lundi 22 juillet 2019

La danse dans Avignon le off 2019: bonne pioche ! Beaucoup d'atouts! Et quelques jockers!


"Histoire de l'imposture" Compagnie Mossoux Bonté
Déclics et des claques!
Un plaisir de retrouver ce tandem belge de danseurs-chorégraphes, plasticiens, metteurs en scène- images, à l'occasion du festival off!
Pour un spectacle singulier fait de pauses, de "clichés" avec obturateurs, d'attitudes sociales empruntées à l'observation méticuleuse des comportements sociaux par Patrick Bonté.
Beaucoup de charme dans ces tableaux millimétrés, tirés au cordeau où la danse se fabrique de postures en attitudes figées, de redémarrages et successions affolées, cavalcade de signes distinctifs de rangs sociaux, de divagations éclectiques sur le "corps social": celui qui ment, celui qui se trahit, celui qui séduit, celui qui questionne nos aprioris, nos convenances, nos habitudes.
C'est baroque à souhait, rondement mené, au rythme soutenu par des salves de déclics, de claques faites aux conventions.
Sarabande carnavalesque finale pour boucler la boucle, fermer les becs aux détracteurs de mensonges, aux paparazzi de la bienséance. Une qualité d'observation et d'interprétation, valant à chacun des cinq danseurs, costumés  une petite ovation!
Changements d'accoutrement à vue tambours battant pour des portraits de groupe plus vrais que nature.
A  La Manufacture

"Eh bien dansez maintenant"
Cigale et fourmis!
Sur un texte de Alexandra Cismondi et Emilie Vandenameele, production vertiges
La comédienne danseuse Alexandra Cismondi resplendit dans un role taillé sur mesure, autofiction sur sa propre vie dans un milieu familial omniprésent, lourd et obtus: milieu dont elle campe les personnages périphériques avec acidité, vérité, sans concession: on y comprend vite que l'enfermement y naîtra pour se prémunir de tas d'influences toxiques pour le corps et le mental
Dure et douloureuse histoire pour le corps de la jeune fille qui se plie alors aux exigences de l'apprentissage de la danse classique: par défaut, par revanche, par passion?
Dans une mise en espace sensible de Emilie Vandenameele, le jeu de la danseuse est précis, vif, vivant, plein de clin d'oeil à son vécu, rempli de malice aussi et de distance.A son corps défendant, meurtri mais jubilatoire, debout malgré les offences qui lui seront faites, réparé par la vie et la réconciliation avec le monde!
Au Train Bleu


"Deux rien"de la compagnie Comme Si
Mime de rien, mine de rien!
C'est trois fois rien, mais déjà beaucoup pour ce duo de charme où deux Pierrots lunaires, assis sur un banc se "conte" fleurette sans un mot, mais avec tant de malice et de complicité
Figés ou animés de bonnes attentions l'un envers l'autre, l'homme et la femme, gamins ou gavroches, adultes ou encore enfants, se livrent à une gestuelle mesurée, millimétrée, juste et savoureuse
Ils son touchants, malhabiles, naifs ou coquins, vertueux ou pas sages: peu importe, ils charment une heure durant avec leur attirail de gestes singuliers, signifiants intentions, impressions, sentiments avec justesse et précision.
Un tandem vitaminé qui fait le plein de fantaisie et d'imagination pour petits et grands enfants rêveurs d'espace et de mondes meilleurs.
A u Théâtre des Lucioles

"Envers" compagnie la Mazane
Complicités
Marie Fulconis se plaie à nous conter une histoire de corps féminins animés par la complicité de l'amour partagé, à deux, à trois pour le plaisir de chacune des trois danseuses. Animées de désir, de sentiments multiples, elles évoluent dans une gestuelle sensuelle, proche, intime journal, carnet de croquis de figures, pauses ou gestes fluides. Danseuse québécoise de formation, traversant les frontières, Marie Fulconis dessine ici les contours d'une danse sage et retenue, vibrante et mordante d'authenticité, de vécu et de partage
Au Théâtre des Hauts Plateaux


"Sous-venances" de la compagnie CMN L'Hélice Danse
A la légère !
Myriam Naisi fait son premier "off" pour partager son désir de rencontre et de proximité
Deux pièces courtes, un solo, "De plumes et de plomb" oscille entre légèreté et magnétisme, dansé par Salima Nouidé, tantôt enracinée, tantôt ange céleste
Un univers ethnique évoqué dans une scénographie en hommage aux communautés indiennes
Le trio "Sous-venance,Sur-venance" ajoute en mouvances et plasticité des volutes de couleurs, de plumes, de mascarades dans une scénographie chatoyante et pleine de référence à d'autres cultures menacées de disparition
Empruntant à ces dernières la beauté et la coloration singulière des musiques de Anouar Brahem...
Ala Factory Théâtre de l'Oulle

"Une reine en exil"
 de Jean Paul Chabrier mise en scène de Gunther Leschnik Compagnie Théâtre du Corbeau Blanc
Un jour, Pina m'a demandé.....
Sylvie Pellegry est Pina Bausch, le temps d'une évocation douce et nostalgique du personnage: assise sur son fauteuil de "reine", esprit disparu qui hante un univers dansant à jamais enfoui dans la mémoire corporelle d'une femme dansante, dissolue dans l'air.
Curieuse évocation spectrale, tranquille à partir d'un texte soluble dans l'air, léger: vie rêvée, inqualifiable  d'un être d'exception qui s'est un jour volatilisé si rapidement, entrainant sur son chemin tant de grâce et de mystère...
Exilée, dépossédée, la "reine" trône esseulée,la comédienne jouant résolument la sobriété, la demie-teinte....
A l'Ambigu Théâtre


"Deep are the woods" de Eric Arnal Burtschy BC Pertendo
Fiat lux!
Chorégraphe, plasticien et performeur, Eric Arnal Burtschy s’intéresse à la logique et au fonctionnement des sociétés ainsi que leurs transformations. Mais la question du spectateur est également centrale dans son travail. Cette année, il présente d’ailleurs à Avignon une pièce intitulée “Deep are the Woods”, pièce immersive dans laquelle l’humain s’efface au profit de la lumière...L’imaginaire autant que la perception corporelles sont mis en éveil. Éblouis, on se lève, se recouche, on déambule à travers un océan de faisceaux soumis à des métamorphoses, on plonge dans la beauté contemporaine, dans une expérience sensorielle unique.
Car en effet, dans cette pièce, pas de danseur, pas d’interprète humanoïde. On est invité à entrer en contact avec la lumière : après avoir laissé de côté tous nos effets personnels, on se laisse éblouir par un point lumineux. Rapidement, c’est cette lumière qui se met à danser ; les lignes se croisent, s’ouvrent, se ferment, nous rappelant le parcours des rayons de soleil à travers les branches d’un arbre.Une danse de lumières, uniquement fondée sur la diffusion des rayons, de nuages de lumières pour une immersion des corps des spectateurs-acteurs, plongés dans l'espace . Comme pour "Feux d'artifice" de Satie en 1917 où les corps disparaissent au profit du ballet lumineux des faisceaux de lumière! C'est une expérience immersive, participative où chacun est convié à se fondre dans ce dispositif lumineux, jouant des niveaux, des lignes, des tensions verticales, horizontales...Couché au sol au départ- c'est la seule consigne imposée, il jouit en joueur aguéri des effets, silences, rythmes pour s'impliquer dans un tableau vivant, pouvant s'en extraire histoire de regarder les autres évoluer dans l'obscurité lumineuse faite de variations, de modulations d'intensité!
A vivre absolument, comme une séance bienfaisant de yoga, de zen, de danse aussi !
A Ardenome ancien grenier à sel aires numériques Avignon



"038" de Kuo-Shin Chuang Pangcah Dance Théâtre chorégraphie Chuang Ko Hsin
Folies Intérieures
Sept jeunes danseuses survoltées dans un train d'enfer mènent la danse à l'unisson, comme en camisole de force grises, gestes militarisés, toutes pareilles, comme enfermées dans un processus d'isolement collectif§ C'est hypnotique, saisissant et plein de punch.
Comme dans un hopital psychiatrique d'antan, un "asile" où les aliénés se ressemblent par la force du rejet dont ils sont les victimes singulières.
Danse de meute, danse de hordes, hors de leurs gongs, les femmes s'affublent de chaise qui les représentent, objets de folie, de répétitions acharnées des mêmes gestes sempiternels! Hallucinant Dans l'espace circulaire en huit clos,le spectacle prend toute sa dimension d'internement....
A La  Condition des Soies

Le cabaret dansé, chanté dans Avignon Le Off 2019: une bonne cuvée !


"Maurice et la Miss" de la compagnie Sans Lézard
Complices, amis ennemis .....
Patrick Chayriguès en Maurice Chevalier, Hélène Morguen en Mistinguett font tout le charme de cette évocation des amours tumultueuses des deux grands du music hall! On y suit et y apprend plein de détails croustillants sur leur rencontre, leur ascension, leurs querelles ou jalousies, leurs déboires ou leur succès partagés ou contrariés!
C'est vif et gai, truculent et bien mené, aux côtés de Louis Caratini au piano et Stéphane Diarra à la contrebasse. C'est rondement orchestré, dans un rythme tonitruant à l'image de ces deux héros de la chanson et de la danses.Dans une mise en scène de Laurence Causse, pleine de trouvailles de paillettes, de boas et de plumes: on en repart sur les "chapeaux de roue", canotier et bas résilles au poing !
Au Théâtre des Corps Saints


"Louise Weber dite La goulue"
Sans avaler des couleuvres!
Delphine Grandsart est cette femme incontournable du paysage parisien du début de siècle: femme ravagée au début du spectacle, finie et rapiécée dont on va remonter le destin , le cours de sa vie au fur et à mesure. Découvrant la gouaille, la verve, les frou-frous et le charme de celle qui a su faire vibrer le tout Paris, le Moulin Rouge, le coeur de bien des hommes! La voix à peine éraillée, le ton juste ce qu'il faut de "titi parisien" pour une comédie musicale enjouée et sensible.
L'interprétation de la comédienne est remarquable, sans fausse note ni incitation à une quelconque vulgarité: c'est bien campé, solide, déterminé et convaincant: Louise Weber se livre et se délivre dans un solo accompagnée par Matthieu Michard à l'accordéon, dans une mise en scène de Delphine Gustau pleine de charme, de nostalgie et de poésie ravageuse!
Au Roseau espace Teinturiers

"Montmartre, la Belle Epoque"
Fantaisie satierik pour piano et deux bouches
Satie's faction! Satirique!
Un comédien, Jean Noel Dubois, Phoenix arts productions, campe un Satie, stylé, distingué, sarcastique et convaincant, soliste tenant la scène avec l'aide de sa complice Ludmilla Guilmault : tous deux attelés au piano, à quatre mains dans un show habile, malin et satirique. Le personnage principal tirant la couverture à lui, trublion de la composition, habile manipulateur des mots, des titres des morceaux de choix d'une musique décapante, déroutante, audacieuse. Une belle rencontre d'esprits et de charme, très "classe" avec des clins d'oeil participatifs bien venus à l'égard du public!
Au théâtre de l'Ambigu

La danse au Théâtre Golovine: Avignon, le off renforce la qualité dans la diversité


Avec "J'habite une blessure sacrée" de Max Diakok, compagnie Boukousou, c'est à un solo plein d'inspiration en hommage aux massacres de civils perpétrés en Guadeloupe par les forces de l'ordre, en "souvenir" de Thomas Sankara chef d'état burkinabé tué en 1987...Une danse furieuse, révoltée, agitée de soubresauts, de mouvements douloureux et sous-tendus par l'angoisse et l'oppression. De belles volutes, du sentiment dans cette distance aussi qui touche et émeut: le danseur s'y perd corps et âme et communique son aversion pour la cruauté du monde.Des projections d'images vidéo en contrepoint, paysages de couleurs ou effigie du danseur viennent répondre en dialogue à la danse live. Beau tableau mouvant de traces et signes magnétiques!


"Vendetta" de Link Berthomieux, dansé par Link Le Neil est aussi un solo plein de tendresse pour "la famille", évoquée comme une plante maléfique et toxique, mais qu'il a su fuir pour se construire. Une façon de danser sa liberté conquise, bel hommage au corps affranchi de la dépendance, danse illuminée par une réconciliation possible entre blessures et réparations.


"L'ambition d'être tendre" de Christophe Garcia , compagnie La Parenthèse,est un moment de pur bonheur, la danse en trio, encadrée par deux musiciens, Benjamin Melia et Guillaume Rigaud au fifre,  au tambourin et oh, merveille, à la cornemuse! Les souffles des danseurs croisent ceux des interprètes musiciens pour façonner une danse, vivante, percutante et emprunte de joie et de simplicité.Sur un sol en terre de Sienne rougeoyante, les corps glissent, se croisent et se rencontre à l'envie. Un moment de félicité, douce et tranquille que rien ne vient déranger, encadré par la complicité de la musique vivante patrimoniale de la Méditerranée !


"Rodéo" de la compagnie Apart, Yannick Siméon et Jérémy Silvetti est un bijou du "genre": genre traité dans tous ces états amoureux, entre deux hommes malins, complices, charmants et touchants dans l'évocation de leur tendresse, affection et passion masculine. Un duo plein de rebondissements amoureux où les corps se chahutent, s'écartent pour mieux se rejoindre, se disputer la scène, le succès ou la discrétion. Le charme foudroyant des deux danseurs nous fait pénétrer dans leur univers désopilant ou l'empathie fonctionne à fond. Une réussite de mise en scène et d'interprétation où s'envoyer en l'air est un délice partagé!


"Forward-Into outside" de la Beaver Dam Compagny de Edouard Hue, est la pièce maitresse de la programmation chez Golovine.
Un solo solaire, félin, interprété par  Edouard Hue lui-même donne le ton:gracieux phénomène, danseur évoluant sous des effets stroboscopiques ou dans un halo de lumière unique, il chemine corps baissé, scrutant le sol, leste, agile dans des sauts d'envergure, des glissades, des fractures étonnantes.
Pour la seconde pièce, cinq danseurs s’attellent à tisser enchevêtrements, contacts, mouvements à l'unisson ou solos pour tisser une mouvance singulière et forte.Du flegme, de la lassitude, des pulsations de dépense ou de rage, une qualité gestuelle inouïe, des tremblements font vibrer les corps dansants à l'envi.Du beau travail sur les pieds, orteils en éventail saisissants, jeu de jambes et talons électrisants, pas de bourrée et pieds flex, rythmes et percussions corporelles au chapitre. Danse alanguie, étirée, très contrastée en contrepoint.Un beau solo entouré par les quatre autres complices, la contagion de la fluidité fait mouche, en déploiement de lianes dansantes.Une danse binaire, mécanique en quintette, extatique encouragée par les autres. Une chaine qui se meut et se déploie  tournant sur elle-même évoque le collectif qui tourne rond et fonctionne à l'unisson.
Du bel ouvrage très convaincant!


"One More?" de Odile Gheysens, compagnie in SENSO
Et pour la fin du voyage, un petit tour par le tango contemporain, simple et belle évocation d'une gestuelle sensuelle interprétée par quatre danseurs bien vitaminés, inspirés par les musiques si évocatrices de proximité corporelle, de sensibilité à fleur de peau, hors des cadres, des codes et des normes de cette danse si souvent frelatée !