mercredi 19 septembre 2018

"Danser comme si personne ne regardait": Jérôme Bel à fondre de plaisir !



Dans la Chapelle de l'Hotel Dieu de Lyon, l'atmosphère est au recueillement: on quitte ses chaussures pour regagner un espace libre, moquette orange et "bananes" acoustiques au sol... L'expérience sera sensorielle, ludique ou simplement contemplative
Une femme, danseuse, est allongée au sol et émet des micro mouvements tout en se lovant au sol, magnétique image qui donne envie de mimétiser, de se fondre dans ce jeu méditatif, respectueux du lieu, hors du temps, méditatif et un brin solennel. Lieu de prière, de recueillement, ce temple de la douceur fait mouche et incite à fuir le monde bruissant de la métropole lyonnaise, fébrile et laborieux.
On s'y pose et dépose son propre corps, à l'écoute d'un son omniprésent, sorte de sirène apaisante dont le volume varie selon la position physique adoptée.
Des coussins en forme de demi- lune invitent à cette écoute et modifient la présence des décibels à l'envi. Du "Jérôme Bel" à coup sur, doublé dans sa proposition éditoriale par trois projections hors les murs de films de ses œuvres emblématiques, dans des lieux insolites, liés aux contenus des œuvres!
Un parcours libre dans la ville ouvrière où les cervelles de canuts et autres tabliers de sapeurs, raviers ou baude rappellent l'aspect et la mémoire industrieuse et ingénieuse de la ville à la condition des soies !
Du cocon sans cocooning qui perturbe notre perception et vient enrichir la réflexion sur l'acte dansé, produit ou reproduit.

Parcours dansé jusqu'au 29 Septembre

"La pomme dans le noir": le fruit est mur !



"D’après le roman Le Bâtisseur de ruines de Clarice Lispector Traduction Violante Do Canto Mise en scène, adaptation et lumière Marie-Christine Soma Avec Carlo Brandt, Pierre-François Garel, Dominique Reymond, Mélodie Richard.

 Martin, jeune ingénieur qui a commis un crime, fuit la ville et se fait engager dans une ferme isolée où vivent Victoria et sa cousine Ermelinda. Dans cette adaptation du roman de l'écrivaine brésilienne Clarice Lispector, paru en France sous le titre Le Bâtisseur de ruines, Marie-Christine Soma nous fait vivre la transformation d'un homme qui, pensant avoir tout perdu, retrouve le chemin de son humanité. Un parcours initiatique qui passe par la découverte de la nature et de ces femmes au destin singulier. Comment re-trouver sa place dans le monde ?"

La salle Gruber ouvre la saison du TNS et accueille sur son immense plateau, les pérégrinations physiques et verbales, d'un quatuor hors norme pour une histoire, tissée de récits et de dialogue, judicieusement mise en scène dans cet équilibre périlleux!
Distance ou engagement du jeu? Cela débute par le son d'une voix d'homme, dans le noir et l'obscurité totale, qui nous murmure le récit d'une vie.. Conte à dormir debout, narration des aventures de quatre personnages, campés par main de maître par des comédiens, habités, fébriles et entiers.
Des récits à croquer à pleine dent, où homme et femme se séduisent, se contournent, s'apprivoisent à l'envie. On les suit sur le sentier du péché consommé, de la volupté, du désir ou de l'envie de connaitre ou d'éviter l'autre.
Les mots sont justes, le propos s'égrène plus de deux heures durant à travers une syntaxe musicale qui fait bouger les corps, travailler cet anti héros, Martin, incarné par Pierre François Garel. Travailleur de fond, ingénieur malmené par le sort qui le transforme en ouvrier laborieux mais qui n'a de cesse de servir  sa patronne,Victoria incarnée par Mélodie Richard, plantureuse matronesse, femme de poigne et de fer, qui va bientôt s'adoucir, et remodeler les contours strictes et acerbes de ses paroles!
Amour tendre ente Martin et Ermelinda qui croquent la pomme, Adam et Eve malgré eux, beaux et présents sur le plateau encombré d'ustensiles liés au travail. Sensualité et finesse du jeu de ce couple qui se frôle, se cherche, oubliant le passé de chacun.
Crime commis par Martin dans le passé qui revient hanter la pièce et l'esprit du jeune homme comme une fixation dans ce huis clos de tribunal bucolique: western romantique, avec images cinématographiques à l'appui, ombres et images virtuelles qui suggèrent les fantasmes et objets de mémoire...
La mise en scène révèle ce paradis perdu Eden où gravitent ce petit peuple qui se voudrait libre, mais qui finit, menottes aux mains par se referme sur son destin, inexorablement!

Au TNS jusqu'au 28 Septembre

"31 rue Vandenbranden":le van tourne pour Peeping Tom!




Encore un pari osé pour le Ballet de Lyon: convoquer les "Peeping Tom", Gabriela Carrizo et Franck Chartier: "transformer" le mythique 32 rue de Vandenbranden, en une autre avenue, celle des corps et des performances hors norme de ce "corps" de Ballet, cette "compagnie" dirigée par Yorgos Loukos .
Opération délicate que de transposer une oeuvre chorégraphique faite sur mesure pour les personnalités hautes en couleur du collectif Belge !

Et cela prend ! Comme un bon plat mijoté qui regorge de saveurs, de fragrances et de surprises.
D'emblée le décor séduit, très pictural à la Denis Hopper  cinématographique: du 16 neuvième, du grand écran large aux lumières tamisées. Au loin des montagnes, au front de scène deux mobiles homes, deux vans où se jouent les scènes de la vie à travers la lorgnette des ouvertures, fenêtres pour "voyeur", mise en abîme du cadre; celui de la boite noire, doublé du trou de serrure d'où surgissent personnages et visions absurdes. Un voyageur perdu échoue sur cette banquise isolée de tout, ventée par des zéphyrs ou aquilons, borée animés par Eole qui berce et défrise plus d'un étranger en quête d'oasis, de bivouac.
C'est l'hiver glacial qui mugit qui tétanise les corps emaillottés de peaux de bête, de fourrure ou en tenue de nuit ou de soirée, bien au chaud dans ces caravanes de nomades échouées, comme deux icebergs.
On songe à "L'iceberg", le film inénarrable, burlesque et absurde de Abel/ Gordon et l'on plonge dans l’Antarctique avec délice. C'est un jeu de rôle fin, dosé, savant, comique ou dramatique qui se déroule sous nos yeux, fascinés par la vélocité, la grâce et le jeu de ces danseurs comédiens, aguerris à tous les styles qui se glissent dans la peau de ces héros de pacotille. Une autre dimension du spectacle surgit alors, animée par des énergies, des profils différents d'interprètes. La danse y gagne en surprises, souplesse, performance et clins d’œil au langage classique. La patinoire devient une aire de jeu, ludique, joviale, enchantée par les prouesses des jeunes danseurs. Le vent mugit sans cesse, arrachant les parapluie des mains des protagonistes, la lumière change selon les crépuscules du soir ou du matin... C'est beau, pictural, émouvant, animé par des sentiments variés et convaincants. La narration va bon train pour celui qui se laisse glisser dans cet univers changeant, attirant, magnétique!
Histoires de maison, de lieu, topique des instants de vie uù la chasse est ouverte (duo étonnant où les couples meurent et ressuscitent). On est à l’affût des intrigues entre ces personnages versatiles, uniques en diable et quand quatre skieurs surgissent dans ce décor curieux c'est du Plonk et Replonk, animé par l'onirisme!Et quand la chanteuse Eurudike de Beul s'y met, c'est tendre, burlesque et très "vocal" ! Un superbe duo sur une musique des Pink Floyd donne la mesure de la technique très maîtrisée des danseurs, de leur adhésion aussi au style et à le griffe "Peeping Tom" qui signe ici une pièce phare qui fera date ! Un opus d'images superbes de paysages, de "home sweet mobile home", huit clos pour Quinze danseurs, savants ingrédients pour l'imagination des deux faiseurs de rêve....
Brise glace et autre instrument du froid pour nous réchauffer le cœur et la mémoire: une pièce de "répertoire" qui avait tout pour y échapper et qui fait mouche au panthéon de la mémoire vive du spectacle vivant: la passation opère aussi dans le "conservatoire", mausolée bien charnel et habité par des êtres dont le bien être et bien naître n'est pas du vent! Un patrimoine rare et précieux dans les annales des "restaurations" ou reconstitutions d'oeuvre chorégraphique revisitée selon les pointures qui s'y glissent! En grandes pompes !

A l 'Opéra de Lyon jusqu'au 15 Septembre