mardi 4 octobre 2016

Carte blanche à Exhibitronic" concert acoustique: un topique atypique, stroboscopique!


L' Acousmonium du Studio Musiques et recherches, offre une série de créations en son multicanal, diffusé sur un acousmonium:hommage à la scène électroacoustique de son pays, La Belgique et à la France.Le collectif Exhibitronic, initiateur d'un festival au titre éponyme, dédié aux arts sonores et aux technologies numériques sous la houlette de Yéri- Gaspar propose donc à l'initiative du festival Musica, une soirée dédiée à ses nouvelles écritures musicales
 Soixante dix haut-parleurs devant nous, salle de la Bourse, statues sur piédestalS, enceintes aux mamelons inversés, concaves, "convexes", "synclinaux" ou "anticlinaux" du mobilier acoustique; comme des hommes girafes, perchées sur des tiges, supports de leur faciès sans émotions, sans expression. impressionnant!
C'est à Laurent Delforge d'ouvrir cette soirée atypique avec "Avant les tigres" en création mondiale;
un long son tenu sort des boites noires, balayage en son d'orgue, très spatial, plongeon cinglant dans des eaux brouillées, comme une musique de film déverse ses ambiances cosmiques. Grésillements, crissements, à l'appui: on songe à un plan cinématographique qui glisse  et balaye le paysage, découvrant la puissance du son, des pas de géants résonnants au sol
Travelling pour un plan séquence topographique qui répand un son répétitif qui se déploie dans le cadre acoustique.Monde animal, végétal ou minéral, ambiance caverneuse, chuchotements, tournoiement du son en spirales qui nous enveloppe de toute part: beau travail de cet homme à la table de mixage, rivé à l'exécution en direct de ses élucubrations fertiles, petit chapeau vissé sur la tête, look sympathique et décontracté de celui qui ne se la joue pas!
Annette Vande Gorne, fondatrice de Musique et recherches tente avec "Déluges et autres péripéties" un manifeste contestataire et militant sur la fin du monde.
Des textes sont parlés, ceux de Werner Lambersy par des voix humaines avec moultes références à Pasolini,, Lévy Strauss. Cris effrayés, néant, mort, déluge à l'appui, chœurs et chants d'église, son radiophonique avec chambre d'écho réverbérante: ambiance cauchemardesqyue à souhait, melting pot pour un mauvais rêve dans un style gore de film d'horreur, de nanar vampirique qui vous dévore dans un cataclysme déconcertant.Où va-t-on quand on fait l'effet inverse de ce que l'on veut produire? D'un évangile, manifeste écologique, à un discours totalitaire, enfonçant des portes ouvertes, où des personnages hantent un univers décomposé, il n'y a qu'un pas. Même pas peur pour ce ridicule énoncé qui ne tue pas, hélas!
Avalanches, dégueulis de visions sonores démoniaques, non convaincantes, péremptoire, donneur de leçons indigestes, le texte dessert les bonnes intentions de ce discours écolo d'arrière garde.Discours politique désuet et inefficace, racoleur, enrôleur, démagogique: la musique aussi peut être emprunte de dangers, de tyrannie qui n'impressionne pas heureusement
Comme un film sans image, charriant des clichés et ragots, lourds et pesants, des évidences et idées reçues, bourrage de crâne, éprouvant!
Difficile de prendre le relais de cet opus bavard:"pont de contrôle"C en création mondiale de Yéri-Gaspard Hummel aura cette lourde tache ingrate de nous sortir la tête de cette bouche d'égout, ego disproportionné d'un bourbier d’immondices sonores.
Des klangs en percussions sonores, malicieuses comme leur auteur. Congloméras de sons brillants, scintillants, résonances libératrices, chocs, flux et reflux: tout se catapulte dans ce joyeux cosmos, habité par des comètes, des étoiles filantes rieuses. Ferait-il son "odyssée de l'espace", en tunnel, bruits de scies, velouté, sourdines et autres matières forgent le son, inventent l'espace sonore. Éboulements de pierres,, vent léger ébranlant le métal, mouvements ascensionnels, tintinnabulements, souffle, va et vient pour un voyage cosmique à travers le hublot d'une cabine de navette spatiale Orage, tonnerre ou franchissement du mur du son: c'est une délivrance salvatrice qui opère et percute, dépote et emporte très loin dans des sphères oniriques et visionnaires salvatrices!
"espace-escape" de 1989 de Francis Dhomont pour clore la soirée, oeuvre alerte, évoquant une alarme-alerte récurrente de véhicule, ambulance ou camion poubelle, ambiance clinique: danger, menace, chute d'objets, son de gyrophare: musique concrète pour univers urbain, circulation de ville, chantier en déconstruction!
Warnings au poing, on est attentif et tendu à l'écoute de cet univers sonore inédit, proche et lointain à la fois du quotidien.Inquiétude, intranquillité dans ces cassures et brisures de son.Démolition puis accalmie, chute de pierres, grincement de ce qui tente de se relever, de vivre; oiseaux qui s'en échappent à titre d'ailes, bruits de pelle, attirail multiple de chantier ouvert habité d'engins destructeurs, ravageurs au final. Torrent de sons comme dans des goulets ou tunnels, son radiophonique, sonneries et clochettes, quai de gare, alarme de train, bruit de pas, d'ailes de pigeon décollant, portes blindées: l'atmosphère est riche inventaire à la Prévert des possibilités de cette musique suggestive à l'infini.
Un peu bavarde, cette oeuvre redondante mais fertile en événement et climats variés.
La météo est bonne chez "Exhibitronic", le temps variable et changeant, jamais au beau fixe, ni à la déprime automnale, alors mes enceintes Audioréférence ont encore plus de présence chez moi, une place bien à part et me regardent, me contemplent, complices: ou est-ce moi qui les observe à présent, elles capables de tout et d'émettre bruits et fracas à l'envi!



lundi 3 octobre 2016

"Trio Catch: ça va boxer sur le ring de Musica.: musique à catch cache!


Musique de chambre, matinale ce dimanche à l'heure de la messe ou du brunch collectif musical, salutaire habitude du Festival
Cinq œuvres au menu, des entrelacs entre classique et contemporain, pour ce fameux trio féminin, suisse-hongrois et coréen, nouveau venu au festival
Bienvenue donc sur la planète ou le ring, pour un match, une confrontation public, œuvres du répertoire ou fraîchement émoulues.

"Chrysanthemum" de Vito Zuraj de 2014, oeuvre discrète, en collier de perles fines, pincements furtifs, où la clarinette basse répond au piano percutant. Chiquenaudes et chatouillis, frappements, toquades, claquement du piano, mobilier convoqué pour l'occasion en percussion délicates. C'est surprenant, instantané, en suspension, en alerte. Sons de "bois" de l'instrument devenu insolite émetteur de piqués, frappés, comme des avancées successives, par petits bons, rapides, nets, précis puis qui se meurent imperceptibles dans l'espace qui se tait
"Vertical Time Study1 " de Toshio Hosokawa de 1992, suivra, pièce où l'on plonge subitement, dans la sirène de la clarinette, la fluidité des sons, leur érection qui éveille, amplifie et fait grandir, pousser la musique comme une plante en devenir. L'espace s'y étire, longiligne, la rapidité, dextérité de l'exécution, en sautillés, rebonds lui confère un caractère fougueux, un tempérament de feu comme dans un match, combat entre trois instruments, sans arbitrage sur le ring!
 Forte présence de la clarinettiste virtuose, résonance du piano en langueur qui s'avance. Mouvements et tracés se répondent. Du punch, du tonus pour ce trio féminin qui n'a rien de dentelles ni falbalas.
"Assonance III " Michael Jarrell de 1989 succède, surprenante, enveloppante: on s'y projette et propulse d'emblée, puis l'aspect solennel et soupesé progresse comme une marée: il pose l'ambiance, campe l'atmosphère, recueillie, respectueuse.La musique se déroule, sourde, grave, résonante,hésitante, en suspension, pétrie de suspens puis de secousses animées, troubles semés dans cette quiétude installée.Des accélérations virtuoses pour s'emballer, s'enflammer, une course poursuite, haletante: une riche épopée du rythme et du son!
"Sahn" de Christophe Bertrand de 2006: lente balade, déambulation qui progresse dans l'espace, limpide, lumineux. Ça fuse, éclabousse, en alerte, allègre, la clarinette dans le grave, le piano, déferlant.La délicatesse de la musique de Christophe Bertrand apaise, repose, raffinée, légère en lents decrescendos puissants.Un univers aquatique s'en délivre, en perles de pluie, en reflets d'eau, réfléchissantes, gouttes de musique: calme, repos et méditation à l'appui, envol vers un ailleurs, d'autres galaxies.....La chute finale du piano met fin, définitivement à la rêverie.....
"Wasserzeichen" de Johannes Maria Staud de 2015 délivre des sons en alternance, puis la musique envahit l'espace, le comble.Alerte, tonique, puissant galop, clarinette base en avant!Pleins et déliés de nuances et modulations, bouleversements et ruptures, glissés et passation du son d'un instrument à l'autre: la pièce propage les sonorités, diffuse le son et bouleverse.
Le trio Catch a fait mouche et sans arbitrage on lui donne le trophée des Trois Grâces du Ring
Belle prestation matinale qui propulse et opercute pour la suite du programme de la journée du Festival Musica


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"Donnerstag aus Licht": Stockhausen opére à Bâle: la semaine des quatre jeudis lumineux, démesurés de l'opéra fleuve: Donnerwetter!.

Voici le Sinfonieorchester Basel aux prises avec un opéra en trois actes, un salut et un adieu, sous la direction de Titus Engel
"Musique, livret, danse, actions et gestes" du très grand compositeur!
Un Stockhausen visionnaire, démiurge de l'avant garde européenne pour une oeuvre de 1981


Au Theater Basel, l'ambiance est à la curiosité, à l'impatience de découvrir ce long opus, oeuvre fleuve avec ses 7 jours de la semaine, comme motif et livret.
Mais quelle mouche a piqué Lydia Steier, metteur en scène,quel démon s'en est emparé pour en faire une oeuvre quasi grotesque, fantastique et bariolée? D'emblée la position du spectateur est inconfortable:lors des "saluts", comme entrée à ce plat de résistance, cinq heures environ,  nous serons dans le hall du théâtre, bien serrés les uns les autres, solidaires de l'histoire étrange qui nous sera contée. musiciens affublés de perruques fluorescentes, chef d'orchestre relax et quelque peu dérouté: l'ambiance est soft, relâchée, très cosy. Musique introductive pour amuse bouche; on passe aux choses sérieuses dans la grande salle: sur la scène tournante tout s'anime: protagonistes dans des costumes de Ursula Kudrna qui seront tout du long des objets visuels à part entière, décor et accessoires très présents
Le dispositif scénique, sorte de grand contenant circulaire, bâti en hauteur, délivre trois personnages, marionnettes aux têtes de papier, convoitant un gâteau d'anniversaire; leurs doubles vont chanter tandis qu'ils dansent et miment le récit
Histoire rocambolesque, pleine de coups de théâtre durant les trois actes: la vidéo de Chris Kondek poursuit le travail d'orfèvre de la scénographie: portraits surdimensionnés, projetés sur les bords du dispositif volumineux, effets de graphisme mouvant, très cinétique qui rappellent la touche de Paul Klee qui lui aussi se passionna pour les Anges. Car il s'agit bien de  Michael, de Lucifer et de la tendre et dépossédée Eva qui seront les piliers de l'action théâtrale, campés par de solides chanteurs aguerris à une partition gymnique et gymnopédique pour ces voix entre chant et sprechgesang!
Le voyage de Michael , archange mythique, le mènera à travers le monde vers la semaine des quatre s "jeudis", lumineux, révélateurs.
Trois actes, trois décors, trois ambiances quelque peu fantasques, absurdes, kafkaïennes en diable pour évoquer un univers bizarre où les destins avancent à coup de cravache, de feu, à coup d'étrier sur un cheval de bois, à coup de camisole de force, pour l'atmosphère d’hôpital psychiatrique du second acte
Tout fait ici office de bombe à retardement, chacun s'exhibe, s'expose, cible fragile d'une destinée préconçue. Le monde, le cosmos dictent leur sort et ils se débattent en vain dans une liesse, une ambiance tonitruante qui dépote.
Très cinématographiques aussi ces tableaux à la Griffith, la "Naissance d'une Nation"création du monde, référence affirmée lors du lever de rideau de l'acte trois. Costumes gris métallisés, personnages grotesques manipulés, scène tournante à l'envi pour un manège enchanté, vecteur et révélateur de curiosités comme une lanterne magique ou quelques scènes à la Mélies
La vidéo" immobilier" à la Name June Paik pour clore le chapitre très arts visuels de cette mise en espace est révélatrice des sources et influences de cette oeuvre, sorte de déus ex machina
Mais est-ce bien l'esprit de Stockhausen qui plane là?
Visionnaire, loufoque, endiblée, cette version indisciplinaire, séduit hors réflexion sur le genre de musique savante, triturée par la vision rocambolesque, abracadabrantesque qu'en livre Lydia Steier
Revue et corrigée comme un show rutilant quand un défilé de costumes somptueux, galerie de mode, défilé d'une collection à la Fellini Roma, amuse, détend, divertit
Plumes et strass, cygnes noirs et blancs, gigantesque gâteau d'ou surgit un tromboniste travesti...Folies Bergères ou cabaret Voltaire,entremets médiéval ou tout délire est possible....Multi genres, multimédia très compact et cohérent, ce spectacle visuel est matière, lumière cinétique
Fait d'entrelacs de styles pour déranger, déplacer, déstabiliser le genre "opéra" moderne ou contemporain; une danseuse y dissémine de petits gestes des bras et mains, chorégraphie discrète de Emmanuelle Grach et vient ponctuer l'opéra, réminiscence légère d'envols angéliques.
Stockhausen eut été séduit dans cette déroute sempiternelle qui nous le fait appréhender, côté mystique, côté secte ou rosicruciens: ses héros sont de pacotille ou de paille malgré leur symbole: berger, anges sataniques, bonnes fées ou diablotins, chérubins rebondis, suspendus dans les airs: on est presque dans "le congrès des chérubins" de Juliette: on y proteste, on y revendique, on y subit son sort dans un délire libérateur comme une journée de carnaval ébouriffant
L'essoreuse magistrale , machine circulaire, tambour  à laver et broyer les hommes qui fait office d'architecture au second acte en atteste: on passe à la lessive les destinées, on les blanchit , ou l'on évite de les décolorer
En ressort un joyeux bazar de luxe, grosse production aux nombreux collaborateurs
Aux saluts sur la scène, se presse ce petit monde qui nous a enchantés cinq heures durant
Une fin sur le parvis du théâtre, un salut, des "Adieux" et aurevoirs des musiciens disséminés dans l'espace urbain, nous bordent de leurs résonances cuivrées, de vent et de langueur
"Le Saut de l'ange de Pascal Dusapin" en mémoire, me hante.....