mercredi 28 mars 2018

"Conférences dansées": Arsmondo Japon joint le geste à la parole.


Thusnelda Mercy, chorégraphe, a proposé un moment privilégié au cours duquel elle a témoigné de son expérience et de ses souvenirs de la création de Ten Chi de Pina Bausch, un spectacle inspiré d’un long séjour au Japon. Les danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin vont, quant à eux, ont évoqué leur rapport avec leur pays d’origine. 
Une rencontre modérée astucieusement par Atsuhiko Watanabe.

Joindre le geste à la parole et inversement, convoquer la mémoire et la réflexion, voici une bien salutaire initiative qui a réunie danseurs, modérateur, images et public autour d'un questionnement vivant, d'actualité autant sur l'histoire de la danse au Japon, que sur les marques, empreintes et influences sur les interprètes et chorégraphes proches de nous.
Un beau solo virtuose de Don Quichotte ouvre le bal, interprété par Riku Ota, tout jeune fétiche de la compagnie du Ballet du Rhin: port altier, postures emblématiques, sauts virtuoses pour une interprétation parfaite: en bref, un trop court bonheur qui lui permet par la suite de nous livrer son enthousiasme d'intégrer une compagnie sans hiérarchie qui donne la possibilité d'interpréter de grands rôles!

Le solo "Nicht" signé de Misako Kato révèle une danse féline, enroulée qui s'étire et se déploie à l'envi. Hommage à Bach, au violoncelle,col roulé et jambes nues, elle se déploie et donne dans ses courses, souffle et rythmes voluptueux. Son histoire est celle d'un parcours entre le Bolchoi, Montréal, le Japon et la France, dans sa langue natale: elle nous livre des propos sur cette immense latitude donnée à la création sur notre territoire, avoue "s"amuser beaucoup" en créant, rendant hommage au musicien de sa ville natale pour dialoguer avec ce compositeur qui l'inspire.De la jubilation, de la joie !

Au tour de Monica Barbotta de s'exprimer dans un extrait du solo de Jiri Kylian "27' 52", volatile, gracieuse et fugace apparition de rêve dans l'espace.La distance, le respect d'autrui et de l'espace de l'autre, seront ses mots pour éclairer son rapport à ses confrères japonais, qui rentrent dans un esprit de travail intense, malgré le "choc culturel" qu'ils ressentent ici.Cette soif d'apprendre des styles "européens", cette volonté les enrichit, les stimulent!
Notre modérateur reprend son rôle de "conférencier" pour évoquer le "butho", les Buthos" de Ko Morobushi, Hijikata, Kazuo Ohno et d'autres Dairakudakan.... Et bien sur Teshigawara et Kaori Ito.



Quelques images vidéo de Hiroaki Umatsu avec "Holistic strata", une oeuvre pluridisciplinaire où l'artiste performeur fabrique autant la musique, que la vidéo, la danse, la lumière et la chorégraphie pour illustrer le "modernisme" de la création "japonaise" et le tour du monde est bouclé!

C'est Thusnelda Mercy qui interprétera un solo extrait de l'oeuvre de Pina Bausch, "fabriquée" au Japon "Ten Chi" qui clôt cette conférence dansée, en beauté. Sensualité, déployé de la danse de cette feme en longue robe à la Pina, échevelée, sauvage.Son témoignage de cette expérience vécue de "loin" mais abreuvée de ses séjours au Japon, fut édifiant, éclairant l'immersion dans un autre monde, où la place est rare, où tout se bouscule, entre tradition et modernisme exacerbée.

Que voici une formule vivante, bien dosée et chaleureuse pour évoquer si bien et en si peu de temps les échos culturels, les immersions, les renvois d'expériences des uns et des autres.
Et si le corps oriental fusionnait avec les esthétiques, comme le corps occidental s'abreuvait de toutes autres langages internationaux?

A l'Opéra du Rhin, salle Ponnelle les 28 et 29 Mars 18H 30


mardi 27 mars 2018

"Siena": une nuit au musée !


Présenté avec POLE-SUD et dans le cadre du Parcours Danse // En anglais et en italien, surtitré en français et en allemand // Chorégraphie Marcos Morau - La Veronal  



Une nuit au musée. Une femme contemple un immense Titien, un homme observe la femme. Siena nous emmène en Italie, de la Renaissance jusqu’à nos jours. Un ensemble de danseurs virtuoses habillés en escrimeurs envahit l’espace, un groupe qui se compose et se décompose dans un collage de tableaux oniriques. À travers un langage du mouvement aussi précis que théâtral, La Veronal interroge les bouleversements que connaît, au cours des siècles, la perception qu’a l’homme de lui-même et de son corps.

Parmi ses différents spectacles, Marcos Morau, dramaturge et chorégraphe, s’inspire des analogies entre danse et géographie, ainsi que de l’imaginaire des villes ou des pays pour développer ses recherches sur le corps et ses représentations. Ses créations au sein du collectif La Veronal comprennent le spectacle Siena, inspiré par la ville italienne. C'est ainsi l'occasion d'analyser les troubles et passionnantes méditations sur le temps du corps, ses représentations et ses combats à travers les siècles.

Elle est présente sur scène et contemple avec délectation le tableau surdimensionné devant elle: le corps immense d'une femme nue, lascive, au regard intrusif.Une Vénus callipyge immense, envahissante. Apparaît dans l'embrasure de la porte de la salle du musée, un visage à mille mains: absurde créature qui se révélera gardien du musée! Pantin tout en noir, désarticulé à la gestuelle segmentée, longiligne silhouette énigmatique. Tout comme le reste des personnages qui feront irruption tout au long de la pièce, sur ce plateau rempli de créatures surréalistes. Mouvements entrelacés, entravés dans leur course à travers les corps, énergie diluvienne de touches brèves, courtes qui n'en finissent pas de tricoter un tissu de matière visuelle mouvante, hallucinant! Par quel bout aborder cette pièce si ce n'est par le fil d'une narration, accumulant les images, les icônes en pagaille sur des musiques évocatrices d'ambiance style polard ou religieux.Duo confondant de danseuses contorsionnistes, en costume de chevaliers, d'escrimeurs, de gris souris vêtus, comme de singuliers animaux versatiles, hyper mobiles.


D'une extrême précision, la danse les habite, les manipule, les fait se mouvoir , très tétaniques, fuyants. Duo de siamoises, gémellité sidérante avec des costumes qui se complètent d'un corps à l'autre et recréent un personnage de puzzle fabriqué de séquences gestuelles en construction sculpturale. Toujours dans le mode vitesse, urgence et rapidité. La dynamique laisse parfois le temps s'installer pour une "cène" croustillante où les prophètes se passent de corps à corps, un sachet plastique virevoltant, saint esprit tombé des nues ou des cimaises de tous les tableaux. Peuplés de fantômes errant, la nuit au musée, alors que celui-ci serait fermé au public. On songe à des œuvres de références, la Danse de Matisse, aux univers absurdes de Magrite ou De Chirico....



Touffu, dense, le spectacle déroule son tapis de surprises qui troublent, effrayent, surprennent à l'envi. Que cherchent-ils au sol, à genoux, que nous raconte-t-elle cette visiteuse, sinon le récit de situation abracadabrantesques. Des sensations de "déjà vu", des rêves, des rencontres duelles où les corps s'entrelacent, se métamorphose.
Et lorsque le tableau de référence se transforme en réceptacle de cercueil, laissant la morte gésir à vue, quand un brancardier saisit au vol un corps qui vient de choir, au pays de cocagne, on reste bouche bée et plongé chez Ionesco en ligne directe.
Un diable en cagoule noire se meut désespérément et nous adresse en clin d’œil final, une salutation espiègle en diable. Le talent de Marcos Moreau est celui d'un prestidigitateur, agitateur de repères, transformateur des corps, manipulateur d'imaginaire, à foison, sans limite .Le plaisir et la stupéfaction opèrent: on baigne lentement dans l'absurde, acceptant l'incongru, le bizarre, l'incroyable mouvante de ce petit monde muséal aux multiples secrets révélés. Une visite guidée inédite, une nuit au musée en compagnie de Belfégor, sans retenue, aux multiples entrées de lecture! Quand il fait sienne, les pérégrinations d'un petit peuple agité!   Terre de sienne, géologie pas té titienne -sienne!



Au Maillon Wacken, présenté avec Pôle Sud jusqu'au 29 Mars.





bt


lundi 26 mars 2018

"1993": Eurodance, cinétique tunnel, magnétique jeunesse éclairée.



Texte de Aurélien Bellanger - Mise en scène de Julien Gosselin - Avec Quentin Barbosa, Genséric Coléno-Demeulenaere, Camille Dagen, Marianne Deshayes, Paul Gaillard, Yannick Gonzalez, Roberto Jean, Pauline Lefebvre-Haudepin, Dea Liane, Zacharie Lorent, Mathilde Mennetrier, Hélène Morelli.

1993 est l’année des derniers travaux avant l’ouverture du tunnel sous la Manche. Calais est au cœur de cette ultime réalisation, qui semble parfaire et achever la construction d’une Europe unie dans son désir de paix, de partage, de modernité. Qu’en est-il aujourd’hui de ce désir ? Et de la ville de Calais ? Dans ce spectacle construit avec le Groupe 43, sorti de l’École du TNS en juillet 2017, le metteur en scène Julien Gosselin et le romancier Aurélien Bellanger interrogent la vision d’une génération : que signifie être né après la chute du mur de Berlin ? De quelles déceptions, de quels rêves hérite-t-on ?
Ils sont douze devant nous, alignés dans la pénombre, encadrés de néons rectilignes.Hurleurs, crieurs et vociférant textes et propos sur le monde, ils haranguent la foule devant eux, à l'écoute, ce public rassemblé ce soir au théâtre, venu pour les écouter raconter le monde.Ce tunnel où s'engouffrent tous les maux, les mots de la puissance, de l'actualité, de la brutalité des choses.Chorus qui bat au rythme des néons qui fusent de leur lumière stroboscopique, hypnotique, simulant la conduite d'un bolide tous feux éteints, propulsé à toute allure sous les ventilateurs du nombril de la terre, pour véhicules emballés dans la vitesse du monde. Métaphore autoroutière des flux et passage, de la circulation, des déplacements de population intempestifs.Danse de lumières et de néons, absence des corps de la scène, ballet de lumières à la "Feu d'artifice" de Giacomo  Balla. Ou art cinétique de Julio Le Parc.Un écran coupe la scène en deux, délivrant le jeu des comédiens en live, surdimensionnant corps délivrés et actions directes. La musique déferle comme dans une rave party, forte, envahissante, omniprésente.Le texte défile en sous titre sur l'écran; tous s'adressent en langue anglaise, universelle monnaie d'échange et de communication. Comme dans une boite de nuit où la tribu s'éclate, boit et danse, se frotte à l'autre et jouit du plaisir de l'être ensemble. Au dessus d'eux planent des images de barbelés, de frontières, de cubes architecturaux, de camps de réfugiés désertés. No man's land en noir et blanc, alors qu'au rez de chaussée s'agite frénétique, la population de jeunes , sans limites,filmée en direct au plus près des corps amoureux ou se questionnant .Ou l'Afrique est bien le berceau du monde! D'où chacun est originaire qu'il le veuille ou non !
Dernier plein feu qui découvre chaque visage, encore filmés dans de beaux plans séquences audacieux, fidèles à l'esprit rebelle du texte, à la mise en scène très proche des comédiens, lâchés dans leur belle spontanéité d'expression physique.Au final des images de paysages côtiers, vides, vacants, frontières ou limites infranchissables. La migration flotte sur ces territoires d'évasion impossible où clandestins, migrants frôlent chaque jour la mort.
Un spectacle "multimédia", direct, franc et courageux pour une génération touchée, bouleversée et consciente que le monde va, sans leur consentement ni adhésion à la dérive des continents de l'humanité. Et nous serions nous ce "Lieu d'Europe" utopique où cette vision autre à la Kechiche, d'une jeunesse dorée qui tangue sur les plages du midi? (Mektoub, my love: canto uno)
Ici c'est en chœur que l'on chante et danse!La communauté réfléchit le texte d'Aurélien Bellanger et danse façon Julien Gosselin sur les rivages du souvenir, comme un devoir de mémoire corporelle, salvateur, rédempteur des erreurs  des prédécesseurs responsables.

Au TNS jusqu'au 10 Avril