mardi 25 juin 2019

"Les Rencontres d'été de Musique de Chambre" de L'Accroche Notes: on s'accordéon bien en robe de chambre!

Les Rencontres d’Eté de Musique de Chambre sont aussi l’occasion de présenter des œuvres contemporaines du répertoire ou des créations. Ainsi en 2019 sont programmés Olivier Urbano, Pascal Dusapin, Edith Canat de Chizy, Thierry Escaich (création française), Walter Zimmermann (création)…
Lors de cette dix-neuvième édition, l’Ensemble Accroche Note sera le premier soir en trio avec Marie-Andrée Joerger, accordéonniste, puis accueillera le quatuor à cordes Adastra lors du deuxième concert. Les musiciens de Plage musicale en Bangor rejoindront l’Ensemble Accroche Note pour clore cette événement.

Mardi 25 Juin

Luis de Pablo Puntos de Amor pour soprano et clarinette (1999
La somptueuse voix de Françoise Kubler installe d'emblée le ton de la soirée, entraînant dans son sillon son partenaire complice: cette voix qui semble tout droit sortie de la clarinette, qui sourd et coule de source dans une litanie précieuse et distinguée.
Un beau dialogue, oiseau chantant, luttant contre le timbre assuré de la voix.L'opus est fort contrasté entre fougue et douceur, dans de belles envolées lyriques en vocalises. Pépiement de la clarinette qui fait sa "démonstration", instrument qui fait le beau, en parade virtuose! Course folle contre la montre, contre le tempo: qui vaincra? Le basson vient calmer la donne en trémolo plaintif, votif.

Thierry Escaich Prélude et fugue pour accordéon seul (2019) création française
Elle fait bloc, fait corps avec son instrument, en sort des sonorités d'orgue ou d'harmonica. En secousses ou en continu, en mélopée ascendante, un peu "latino", en gamme survoltée.
La dextérité de Marie Andrée Joerger est impressionnante, son aisance à manier le souffle de l'instrument laqué, miroitant sous les projecteurs, séduisante.La respiration laquée, nacrée du soufflet comme un poumon qui se vide ou se remplit, la fait tanguer, danser, épousant la musique en accord.

Olivier Urbano Betlehem Doloris pour clarinette et accordéon (2002)
Les accents orientaux de la clarinette donnent des airs de charmeur de serpent à Armand Angster qui trace ainsi de lointains paysages dans l'espace.Nostalgiques mélopées yiddish, plaintes et frémissements garantis.Des mouvements vifs et relevés, en cascade de notes: un duo en osmose où les deux instrumentistes se poursuivent, se doublent, se rattrapent en envolées stimulantes.Très dansante, tourbillonnante cette pièce, rythmée, scandée, répétitive va son  train d'enfer vers une destination inconnue! Avec des accents de lointaines contrées et un petit air de famille avec Michael Nyman ou Mérédith Monk.....

Carl Maria von Weber Cavatine du Freischütz pour soprano, clarinette et accordéon (1821)
La belle voix de Françoise Kubler prend ici toute sa dimension lyrique, entraînant dans sa lignée ses partenaires.Voix épanouie, pleine, mouvante et envoûtante, riche en émissions sonores inattendues et flatteuses.

Eric Dolphy God bless the child pour clarinette basse (1961)
Tsunami en prologue, déferlante de notes ponctuées, en reprise régulière...Insistante, la mélodie réapparaît, se dissimule comme un leitmotiv qui joue à cache-cache. Jazz déstructuré, revisité à l'envi.Entêtante, pugnace et déterminée;
 De belles vibrations pleines, des envolées et tout reprend pied et s'enrichit des variantes, lancinantes ritournelle qui déroule des notes en collier de perles, les éparpille Au final, une lente marche étouffée, grave et solennelle libère toute la prestance de l'instrument inquiétant et impressionnant.
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Manuel De Falla Quatre chansons populaires pour soprano et accordéon (Asturiana – Jota – Nana – Polo) (1915)
On ne va pas s'en priver de ses accents espagnols, andalous et voici chant et accordéon au diapason, comme pour une corrida musicale: de lamentations mélancoliques, délicieuse et gourmande mise en bouche, on se régale puis c'est la femme hautaine sûr d'elle, majestueuse qui s'exclame, s'impose dans de beaux mouvements dansants, sautilles, enjoués. Un beau jeu d'actrice , femme déterminée et puissante! La séduction opérant entre deux amants, pour laisser place à la berceuse puis à la fougue de l'accordéon, force et conviction dans le jeu!


Walter Zimmermann Sarganserland pour voix, clarinette et accordéon (2019) création
Belle surprise que cette "grisaille" : on songe à Offenbach et sa Péricole 
"Si ma parole est un peu vague, Si tout en marchant je zigzague, Et si mon oeil est égrillard, Il ne faut s'en étonner, car... Je suis un peu grise, un peu grise.Mais chut! Faut pas qu'on le dise! Chut! 

"Je me dégrise lentement" : à nouveau un terrain propice pour Françoise Kubler, à cultiver ses talents de comédienne:lente hésitation, dodelinant de la tête sans exagération, tout en finesse et suggestion, la voix se glisse à travers les failles de la "griserie" et trouve son chemin en tâtonnant, discrètement Ses compères la portent, l'accompagnent , complices, receleurs du secret de cette voix comme dans un cabaret allemand, berlinois... Chancelante et en déséquilibre, en buveuse qui articule, prononce pour ne pas perdre le poids des mots, les appuis de la mélodie. Elle cause, loquace, fébrile, intranquille mais garde la face!
Comme pour nous délivrer un secret: puis, oh, miracle, elle retrouve la possession de son instrument: sa voix refait surface, ses deux partenaires l'ayant transportée jusqu'à l'ivresse puis la décompression. Ils la dégrisent, l'encouragent à sauter le pas. La voici délivrée, libre d'émettre hors de ce ton confidentiel et confiné par l'alcool. Elle chante, se livre, se lâche ou se retient encore histoire d'expérimenter le confort et l'assurance retrouvés. Sensuelle et envoûtante prestation. La voie est libre ! En présence de Walter Zimmermann lui-même signant cette dédicace à l'ensemble !

Un concert brillant, plein de sursauts, de brio, de surprises digne de la démarche de l'Accroche Note", en robe de "chambre" pour notre plus grand plaisir intimiste au coeur du temple du Bouclier...
Françoise Kubler, soprano / Armand Angster, clarinette / Marie-Andrée Joerger, accordéon

Thom Browne danse en 2020 !




lundi 24 juin 2019

"Baleine" au festival des caves à strasbourg : des larmes de cétacé.


"Depuis plusieurs années, Simon Vincent visite les circonvolutions de l’inconscient. Quel plus bel endroit que les caves pour cette exploration ! Pour ce faire, il écrit en regard des grands mythes de la littérature mondiale. Après Kafka et ses créatures animales la saison précédente, il propose pour cette édition un monologue tissé autour des motifs de la littérature maritime : solitude des villes portuaires, appel du large, fascination pour les monstres marins, soif d’inconnu et de fuite… Anne-Laure Sanchez prête sa voix à la figure de celui qui a voulu embarquer. Nul doute, qu’ensemble, ils donnent à voir et à entendre la difficulté ou la nécessité de prendre la mer pour accomplir ses désirs les plus impérieux. Une quête de la vie en quelque sorte."



Nous sommes bien au fond d'une cave, une trentaine de spectateurs descendus se rassembler en deux rangées, face à face, laissant libre la partie centrale. Elle est déjà installée cette comédienne que l'on a tout juste quittée hier soir à Wangen pour "L'Illetric"...
Prise de parole dans l'obscurité, voix douce et tendre d'un personnage qui semble s'adresser à quelqu'un , mais à qui , et qui est-il, qui-est-elle? Peu à peu se délivrent des identités multiples ou les facettes d'une seule personne: on ne saurait pas vraiment de qui il s'agit sinon de destins incarnés par l'obsession du grand large, par la fascination des marées. Vêtue d'un chandail et d'un survêtement plutôt miteux, elle se lève et continue à se raconter sur un ton confidentiel. C'est la neige et le froid qui la tiennent en éveil, ce sont les empreintes et les traces qui la questionnent.Tel un Poulbot, un Gavroche elle veut "goûter" le large, venir pour repartir de cette ville inconnue, de cet océan, de cette côte..Le vide, la chute en funambule la tarabustent. Beaucoup de sensations dans le verbe énoncé, dans cette débâcle évoquée qui la conduit à nous faire écouter "Stand by me" communément autour d'elle. Elle fait sa propre régie, se câble, s'affaire dans la technique.
Puis vient l'évocation de la baleine, suivie par les oiseaux qui se nichent sur elle, joyeux parasites; dressée sur sa chaise  comme du haut d'une falaise, funambule, elle s'écrit, féroce et se cabre.Nous parle de son habitat misérable, défoncé, du désordre de ce dépotoir vivant qu'elle habite: poubelle souillée, amas, accumulation , encombrement d'un taudis où elle se réfugie Alors que le vide la fascine "J'ai quitté mon trou pour la plage", pour aller vers le cap. Et c'est cette "anomalie géographique" cette baleine échouée sur la plage qu'elle rencontre. Colline, bateau  couché sur le flanc, la baleine gît, morte, telle un fantôme,  et elle la caresse dans le calme du petit matin...Les images défilent, fortes à travers l'évocation poétique ou très crue de ses propos. Filer, danser sur le monde, et savoir comment la vie peut se diffuse r dans cette immense masse de chair délaissée, grasse et plissée de partout. Un œil grand ouvert semble être la piste pour pénétrer cette intrigante évocation de l'univers maritime. L’œil de la baleine qui pleure des larmes de sang . Musique à nouveau et de belles lumière s rasantes pour éclairer notre anti héroïne, assise dans la terre battue, ou sur le sable de la plage du cap.
Curieuse proposition que cette "Baleine", mi homme, mi femme, hybride, que ce personnage qui se raconte, homme, incarné par une femme ou un androgyne. Il y a comme un malaise, une hésitation, un leurre qui questionne et fait avancer peu à peu l'intrigue, le propos de la pièce. Sobriété de la mise en scène aussi pour mieux mettre en valeur le jeu de Anne Laure Sanchez, fragile créature en chaussures de marche, en vêtement de fortune. Beaucoup de sensibilité aussi dans l'approche de ce texte incongru, surprenant où la baleine apparaît, disparaît comme dans les flots, dévoilant son dos lisse huileux L'atmosphère des entrailles de la terre, cette cave étroite et moite pour nous immerger dans un monde étrange qui laisse rêveur....

Au festival  de caves à strasbourg ce 24 Juin.