La démarche créatrice de Giacinto Scelsi était singulière. Il disait recevoir sa musique d’un deva, divinité de l’hindouisme, et se livrait, pour la recueillir, à de longues séances d’improvisations à l’Ondioline, qu’il enregistrait et faisait transcrire par un tiers. Il paraît dès lors naturel que de fins improvisateurs comme Jean-Marc Foltz, Stéphan Oliva et Bruno Chevillon aient souhaité s’imprégner de sa musique pour improviser ensemble dans l’esprit du maître italien.
Comment restituer l'âme et l'esprit du compositeur "fou", décalé, exigeant et solitaire, maître des ensembles , des chœurs, lui rendre un "hommage", un "tombeau" musical où l'on puiserait dans sa force mystique, dans son allant spirituel? Giacinto, la jacinthe, fleur inspiratrice!
Chose engagée et réalisée pour le festival Musica, pièce dédiée à Jean Dominique et Catherine Marco..
Cadeau, présent émouvant, habité par les trois protagoniste, dans un seul souffle commun: l'inspiration, l'improvisation et la structure. Tenue, hauteur et durée des notes pour mieux transcender le temps, l'espace intime de la musique de Scelsi.
Un trio, un ensemble réuni pour l'occasion qui démarre avec de superbes vibrations: ça gronde à l'horizon, l'ouragan se lève menaçant. Le saxophone émet encore quelques intonations aux mélodies arabisantes, lointaine évocation d'un paysage désertique, habité par les vents, alors que le piano grouille et frémit, fébrile.
Paysage de dune qui se déplacerait, alors que la contrebasse évoque aspiration et inspiration, les cymbales, une ponctuation singulière.
L'atmosphère est étrange, tendue, le suspens plane, horizontal, frontal; quelques éclats de musique fendent l'éther...
Et ce trio intrigant de fabriquer résonances cinglantes, stridentes, inquiétantes. Métalliques.La réverbération, et la prolongation des sons opèrent: volume et espace sonore s'étirent en profondeur dans la durée ou la hauteur. Lenteur, déploiement d'une suite d'interventions sonore inouïe, inédite de chacun des instrumentistes, concourent à épouser l'esprit de la composition chez Scelsi: de l'audace, du jamais "entendu".
Soudain le fracas fait place à cette savoureuse unité de ton, montée en puissance du son, des percussions, frappées à la grosse caisse avec fureur et autorité. Déferlement des notes sur le piano dans lequel plonge l'interprète pour le préparer à du son neuf et vivace.
Tambours, peaux et percussions, frappés fort
On remarquera le jeu de Bruno Chevillon, très physique, beaux gestes à l'appui, sensuels et mesurés sur les tenues des notes et les vibratos de la contrebasse. Le voilà mante religieuse, entourant son instrument, les bras prolongés par des baguettes qui titillent le coffre de bois de sa carapace sonore et vibrante.De ses deux archets, il semble manipuler une marionnette, objet vivant et vibrant.
Souffle, respiration au poing, dans de belles inspirations-expirations, visibles comme une danse.
On se souvient de l'oeuvre vidéographique des chorégraphes belges Mossoux Bonté, "Scelsi Suites" où ils signaient un duo en huis clos énigmatique et troublant de gestuelles inventive.
Toujours des sons étranges sourdent de cette tempête qui bruisse, tantôt brise, zéphyr ou bise soutenue, ouragan de percussions, tsunami de vents et bruissements divers. A la source, c'est l'instrument qui inspire, sa forme et sa matière qui résonnent.
"Le son est le premier mouvement de l'immobile", son leitmotiv, fondamentaux de sa musique est ici troublant de présence, de réalité charnelle.
La voix fait irruptio, Bruno Chevillon en lecteur et percuteur des mots enregistrés par Scelsi sur sa musique, sorte de manifeste "dada" de son art morcelé, inventif et décalé.
Un magnifique solo de saxophone de Jean Marc Folz, un jeu plein de dextérité du pianiste Stéphan Olivia pour nous rappeler l'importance de chacun dans ce fondu de musique très inspirée, cosmique en diable! Le chaos tectonique s'installe à nouveau dans un déferlement savant de tonalités, un affolement des sens pour l'auditeur, placé au cœur de la musique vivante qui se fabrique devant lui.
Apocalypse, capharnaüm, tout ici gronde et vibre à l'envi: même celui qui lit et écrit bruisse et détermine une musique de table, sons d'un texte raisonné, passionnant du compositeur.
Belle initiative, hommage rendu à un esprit trublion et performant d'un auteur visionnaire, décuplant les forces tectoniques de la musique.
Les dieux du vent attablés pour ce banquet d'éoliennes poursuivant le chemin du compositeur dans le respect, l'adaptation savante et raisonnée d'une oeuvre à "fleur" de peau !
vendredi 21 septembre 2018
jeudi 20 septembre 2018
" Zappa: Eat That Question": Hit -parade hirsute !
En 2003 Musica consacrait un concert à Frank Zappa, disparu dix ans auparavant. Pour le 25e anniversaire de sa disparition, l’hommage se veut plus ambitieux encore. Premier acte de la célébration, la projection d’Eat That Question – Frank Zappa in His Own Words, documentaire de Thorsten Schütte.
Maestro, Musica !
Un portrait "coup de poing" d'un homme qui en a distribué plus d'un à la gente famille des musiciens!
Avant tout compositeur, cet homme "hors norme" se révèle tantôt d'une droiture exceptionnelle -en business-, tantôt d'un fantasque hérissé et hirsute, débridé, inventif, hors cadre.
Ni révolutionnaire, ni anarchiste, le voilà "rebelle", en mouvement perpétuel, interviewé sans cesse par des marionnettes de guignol, prêts à le casser, le briser: drogué ? Jamais et surtout pas lors des tournées , ni au travail.
Une silhouette, tantôt radicale, sèche et fluette, moustache et cheveux noirs en poupe, ou accoutré de costumes bizarres, ou torse nu ! Un visage allongé, un regard confiant et accueillant, une dégaine bien à lui et un look abordable, loin de nous la furie ou le rockeur agressif ! Un père de famille de quatre enfants qui ne choisit pas leurs jouets, par manque de temps !
Un homme simple, exigeant, radical dans ses propos, hors langue de bois!
Il n’avale pas sa langue, ni ne mâche ses mots: "mange cette question" !: un titre curieux énigmatique pour un être qui ne l'est pas moins!
Dirigeant du Varèse ou faisant résonner des roues de vélo à la "dada", ce trublion de la musique rock et savante va en étonner plus d'un et merci au festival Musica de nous ouvrir ainsi les yeux et les oreilles à propos d'un mythe pas toujours laudatif car trop méconnu.
Des moments d'émotion lors de son interview où il parle de son cancer, le visage tiré, mais le regard plein d'étoiles!
A l'UGC Cité Ciné Strasbourg ce mercredi 19 Septembre
mercredi 19 septembre 2018
"Danse connectée" à la Biennale de la danse de Lyon 2018: image' in !
Lyon Danse VR c'est tout un programme foisonnant mais aussi des films en réalité augmentée, tel "Oar" d'après la pièce "Zero Degrees" de Akram Khan et Sidi Larbi Cherkaoui
C'est à Esteban Fourmi et Aoi Nakamura que revient cette réalisation en trois dimensions, expérimentée par les spectateurs munis de casques, invités à partager un univers très prégnant, bluffant de virtualité.Une danse plus près du corps de chacun qui envahit votre espace intime et vous plonge dans les abysses du sensuel. Les danseurs, le décor vous frôlent, parcourt vos pores de la peau et s'immergent dans votre être.
Impossible d'y échapper et c'est jouissif et donne envie de tout expérimenter à loisir!
Perdre pied !
Un voyage spatio-temporel en réalité virtuelle, ce n'est pas tous les jours donné à vivre!
Chose faite au Théâtre Nouvelle Génération, les Ateliers Presqu'île à Lyon, futur centre de recherche pour la danse et l'image!
Le chorégraphe reprend ici la trame de son spectacle "Fugue/ Trampoline" pour l'adapter en réalité virtuelle, expérience en direct, live, pour dix spectateurs. A vivre avec un esprit ouvert, un corps à l’affût des sensations inédites et particulièrement, le vertige, la perte des repères, du sol et de tout appuis, chers aux danseurs!
A y perdre son latin et son abécédaire de training, tant la virtualité est sidérante, bluffante et source de déplacement de sensations de poids, d'ancrage et autres fondamentaux!
Le corps est confronté aux technologies nouvelles, harnachement technique rivé au corps et casque pour mieux habiter l'univers , leurre merveilleux et facteur de surprises et d'émerveillement.
On s' y colle à ces personnages menaçants qui vous entourent, à ce circassien qui se joue de l'espace et de la pesanteur sur son trampoline: jolie mise en abîme des lieux reliés à l'air et l'éther....
Le sol se dérobe, on perd pied, on plonge dans l'inconnu et pourtant on est bien en état de marche lente et peureuse sur le sol du studio, guidé par des médiateurs au cas où le trouble semé serait trop fort à intégrer et supporter!Les paysages architecturaux se font réels, murs ou coupole cernant les volumes, confondant les espaces!
C'est grandiose et osé, réussi et semeur de flou, de malaise, de perceptions inédirtes!
Merci la danse, la réalité mixte pour cette escapade, fugue vertigineuse comme vous ne l'avez jamais vécue !
Aux Ateliers jusqu'au 23 Septembre
Avatar poétique
Dans le même lieu, une autre expérience vous attend concoctée par Gilles Jobin
Harnaché d'un ordinateur en sac à dos, de capteurs mains et pieds connectés, d'un casque et d'écouteur, vous voilà cosmonautes d'un moment incroyable, partagé avec cinq autres participants.
L'aventure démarre dans un décor de jardin: côté cour ou jardin? Vos repères s'effacent, votre corps se transforme en avatar lisse et étonnant, vos vêtements changent: je est un autre et vos divagations, très aisées dans l'espace tangible et virtuel vous laissent découvrir, désert et galerie d'art, bivouac et machinerie diverses, paroi de verre, terrasse où gravitent des danseurs, ombres fugaces, musiciens de l'espace en lévitation.
Expérience grandiose où naissent formes et personnages gigantesques qui vous couvent du regard et vous frôlent sans vous écraser...Petits bonhommes qui surgissent du sol sur un plateau que l'on a envie d'attraper, de caresser. Onirique espace de rêve à saisir, à habiter comme un nouveau territoire à conquérir
Les images surgissent, s'évaporent, s’effacent au gré des visionnages et projections
Immergé sans être submergé, vous gravitez dans l'air, l'éther et sur le sol d'un lof ouvert et panoramique à souhait.
Du Gilles Jobin inédit qui se penche ici sur d'autres possibilités de rencontrer la danse, de très près, en intimité et proximité avec des interprètes fictifs qui pourtant semblent bien présents !
Une fois de plus, la danse, fictionnelle, irréelle est un songe, une rêverie très physique qui plonge au cœur des émotions et sensations, chers à l'art chorégraphique.
Aux Ateliers jusqu'au 23 Septembre
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