vendredi 12 octobre 2018

"Girl": Sidi Larbi Cherkaoui quelque part dans le film, comme un auto portrait !


Lara, 15 ans, rêve de devenir danseuse étoile. Avec le soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais ce corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara, car celle-ci est née garçon.



Où se cache le chorégraphe dans ce film hallucinant sur l'univers de la danse classique,où rigueur, discipline, acharnement, douleur et souffrance tissent une tension insupportable...Loin de la danse de Sidi Larbi, mais on peut le soupçonner d'avoir co-dirigé les évolutions, l'énergie et toutes les facettes de l'exercice classique, ici transfigurées part le fait que c'est un corps d'homme plus rigide qui exécute les figures emblématiques: manèges infernaux, sauts de biches et autres détirés et écarts faciaux invraisemblables pour un homme !
Une part d'autoportrait aussi pour cet artiste franco-maroco-belge, musulman, homosexuel qui a du se frotter à l'homophobie et l'intolérance: sa danse acrobatique et contorsionniste n'est-elle pas aussi exigeante, monstrueuse et hors norme?i



Le film de Lukas Dhont avec Victor Polster en Lara est insoutenable, très violent psychologiquement et les scènes "sanitaires" où le héros mutile, asphyxie son corps, le rend "plat" et insipide, asexué n'est pas l'âme et l'essence de la danse!
Sidi a du souffrir, lui aussi pour rendre si authentique, si sensitif, cet univers de contraintes assumées, ses choix de dressage du corps à l'inverse de sa pratique 



phallic girl yayoi Kusama


mercredi 10 octobre 2018

Pere Faura: la danse , une autre histoire à sa façon !!! Pas de Petipa !


« Pas de danse, pas de paradis » prévient Pere Faura. Et l’artiste catalan d’investir la scène et l’image pour nous conter son histoire. Comment s’y prend-il ? En revisitant à sa façon, avec son imaginaire et sa mémoire de danseur, quatre pièces cultes de l’histoire de la danse. La légendaire Anna Pavlova dans le Lac des cygnes, incontournable Gene Kelly dans Chantons sous la pluie, mythique John Travolta dans La fièvre du samedi soir et l’inoubliable Fase d’Anne Teresa de Keersmaeker : des exercices d’admiration aussi subtils que malicieux.

Pas à pas, à pas de loup, le voici qui s'engage dans une brèche périlleuse: conter, donner à voir la mutation gestuelle, thématique et formelle de la danse.... Vaste épopée, odyssée de l'espace dansé, navigation à vue à travers les frontières et les époques....Sans faux pas et sans Marius ... 
Tout d'abord, c'est une voix off qui nous énumére les définitions de la danse, inventaire à l'appui, quelque peu décalé d'expressions, de clichés. Catalogue déraisonné, cinglant décapant! Mieux que Larousse et Petit Robert!
C'est à Gene Kelly qu'il s'attaque, celui qui parle de sa danse en la décrivant, savante, écrite où rien n'est laissé au hasard. En noir et blanc, Pere Faura, de sa petite stature sympathique, replète , dodue, "grassouillette" nous conte ses aventures, ses rencontres corporelles avec ses quatre figures emblématiques de sa culture de l'histoire de la danse: celle qui a traversé, conquis et formé son corps.






"Chantons sous la pluie" y est décortiqué pas à pas, mime au point pour nous dévoiler la simplicité évidente des sources d'inspiration du danseur de claquettes célébrissime: de l'évidence et du bon sens très appuyé des propos chorégraphiques de l'artiste!Pourquoi aime-t-on le "prémâché", "l'évident", le "rien à imaginer", confortable et sans histoire?
Puis c'est à l'univers disco qu'il s'adresse sur fond de lumières tournantes issues d'une boule à facettes.Il s'approprie les mouvements de Travolta en se questionnant sur "la propriété" de la danse: à qui appartient ce geste, de qui est-il, qui en est "le propriétaire" éphémère!
Vaste sujet que la propriété artistique et littéraire!
Suivent les ombres jumelles, dédoublées de "Fase" de A.T. De Keersmaeker, qu'il analyse, nous livrant les origines de cette danse répétitive, hypnotique Des ombres qui se colorent, fluo, au fur et à mesure.



Ce sera au tour de La Pavlova que d'être la cible de ce voyage très personnel dans l'histoire de la danse. Une "mort du cygne" dont il nous raconte l'anecdote finale méconnue. 
Ne mimant jamais ces idoles, s'inspirant malicieusement, avec distanciation, il chemine dans des univers virtuels magnifiques très inspirés. De son dressing descendu des cintres, il se fera un costume en couches, strates, palimpseste et métaphore de ce qui fait notre mémoire, ce patrimoine archivé, héritage et passation d'images, de mouvances, de qualités gestuelles.

Il emprunte et ce qui s'imprime et s'imprègne, pose ses empreintes dans le corps et la mouvance de l'interprète.
En Marcel blanc, il sera le cygne agonisant, en robe noire, deviendra les jumelles de Fase...
Mais c'est en vert et rouge sur des versions de "Dance me to the end of loive" de Léonard Cohen, que la démonstration sera la plus convaincante.
A chacune de ses figures de référence, feront suite quatre solo inspirés, nourris et prolongés, des mouvances de chacune de ses références. Plus de citation, mais une danse qui lui appartient, inspirée, juste et nourrie de ses origines!
Sur fond d'images vidéo, opéra, paysage ou boite de nuit, très travaillées, sorte de dance floor mouvant, sous ses pas agiles et transportés par la danse de ses quatre muses. Au départ, il y a les mouvements appris, repérés, digérés, à l'arrivée l'inspiration et l'adaptation de ce savoir, inscrit dans le corps qui se réanime
Une vraie réussite que cette "formule" jamais didactique, toujours "fièvre de la danse", celle qui fait bouger le monde et le corps, inconscient collectif ou réappropriation d'un patrimoine universel.

On se souvient de "Histoires condansées", de "Flip book" de Foofwa d' Imobilité, du "Pavlova 3,23 " de Mathilde Monnier, et d'autres, s'inspirant ostensiblement d'autres écritures contemporaines avec un brin de nostalgie!

A Pole Sud ce 10 Octobre

lundi 8 octobre 2018

"Partage de midi" : quand l'amour s'échine .....et ne rompt pas !



Création au TNS - Texte Paul Claudel - Scénographie et mise en scène Éric Vigner - Avec Stanislas Nordey, Alexandre Ruby, Mathurin Voltz, Jutta Johanna Weiss.

 Partage de midi est une des pièces les plus célèbres de Paul Claudel. Trois hommes et une femme sont au croisement de leur vie. Ils ont connu l’échec et se rendent en Chine dans l’espoir d’un nouveau départ. Le metteur en scène Éric Vigner retrouve dans cette œuvre toute la puissance du théâtre oriental, où s’invente un langage « sacré » pour explorer le mystère de la vie, de l'amour et de la mort. Il choisit la version de 1906, où le jeune Claudel fait de la femme qu’il a aimée une figure mythique et où il insuffle à ses personnages sa quête d’absolu.



"Un voyage initiatique, prendre le bateau pour aller vers l'inconnu" des aveux du metteur en scène.
L'oeuvre revet un caractère très dense, fervent et passionné. Les quatre personnages, durant cette traversée au long cour, rivalisent de singularité, d'identité : elle, Ysé est magistrale, forte, sensuelle dans ces trois phases du décor qui semblent la magnifier. La voir frôler le rideau de perles, immense, du second volet, tout en basculant de tout son corps dans sa robe à crinoline noire, est un moment fatal et intense qui sert la dramaturgie, juste et pertinente.
Alors que les hommes qui l'accompagnent dans cette aventure, Mesa, incarné par Stanislas Nordey, implacable amant, à la diction pondérée, rythmée par une langue puissante, lui procurent un écrin qui la révèle.
Le jeu est remarquable chez chacun d'entre eux, dosé, jamais emporté par un récit pourtant dogmatique, quasi de l'ordre du sacré. Les costumes, seyants s'alignent dans cette veine sobre et symboliste.
Le décor, en trois phases les enrobe sans les écraser, et un paon, dessiné au sol, s'enroule sous leurs pas, figure majestueuse d'un port corporel, altier et droit.Entre le parler, le parler-chanter et le chant, le texte comme au théâtre oriental distille musique et cadence, éveille la prosodie et permet un état d'écoute singulier
Pondéré, le jeu est sous le signe de la touche discrète d'un langage recherché, châtié que Claudel cultive pour nous révéler des êtres en tourment, en amour , de chair et de foi "qui crient en direction de Dieu sans obtenir de réponse".
Ce "démon de minuit", cet appel à la sensualité sourd du corps de Ysé, remarquable Jutta Johanna Weiss, vêtue d'atours sombres, rehaussés de crinoline qui tanguent sur le pont du vaisseau et voguent dans le souffle des mots.
Un singulier personnage inanimé, factice géant guette et veille sur ce microcosme dans une plasticité de carton pâte qui dénote. 
Il était une foi , un cérémonial partagé, le temps du déroulement de la pièce, pour une assemblée de spectateurs, pèlerins, fidèles et croyant à la magie du théâtre!

Au TNS jusqu'au 19 Octobre