dimanche 24 septembre 2017

"La passion selon Sade": un parfum de scandale et d'ob-scène: par le trou du rideau!


Près de cinquante ans séparent la création de cette pièce emblématique des
 années 1960, de sa reprise augmentée et mise en scène par Antoine Gindt. Inspiré de Justine et Histoire de Juliette de Sade, et d’un sonnet de Louise Labé, l’ouvrage est brillamment servi par les forces vives de l’Ensemble Multilatérales, dirigées par Léo Warynski. Une nouvelle production, marquée par la performance de Raquel Camarinha en Juliette-Justine qui marche dans les pas de la créatrice du rôle Cathy Berberian.

"Mystère de chambre avec tableaux vivants" de Sylvano Bussotti, c'est dèjà tout dire du "genre" ou de la forme de ce spectacle donné à la Cité de la Musique et de la Danse dans le cadre du festival Musica 2017



Une pièce de choix, une passion très "légère", celle du corps, de l'amour libertin, mais aussi de la douleur et de la souffrance de l'esclavage du fétichisme, de l'érotisme: passion des fruits défendus, passion pour la chair et le sexe: une "religion" très civique "introduite" par un discours aux résonances politiques: un homme face au public informe et suggère une attitude citoyen face à la vie durable, pas là vie de l'au delà, surtout pas!
Leçon de bonne morale pour débuter ce spectacle très construit, très réfléchi sur le personnage du Marquis autant que celui de Justine.Portraits sulfureux à souhait, éloge du pouvoir sexuel, de la domination fantasmagorique, mais aussi révolte de la femme esclave des désirs de l'autre.
Par "le trou de serrure" ou le verrou, on assiste au chant de ce cygne fragile, Léda très touchante incarnée par la soprano Raquel Camarinha, belle et très attirante Justine-Juliette face à son bourreau, le comédien Eric Houzelot: fameux politicien dans son discours d'ouverture"Français, encore un effort", fameux mâle éperdu de plaisir dans sa nudité loufoque face à sa muse qui s'en amuse!
Les musiciens dissimulés derrière un rideau, apparaissent et disparaissent comme dans les musées où les tableaux "interdits" sont dissimulés par de petits voiles tendus de théâtre que l'on ose ou pas soulever sous peine d'être taxés de voyeur
"Ob-scène", derrière la scène, c'est la musique qui suinte et se répand, suave, érotique touche musicale, enrobant les gestes, postures et attitudes suggestives des deux héros de cette fable interdite.
Le chant de la femme qui débute par les respirations accélérées d'un orgasme feint, va se déployant dans de superbes aigus: robe rouge à l'appui, seyante pour un corps modelé parfaitement. "
Antoine Gindt, metteur en scène de cet épisode sadien croustillant nous livre une vision quelque peu pathétique du Marquis; la musique de Bussoti, très "organique" au début, se révèle magnétique et sensitive, accompagnant évolutions et attitudes langoureuses avec bonheur.
Opéra de chambre ou de "boudoir", très Baudelairien, ce spectacle, court et coup de poing se termine par le "Blute nur, du liebes Herz", passion oblige: le discours d'introduction est bien lointain qui chantait et vantait dans"la sonata erotica" de Schulhoff, le règne du plaisir de vivre sa chair d'homme et de femme.



samedi 23 septembre 2017

Jeunes talents, compositeurs à Musica: belle récolte, moisson abondante !


Le premier concert de la série "jeunes talents"
Le Festival Musica s’engage de longue date aux côtés des jeunes compositeurs, à l’insertion professionnelle desquels il veut activement contribuer ; ce concert est, pour cette raison, entièrement consacré à la promotion des étudiants de Daniel D’Adamo (composition) de l’Académie supérieure de musique de Strasbourg / HEAR. Placé sous la direction musicale d’Armand Angster, ce concert a  permis ainsi de découvrir, en création mondiale, les œuvres de quatre jeunes artistes : Daphné Hejebri (la benjamine, née en 1994), Clara Olivares (1993), Étienne Haan (1992) et Loïc Le Roux (1990)

Par un beau Samedi en matinale à la Salle de la Bourse, résonnent les œuvres de jeunes compositeurs, interprétées par leurs confrères instrumentistes du Conservatoire: édifice fragile et courageux, pétri de conviction et donc la "solidité" s'avère la griffe ou la marque principale. Un "apprentissage" au sommet pour un idéal très concrète: jouer, composer la "musique de leur temps" confie le directeur Vincent Dubois, aux commandes de ce vaisseaux majestueux en bordure du Port , esplanade André Malraux.
C'est aux entremets de Clara Olivares, d'ouvrir le festin: "Aux nouveaux nés", trois pièces courtes qui égrènent le concert, trois mouvements, entre les mets, plats de résistance de trois autres compositeurs: des solos de clarinettes, de la plus grave à la plus aiguë, pour "agrémenter" les couleurs musicales de ce récital.De quoi évaluer et apprécier toute une gamme de tonalités en apéritif pétillant, spumante, vif , incisif. Noelia Carrera Carrera s'y glisse subtilement, en virtuose et sage interprète, proche de l'esprit scintillant de ces mouvements "mouvementés", petits et grands "bougés" musicaux.
"Phantasmagoria" succède à la première touche sonore du concert, d'affilé sans transition avec bonheur.
Daphné Hejebri, l'auteure y mêle harpe, piano, contrebasse et accordéon, cordes et vents, percussion et xylophone pour une osmose aboutie. Le souffle ne manque pas à cet opus, scintillant, fait d'envolées contenues, de contrastes et d'accalmies après des périodes de grand tumulte: une météorologie pleine d'atmosphère singulière, de sons en nuages étirés, stratus de l'accordéon, cumulus des vents et pluie des cordes: sécheresse aussi de la harpe qui délivre un bain de jouvence en brume matinales. Un paysage sonore visuel et sensuel très prometteur de bonnes ondées!Et quelques silences et interruptions du son, morcelé ou tenu pour suspens orageux.
"Impulse" de Loic Le Roux comme un joyeux gazouillis de harpe et piano en touches multicolores résonne sous la houlette magique du maître de ballet Armand Angster, danseur de la rythmique, chef d'orchestre sans baguette aux mouvements harmonieux, précis et chorégraphiques: de dos, on apprécie la complicité avec les interprètes aux aguets de ses signes graphiques dans l'espace sonore!
"De coups et d'éclats" de Etienne Haan décline le concept de choc, de frappe, d'éclats qu'il glisse dans sa composition en multiples facettes, impacts, brisures et fragments: de franches ponctuations pour cette oeuvre , cordes pincées, percussions caressées, vent embouché. Versatiles et fébriles mouvements d'un opus singulier et pétillant.

"Kein Licht": fiat lux ! Fukushima, mon amour !Objet musical non identifié: "le thinkspiel"


Philippe Manoury, l’un des grands compositeurs actuels, et le metteur en scène Nicolas Stemann ont créé Kein Licht à partir du texte d’Elfriede Jelinek écrit suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011.
Des voix qui chantent, qui monologuent, se répondent, des voix dont on ne sait pas ­réellement qui elles sont. Une tragédie a eu lieu, nous en sommes tous responsables, et il s’agit maintenant de survivre.
Technologies numériques, vidéo, musique électronique en temps réel, chanteurs, ­comédiens, musiciens sur scène : pour un spectacle fiévreusement ancré dans notre époque.



Quand alors que se déroule l'horrible catastrophe de Fukushima, un concert sur le même thème a lieu dans un théâtre, où est la fiction, où se niche la réalité?
L'opéra hybride signé Manoury et tout le staff de cette production décline à l'envie le thème du nucléaire, force énergétique et dévastatrice de notre temps, pourtant ici portée et adulée par deux héros de pacotille qui dirigent le monde: A et B sorte de cabarettistes scientifiques, irresponsables joueurs de leur vie, de nos vies sur terre, s'amusent et brossent un portrait affligeant des dirigeants de ce monde. Quoi de plus excitant que cette catastrophe, pré-texte à une mise en scène remarquable. Grandiose évocation visuelle et sonore de ce qui remue et questionne notre avenir. La scène est un vaste chantier fluorescent, containers d'eau de récupération en tête de gondole.Le séisme a eu lieu, les secouristes et hommes de labeur s'affairent en tenue de survie, un petit peuple s’agite fébrilement et se joue de la catastrophe.
En costume sombre de lumière noire,en paillettes de cabaret chacun y va de sa mélodie, de sa voix parlée ou chantée, de son "sprechgesang"....



 Ils racontent l'apocalypse, joyeuse, irresponsable narration du gaspillage, de la consommation à outrance de l'énergie nucléaire bien sûr.En trois actes, tout est dit sur le positionnement politique et écologique de nos contemporains. L’insouciance des uns et des autres ne semble pas troubler les hurlements des chiens errants, ici interprétés par les cantatrices agenouillées ou sur les quatre appuis. Un petit chien blanc, réel,  les accompagne.Les musiciens Les musiciens en fond de scène ponctuent les intrigues, les voix multiples qui se font actrices et personnages, en de multiples registres vocaux, du parler naturel, jusqu'au chant le plus stylisé.



"La voix parlée est une voix chantée chaotique" confie Manoury, passionné de recherches musicales à ce propos. La technologie aussi, invasive, nourrit son oeuvre de sa "musique en temps réel" qui transforme, pétrie et modèle les sons, en écho , variations savantes du non-dit.
Cette nouvelle "vocalité" nourrit l'oeuvre et en fait un itinéraire exhalant, une richesse inouïe, à découvrir, décrypter tout au long de cette écoute très "visuelle". Car la mise en scène accentue cet aspect inédit: un univers noir ou fluorescent, des nacelles suspendues au dessus du plateau qui font frémir, de l'eau qui éclabousse et jaillit comme ces vagues de tsunami qui déferlent sur les écrans. Des images vidéo de toute beauté signées Claudia Lehmann accentuent le côté science-fiction de l'oeuvre très graphique et plastique. Les corps des interprètes, immergés dans ce chaos, se déchaînent en osmose, bougent et se meuvent à l'envie.Sous la direction musicale de Julien Leroy, la musique coule et déferle savamment, les décors de Katrin Nottrodt fascinent , écrins idéal pour cette furieuse odyssée du nucléaire.
Au final, chanteurs et musiciens se retrouvent "dans le noir" sans énergie fondatrice, attendant que les feux de la rampe veuillent bien se rallumer: faute de nucléaire, pas de "licht" pour éclairer le monde!
Et la planète Mars prend le relais pour abriter cette population ivre de technique, de progrès sans limite.
Au risque de disparaître. Le discours est obscure!

Dans le cadre du festival Musica, à l'Opéra du Rhin le 22 Septembre et jusqu'au 25 Septembre à Strasbourg