vendredi 30 mars 2018

Claire Tabouret danse !



jeudi 29 mars 2018

Regard sur la création contemporaine japonaise n°3: le temps, clepsydre nippone.

Troisième volet des concerts dans le cadre de Arsmondo, le Japon, pliloté par l'Opéra du Rhin, assumé avec brio par l'ensemble Linéa, sous la direction de Jean Philippe Wurtz, ces instants de musique furent un pur régal.La philosophie du Japon et l'écriture occidentale s'y rejoignaient, spirituelles, métaphysiques où le temps se définit comme circulaire, suspendu et non linéaire: cyclique à l'envi, les choses y reviennent, y retournent, la musique y éclate, savante. "On n'y entend pas tout" et là réside le mystère. Belle introduction du chef, précise, poétique et fort engageante!

C'est avec- Toshio Hosokawa : In die Tiefe der Zeit 16’ pour accordéon, basson (1994-1996) que démarre la soirée dans la salle Bastide.Deux longues plaintes des instruments, deux souffles qui s'étirent, pulsent, dans les graves pour le basson magistralement dompté par Antoine Pecqueur,dans les aigus vibrants pour l'accordéon, maîtrisé par Marie Andrée Joerger. De belles vibrations communes, une complicité évidente quand les sonorités se confondent, se mélangent sur le fil de la partition. Le corps tendu, fébrile du bassiste, quasi sur la pointe des pieds, assis sans jamais l'être tant la tension l'habite et est communicative! .Les appuis, les accentuations s'y multiplient, les sons se renforcent et rebondissent: une véritable danse, une musique à regarder à travers le médium corporel très officiant. La proximité du public avec les interprètes aidant au phénomène d'empathie partagée. Comme lors d'une lutte, d'un duel, le duo renforce le volume sonore, les intensités se précisent, les corps s'investissent dans des ondulations, suspensions révélatrices de l'engagement organique des artistes.Va et vient, vagues successives, retour et ressac de la musique en font un océan de retenues, de souffles. Quelques frappés sur le corps du basson, jeu "terrestre" pour cette avancée cérémoniale, parcourue d'incidents où les graves se multiplient, colorent, soutiennent et maintiennent la pièce. Lui semble bondir, prêt à partir et fait surgir les sons dans des intonations qui reviennent, s'amplifient. Un acte de bravoure pour ces chevaliers en action.

 Changement d'univers avec l'oeuvre de Toshio Hosokawa : Atem Lied 9’ pour flûte basse solo (1997) C'est au talent de Keiko Murakami que l'on doit cet instant intense d'émotion musicale. Délicate dans sa longue robe plissée noire à la Myaké, elle danse devant nous, pieds ancrés au sol, appuis qui la fond se balancer, osciller au moindre souffle de la flûte.Des sons éjectés, expulsés la poursuivent, la traquent sur le parcours musical ascendant: la flûte comme un pinceau traçant une calligraphie visuelle dans l'espace ondoyant de son corps, tendu, relâché comme l'écriture chorégraphique de Pina Bausch. C'est délectable à regarder, à observer cette 'interprète qui délivre une poésie remarquable dans son jeu. Jaillissements, feux d'artifice éclaboussants, éparpillements des sons font de "Atem Lied" une oeuvre qui libère les vannes du son, chasse le souffle en expirations et inspirations vitales qui exaltent l'instrument entre les doigts graciles et manipulateurs de Keiko Murakami. Le son file, se fraie un chemin, un passage , comme une caresse, un effleurement dans des envolées, suspensions vertigineuses... A vous couper le souffle, les yeux rivés sur la créature hybride-flûte-corps vivant- partie d'un essaim d'abeilles, d'insectes qui vibrent au dessus de nos têtes. Un instant de "grâce" inoubliable.

Suit la pièce de Tru Takemitsu (1930- 1996) : Rain Spell pour flûte, clarinette, vibraphone, piano, harpe 8’ (1983) Une atmosphère très sensitive, aquatique, pleine d'harmonie où le solo de départ de la clarinette illumine et donne le ton:vif, détaché, alerte, lumineux.Une chaîne de sonorités se déroule, se passe, témoin d'un tempo et de colorations sonores inédites.Déferlement et amplitude des sons, dialogue harpe-flûte éloquent, aérien, alors que les percussions effleurées du bout des mailloches caressent l'univers magnétique de la musique ainsi engendrée, fabriquée par cette union d'instruments si divers. La harpe, fluide, perspicace intervient pour ponctuer de ses pincements, la rivière et son flot de sons. Beaucoup d'espaces s'ouvrent dans cette composition protéiforme, planant, s'étendant à l'envi, s'ouvrant sur des paysages fluctuants.Comme un sentier qui s'ouvre sous les pas du défricheur. Goutte à goutte aussi d'une clepsydre distillant le temps, un sablier filtrant la matière sonore minérale.Dissolution finale comme un précipité inversé du son.

Après cette émotion musicale, place à - Misato Mochizuki (1969-): Pas à pas 8’ pour accordéon, basson (2000)
.Une introduction en clin d'oeil à la musique du XVII ème siècle de Bertolini, pleine d'humour de la part des interprètes complices d'un phénomène musical réjouissant, et voilà un jeu de scène galant, précieux qui se révèle comme une révérence, une danse, dans des pliés et virevoltes éloquents.Respirations répétitives de l'accordéon qui berce et se balance.Claquettes sous les pieds du bassiste qui frappe sur des castagnettes rivées au sol...L'accordéon se compresse, s'étire, on va bon train, tout se précipite, s'emballe dans un rythme jouissif, une musicalité industrielle, mécanique redondante qui sublime les sonorité dans un tempo d'enfer! Accélérations diluviennes, ascensionnelles, crescendos allègre à perdre haleine!
Une histoire, une narration sonore se profile, imaginaire des timbres, démarches volontaires, rythme d'un "marcheur" en action.
Puis une lente descente, affaisement ou perte des forces, dépenses, dégringolade où les sons rampent, vibrent, respirent et se taisent.

Et pour terminer à Toshio Hosokawa avec Slow Dance pour flûte, clarinette, piano, violon, violoncelle, percussions 12’ (1996) sera le "clou" du concert.Le chef d'orchestre présent déclare ouvert ce coup d'éclat musical, dans une atmosphère mystérieuse, parsemée de surprises, planante, subtile, suspendue à chaque instrument.Ca fuse de toutes parts, dans des bruissements étranges, brefs, des effleurements des instruments, puis dans des tornades de sons: la grosse caisse en majesté. Discrète autant qu'intrusive!La retenue du jeu, les glissements, frôlements font décoler, voyager dans des sphères spirituelles, dans l'éther éternel. Ravissant, captivant, éclairé, apaisant, ce morceau est fort contrasté, retounantensuite à la tourmente et aux assaurs de sonorités amplifiées. Cordes et souffles bordés par le piano et la grosse caisse.
Une lente redescente nous ramène , nous reconduit sur le fil des sons, musique funambule, périlleuse, audacieuse...

Un récital mémorable, une intense expérience sonore et spirituelle pour un public conquis, emporté par tant de créativité inédite. Le Japon nous surprendra encore et cet hommage au maitre Horosawa, fut une réussite éditoriale totale.


Avec : 
- Jean-Philippe Wurtz, Direction d’orchestre 
- Marie-Andrée Joerger, Accordéon 
- Antoine Pecqueur, Basson
- Keiko Murakami, Flûte
- Andrea Nagy, Clarinette
- Victor Hocquet, Percussions 
- Reto Staub, Piano
- Geneviève Letang, Harpe
- Marco Fusi, Violon / alto
- Johannes Burghoff, Violoncelle

Le concert fut suivi d’une rencontre animée par Eva Kleinitz consacrée à la création musicale au Japon  

mercredi 28 mars 2018

"Conférences dansées": Arsmondo Japon joint le geste à la parole.


Thusnelda Mercy, chorégraphe, a proposé un moment privilégié au cours duquel elle a témoigné de son expérience et de ses souvenirs de la création de Ten Chi de Pina Bausch, un spectacle inspiré d’un long séjour au Japon. Les danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin vont, quant à eux, ont évoqué leur rapport avec leur pays d’origine. 
Une rencontre modérée astucieusement par Atsuhiko Watanabe.

Joindre le geste à la parole et inversement, convoquer la mémoire et la réflexion, voici une bien salutaire initiative qui a réunie danseurs, modérateur, images et public autour d'un questionnement vivant, d'actualité autant sur l'histoire de la danse au Japon, que sur les marques, empreintes et influences sur les interprètes et chorégraphes proches de nous.
Un beau solo virtuose de Don Quichotte ouvre le bal, interprété par Riku Ota, tout jeune fétiche de la compagnie du Ballet du Rhin: port altier, postures emblématiques, sauts virtuoses pour une interprétation parfaite: en bref, un trop court bonheur qui lui permet par la suite de nous livrer son enthousiasme d'intégrer une compagnie sans hiérarchie qui donne la possibilité d'interpréter de grands rôles!

Le solo "Nicht" signé de Misako Kato révèle une danse féline, enroulée qui s'étire et se déploie à l'envi. Hommage à Bach, au violoncelle,col roulé et jambes nues, elle se déploie et donne dans ses courses, souffle et rythmes voluptueux. Son histoire est celle d'un parcours entre le Bolchoi, Montréal, le Japon et la France, dans sa langue natale: elle nous livre des propos sur cette immense latitude donnée à la création sur notre territoire, avoue "s"amuser beaucoup" en créant, rendant hommage au musicien de sa ville natale pour dialoguer avec ce compositeur qui l'inspire.De la jubilation, de la joie !

Au tour de Monica Barbotta de s'exprimer dans un extrait du solo de Jiri Kylian "27' 52", volatile, gracieuse et fugace apparition de rêve dans l'espace.La distance, le respect d'autrui et de l'espace de l'autre, seront ses mots pour éclairer son rapport à ses confrères japonais, qui rentrent dans un esprit de travail intense, malgré le "choc culturel" qu'ils ressentent ici.Cette soif d'apprendre des styles "européens", cette volonté les enrichit, les stimulent!
Notre modérateur reprend son rôle de "conférencier" pour évoquer le "butho", les Buthos" de Ko Morobushi, Hijikata, Kazuo Ohno et d'autres Dairakudakan.... Et bien sur Teshigawara et Kaori Ito.



Quelques images vidéo de Hiroaki Umatsu avec "Holistic strata", une oeuvre pluridisciplinaire où l'artiste performeur fabrique autant la musique, que la vidéo, la danse, la lumière et la chorégraphie pour illustrer le "modernisme" de la création "japonaise" et le tour du monde est bouclé!

C'est Thusnelda Mercy qui interprétera un solo extrait de l'oeuvre de Pina Bausch, "fabriquée" au Japon "Ten Chi" qui clôt cette conférence dansée, en beauté. Sensualité, déployé de la danse de cette feme en longue robe à la Pina, échevelée, sauvage.Son témoignage de cette expérience vécue de "loin" mais abreuvée de ses séjours au Japon, fut édifiant, éclairant l'immersion dans un autre monde, où la place est rare, où tout se bouscule, entre tradition et modernisme exacerbée.

Que voici une formule vivante, bien dosée et chaleureuse pour évoquer si bien et en si peu de temps les échos culturels, les immersions, les renvois d'expériences des uns et des autres.
Et si le corps oriental fusionnait avec les esthétiques, comme le corps occidental s'abreuvait de toutes autres langages internationaux?

A l'Opéra du Rhin, salle Ponnelle les 28 et 29 Mars 18H 30