lundi 2 novembre 2015

"Available Light": Luchinda Childs : fiat lux!


Les années 1983. La danse post moderne, après "Dance" de Lucinda Childs commence son long chemin de "séduction" auprès du public, des médias, des critiques!
Aujourd'hui, remonter, "restaurer", une seconde oeuvre du même "type"qui conjugue création musicale, arts plastiques et danse n'est plus une gageure mais cependant fait revivre un événement majeur de l'histoire de la danse d'aujourd'hui, de son répertoire, de son patrimoine et c'est une cure de jouvence que de pouvoir assister à une résurrection , une revisitation de son oeuvre par Lucinda Childs, bien vivante pour confier à cette occasion une partie d'elle-même, de sa vie, de sa carrière.
Un musicien minimaliste John Adams, un architecte désormais célèbre Frank Gehry et une chorégraphe hors pair en matière de féerie minimaliste, d'abstraction post moderne dans l'univers de la danse : et l'alchimie opère toujours comme au premier jour;
Onze danseurs se partagent le plateau, doublé d'un second niveau imaginé par Gehry pour mieux démultiplier les pointes de vue d'ensemble de la complexité de la danse de Lucinda
C'est peu dire, une heure durant de voir évoluer en canon, ces onze personnalités si musicales, si unies au diapason, de noir, rouge et blanc vêtues, sobres et uniques.
On repère, identifie, reconnait la "griffe" de la chorégraphe américaine: sobriété, rigueur, précision, gestes répétitifs qui se tricotent et détricotent à l'infini et à l'envi dans un vertige spatial et musical, éprouvant, hypnotique,époustouflant!
Vertige, prouesse et virtuosité opèrent pour projeter le mouvement dans des espaces sonores et volumineux inédits, inouïs et jouissifs.


La performance est à couper le souffle et l'on se prend à se surprendre en apnée, à suivre sans cesse les évolutions cosmiques de cet univers ainsi créé: magique, quasi virtuel, inimaginable.
Les danseurs au plus précis de leurs interventions sempiternelles, se croisant, se frôlant sans jamais se toucher dans des effets de penchants, de bras en corbeille, de glissements et sauts furtifs en proie à une futilité incessante
Parfois le mouvement se pose, s'arrête, les respirations se calment pour mieux rebondir et réfléchir la lumière qui sculpte leur parcours incessant sur le plateau, sur l'autre niveau comme suspendu au dessus d'un univers terrestre tangible
Magnifique moment de partage grâce à des interprètes galvanisés par une musique inventive, certes répétitive mais qui avance, gonfle et éclaboussement de rythmes l'espace graphique ainsi tracé par les corps mécanisés dans une cadence infernale.

Au Théâtre de la Ville à Paris jusqu'au 7 Novembre dans le cadre du festival d'Automne 2015

vendredi 23 octobre 2015

"Répétition" de Pascal Rambert au TNS: une valse à quatre temps!


Ils auront mis le temps-mille temps- pour écrire et inspirer ce texte à Pascal Rambert: quatre artistes, comédiens, metteur en scène, réalisateur et non des moindres, Denis Podalydes, Emmanuelle Béart, Stanislas Nordey et Audrey Bonnet!


Quatre monologues pour nous entraîner dans une réflexion sur l'acte, le théâtre, la mise en scène, le jeu, bref, la vie d'artiste, cette vie d’égoïste, de flambeur, de jouisseur!
Ils portent leur prénom, chacun, comme à la ville et sont présents, fragiles ou forts, sincères et convaincants, ces quatre personnages qui tiennent le plateau deux heures et demie durant, sans se lasser, sans faiblir: le mutisme de ceux qui ne "parlent" pas pendant que l'un s'épanche, déverse son texte, éructe les mots, fait parler son dos, ce silence est présence, accompagnement, communion
Car il y a un chorégraphe sur la scène, des circulations qu'il anime, des immobilités, des corps qui se glissent au sol, habitent le plateau, viennent mourir, se répandre, fondre au sol.Travail sur le plancher, la dépose du poids du corps....
Tenue de ville, décontractée, exigée! Avec te shirt de couleurs ou torse nu, bottes d'amazone ou veste sobre, les voilà, mis à nu, manipulés par le phrasé du texte d'un auteur qui danse, qui respire ou noue met en apnée. Suspension, déferlement des mots, jouissance de la diction qui sourd des lèvres gourmandes d'Emmanuelle, des épaules de Stan, des yeux Denis, de la chevelure d'Audrey.
Ils questionnent, retourne le terreau, laboure la pensée en mouvement!
Ils travaillent à vue, on les regarde se dépenser, réfléchir, fléchir, ployer ou se redresser dans des érections salvatrices des corps qui doutent, se replient ou se déploient!
Ils se revoient parfois la balle, s'interrompent, se rattrapent comme au basket mais quel est le "but" recherché de cette curieuse formation qui ne semble pas faire "équipe" ?


Et comme pour la danse, la lumière sculpte l'espace et les corps: dans ce gymnase tout bleu et de tendance orange profond. Le panier de basket au centre, les découpages et tracés au sol, déterminent un espace de travail "sportif", de labeur, de souffrance, alors que celui de l'art et du théâtre ne sont pas le lieu du "martyr" mais de l'implosion, de l'explosion du verbe, des corps, de ce verbe incarné que nous donnent à voir nos quatre feuilles de ce trèfle porte bonheur
De jubilation, de suspens, de voix qui comme dans "Clôture de l'amour" tonifient les situations, guident et conduisent à une lecture visuelle d'un texte fait sur mesure pour des comédiens si différents, si singuliers!
Au final, une gymnaste fend l'espace de son ruban serpentin, danse gracile de la virtuosité, évocation d'une musicalité corporelle, contrainte, disciplinée, domptée
Les quatre protagonistes de la liberté d'aller et venir n'ont qu'à bien se tenir!

lire "Rambert en temps réel" de laurent goumarre aux "solitaires intempestifs" 2005

au TNS jusqu'au 7 Novembre


mercredi 21 octobre 2015

"Mérédith Monk, une voix mystique" de J.L. Tallon


Meredith Monk est ailleurs. Née à Lima ou à New York, la nature profonde de cette artiste atypique, tout à la fois compositrice, chanteuse, mime, dramaturge, metteuse en scène, danseuse, comédienne, toujours à l’avant-garde d’elle-même, procède à la fois du feu terrestre et du cosmos, des passions humaines et des secrets du monde, dont elle se fait la messagère. Très tôt, le chant, lui ouvre des horizons qu’elle devine, autant de territoires inexplorés, où l’imaginaire et le mythe, l’espace du dedans et du dehors, le passé et le présent, se rencontrent, se déploient. Guy Scarpetta parlait d’une « femme cent-voix », Daniel Caux d’« une voix qui danse », Babeth M. Van- Loo de « voix intérieure ». Qu’elle soit associée, à un instrument – piano, violon, accordéon, kazoo et tant d’autres – à un quatuor, à l’orchestre, à son ensemble, qu’elle soit démultipliée par la scénographie, le mouvement, l’image, chez Meredith Monk, la voix prime, reste le vecteur principal de son art, cherchant à établir, souvent sans un mot – pas de texte, juste le son de la voix, mélopée, borborygme, animale ou primitive - un lien intime entre deux mondes, des vérités transcendantes au spectateur/auditeur. Protéiforme, la voix de Meredith Monk, comme catalyseur de son art, se fait alors mystique.

Ce livre d’entretien avec Meredith Monk, Une voix mystique – premier livre en français sur la compositrice américaine – montre ainsi, comment ses oeuvres et son esthétique, sans doute parmi les plus intenses et les plus puissantes de notre temps, loin du minimalisme auquel on l’associe, à tort, sont le lieu d’une expérience éminemment spirituelle.
Jean-Louis Tallon écrit, vit, travaille à Orléans. Il a réalisé de très nombreux entretiens d’écrivains et d’artistes. Il est l’auteur d’un récit intitulé Composition de l’atmosphère (Le Grand Souffle, 2007) et d’un entretien avec Pierre Bergounioux : Un écho lacunaire (Fata Morgana, 2014).