dimanche 22 juillet 2018

Tranversales au 72 Festival d'Avignon 2018: Karelle Prugnaud, Ali Chahrour : d'autres rives.

Des "K" particuliers: des jumelles sur les toits et le deuil en Iran: autant de sujets palpitants pour créateurs singuliers...Voyons, écoutons voir....


"May he rise and smell the fragrance" de Ali Chahrour

Ode à la mère, mémoire vive.
C'est une ode chantée, mouvante, à la mère, à l'Iran, à une culture du deuil, farouche, amère, vibrante qui fait se secouer, trembler , osciller les corps, sourdre des sons tragiques de la voix de la chanteuse, comédienne, éprise de douleur, de sentiments exacerbés. Rituel de mort conduit pudiquement par la danse et la musique qui célèbrent Ishtar, déesse de la vie et de la fertilité. Lamentations en litanies de la Mère, figure prégnante, éperdue dans ce monde de sacrifices et de légendes terrifiantes de la culture des rites funéraires dans le monde arabe. On en frémit, on vibre, on communie avec ce passage obligé dans les enfers et monde des ténèbres.


La musique est un délice et son écoute est renforcée par la présence du danseur, épris de mouvements très intérieurs, laissant percevoir tressaillements, transe, égarement et abandon.La danse parcourue de frissons, d'attitudes et de postures remarquables, issues d'une longue attention du chorégraphe sur les corps votifs, maîtres d'eux-même: la femme, celle qui survit à l'homme et donne la vie, est mère éplorée mais combative dans un rôle fondamental de pilier de vie....et de mort!

Au Théâtre Benoit XII jusqu'au 17 Juillet


"Léonie et Noélie" de Karelle Prugnaud

Enfance superposée: toi émoi à l'abri du monde
Sur les toits, sur des échafaudages périlleux, deux jumelles avalent le dictionnaire, gobent les mots, déglutissent le verbe et s'aiment à tout rompre, à tout vent.Doublées par deux fantômettes masculines, tout droit sorties de la collection "bibliothèque verte", cl^nes ou doubles fantasmés et fantaisistes. Cette pièce utopique-non lieu- de leurs divagations et digressions verbales et physiques. Costume, uniforme scolaire de pensionnaires studieuses en diable, frange et autres atours de rigueur pour une école de vie stricte. Les images vidéo projetées de chaque côté du mur de la chapelle, élargissant le propos: gratte-ciel vertigineux, mère fusionnelle, berceau de poupons jumeaux et autre policier-Denis Lavant- désopilant.

C'est Noélie et Léonie vont en bateau pour une navigation aérienne pleine de charme et de poésie.Les espaces s'ouvrent au dialogue des corps: la ville prend le dessus, les toits surveillent les deux gamines qui font l'école buissonnière, sèchent les interrogations écrites et ne font pas les bons devoirs de vacances! Justine Martini et Daphné Millefoa, sur un texte de Nathalie Papin méditent sur le monde de la gémellité; s'extraire du monde pour réaliser ses rêves et non ceux des parents, s'envoler dans son altérité, grandir sans le joug de l'autre...."Etre Un" sans l'autre, siamois de la société éducative et castratrice.Encore une métaphore d'un "genre" particulier: les jumelles, êtres complexes, rares et trop souvent considérées comme des accidents naturels.


Les images vidéo, fondamentales de cellules qui se séparent, se dédoublent dans le placenta, d'entrée de jeu situent le phénomène et structurent la pensée de ce spectacle tonitruant, bien rythmé, joyeux et grave à la fois où la densité et la gravité font la nique au dogme sur ce bel échafaudage où s'échafaudent les rêves les plus fous: du Larousse au Petit Robert, quel abécédaire construira les corps et les pensées de ces deux funambules de l'utopie?
Tito Gonzales-Garcia et Karelle Prugnaud, créateurs d'images, excellent dans l'évocation de "villes invisibles", de lumières projetées, évoquant des espaces fantasmés. Images vidéographiées, torturées, disséquées comme ces esprits perturbés par des corps non conformes . Le toit du monde où évoluent les deux figures circassiennes, "stégophiles" s'extrait ainsi des turbulences et fonde un lieu, un endroit à l'envers des conventions.Apesanteur et légèreté peuvent s'y nicher à l'abri des appâts et pièges de la différence à assumer. Belle métaphore plastique, toi émoi, deux jumelles et leur double qui volent à leur secours, et les sauvent de leur destinée toute tracée par les adultes: un agent de sécurité en sera tout turlupiné !

A la Chapelle des Pénitents Blancs jusqu'au 23 Juillet

La DANSE et ses extensions au Festival d'Avignon 2018

Encore quelques "bonnes adresses" pour être au bon endroit, à la bonne heure avec les bons artistes au cœur de cette programmation, tous "genres confondus" de cette édition 2018 des "rencontres " d'Avignon!


"36, avenue Georges Mandel" de Raimund Hoghe

NPAI, n'habite plus à l'adresse indiquée
Raimund Hoghe de retour au Cloitre des Célestins pour une reprise de son hommage à La Callas: est-ce vraiment une bonne idée de "mettre en plein air" une oeuvre intime, mythique et rituelle qui va se heurter à des connotations multiples?
Il est déjà sur scène, enroulé dans sa couverture -de survie- à la Beyus, coyote sur le plateau nu.
La cérémonie peut commencer: un homme en inaugure l'espace, entre les différents objets disposés au sol, qu'il entoure d'un trait de peinture comme pour signaler les victimes d'une tragédie, d'un meurtre.Et démarre les morceaux choisis des interprétations des grands airs de La Callas: choix judicieux, inédit, fouillé: notre petit homme arpente la scène à la recherche de son identité: talons hauts, chemise blanche. Solitude, errance, sans domicile fixe, dans sa maison de carton ou accoudé au mur, le temps passe et lasse, La Callas est partie sans laisser d'adresse et le "tombeau" est vide.


La magie semble ne plus opérer pour cette oeuvre de "répertoire", malgré la présence magnétique finale d'Emmanuel Eggermont qui déchire le plateau de sa beauté sereine, de ses gestes sobres et recueillis
Que s'est-il passé entre-temps pour que l'adresse et l'écriture du danseur-chorégraphe de l'indicible ait disparue au profit d'un long inventaire de mélodies qui lasse; parfois encore quelques touches d'humour, signifiant que Carmen, c'est de la routine et que le tube de Bizet, ça use. Oui, mais on préfère sans doute Raimund Hoghe, pas le fantôme de Callas, épuisé, éreinté, dépassé, exploré une fois de trop. A réchauffer les œuvres, on ne gagne pas toujours.La Diva déchue et reniée, trahie n'émeut plus.Et la recette est connue.
Réveiller les spectres, n'est pas toujours de bon aloi !

Au Cloitre des Célestins jusqu' au 19 Juillet


"La nuit sans retour" de Monsieur K de Jérôme Marin
Reviens, la nuit ! Mis Knife !
Au "Délirium", un espace singulier, de "nuit" à Avignon: 22H 30 : ça démarre pour une longue nuit style cabaret "Chez Michou", une création pour noctambules friands de transes et de "trans-sexualité" non dissimulée, affichée, assumée, joyeuse et insouciante....C'est "Monsieur K pour succéder à Madame Arthur dans le genre cabaret, monde nocturne de la chanson, bordée de comédie, performance de danse et de travestissement.
Le public est nombreux, curieux de s'encanailler sur fond de gravité poétique et politique. Car le cabaret ici, c'est celui de Paris, autant que de Berlin avec son côté "refuge", terrier, abri contre les conventions et la dictature, contre l'homophobie et autre acte d'exclusion ou de discrimination.
Jusqu'à potron minet, l'ambiance va monter, les voix et les corps se glisser dans des personnages étranges, hybrides, créatures androgynes, énigmatiques, provocantes. Ils donnent de la voix sur cette petite estrade, près du piano, comme confiné, serré dans l'espace réduit d'une convivialité et proximité chaleureuse. Les numéros s'y succèdent dans une ambiance tantôt bon enfant, tantôt tendue de part l'évocation de situations ou de contexte politiques farouches et "gênants".


"Mis knife", "j'entend ta voix" avec Olivier Py est c'est la surprise de recevoir ici des invités conviés à partager le ring !Ça dérange, ça décape et dépote joyeusement: Monsieur K en maître de cérémonie, Monsieur Loyal, comme Karl Valentin, paillettes et strass obligent, plumes ou costume de déconfit, comme oripeau ou peau de vache.La proximité , la promiscuité opèrent et le public, un verre à la main, déguste diatribes, vociférations, chansons et clowneries avec avidité. La "mise en public" fait mouche dans ce décor dépouillé où seuls les talents des artistes séduit et fonctionne au quart de tour. Un "genre" de show très interactif où les stars sont des vedettes de pacotilles attendrissantes ou féroces, ogres ou anges déchus, défroqués, hallucinants. La troupe est galvanisée par un répertoire de chansons cinglantes ou tendres dans une déontologie du genre, exemplaire. On est bien chez Monsieur K et nulle part ailleurs!

Au Délirium les 16 et 17 Juillet 22H 30....4H...

samedi 21 juillet 2018

La DANSE au festival IN d'Avignon 2018 : indisciplinée, pas "mauvais genre" !

La Danse des orifices
Après les "corps hétérogènes" d'Alain Buffard dans "Mauvais genre", que faire dire de plus à l'art chorégraphique sur la question du "genre"? Et bien encore et en corps, après Sorour Darabi, pétrit de son premier "Farci.e. ", androgyne à souhait, "il-elle" (le masculin l'emporte toujours sur le féminin !)  dans ses propos transcrits,voici quelques pièces emblématiques d'artistes performeurs engagés, Phia Ménard, François Chaignaud, Raimund Hogue.....


"Romances inciertos, un autre Orlando"de François Chaignaud et Nino Laisné

Orlando furioso: chansons de gestes
Création pour le Cloître des Célestins, la pièce fait la part belle au chant, à la voix extra-ordinaire de velouté, de nuances et de timbres de Chaignaud dont on découvre ici toute l'amplitude et la facture sonore, matière riche et dense qui sourd d'un corps au souffle de danseur !
Si la cage thoracique et le diaphragme sont fondamentaux pour l'art "lyrique" Chaignaud ajoute ici des qualités de mouvance, d'inclinaison et de déclinaison corporelle singulière. Personnage multiple, oscillant entre le chevalier, guerrier médiéval ou japonais, samouraï arborant une carapace de bois très "plasticienne", designée comme une icône votive et un chevalier sur échasses, il habite le lieu délicieusement.

Entouré de musiciens, tous issus d'univers baroque ou médiéval, viole de gambe, bandonéon, théorbe et guitare baroque, il se fraye un chemin, grave, cérémonial, à travers l'espace, semant gestes et vocalises dans une langueur délectable, un phrasé et une langue parfaitement maîtrisée, par cœur, par corps imprégnée. Des échasses pour mieux arpenter la surface de répartition d'un match contre la montre, celle du temps qui passe, en dernier ressort. Des pointes pour mieux souligner l'origine de l'élévation, du travestissement des danseurs en ballerine dans certain rôle, pointes martelant le sol, amenant à cette très belle évocation d'un Carmen perdue, esseulée qui traverse la salle pour échouer sur le plateau Visage impassible et pourtant, chorégraphie de chaque trait pour une expression voisine de la Argentina ou de Kazuo Ohno....Artaud n'est pas loin, sa "danse et son double" spectre, divaguant, ectoplasme androgyne, ange sans aile qui hante le Cloître. Quand les feux s'éteignent, le chant se meurt et seule Echo résonne en déesse du souvenir, sans matière.
François Chaignaud et Nino Laisné au vif du sujet, entre ballet de cour, précieux et distingué et cour des miracles, peuplée d'être multi-formes hybrides, en mutation. Du bel ouvrage, une romance, un acte artistique inédit du fond des temps resurgit.
Au  Cloître des Célestins jusqu'au 14 Juillet


"Saison Sèche" chorégraphié par Phia Ménard Cie Non Nova

Le sexe faible,anti-sèche décapante.
"Je t'éclate la chatte" en préambule et c'est au processus de création de Phia Ménard que va se frotter "l'origine du monde" Autant dire qu'elle a du "clito" et non pas "des couilles" question de genre !
Plasticienne en diable, la chorégraphe livre ici avec des moyens conséquents une vision fertile d'univers habités par femmes et créatures plastiques, singulières.Nymphes, ballet de sorcières, ronde chamanique fédérative pour un genre féminin, apparenté à ce rôle de mâle de tribu, style "Les Maitres fous de Jean Rouch"
Premier acte: sept danseuses, nues, longues chevelures seront ces proies pour brosser des tableaux très esthétiques et signifiants. Se maculer de couleur ou de noir sur le pubis pour faire des corps une monstration vivante du "Traité des couleurs" de Goethe: et surtout jouer sur l'enveloppe, la peau, le costume: des slips noirs qui ont "les boules" de pétanque et les pieds tanqués. C'est drôle et bien pensé, jamais vulgaire ni provoquant. Simplement, le bon sens près de chez vous: elle a des couilles: alors ok, on en met !

L'habit qui fait le moine défroqué: des cintres, descendent des porte manteaux, comme dans une salle des pendus: à l'intérieur, une garde-robe pour chacune qui n'aura de cesse de tout essayer, de s'y confondre car ce sont des vêtements d'homme !
Danse de macho, de footballeur, de VRP ou PDG, tout y passe en terme de poses, attitudes, gestuelle appropriée au sexe fort!Puis toutes( ou tous) en ligne, le bataillon s'anime pour un défilé militaire aux accents de force de frappe au sol, hallucinant: unisson et diapason au poing. En rang serré comme à L'armée, alarmée. Ou mal armée pour ce combat singulier masculin-féminin: on ne restera pas neutre devant cette avalanche de préjugés, mis à nus par la chorégraphe.En batterie de bêtise, d'idiotie ou en simple constat de réalité sociologique.
 Suit une gigantesque catastrophe plastique, mue par des rideaux de fer enserrant le plateau, plafond menaçant, sur ce "white cube", galerie d'art où l'on épate ni n'amuse la galerie.
Univers en noir et blanc, en gris après les couleurs chatoyantes du premier acte.
Longues dégoulinades de matière noire, venues d'un autre univers volcanique, lave ruisselante, le long de toiles plissées qui épongent eau et outre-noir.
Magnifique installation plastique au cœur du spectacle vivant, déchirée par les corps maculés des créatures venues tout droit d'un support surface idéal.
Figuration libre de la Danse plasticienne de Phia Ménard est visionnaire onirique d'une planète souillée au delà du non conventionnel et du décalé obligé de ses  propos d'intention.
Bien au delà d'un simple constat: encore de longs soulèvement tectoniques pour mettre à bas les conventions sociales et esthétique de la danse.
Une saison bien 'trempée" dans un caractère de feu et de fouge, de poésie et de tendresse aussi !

A l'Autre Scène du Grand Avignon jusqu'au 24 Juillet .


"Kreatur" chorégraphié par Sasha Waltz
Décadanse
C'est aussi très "plastique" et visuel, mutualisation de costumes "mode" signés Iris van Herpen et architecture scénographique: cette pièce appelle à la contemplation, à la dégustation de gestes entravés par des costumes "à danser" qui ne le sont pas -Christian Lacroix ou Sylvie Skynasi ne le démentiraient pas !
N 'est pas créateur-costumier pour la scène qui veut.


Reste que ces cocons de soie, mus par des corps transparents, ces jupettes noires et bleu profond, ajourées font "collection" de saison et agacent les pupilles. Soudwalk Collective pour le son, et le ton est donné.Cette meute ainsi galvanisée offre quelques beaux instants de sculpture, miroir déformant, reflets virtuels des corps immergé dans des plaques réfléchissantes. Ondoiement des formes mécaniques, virtuelles, esquisses éphémères de calligraphie non pérenne.Un escalier blanc qui ne mène nulle part pour échafauder des univers absurdes, des corps malmenés, dénudés en horde, lâchés à l'envi dans des débordements charnels puissants. Les corps s'inspirent d'espaces fouillés, restreints, emprisonnant les gestes pour faire immerger l'étroitesse et l’exiguïté des univers carcéraux.On retrouve l'artiste, démiurge de la catastrophe, du chaos: au bord du gouffre, on se suspend, résiste, survit, groupés ou solitaire et seule "La Décadanse"de Gainsbourg vient rassurer cette ode au magma pour faire douceur et espoir.Sasha Waltz toujours très pasolinienne, traitant les sujets comme des objets de culte ou de désir. C'est beau et agaçant et ça titille comme "la puce à l'oreille" pour chatouiller la sensibilité et les neurones. Maître de l'architectonique des corps, elle figure ici en proue et signe un opus mémorable.


 A l 'Opéra Confluence jusqu'au 14 Juillet