MUSICA...Un opéra-film de Fitoussi et Sinnhuber!

Quarante illustrations de Balthus en herbe et orthographié Balthusz (il a 12 ans quand il publie ce carnet, en 1920) mais avec une préface de Rilke et plein de lettres en bonus. Dans la préface, adressée au jeune peintre : «Ce chat, convenez-en, n'entre pas tout à fait dans votre vie, comme ferait, par exemple, un jouet quelconque ; tout en vous appartenant maintenant, il reste un peu en dehors, et cela fait toujours : la vie + un chat, ce qui donne, je vous assure, une somme énorme.»

Et chaque année ensuite, jusqu'en 1926, Rilke écrit à l'adolescent pour son non-anniversaire : il est en effet né un 29 février ! Dans l'avant-dernière, il le charge de lui acheter les Notes au Narcisse de Paul Valéry chez Adrienne Monnier, et pas ailleurs.
Le cinéaste Jean-Charles Fitoussi et la compositrice franco-suisse (née à Strasbourg) Claire-Mélanie Sinnhuber inventent un nouveau genre : un opéra-film tout public inspiré de Balthus et Rilke.
 
L’histoire d’abord : un enfant (Balthus) muni d’une bougie part à la recherche de son chat Mitsou. Sous le lit, dans la cave, par les rues. En vain. Rentré à la maison, il est d’autant plus triste qu’il se trouve, cette année encore, privé d’anniversaire : le soleil s’est couché le 28 février et se lèvera le 1er mars sans donner jour au 29. Mais il trouve une lettre d’un ami (Rilke) qui lui fait part d’une secrète trouvaille : une brèche dans le temps.
Le spectacle ensuite : librement inspiré des quarante dessins que Balthus publia à douze ans dans un recueil titré Mitsou (le nom d’un chat qu’il avait trouvé puis perdu) et préfacé des lettres que Rilke lui envoya alors (Lettres à un jeune peintre), l’opéra cinématographique éponyme n’y trouve pourtant pas sa source graphique. Le film original réalisé pour cet opéra-film par Jean-Charles Fitoussi, tourné en Suisse et en France cet hiver, oublie les dessins mais reprend un certain nombre d’événements et de situations confiées à des acteurs.
La musique et le chant sur scène se trouvent ainsi intimement et inextricablement liés au cinéma. Les chanteurs commencent sur le plateau, puis se dédoublent : ils « entrent » dans l’écran – cette « brèche » dans le temps dont parle Rilke à l’enfant – tout en rejoignant la fosse pour donner voix à leurs doubles filmés. Mitsou, histoire d’un chat « retrouve » donc quelque chose que le cinéma muet n’avait jamais pu faire quand il rêvait d’opéra : donner voix aux acteurs par des chanteurs qui se synchronisent sur l’image. Mais l’analogie avec le cinéma muet s’arrête là, le film ne convoquant ni nostalgie ni noir et blanc, la projection prenant toute la place d’une véritable mise en scène.
Projet ambitieux et singulièrement original, Mitsou sera donné pour la première fois à Musica et convie un large public – enfants comme adultes – séduit par le fantastique de cette histoire autant que par la double expérience lyrique et cinéphilique.