lundi 11 décembre 2017

"Another look at memory": Thomas Lebrun se souvient: le palimpseste se délivre, ravisseur de charme!

Le festival de Danse de Cannes 2017 est résolument placé sous le signe de la "traversée", à "saute frontières", perméabilité de genres, d'esthétiques, et placé sous le signe de la passation,
La traversée du vaisseau va osciller entre tempêtes et accalmies, découvertes et surprises: un voyage au long "cours", toutes "classes" confondues! Sous la houlette de Brigitte Lefèvre, figure "légendaire" de la profession chorégraphique, on découvrira une programmation "dense", éclectique, faite pour "ravir" ceux et celles qui voudront bien se laisser aller à la diversité des "genres".
"De l'audace, toujours de l'audace" ou "Etonnez-moi" en référence et credo!


Le festival fait son ouverture avec Thomas Lebrun et ses danseurs.
Dans Another look at memory, Thomas Lebrun traverse en compagnie de trois de ses plus fidèles interprètes dix années d’écriture chorégraphique. Rejoint pour un quatuor final par un jeune danseur rencontré à l’école supérieure du CNDC d’Angers, cette création parle de mémoire et de l’importance de la transmission.
De Marguerite Duras, le chorégraphe retient comme source d'inspiration que "je ne comprend pas toujours très bien ce que je dis, je sais seulement que c'est vrai": tel "le ravissement de Lol Von Stein", le voici embarqué dans l'écriture, l'acte de création, le "phrasé" de la danse: comme un paysage que l'on voit défiler du train et qui se démultiplie, se développe à l'infini. Ainsi, il en va de cette pièce, sorte de palimpseste de l'oeuvre du chorégraphe qui reprend en condensé ses pièces, interprétées par ses fidèles compagnons de route, ses danseurs, à l'origine de son répertoire. C'est sur une musique méconnue de Phil Glass que démarre une cérémonie , litanie très mystique qui va littéralement "ravir", capturer les spectateurs et témoins des évolutions quasi indescriptibles de ses passeurs de gestes.
Musique hallucinante, envoûtante, répétitive qui se prête au jeu de l'habillage sur "mesure", en mesure ou en contrepoint d'orgue...."Défaire une mémoire pour en refaire une autre", contemporaine, d'aujourd'hui dans une tension, un rythme, une pulsion intérieure, singulière. Du "sur mesure" pour les interprètes, acteurs d'une gestuelle saccadée, issue d'un nuancier, cromalin de couleurs pastel à la Olivier Debré,déclinées à l'envie. La danse y rayonne, savamment disséminée dans l'espace, en postures ou attitudes remarquables pour leur assise et centre de gravité affirmés. Les motifs s'y déclinent avec légèreté, patience et accord implicite entre les danseurs. D'abord trio, la pièce est bouleversée par l'intrusion d'un quatrième trublion, jeune danseur récemment découvert par Thomas Lebrun.Pour y semer du partage, des accidents, de l'imprévu toujours possible: rebondir, accueillir le neuf dans la communauté filiale. La force de la pièce vacille, se met en danger pour mieux servir l’indicible, l'indescriptible écriture de Thomas Lebrun.
Danse votive, sacrée de par ses attitudes comme des fresques du faune profilé de Nijinsky, comme les Bourgeois de Calais, sculptures chorales de Rodin ou des Causeuses de Camille Claudel, des ensembles à la Carpeaux....Des sensations de voir danser ceux de sa génération, entre autre Christine Bastin, traversant le corps de Anne Sophie Lancelin...Citations discrètes de ses précédentes créations, cette pièce "se souvient" et réactive mémoire et présent dans une communion sempiternelle de reprises musicales, de silences sidérants, arrêt sur gestes étonnants.Des beaux enveloppés, des ouvertures et fermetures de l'espace par le découpage des positionnements des danseurs: une composition rare et précieuse dans la lenteur, le temps qui s'ouvre et jouit des respirations. Portés et poursuites au final pour éclater l'horizon pastel de cet univers unique, singulier.Une transmission de corps à corps , un nuancier subtil décliné vers le vertige de ce qui nait sans cesse sous la plume d'un choré-graphe, peintre et insufflateur de mouvement éphémère qui restera dans les mémoires des témoins de leur naissance
Thomas Lebrun ouvre le bal de la manifestation sous le signe de la "traversée" avec justesse et pertinence du propos énoncé.
Pièce de partage et d'ouverture en bonne compagnie: "cum panis" comme il se doit de la danse!











« Anne-Emmanuelle Deroo, Anne-Sophie Lancelin, Raphaël Cottin. Trois interprètes que je suis depuis plus de dix ans, qui me suivent depuis plus de dix ans. Dans cette création, je souhaite ainsi traverser dix années d’écritures communes, évoquer les pièces créées ensemble depuis 2008, questionner les mémoires des corps, convoquer celles des écritures et bousculer celles des sensations. Les soli de La constellation consternée ou de Trois décennies d’amour cerné… La jeune fille et la mort ou encore Lied Ballet… Peut-être aussi Avant toutes disparitions… De ces créations partagées en dix ans, quels sont les gestes qui nous sautent aux corps, à la mémoire, aux yeux. Comment partager des soli écrits pour soi avec les collègues qui les ont vus danser tant de fois, quelque part offrir une partie de son intimité artistique… Comme un paysage qui défile et dont les images arrêtées nous échappent, traverser une nouvelle partition chorégraphique créée de partitions vues, connues et parfois déjà lointaines, pour créer une nouvelle écriture commune, portée par l’œuvre musicale forte, bien que minimaliste, pour orgue et voix de Philip Glass, Another look at harmony. Ces trois danseurs, témoins de mon travail depuis dix ans, sont rejoints soudainement par le jeune danseur Maxime Aubert, rencontré tout dernièrement à l’école supérieure du CNDC d’Angers, pour un quatuor final. C’est pour lui une première pièce avec nous, ce qui donne tout le sens de la transmission au cœur de la danse et de la création. Comme une mémoire toujours à reconstruire, à vivifier… À partager. » Thomas Lebrun

"Compact et Quintette" de Jann Gallois au festival de Danse de Cannes:on "craque" pour "BurnOut" !


Elle est l’une des chorégraphes les plus prisées du moment !
Jann Gallois, jeune chorégraphe formée à la musique, a une une écriture nouvelle de la danse hip-hop sur les plateaux. Interprète brillante de sa propre compagnie Burnout, elle confirme sa signature artistique, en devenant par ailleurs artiste associée au CDC Atelier de Paris, entre autres coproducteurs multiples soutenant son travail.




La bête à deux dos
Avec "Compact", on découvre une pièce jouant sur l’articulation collée serrée de deux corps qui ne font plus qu’un, dans un magma de sensations fortes.
Emmêlés, soudés,compactés, comme une sculpture de César compressée, deux corps déroulent une trajectoire linéaire au sol. Tel un corps unique de fœtus de siamois dans le formol ou de deux jumeaux indissociables, cette curieuse et ingrate forme "baroque" monstrueuse, perle difforme entre nature et culture s'offre au regard, longuement, fouillant le propos au plus profond.Un sujet, un développement à l'infini, aux combinaisons multiples: postures, pauses, arrêts sur image et lente découverte des parties de corps de chacun des protagonistes de cette curieuse sculpture mouvante, vivante, organique.Comme deux coléoptères copulant, enchevêtrés pour engendrer et féconder la vie Les "compressions" de César ne sont pas loin, mais "vivante" et organiques! Noyau cellulaire imbriqué comme un jeu de rubik's à manipuler à l'infini. Les interprètes, Rafael Smadja et Jann Gallois s'y adonnent à "cœur joie", à corps joie, à accord joie! Ils s'y collent, adhèrent et façonnent formes et déformation comme autant de figurines en pâte à modeler, dociles, sans résistance, sous la "patte" ou griffe de la chorégraphe!Une performance remarquable de deux créatures, bêtes à deux dos, malléables, et énergiques, troublantes visions d'un monde à la Sisyphe ou tout recommence sempiternellement vers un éternel retour.



Cinq danseurs en quête d'auteur
Puis vient "Quintette", nouvelle création, fruit d’une recherche chorégraphique encore plus ambitieuse : la notion d’union et de séparation des individus soumis à la contrainte du vivre ensemble.
Quelle énergie déployée lorsque l’espace est limité, les émotions multipliées, le collectif imposé, pour, envers et contre tout, continuer à se côtoyer ! Le jeu électrique des cinq interprètes transpose la musicalité d’un mouvement en constant déphasage. La danse devient traversée groupée, voulue ou subie. Comme il est difficile pour l’Homme de vivre en communauté !En habits noir sur fond blanc, un groupe se cherche, se place, se positionne dans l'espace, se heurte avec les mots et les mimiques d'incompréhension. Mais bientôt grâce au geste et au silence, va trouver le consensus dans le phrasé gestuel, la langue de la danse chorale. Feu les mots, place à l'acte dansé. Danse en noir, de flux et de reflux marin, vagues déferlantes en portés majestueux et fulgurants, sac s et ressac des marées, respirations salvatrices, senties, habitées.
Corpus et noyau qui éclate peu à peu et diffracte la lumière dans l'espace, s'organise, se construit une vie autonome, La richesse et la multiplicité des propositions déferle sans toujours trouver sa place pour s'y déployer."Qui trop embrasse mal étreint"Et pourtant un charme vif, tonique opère et séduit au plus près des corps conducteurs d'énergie, d'empathie avec le public dans une profonde écoute respective des danseurs A en perdre haleine et repères: on sent germer ici un talent fougueux, ravageur, puissant, une autorité de l'écriture qui , plus resserrée dans les propos, gagnerait en magie, impact et intensité.Qualités contenues qui ne sauraient attendre  pour émerger et se façonner dans le temps. L'urgence de dire et de signifier pardonne bien des "déséquilibres" de composition et de "jeunesse"!
 Les séquences tétaniques, stroboscopiques, sans aucun effet de lumière ajoutée en artefact,sont superbes, la tectonique fragile et subtile référence au hip-hop, opèrent .Le rythme syncopé, les ébats de ses coléoptères, scarabées retournés sur le dos, exosquelettes, carapaces de chitine ont un côté archaïque étonnant.
Ils tentent l'érection, pattes en l'air, basculant, pour mieux reprendre pied à terre.Repoussant les limites du corps, convoqué à performer devant nous.
Un bestiaire fantastique, un univers onirique d'où les cinq danseurs protagonistes retombent pour mieux se quereller de plus belle,se crêper le chignon et se chamailler; au final, c'est le chorus dansé qui l'emporte sur l'autorité du verbe pour mieux s'envoler en portés et ascensions lyriques. Une création dense, touffue, qui présage d'un présent à venir radieux!
Et si on tentait, à l’occasion de cette escales à Cannes, d’envoyer nos états de crises valser et de se mettre à hip hoper ?


mercredi 6 décembre 2017

La danse de Johnny !