mercredi 26 septembre 2018

"Singing Garden": la "party" est garden, le "garden" est parti !


C'est à un événement aux multiples éclats inattendus et aux complicités insolites que le metteur en scène Philippe Arlaud vous invite, en connivence avec la cheffe d'orchestre Claire Levacher à la tête de l'ensemble Linea. 
Dans une mise en espace où lumières et vidéo auront la part belle et vont transformer la salle de l'Opéra, les événements ne vont pas manquer avec la création mondiale de Francesco Alvarado (1984), les créations françaises de Singing Garden de Toshio Hosokawa (1955) et de Rhondda Rips It Up! (extraits) de Elena Langer (1974) et l'interprétation par un chœur d'hommes d'une œuvre de David Lang (1957). 
Le plateau est ouvert, les protagonistes présents sur fond d'images vidéo: une goutte d'eau gigantesque, filmée en gros plan qui s'égoutte et envahit l'espace: au profit d'une musique de chambre quasi intimiste, les morceaux choisis s’enchaînent, pièces à conviction d'un opus ou opéra de chambre plutôt réussi dans un "genre" à part, une construction scénique charmante, une vois d'ange de Yeree Suh, tout de blanc vêtue aux côté de la cheffe, de noir costumée sur son piédestal à la Buren, rayé noir et blanc: une colonne vertébrale solide, une direction présente et pertinente pour ce petit peuple agité, groupe d'hommes indisciplinés, de femmes affolées, en alignement d'opérette, au "cancan" quasi montmartrois de cabaret contemporain. Les costumes attestent du style chamarré, ludique et désinvolte de cette pièce montée par bonheur sur de belles fondations architecturales.
Le fond de scène change: de la mer calme, à la mer démontée sur fond de nuages , les paysages changent, se distinguent comme la musique: harpe ou accordéon pour évoquer l'eau, la passion de ceux qui évoluent joyeusement devant nous dans le bel écrin du théâtre de l'Opéra. Les chœurs se déchaînent, semblent s'amuser et leurs parapluies rouges et orangés font la nique à la tempête!
On "dansent et chantent sous la pluie" à l'envi !
Sur la plage, dans le bain, les suffragettes révoltées dansent, légères, animées par des airs de fanfare populaire.
Les quatre pièces jouée pour cette "opérette" bien ficelée, en osmose, comme si elles faisaient partuie d'un même opus, rythmé par quatre mouvements distinctifs!
Jeux d'eau, univers aquatique, ces "singing garden" sont de la "party" et l'on passe du dedans au dehors avec des danseurs qui nous conduisent côté "jardin" à partager un instant de "plein air" décapant!


Dans la deuxième partie de ce spectacle auquel sont associés Musica et L'Ososphère, des danseurs du Ballet de l'Opéra national du Rhin dirigés par de jeunes cho­régraphes et accompagnés de DJ vont investir un lieu surprise et vous convaincre que le titre de cette soirée n'est pas usurpé...Certes, c'est le parvis de l'opéra du Rhin qui est investi en pelouse sonore et plateau dansant!
Les spectateurs, invités à se regroupés pour assister à un bal tango, très réussi, un peu furtif pourtant: les danseurs ne s'attarderont point hélas pour animer un plateau, tapis de danse qui restera vide. Alors les images projetés sur la façade du théâtre retiennent toute l'attention: danseurs morcelés, visages en gros plans, dessins et croquis de BD, très bien hachurés de couleurs, noir et rouge oblige! Figures des statues du monument qui s'animent et dansent: humour et détachement pour cette institution de référence !
Vidéo, film en direct pour mieux capturés les instants ludiques de cette fête "improvisée"!
Pas vraiment bien sur, car la "surprise" party est grande mais quelque peu décevante. Le froid n'aide pas à se lâcher et l'on quitte musique et parterre de verdure, un peu désemparé.
Que la fête continue ce jeudi sous de meilleurs auspices, avec une "organisation" riche des enseignements d'une première sans vraie répétition les conditions climatiques de la veille n'ayant pu faire "une mise au point" parfaite!

Party remise et "singing garden" donnera sa pleine expansion et sa verve, le public mieux tenu à être convoqué à danser, se réjouir "publiquement" comme à une fête privée, publique !

A l' Opéra du Rhin les 25 et 27 Septembre

Talea Ensemble "Sideshow" :"baraqué", "attractif" ce Quasimodo de la création musicale !




Jeu de massacre!
Sideshow, oeuvre du compositeur Steven Kazuo Takasugi pour octuor amplifié et électronique, est une belle occasion d’accueillir pour la première fois à Musica les New-yorkais du Talea Ensemble.
La pièce démarre avec, face au public, une galerie de portraits frontale, bien vivante: huit musiciens impassibles se mettent imperceptiblement à grimacer: le ton est donné: grotesque, mimétique, loufoque, burlesque!
Touche humoristique que le spectacle ne quittera pas, durant son déroulement, les protagonistes, assis, visibles comme des hommes-troncs dans un théâtre de guignol ou un jeu de massacre. On est aussi dans un jeu de tonneau et surtout dans une foire, une fête foraine où l'on montre encore des monstres, des êtres ou créatures fantastiques.
Ici, c'est la musique que l'on désignera comme "monstrueuse", faite d'ingrédients savoureux, acides ou amers, plats de résistance d'un banquet tantôt somptueux, tantôt très "arte povera"!
En saccades mécaniques, ces hommes et femmes sans corps vibrent comme des mécaniques bien remontées, rythmes et gestes heurtés, tétaniques, hachés, figures d'automates sortis tout droit d'un musée du jouet.Leurs regards s'envolent au plafond à l'unisson, les directions des visages s'inversent: la chorégraphie se dessine, stricte et mesurée, très organisée. Jeu de pantins, d'animaux de cirque en vitrine qui nous regardent, bien sur, comme aussi des bêtes curieuses! Figés, hiératiques ou animés de bons sentiments à notre égard, mais moqueur et flambeurs, irrévérencieux en diable!
Qui sont les monstres: les "regardés" ou ceux, voyeurs, qui regardent et payent pour voir la musique, entendre les gestes et facéties multiples de cet octuor merveilleux ou salace! Barrissements, sirènes, tropes d'éléphant, mugissements sont de la partie, plainte, bruits de bouche...Poisson, la bouche ouverte, comme des carpes muettes dans un étang, les visions affluent, l'imaginaire travaille: des vampires aussi se montrent, gentils êtres passagers, akais japonais peuplant l'espace et l'univers fantasmagorique! Détournement des instruments que l'on redécouvre, faits pour toute autre chose et surtout mise en scène parfaite, sobre de cet alignement d'hybrides musicaux qui émettent des sons, des bruits et délivrent des images de contes fantastiques, de BD Manga drolatique. Ils nous fixent, nous dévisagent, immobiles dans des silences évocateurs qui parlent à nos fantaisie: irrésistible jeu de mime, de guignol ou dramatique expression de ces cabossés de la vie, cible et témoins de notre cruauté, ici bien récompensée!
La musique est capricieuse, changeante, versatile et enjolivante, ils nous font "la cène" à huit apôtres, gazouillent, vocifèrent musicalement, fébriles, animés dans un grand désordre virulent, un fatras à la Prévert, un inventaire des farces et attrapes d'un magasin de carnaval, une boutique fantasque de forains!
Divertissement savant et critique, miroir réfléchissant de nos cruelles et sadiques pensées! On songe à Ionesco , Kafka ou aux titres d'Erik Satie: "moisissures d'une chambre intérieure", ou "l'éternel retour de l'dentique" !
C'est du sérieux ce cataclysme, cette hécatombe, ce capharnaüm dévolu au sourire, au rire, à la moquerie, aux sarcasmes et à la caricature. Daumier veille au grain et s'incarne en Steven Kazuo Takagugi, maître d'un art martial nouveau: la musique de foire qui n'en est pas une! Jeu de figurines, chaos, tohu-bohu salvateur, casse t^te ou casse-pipe de la musique contemporaine! Exhibition dans un théâtre musical, chargé d'absurdités, de "non-gestes" évocateurs
Faites vos jeux !La partie de pétanque est finie, on garde les pieds tanqués et on se fait la belle ou la revanche!

A l'auditorium de Fance 3 le 25 Septembre


dimanche 23 septembre 2018

"Au bonheur des dames" :on arrête pas le progrès !


Encore apprenti-compositeur, Jonathan Pontier avait été confronté à l’image animée, réalisant la musique de courts et moyens métrages. C’est un rapport bien différent au cinéma qu’il inaugure cette fois, la musique conçue pour un film muet devenant de fait sa bande-son intégrale. Les quatre-vingt-dix minutes que dure Au Bonheur des Dames de Julien Duvivier (1930) exigent une grande variété de situations et de couleurs musicales, mais surtout une vision dramaturgique compatible avec celle du film sans pour autant lui être subordonnée.

Un ciné concert avec l'Accroche Note, un film de référence qui conte les méfaits du progrès sur le petit commerce parisien...C'est un événement de qualité où l'inspiration du compositeur oeuvre très justement au regard du rythme du film muet, des images, des scènes de foule hallucinantes,ou des instants très violents de destruction des quartiers visés par l'agrandissement des déjà très "grands magasins"!
Un concert à quatre instruments où l'accordéon jour un rôle inattendu, reliant le populaire au chic parisien sans vergogne. Marie Andrée Joerger se riant des tectoniques de la réalisation filmique ou du dramatique récit de cette jeune Denise, montée sur Paris pour tenter sa chance. De la gare St Lazare où les locomotives sont déjà des "bêtes" humaines, à la coupole et a l'escalier magistral des Galeries Lafayette, l'espace est rehaussé par le flux musical et l'on découvre la cinétique des mouvements caméra, des trucages ou superpositions d'images par le vecteur de la musique.
Armand Angster à la clarinette, Christophe Beau au violoncelle et la longiligne Christelle Séry à la guitare électrique.
La voix de Françoise Kubler, enregistrée et présente par petites touches.
Une réussite, osmose et détachement de la musique-image, du cinéma très rythmé de Duvivier: l'action, les péripéties violentes des protagonistes bien soulignées dans un monde en mutation où les décors, de l'industrie, au magasin de luxe surgissent de l'écran comme de réels personnages
Les expressions nuancées de l’héroïne, Dita Parlo, en disent long sur les états d'âme, les sentiments de ceux pour qui le progrès va bien au delà de l'amour pour gagner en fin de compte.
Le constat est rude et sans appel. Alors la musique s'arrête et le miracle des Grans Magasin, fait bien le bonheur des spectateurs-auditeurs. On trouve tout à "Musica", le bon marché de la musique d'aujourd'hui, la Samaritaine et son directeur, le bon Samaritain inspiré de la programmation musicale !

A la Cité de la Musique ce Dimanche 23 Septembre.