vendredi 29 mars 2019

"Accusations" par C° WArd/waRD : Ann Van den Broek : le verdict est bon: acquittés!


En anglais surtitre en français 
"Pièce de groupe d'un nouveau genre inspirée par la lecture d'Introspection de Peter Handke, Accusations, prend la forme d'une course de relais hypnotique. Cette étrange sorte de machine humaine donne voix aux interprètes, multipliant les points de vue sur les zones d’ombre de nos humanités. Du texte de l'auteur autrichien, il ne reste que l'essence et la répétition. Entre énergie et humour noir, concert et installation vidéo, la danse de Ann Van den Broek déplace les frontières du théâtre." I.F.

Noir: plateau, costumes, noir et blanc pour les images vidéo différées ou en direct: le ton est donné pour ce sempiternel défilé, marqué au sol par un carré lumineux, néons obligent et un trajet comme sur un podium de défilé: une routine ensorcelante, médusante où huit danseurs, hommes, femmes à parité, se meuvent en alternance
Elle, la chorégraphe fait les préliminaires de ce show érotique;
Bruits de pas, chacun prend position à la queuleuleu et donne une image très singulière de lui-même; tous différents, gabardines ou collants noirs moulants dans des matières au noir scintillants, presque cuir ou plastique.Les attitudes, poses ou postures ponctuées par un lancinant frappement de la musique en live Au barreau des "accusés", chacun argumente, gestes et postures au poing dans un beau parlé gestuel très personnel: on se défend avec agilité et intelligence! Accusé, levez-vous! Relevez-vous !
"Je n'ai pas réussi à " entonne la chef de rang, mi gothique, mi punk et voilà le résultat
Une litanie obsédante qui fait froid dans le dos, un défilé en cadence où l'on frappe, souffle sur les micros, où l'on crie ou s'arrête en poses languissantes, sensuelles. Les visages animés de mimiques discrètes, maquillés, les yeux pétillants. Plaintes orgasmiques : comme une marche martiale, ponctuée par un métronome omniprésent, dictateur du rythme.Reptations animales, toujours dans le sens des aiguilles d'une montre pour les danseurs-acteurs de ce show quasi fantastique. La caméra en contre-plongée fait des plans rapprochés, mouvants de cette faune étrange : bruitages incandescents de folie contagieuse.Sur le ban de ces "accusés", justice se fait, éloquence et plaidoyer des gestes à l'appui!

On est à la Fashion Week, presque chez Victor et Rolf, dans un style néerlandais minimaliste, loufoque et perturbant. Révolution de podium, de matières, de lumières pour cette danse sans transe mais bardée de magnétisme Hitchcockien!
On regarde sur l'écran, ces bestioles humaines défiler une à une, on scrute les expressions avec avidité, excité , titillé par le rythme incessant qui borde l'action.Ca passe et ça repasse, va et vient oppressant, hypnotique: les chauve souris de ce bestiaire mi homme mi animal, réveillent les flux et tendances au mystère.Comme un cortège funèbre, joyeux, burlesque qui n'en finirait pas de faire des pieds de nez à la camarde!
Sur l'étroitesse d'un simulacre de podium.



La marche est répétitive, à chaque fois s'y ajoute un infime détail de mouvement différent: les têtes se cassent le cou, les bras ou hanches ondulent, les regards fascinent .
En secousses, en ébranlements directionnels, à l'unisson parfois, ce petit monde avance, tribu exécutant son rituel païen, sans foi ni religion, mais avec partage et intelligence de ce qui peur "relier". Des voix enregistrées se superposent dans un brouhaha démentiel et l'on se surprend à adhérer à cette ambiance, atmosphère noire de polar punk où l'outre noir comme sur une toile de Soulages fait rebondir fantasme, espace et profondeur des abysses de l'absence de couleur.
Noir c'est noir, il y a de l'espoir dans cette micro société où tension et concentration peuvent s'infléchir en un petit décalé, une chute ou un chassé-croisé de regards.
Accusés, vous êtes "acquittés" !

Au Théâtre de Hautepierre le 29 Mars
Dans le cadre du festival Extradanse, initié par Pôle Sud CDCN

mercredi 27 mars 2019

"Les diablogues" de Roland Dubillard: Un duo nez à nez, d'enfer !

Roland Dubillard (1923-2011), Molière du meilleur auteur pour cette pièce en 2008, se situe dans la lignée des grands auteurs surréalistes français (Jean Tardieu, Jean-Michel Ribes, Roland Topor).
3Il joue avec les mots, les êtres et les situations incongrues dans lesquelles il les place. Dans cette pièce qui est son œuvre phare, il crée une suite de rencontres inattendues dont l’absurdité des propos suscite le rire immédiat.Autant un exercice littéraire comique qu’un duo de clowns fragiles, de clowns du verbe, « Les Diablogues » mettent en jeu deux personnages, Un et Deux, dans la dérision de leurs obsessions : une respiration comique de laquelle s’exhalent des parfums d’amour, de gravité, de poésie.Parés de l’innocence des personnages beckettiens, du goût du verbe classique et de l’amour de la comédie, entre tendresse et pudeur, les deux personnages apparaissent dans un dénuement les rendant aussi vulnérables que têtus, mais toujours profondément humains et terriblement drôles !3
Christophe Feltz, comédien, metteur en scène, mars 2019

Ca démarre sur les chapeaux de roues ce soir là au Café Brant: les deux compères s'attaquent à Freud pour cette "symphonie en levrette" qu'ils auraient aimé écrire, dans la plus belle des dérision à propos de la psychanalyse lacanienne! 
Et "hop" on plonge avec eux, ou plutôt sans eux, ces deux poltrons polémiqueurs et empêcheurs de tourner en rond...En slip ou en caleçon, dans des gerbes de plouf, c'est comme ça qu'on les aime: Dubillard comme muse et inspirateur de connivence joyeuse et absurde en diable! Leur nez n'est pas "boucher" et c'est bien nez à nez qu'ils s'affrontent, bien nés.
D'un ministre de la culture on retient une tête d'andouille et une envie de "décentraliser" la culture dans des "maisons" dans le Centre, le massif central! Excellentes "remorques" tout du long sur les "centres" culturels délocalisés.
Un petit tour chez les métèques histoire de causer de la légion d'honneur: on glisse d'un univers à l'autre à l'envi, les propos se dérobent au profits d'autres sujets qui refont surface quelques sketches après...Les deux comédiens s'agacent, se contredisent ou se complètent, se dérangent et s'importunent pour leur plus grand plaisir et le nôtre.
Un jeu de "ping-ping" taping-tapong avec une cousine Paulette à partager, Arlésienne fantôme: c'est bien rythmé, absurde et surréaliste à souhait.
 Alors on va "décrocher la timbale" avec le dialogue d'un jeu télévisuel ridicule et stupide à souhait où le joueur anti héros gagne toutes les questions à son unique sujet!
La mémoire questionne un spectateur du théâtre Français: les voilà en tragédiens émérites, caricature légère de Corneille ou Racine.
Au tour de Beethoven d'écrire en étant sourd ce qui n'est pas paradoxal, puisque l'un d'entre nos deux compères se bouche les oreilles pour coucher les mots sur le papier
La langue de Dubillard est piégée, pleine d'embûches, de nids de poule et de trottoirs non sécurisés ni stabilisés. Plus de balises ni de marquage sur la chaussée déformée!C'est fin, drôle et distancé, subtil, sur la corde raide toujours.
Des "si" et des "non" en cascade histoire de se contredire en avançant toujours sans patiner dans le vide. Dialogues féroces de salles gosses, fiers de leur papa, qui font du hachi de zizi et vont pleurer dans les jupes de leurs mamans...
Comme des "cadavres exquis" la plume de Dubillard s'entrechoque, se contrarie sans cesse, sans apparemment ni queue ni tête mais avec beaucoup de malice ingénue.
Un excellent moment en bonne compagnie: Christophe Feltz et  Luc Schillinger au mieux de leur forme;
Au café Brant le 27 Mars


La grande Sophie à hue et à "Dadaaa" !


Amélie Poirier, Les nouveaux ballets du Nord-Pas-de-Calais.

"Pied de nez à la rigueur des conventions et aux batailles idéologiques du début du XXe siècle, le Dadaïsme marqua, par sa liberté créatrice et son irrévérence, l’imaginaire de nombreux artistes. Pour les plus jeunes spectateurs, Amélie Poirier se plait ici à reproduire à échelle variée des marionnettes cubistes et minimalistes de Sophie Taeuber-Arp et des photomontages d’Hannah Höch.Le tout dans une performance électroacoustique inspirée par les poèmes d’Hugo Ball et Tristan Tzara où la parole devient davantage matière que sens. Trois danseurs-marionnettistes et un contre-ténor performeur nous plongent dans un monde imaginaire, un univers plastique qui fait se rejoindre espace sensoriel et questionnements politiques portés par l’esprit Dada. Car Dada n’a ni queue ni tête. Dada colle, agrège, mélange, travestit… Dada se moque. Qui mieux que les enfants sont Dada ?"
Et l'on en sort "gaga", enchanté par ce bel hommage à la grande Sophie et à son écurie fantaisiste de marionnette, à doigt, à fil..."Le Roi Cerf" se taille la part belle et sur scène, des reproductions de ces figurines dadaistes occupent l'espace Les quatre comédiens ouvrent le ciné-bal à l'aube -Aubette- de ce parcours fantastique dans l'univers de cette femme artiste hors du commun: danseuse et créatrice de tissus, mini-textiles merveilleux!
De la poésie sonore sourd des lèvres d'un violoniste-chanteur ténor alors que la figure de la peintre s'occupe à grimer ces créatures rêvées. Tous s'amusent, rigolent, joyeux quatuor qui se questionne dans une langue inconnue.

Deux danseurs épousent la forme d'une grande marionnette anguleuse, tout de doré vêtue.Comme elle, ils se désarticulent, mimétisent en même temps: corps perchoir pour une autre petite figurine qui s'envole...La musique vocale bat son plein, de beaux portés soulèvent les autres pantins, sculptures à deux dos: transport de corps: les "écrabouillé, araignée et autre accident" de parcours labial pour un peu d'absurde, de surréaliste dans cette histoire abracadabrantesque.Des coiffes dorées, des costumes chamarrés pour ces marionnettes à main, comme des gants de couleur qui chatouillent les comédiens-danseurs.Un petit cerf se fait manipuler, à petit pas, grimpe sur les corps alors que son alter égo, avatar, le Roi Cerf, magique et tribal s'émeut et partage le plateau.


Dans un langage codé, mystérieux oracle. Trophée de cornes brandi pour la chasse. Les trois comédiens, en noir et blanc, la danseuse toute jaune font un tableau vivant, mouvant faisant évoluer masses graphiques et couleurs.Le vibrato de la voix, ses fréquences, son timbre, intriguent, bizarre. Une  marionnette rouge et blanche à entonnoir de fou, joue du violon puis s'envole, cigogne de pacotille.Puis se cogne aux vitraux de couleurs. Un chapeau dada, de Carême, toque de chef dada foutrac fait mouche.Une autre marionnette bleu scintillant, robot manipulé par pile comme un play-mobil télécommandé, des chapeaux à colonne comme dans un défilé de mode....L'univers évoqué est riche et varié, la langue étrangère inventée, musicale en onomatopées, et ce joyeux brouhaha, enchantent petits et grands. Danse de bâtons au final, en tourniquet, portrait de groupe avec la peintre et ses modèles: tout rentre dans l'ordre, la vie s'arrête: "réveilles toi" le conte est fini!

Au TJP jusqu'au 28 Mars"