lundi 11 décembre 2017

"Fatmeh" de Ali Chahrour: le corps libéré.


Ali Chahrour est syrien et tente ici de retransmettre rituels, culture et gestes de son territoire blessé, ravagé par la haine et la guerre.
Deux femmes seront les ambassadrices de sa pensée chorégraphique, vécue comme une transmission de corps à corps; elles ne sont pas danseuses professionnelles mais incarnent la danse à elles seules comme des femmes qui dansent naturellement. Et si l'on ne chante pas en Syrie, la danse qui traverse ces pulsions de vie devant nous, sur le plateau nu de Pôle Sud semble aller de soi malgré les interdits, les voiles, les mensonges et les hypocrisies.Les cheveux défaits, libérés de leur carcan ,ondulent, s'envolent, déchirent l'espace, le fouettent.Cérémonies de deuil libanaises, rituels de mort inondent le plateau sobrement et ressuscitent une culture qui tend à disparaître.Fatima Zahra et Oum Kalsoum en mémoire pour leur destin tragique de femmes insurgées, chanteuses, révoltées.La beauté touchante de cette approche très sobre opère dans la nuit bordée de pleine lune; la musique transmet l'âme de Sary Moussa qui fait se mouvoir deux égéries symboles de liberté et de soumission.
Voilées, dévoilées, livrées ou délivrées de leurs peurs, elles existent au delà des frontières et incarnent le visible et l'invisible très audacieusement.

A Pôle Sud ce 7 Décembre

"Traversées: carrières, genre, circulations": un colloque édifiant au Festival de Danse de Cannes 2017: "circulez, il y a tout à voir"!


Organisé par le Centre Transdisciplinaire d’Epistémologie de la Littérature et des Arts Vivants en partenariat avec l’Unité de Recherche Migrations et Sociétés, l'Université Nice Sophia Antipolis, l’UFR LASH Lettres, Arts et Sciences Humaines - Département des Arts - Section Danse, le Centre National de la Danse et le Festival de Danse de Cannes. 

Comment se construit une carrière artistique dans le secteur chorégraphique au regard des processus circulatoires et des dynamiques de genre ? Comment les mobilités artistiques sont pensées et vécues différemment selon les sexes ? Quelle place tiennent-elles dans la construction des identités professionnelles ? Comment les circulations modifient les gestes et les imaginaires du corps ? Réunissant chercheurs et artistes, le colloque Traversées engage la discussion ! 

Renversant, comme l'affiche du festival, à saute frontières, en équilibre déséquilibre permanent! Traversé de témoignages touchants, de performances dansées, de propositions réflexives très stimulantes, ce "colloque", ces "assises" de la danse furent un régal pour tous ceux qui purent y participer
Sous la houlette de Marina Mordera et Sarah Andrieu, une réussite à pointer
Avec la participation de doctorantes, d'artistes chorégraphiques, de chercheurs, ce colloque fut un creuset d'informations, de réflexion, de rencontres sous le signe de l'écoute chaleureuse, et de la convivialité!
En ouverture un fameux et historique dialogue entre deux femmes "manager" de leur vie et carrière en symbiose avec la profession et le métier de danseur, toutes deux impliquées et militantes, artistes et désormais directrices d'entreprise artistique atypiques, tel le CND de Pantin, et le Festival de Danse de Cannes, on nomme Mathilde Monnier et Brigitte Lefèvre.Complices et semblables dans la complexité de leur "tache" et "destin" croisé: servir la danse, le corps historique d'un art majeur désormais reconnu mais toujours en quête d'identité singulière et plurielle!
Construire une autre histoire de la Danse par les corps et les émotions, telle de démarche pugnace de Laure Guilbert et de bien d'autres femmes -hélas peu d'hommes dans la bataille- tel fut le propos majeur de cette édition focalisée sur le genre, les circulations des danseurs, des compagnies, des "genres" de danse ou de sexualité, liés à l'existence et la pratique de l'art du corps pensant.
Interventions remarquées de Adeline Maxwell sur Carmen Beuchat, de Layla Zami et Oxana Chi à propos de Tatjana Barbakoff, la performance sous forme de sketch de Ghislaine Gau et le film présenté par Laurent Barré à partir des motifs de la Bayadère!
Passionnantes rencontres, fertiles et troublantes, riches d'enseignement, de méthodologie pertinente, scrupuleuse et exigeante!
On en redemande!

"Don Quichotte" par le ballet National Sodre d'Uruguay au Festival de Danse de Cannes

Que viva Don Quichotte!
Soirée d'ouverture prestigieuse et symbolique, au Théâtre Debussy avec un "Don Quichotte" qui fera date par les ovations du public, conquis par une oeuvre de répertoire, tonifiée par une troupe galvanisée, sensible et habitée
 par Fondé en 1935, le Corps de Ballet du SODRE (Servico Oficial de Difusión, Radiotelevisión y Espectáculos), un équivalent de notre ORTF, est alors l’une des plus prestigieuses troupes d’Amérique du Sud. Après avoir connu une période de déclin à la suite d’un incendie dans les années 70, il renaît de ses cendres grâce à l’étoile internationale Julio Bocca qui en assure la direction depuis 2010. Rebaptisé BNS|Ballet Nacional Sodre, le danseur étoile lui donne un nouveau souffle.
Pour leur toute première venue en France, la compagnie nationale d’Uruguay offre une version exclusive du ballet Don Quichotte, revisitée par les chorégraphes argentins Silvia Bazilis et Raúl Candal. Ce ballet classique haut en couleur permet aux étoiles de briller de tous leurs feux dans des pas de deux virtuoses aux accents espagnols et des ensembles féériques remplis d’humour et de bonne humeur. Cette version qui met en valeur, outre Kitri et Basile, le Chevalier à la Triste figure, développe une technique hors pair, digne de son directeur, Julio Bocca, qui fut le meilleur et le plus brillant Basile de son époque.
Deux heures durant, c'est un feu d'artifice de pas virtuoses, de gaieté, de pantomime enjouée , d'interprétation fine et subtile des artistes de la compagnie. Sur une musique de Minkus, la chorégraphie multiplie solo, adage et composition pour ensembles, bien menés. De la verve et beaucoup de talents au service d'une histoire rocambolesque, chevaleresque et picaresque en diable.
Décors et costumes hispanisants, couleurs chatoyantes et vives, robes aux volants comme des lèvres de poulpes agités....Un panel de théâtralité rondement menée. On remarque l'interprète fétiche de Kitri, Maria Riccetto, ballerine aux pieds légers, enthousiaste et rayonnante, gracieuse, divine danseuse classique.