mercredi 27 mars 2019

"Les diablogues" de Roland Dubillard: Un duo nez à nez, d'enfer !

Roland Dubillard (1923-2011), Molière du meilleur auteur pour cette pièce en 2008, se situe dans la lignée des grands auteurs surréalistes français (Jean Tardieu, Jean-Michel Ribes, Roland Topor).
3Il joue avec les mots, les êtres et les situations incongrues dans lesquelles il les place. Dans cette pièce qui est son œuvre phare, il crée une suite de rencontres inattendues dont l’absurdité des propos suscite le rire immédiat.Autant un exercice littéraire comique qu’un duo de clowns fragiles, de clowns du verbe, « Les Diablogues » mettent en jeu deux personnages, Un et Deux, dans la dérision de leurs obsessions : une respiration comique de laquelle s’exhalent des parfums d’amour, de gravité, de poésie.Parés de l’innocence des personnages beckettiens, du goût du verbe classique et de l’amour de la comédie, entre tendresse et pudeur, les deux personnages apparaissent dans un dénuement les rendant aussi vulnérables que têtus, mais toujours profondément humains et terriblement drôles !3
Christophe Feltz, comédien, metteur en scène, mars 2019

Ca démarre sur les chapeaux de roues ce soir là au Café Brant: les deux compères s'attaquent à Freud pour cette "symphonie en levrette" qu'ils auraient aimé écrire, dans la plus belle des dérision à propos de la psychanalyse lacanienne! 
Et "hop" on plonge avec eux, ou plutôt sans eux, ces deux poltrons polémiqueurs et empêcheurs de tourner en rond...En slip ou en caleçon, dans des gerbes de plouf, c'est comme ça qu'on les aime: Dubillard comme muse et inspirateur de connivence joyeuse et absurde en diable! Leur nez n'est pas "boucher" et c'est bien nez à nez qu'ils s'affrontent, bien nés.
D'un ministre de la culture on retient une tête d'andouille et une envie de "décentraliser" la culture dans des "maisons" dans le Centre, le massif central! Excellentes "remorques" tout du long sur les "centres" culturels délocalisés.
Un petit tour chez les métèques histoire de causer de la légion d'honneur: on glisse d'un univers à l'autre à l'envi, les propos se dérobent au profits d'autres sujets qui refont surface quelques sketches après...Les deux comédiens s'agacent, se contredisent ou se complètent, se dérangent et s'importunent pour leur plus grand plaisir et le nôtre.
Un jeu de "ping-ping" taping-tapong avec une cousine Paulette à partager, Arlésienne fantôme: c'est bien rythmé, absurde et surréaliste à souhait.
 Alors on va "décrocher la timbale" avec le dialogue d'un jeu télévisuel ridicule et stupide à souhait où le joueur anti héros gagne toutes les questions à son unique sujet!
La mémoire questionne un spectateur du théâtre Français: les voilà en tragédiens émérites, caricature légère de Corneille ou Racine.
Au tour de Beethoven d'écrire en étant sourd ce qui n'est pas paradoxal, puisque l'un d'entre nos deux compères se bouche les oreilles pour coucher les mots sur le papier
La langue de Dubillard est piégée, pleine d'embûches, de nids de poule et de trottoirs non sécurisés ni stabilisés. Plus de balises ni de marquage sur la chaussée déformée!C'est fin, drôle et distancé, subtil, sur la corde raide toujours.
Des "si" et des "non" en cascade histoire de se contredire en avançant toujours sans patiner dans le vide. Dialogues féroces de salles gosses, fiers de leur papa, qui font du hachi de zizi et vont pleurer dans les jupes de leurs mamans...
Comme des "cadavres exquis" la plume de Dubillard s'entrechoque, se contrarie sans cesse, sans apparemment ni queue ni tête mais avec beaucoup de malice ingénue.
Un excellent moment en bonne compagnie: Christophe Feltz et  Luc Schillinger au mieux de leur forme;
Au café Brant le 27 Mars


La grande Sophie à hue et à "Dadaaa" !


Amélie Poirier, Les nouveaux ballets du Nord-Pas-de-Calais.

"Pied de nez à la rigueur des conventions et aux batailles idéologiques du début du XXe siècle, le Dadaïsme marqua, par sa liberté créatrice et son irrévérence, l’imaginaire de nombreux artistes. Pour les plus jeunes spectateurs, Amélie Poirier se plait ici à reproduire à échelle variée des marionnettes cubistes et minimalistes de Sophie Taeuber-Arp et des photomontages d’Hannah Höch.Le tout dans une performance électroacoustique inspirée par les poèmes d’Hugo Ball et Tristan Tzara où la parole devient davantage matière que sens. Trois danseurs-marionnettistes et un contre-ténor performeur nous plongent dans un monde imaginaire, un univers plastique qui fait se rejoindre espace sensoriel et questionnements politiques portés par l’esprit Dada. Car Dada n’a ni queue ni tête. Dada colle, agrège, mélange, travestit… Dada se moque. Qui mieux que les enfants sont Dada ?"
Et l'on en sort "gaga", enchanté par ce bel hommage à la grande Sophie et à son écurie fantaisiste de marionnette, à doigt, à fil..."Le Roi Cerf" se taille la part belle et sur scène, des reproductions de ces figurines dadaistes occupent l'espace Les quatre comédiens ouvrent le ciné-bal à l'aube -Aubette- de ce parcours fantastique dans l'univers de cette femme artiste hors du commun: danseuse et créatrice de tissus, mini-textiles merveilleux!
De la poésie sonore sourd des lèvres d'un violoniste-chanteur ténor alors que la figure de la peintre s'occupe à grimer ces créatures rêvées. Tous s'amusent, rigolent, joyeux quatuor qui se questionne dans une langue inconnue.

Deux danseurs épousent la forme d'une grande marionnette anguleuse, tout de doré vêtue.Comme elle, ils se désarticulent, mimétisent en même temps: corps perchoir pour une autre petite figurine qui s'envole...La musique vocale bat son plein, de beaux portés soulèvent les autres pantins, sculptures à deux dos: transport de corps: les "écrabouillé, araignée et autre accident" de parcours labial pour un peu d'absurde, de surréaliste dans cette histoire abracadabrantesque.Des coiffes dorées, des costumes chamarrés pour ces marionnettes à main, comme des gants de couleur qui chatouillent les comédiens-danseurs.Un petit cerf se fait manipuler, à petit pas, grimpe sur les corps alors que son alter égo, avatar, le Roi Cerf, magique et tribal s'émeut et partage le plateau.


Dans un langage codé, mystérieux oracle. Trophée de cornes brandi pour la chasse. Les trois comédiens, en noir et blanc, la danseuse toute jaune font un tableau vivant, mouvant faisant évoluer masses graphiques et couleurs.Le vibrato de la voix, ses fréquences, son timbre, intriguent, bizarre. Une  marionnette rouge et blanche à entonnoir de fou, joue du violon puis s'envole, cigogne de pacotille.Puis se cogne aux vitraux de couleurs. Un chapeau dada, de Carême, toque de chef dada foutrac fait mouche.Une autre marionnette bleu scintillant, robot manipulé par pile comme un play-mobil télécommandé, des chapeaux à colonne comme dans un défilé de mode....L'univers évoqué est riche et varié, la langue étrangère inventée, musicale en onomatopées, et ce joyeux brouhaha, enchantent petits et grands. Danse de bâtons au final, en tourniquet, portrait de groupe avec la peintre et ses modèles: tout rentre dans l'ordre, la vie s'arrête: "réveilles toi" le conte est fini!

Au TJP jusqu'au 28 Mars"

mardi 26 mars 2019

"We were the future" : Meytal Blanaru : l'attraction furtive, juste le temps du doigté de la danse.


« Et si nous n’étions qu’une collection de moments fugaces ? Peut-on se fier à nos souvenirs ? » se demande Meytal Blanaru. Ainsi la jeune chorégraphe israélienne a imaginé, ce trio de danseurs accompagnés d’un musicien et le public assis autour, à proximité. Prenant appui sur l’expressivité des corps et de la musique live, leurs gestes se déploient avec une intention commune : créer un paysage, le paysage insaisissable d’un souvenir..."

Sur un tapis de danse , carré blanc bien défini, trois danseurs , pieds nus, tenue légère claire et blanche, dansent, du bout des doigts: immobilité, petit bougé infime, imperceptible mouvance très finement ciselée. Saisir, pousser, prendre, offrir en seraient les tenants, les suggestions à peine dévoilées. Du "petit rien", du "à peine" ou  "presque pas", feutré, discret: un brin d'évaporation , de suspension, d'apesanteur dans la lenteur qui se déploie à l'envi.Juste le visible émergé des muscles profonds qui s'émeuvent et fond surface à fleur de peau. Les regards flottants ou précis, concentrés, divergeants. Les vibrations de la musique live d'une guitare amplifiée les pénètrent, les habitent et se prolongent à travers leurs corps, porteurs, récepteurs puis émetteurs à leur tour, des ondes vibrantes.
Les parties du corps de chacun s'animent peu à peu plus perceptiblement, créant de l'espace, dégageant les issues, les voies de passages. Grande concentration à l'unisson, écoute et respect de l'espace de l'autre.Lentement, ils se redressent ou s'épanouissent, dans une danse effleurée, touchée, caressée.
On s'attarde sur l'un, l'autre, puis les trois à l'occasion d'une construction spatiale en diagonale.Postures, attitudes ou pauses toutes personnelles.Dans une marche commune, ils se rejoignent, descendent au sol: de plain pied, statuaire mouvant sans piédestal.


 "Juste le temps"
Ils s'animent, se réaniment dans des tempi différents, puisent dans des mesures millimétrées, dosées savamment.Les regards perdus au loin, aimantés, attirés par des ondes qui les manipulent, les dirigent: comme suspendus, aspirés par des forces extérieures. Mémoire de la matière inscrite dans les corps, gestes, esquisses interrompus, lutte contre leur gré Attraction, répulsion dont ils seraient les objets, les instruments en mouvement docile et intensément vécus. Des contacts feints, échappées belles, diversion, esquives détournant ou épousant les contraintes de la gravité. La musique en continu, écho, réverbère et ricoche les traversant à foison.Englués, dans la matière, en résistance, en tension, c'est comme une lutte interne, épuisante.
Un solo  tressaillant, plein de tremblements, de tétanie ou d'abandon retenu est de toute beauté: fébrile, prisonnière de ses spasmes vibratiles l'interprète, femme dévolue toute entière à son art charnel et très sensuel.


Les deux autres danseurs l'observent, attentifs. Les trois personnages énigmatiques figures de quelque épopée ou odyssée de l'espace s'unissent à nouveau, prennent place parmi nous pour scruter la frontalité et danser le sagital, du bout des doigts, de la main, comme une adresse mystique, un  oracle de prédilection.
Sur le futur déjà disparu, sur le présent tout proche, sur un passé oublié?
Des gestes de la main, ouverte, guident la danseuse, la happe, l'éperonne: l'air est matière, ils s'y confrontent sans cesse, malgré des obstacles irréels qui les entravent. Volte face, pour mieux faire front: l'énergie aux bout des doigts, et plus loin encore, au delà du regard qui prolonge espace et directions. On s'y infiltre, on s'y déploie en empathie plénière, distillant l'essence de ce récit tactile, fébrile, cette narration subtile et dramatique.
Des instants rares où la danse est une fois encore terrain pour l'école buissonnière des plus belles escapades.

A Pole Sud le 26 Mars dans le cadre du festival Extradanse