dimanche 30 avril 2017

Morton Feldman: "For Bunita Marcus"! Un bain de jouvence...

"L'imaginaire" fait de petits miracles: avec ce Concert 2 elle continue son défrichage de l'univers de la musique d'aujourd'hui et de ses racines, de son répertoire aussi! Il en va de cette  saison 2016-17 ,dédiée aux musiques qui présentent un rapport plastique avec le temps, des objets qui dépassent l’idée habituelle de pièce de musique. Il s’agit d’oeuvres musicales qui occupent un temps qui est similaire à celui de l’installation sonore : ’INSTALLATION CONCERT’.

Le deuxième concert de la saison est dédié à une oeuvre monumentale de Morton Feldman, For Bunita Marcus. Ce concert est une occasion spéciale pour écouter une oeuvre unique dans son genre. Au programme donc de ce samedi en fin d'après midi dans la belle salle toute blanche et lumineuse du "Faubourg 12", "white cube" par excellence, les sonorités douces, tactiles, par petites touches répétitives, d'un morceau de choix de plus d'une heure.
Il s'installe au piano, concentré, silencieux, respectueux: Maxime Springer, solide interprète agguéri, féru des musiques d’aujourd’hui, excelle dans le doigté, la précision et la mesure du temps, suspendu, etiré, trituré par le compositeur, comme matériau premier. Des séquences qui vont et viennent, se répètent, entraînant une sorte de litanie méditative, hypnotique, très "zen attitude" qui plonge dans les abysses de la rêverie, du repos, de l'abandon
L'auditeur est embarqué dans un long voyage sonore, ponctué de silences, d'un phrasé énigmatique qui engendre suspens et surprises.Les notes s’égrènent, se répandent, s'éparpillent, légères, scintillantes. Épure, dépouillement, sobriété, volatilité des sons épars.
Vibrations qui se répandent comme un corps sur le sol, qui fondent et se répercutent aux tympans.La virtuosité du musicien c'est ce respect de la lenteur, du déroulé progressif des sequences qui s'enchainent comme autant d'entrelacs, de ricochets dans un monde flottant, dans l'air, dans l'eau.
Les timbres opaques se dissolvent et résonnent, longuement, calmement
L'instrument trône, seul dans la salle blanche, les auditeurs en cercle, dans des relax ou sur des chaises. Installation idéale pour se baigner, tremper tous ses sens en éveil dans un bain musical, fragile, ténu, empli de méditation, de spirituel, de contemplation!

Morton Feldman, For Bunita Marcus, pour piano solo

Au Fbg 12, ce samedi 29 AVRIL à STRASBOURG

Piano, Maxime Springer

Ce 29 avril  l'imaginaire proposait encore une fois une expérience extraordinaire et rare. Combien de fois avez-vous écouté en concert "For Bunita Marcus" de Morton Feldman? Combien de fois cette pièce a été jouée près de chez vous? Alors!!??!
C'est un événement très rare: Maxime Springer l' a joué Au Faubour 12, à 18h30, et on a pas raté ça!



"Médée matériau": sidérante Médée !


"Médée-Matériau est une pièce du célèbre dramaturge allemand Heiner Müller (1929-1995). Pour aider Jason à s’emparer de la Toison d’or, Médée a tué son frère, trahi sa famille et son peuple. Exilée en Grèce, rejetée par Jason, elle commet dans la légende un acte de vengeance effroyable en tuant ses enfants. Mais pour Anatoli Vassiliev, grand maître de théâtre russe, il ne s’agit pas là d’un meurtre mais d’un rituel magique qu’accomplit l’héroïne en quête de sa résurrection. Ce spectacle, créé en 2002, cristallise le travail de laboratoire dans lequel Valérie Dréville s’est plongée durant de nombreux séjours à Moscou. C’est une nouvelle version qu’Anatoli Vassiliev crée cette saison au TNS. 

Anatoli Vassiliev est un metteur en scène russe dont le travail est internationalement reconnu. Il est également le fondateur du théâtre École d’art dramatique de Moscou, laboratoire d’expérimentation théâtrale. Il vient de créer en 2016 à la Comédie-Française La Musica, La Musica deuxième (1965-1985) de Marguerite Duras. "
Plateau nu, cintres évidés, carcasse du théâtre à vif dans cet écrin dépouillé, un écran sur lequel va défiler le texte de "Médéamatérial" de Heiner Muller: on le lit, attentif et concentré dans le silence; personne sur la scène, exceptés deux petits personnages de chiffon assis en bord de plateau, marionnettes, observatrices, muettes....Elle apparaît, robe style Mondrian ou Yves Saint Laurent, dessing carré sur fond de couleurs...Elle s'asseoir, hésite puis s'installe sur ce trône qu'elle ne quittera pas plus d'une heure durant et commence le monologue fatidique!
Récitante, anone le texte par bribes, comme un sprechgesang sans mélodie, elle hoquette, vocifère, éructe, se calme...Belle, majestueuse, impressionnante Médée dont le metteur en scène va faire sa matière, sa pâte à modeler le mot, le verbe, la syntaxe hors de ses gongs et loin du sens! Percussions vocales, silences, longues phrases envoûtantes. Un jeu d'acteur façonné par l'apprentissage, la répétition et l'appropriation des méthodes Stanislavski et Vassiliev: une performance de Valérie Dréville, passionnée par ce personnage, ce metteur en images vivantes. Médée se dévoile, se dévêtit, nue à demi puis intégralement, se couvre d'onguents, de couleurs tandis qu'autour d'elle le paysage marin change; une vidéo occupe tout le fond de scène. Paysage de mer, d'oiseaux, de poissons immergés, paysages lointains, rêveurs et onirique pour mieux créer flux et reflux du texte, du chant des mots arrachés à la bouche de cette "pythie" Médée, sauvage, domptée pour l'heure sur son trône figé...Pouvoir et menace, fragilité aussi pour cette héroïne prise par son destin inéluctable et fatal. Monstre et merveille de présence, de concentration, seule face à nous spectateurs pris dans le jeu, dans le dispositif scénique de proximité."La formation de l'acteur" humble et dévoué interprète, libre et contraint à la fois, sur la voix de la fabrique du langage, par le corps, ici, celui de Valérie Dréville, solide et sculpturale femme libre, maculée de boue et de couleurs, debout, manipulant in fine ces deux petites marionnettes à fil...Comme conduisant les rênes d'un traîneau de douleurs ou de désespoir.Performance qui laisse pantois quand on la quitte pour "la fin" annoncée du spectacle; elle reste sur scène jusqu'au dernier qui va la quitter du regard, fasciné par cette "bête de scène" sublime comédienne.Du "matériau" riche et pas toujours docile dans les mains du sculpteur d'espaces.

Au TNS jusqu'au 14 MAI

samedi 29 avril 2017

"Soeurs" de Wajdi Mouawad: Thésée vous ! Langues pendues.....


Au volant de sa voiture, Geneviève Bergeron pleure en écoutant la voix sublime d’une célèbre diva québécoise. Elle voit défiler ses manques. Sa jeunesse est passée. Elle le comprend mais ne sait pas encore combien sa coupe est pleine. 
Séquence suivante. Cheveux en bataille et parka fourrée, Layla, experte en sinistres mandatée d’urgence, débarque. Même âge et même besace pleine que Geneviève. Au bout du portable : son père, Libanais exilé, qui se plaint. 



Annick Bergeron, seule actrice sur scène, incarne superbement ces deux femmes et leur trajectoire parallèle : l’expérience de la privation de la langue d’origine et de l’exil. 
Elle tient la scène Annick Bergeron comme nulle autre! Et toujours de chair et de souffle mais aussi "virtuelle" quand elle apparat, disparaît par le truchement d'une scénographie plastique très subtile: images et réalité s'y entremêlent, chant polyphonique du théâtre et de la voix!
Car elle en a de la voix, celle qu'on prendrait de premier abord pour une chanteuse de variété québécoise en tournée!Femme solide, forte, la cinquantaine, avocate de métier, venue animée un stage pour "médiateurs" internationaux dans les grands conflits mondiaux! Tout un programme humanitaire qui la conduira jusqu'au Mali, mission qui sera entravée par de multiples péripéties. Dont une nuit passée dans un palace insipide, suite numérotée interactive mais rétive à la langue française. Ce sont les mots qui ici gouvernent tout, la langue maternelle qui se meurt étouffée au pays de l'exil... La langue, perdue, pendue qui ne tournera pas sept fois ni ne sera langue de vipère ou de belle mère! La langue de Thésée et d'Ariane pour mieux retrouver son chemin comme métaphore des discours professionnels de notre médiatrice internationale interlocutrice !Le langage du cœur aussi qui se révèle quand Geneviève Bergeron disparaît pour faire place à l'inspectrice des désastres domestiques engendrés par la crise de notre avocate, acculée au désespoir. Dévastation, décombres de chambre, métaphore des ruines et guerres au Liban: le pays qui hante notre exilé, metteur en scène, Wajdi Mouawad.Au pays des bizons, ceux qui fendent le vent pour débroussailler en "aîné" la vie devant soi !
Cette femme attachante, déroutante ces deux femmes tant humaines, branchées aussi par les médias et technologies nouvelles qui les lie au monde contemporain:téléphone, tv, robots qui dicte comportement, finances et autres formes de vie quotidienne virtualisée.
Solitudes pas désespérées puisqu'elle délivreront dans le "bleu du ciel marin" l'espoir d'un jour meilleur où l'on aura balayer souvenirs et valises trop lourdes du passé pas encore effacé.
De beaux dialogues téléphoniques, des décors qui bougent, animés par le flux des mots en vidéo, suspendus sur la toile de fond ou qui défilent...Décors virtuels où l'on fait passe muraille de l'autre côté du miroir pour mieux rêver de fantômes, d'ectoplasmes bien présents!
Et une comédienne hors pair, tout gond dehors pour mieux inviter à la rencontre, le heurt, la réflexion.
Jubilatoires ces instants de détachement, d'humour de distanciation: la catastrophe est imminente, le désastre aussi mais on se relève quand on a touché le fond: le palais de la langue maternelle, refoulée, piétinée, oubliée refait surface et le "voile " de ce palais lingual se déchire et le son, le langage est dans "le pli" !

Au Maillon jusqu'au 29 AVRIL