mardi 26 mars 2019

"We were the future" : Meytal Blanaru : l'attraction furtive, juste le temps du doigté de la danse.


« Et si nous n’étions qu’une collection de moments fugaces ? Peut-on se fier à nos souvenirs ? » se demande Meytal Blanaru. Ainsi la jeune chorégraphe israélienne a imaginé, ce trio de danseurs accompagnés d’un musicien et le public assis autour, à proximité. Prenant appui sur l’expressivité des corps et de la musique live, leurs gestes se déploient avec une intention commune : créer un paysage, le paysage insaisissable d’un souvenir..."

Sur un tapis de danse , carré blanc bien défini, trois danseurs , pieds nus, tenue légère claire et blanche, dansent, du bout des doigts: immobilité, petit bougé infime, imperceptible mouvance très finement ciselée. Saisir, pousser, prendre, offrir en seraient les tenants, les suggestions à peine dévoilées. Du "petit rien", du "à peine" ou  "presque pas", feutré, discret: un brin d'évaporation , de suspension, d'apesanteur dans la lenteur qui se déploie à l'envi.Juste le visible émergé des muscles profonds qui s'émeuvent et fond surface à fleur de peau. Les regards flottants ou précis, concentrés, divergeants. Les vibrations de la musique live d'une guitare amplifiée les pénètrent, les habitent et se prolongent à travers leurs corps, porteurs, récepteurs puis émetteurs à leur tour, des ondes vibrantes.
Les parties du corps de chacun s'animent peu à peu plus perceptiblement, créant de l'espace, dégageant les issues, les voies de passages. Grande concentration à l'unisson, écoute et respect de l'espace de l'autre.Lentement, ils se redressent ou s'épanouissent, dans une danse effleurée, touchée, caressée.
On s'attarde sur l'un, l'autre, puis les trois à l'occasion d'une construction spatiale en diagonale.Postures, attitudes ou pauses toutes personnelles.Dans une marche commune, ils se rejoignent, descendent au sol: de plain pied, statuaire mouvant sans piédestal.


 "Juste le temps"
Ils s'animent, se réaniment dans des tempi différents, puisent dans des mesures millimétrées, dosées savamment.Les regards perdus au loin, aimantés, attirés par des ondes qui les manipulent, les dirigent: comme suspendus, aspirés par des forces extérieures. Mémoire de la matière inscrite dans les corps, gestes, esquisses interrompus, lutte contre leur gré Attraction, répulsion dont ils seraient les objets, les instruments en mouvement docile et intensément vécus. Des contacts feints, échappées belles, diversion, esquives détournant ou épousant les contraintes de la gravité. La musique en continu, écho, réverbère et ricoche les traversant à foison.Englués, dans la matière, en résistance, en tension, c'est comme une lutte interne, épuisante.
Un solo  tressaillant, plein de tremblements, de tétanie ou d'abandon retenu est de toute beauté: fébrile, prisonnière de ses spasmes vibratiles l'interprète, femme dévolue toute entière à son art charnel et très sensuel.


Les deux autres danseurs l'observent, attentifs. Les trois personnages énigmatiques figures de quelque épopée ou odyssée de l'espace s'unissent à nouveau, prennent place parmi nous pour scruter la frontalité et danser le sagital, du bout des doigts, de la main, comme une adresse mystique, un  oracle de prédilection.
Sur le futur déjà disparu, sur le présent tout proche, sur un passé oublié?
Des gestes de la main, ouverte, guident la danseuse, la happe, l'éperonne: l'air est matière, ils s'y confrontent sans cesse, malgré des obstacles irréels qui les entravent. Volte face, pour mieux faire front: l'énergie aux bout des doigts, et plus loin encore, au delà du regard qui prolonge espace et directions. On s'y infiltre, on s'y déploie en empathie plénière, distillant l'essence de ce récit tactile, fébrile, cette narration subtile et dramatique.
Des instants rares où la danse est une fois encore terrain pour l'école buissonnière des plus belles escapades.

A Pole Sud le 26 Mars dans le cadre du festival Extradanse

lundi 25 mars 2019

"Mutant stage" Une série dansée , en chantier !


"Mutant Stage" est une série de courts métrages chorégraphiques initiés par les commissaires Amélie Couillaud et Dimitri Chamblas et produits par Lafayette Anticipation – Fondation d’entreprise Galeries Lafayette, dans le cadre des travaux de réhabilitation de son bâtiment entre 2015 et 2017.

"Cloud Chasers" marque le 7e épisode de la série, réalisée par (LA)HORDE

[Marine Brutti, Jonathan Debrouwer & Arthur Harel] avec akub Moravec, Jakub Sonnek, Michal Zdražil et la participation d'Aymeric Barraban, Patrick Bedué, Julien Berrebi, Elodie Clairin, Céline Fantino, Tristan Gac, Gabriel Keslassy, Adrian Mabileau, Julian Saint-Hilaire.

Du pole dance sur les échafaudages, au ralenti, et le tour est joué! Pari tenu pour tension, grands écarts en ombres chinoises portée, en silhouettes longilignes.



Suite de la série de courts métrages chorégraphiques produits par la Fondation Galeries Lafayette, tournés in situ dans le cadre des travaux de réhabilitation de son bâtiment, rue du Plâtre, à Paris, entre septembre 2014 et mars 2016. -- Premier court-métrage réalisé par Wendy Morgan Avec Volmir Cordeiro et Pauline Simon


On y danse à tous les étages, dans le blanc du chantier, vers la lumière des baies vitrées...C'est étrange et spectral, en ralenti, dans les espaces libres du loft.



Et le clip ave Arno Schuitemaker

Belle danse inventive captée sur le chantier de la fondation parisienne pour l'art contemporain, filmée par Lukas Dhont (Girl)...
Un batteur allumé détecte et nourrit la danse sur talons de Jan Martens, galvanisé par l'environnement hostile des échafaudages et autres obstacles de l'architecture. 

dimanche 24 mars 2019

"Cortège(s)" : soulevez vous, vous serez plus léger !

Texte et mise en scène Thierry Simon
Texte publié aux Éditions Lansman
La Lunette Théâtre

"« Marion dit que jamais un mouvement qui a changé les choses n’a pu s’abstenir d’une présence dans la rue. Que celui qui dit non, le fait d’abord avec son corps, dans la rue, et que ses gestes sont les mêmes depuis des lustres, que c’est fort et beau, et fragile et humain… » A Paris, en pleine manif, le cœur de Marion, dix-sept ans, cesse de battre. Elle s’effondre entre Place d’Italie et Nation, brisant la vie de sa mère Viviane, anéantissant sa fulgurante histoire d’amour avec Reda, ébranlant les certitudes du lieutenant Meurey, chargé de l’enquête et de tout un cortège d’individus liés à sa tragique disparition…

Cortège(s) est le « roman d’une pièce » imaginé par Thierry Simon pour un chœur de comédiens en mouvement, exprimant la multitude d’une manifestation sociale, son rythme, ses battements, son urgence, l’accélération et la condensation du temps et les trajectoires singulières des individus pris dans ce mouvement."
Insurrection
Quand démarre l'action, c'est aux barricades que l'on songe: ils sont sept, sur le pont, sur le "haut du pavé", déclinaison en pente du plateau, comme surélevés, déjà en état de révolte.
 Sept à se soulever, éructer un texte fondateur de révolte, de solidarité, de jeunesse ébouriffée par la soif de justice, de justesse. Marion est morte, sacrifiée à la bassesse des us et coutumes des gardiens de la paix, des gens d'arme..On reste pantois devant tant d'allégresse, de joie car la révolution des corps en mouvement, n'est pas ni défilé, ni démonstration de force: c'est la cavalcade, le "cortège", funèbre ou joyeux d'une "redoute" vivante qui se soulève et fait des vagues. Un préfet imbu de lui-même qui rêve de son Cantal natal, de ses sallers et autre saint nectaire alors que son devoir l'appelle: réprimer, étouffer dans l'oeuf,les "casseurs" et empêcheurs de tourner en rond, en "routine" cette danse trad qui revient à son origine comme une révolution autour du roi soleil.
Car c'est de danse dont il est question ici: sur le plateau tournant, la conseillère psychologue patine, recule, trépigner et stagne alors que brûlent les planches sous les pieds des insurgés.Danse en parcours, en échappées belles, en groupe soudé par les coudes, corps compactés comme un tout qui avance et progresse dans l'espace sagittal.
Danses des êtres qui se rebiffent, se rebellent, Les sept comédiens, à chacun sont personnage, tiennent le plateau quasi deux heures durant, texte en bouche, cortex incarné et les gestes se font chaloupes et déhanchés, courses et sauts dévastateurs d'espace. 

Vidal Bini accompagne ici cette horde, meute ou tribu en lutte: le théâtre est art de combat, comme la danse et chacun trouve son état de corps pour mieux l'exprimer. Le cercueil de Marion comme charge à transporter, à soutenir pour maintenir hors de l'eau  dans les mémoires la bêtise humaine sans fondement.
A la façon de Didi Huberman dans ses "soulèvements" où les foules agitent et regroupent leurs forces pour faire bloc et avancer de concert, corps de métier, chorus et choeur mêlés pour mieux s'opposer. A l'ordre établi, à la "connerie" humaine.On songe à "Insurrection Codicile" d'Odile Duboc ou à la révolution française selon Albert Soboul: le peuple en mouvement dans une parade frémissante, vivante, é-motion, qui émeut et met en mouvement, le chant, la voix, la grâce et la félicité de la lutte entamée pour mieux occuper l'espace, être du "milieu", au centre , noyau de l'action et du mouvement. Point de départ d'une mise en scène et d'un jeu nuancé, ferme, déterminé, convaincant et fertile en rebondissements multiples 
Cortège(e), comme une chanson de geste sur les barricades: sur les pavés, sur les réseaux sociaux bien sur qui décalent temps et espace dans leur immédiateté redoutable!
Texte au poing levé, au pied léger pour cette ode à la fraternité, à la jeunesse et à l'illusion généreuse d'une génération qui rêve encore de changer la personne!
Le proviseur du lycée n'a qu'à bien se tenir debout face aux vagues et assauts de cette communauté très labanienne, contre vent et marée, brandissant sa verve et son audace sur les banderoles et  calicots de son innocence!

Au TAPS Laiterie jusqu'au 24 Mars