mercredi 2 octobre 2019

"Tell me everything" : ensemble de musique contemporaine de la HEAR: made in USA !


Les jeunes interprètes de la HEAR présentent un programme 100 % USA. Au centre du concert, une pièce bien étrange de Julia Wolfe qu’elle dit avoir composée d’après une cassette, offerte par un ami, sur laquelle figurait un enregistrement d’un groupe folklorique sud-américain pour le moins cacophonique. Avec humour, et par défi, la compositrice en retira l’idée d’une pièce de musique répétitive où les musiciens ne jouent jamais vraiment ensemble… Un joyeux tumulte, parfaitement conscient et organisé, qui décrit bien l’énergie de la création musicale américaine aujourd’hui.


    Direction 
  • Jean-Philippe Wurtz
    • Au début du concert une oeuvre de Natacha Diels, Laughing to forget (2018) / 13’
        Les musiciens de l'orchestre bougent d'emblée, en rythme, murmurent, voix et claquements de mains en contrepoint, froissements de matières plastiques en résonance...Les visages, les cous et nuques dans le rythme, mimiques en sus, arrêt sur images pour mieux les contempler! La violoniste simule des rires, le balancement des corps sur leur axe, assis ou debout fait office de métronome, tranquille, oscille , petite foule animée de mouvements à l'unisson, débridés et imperceptibles. Sur fond de sonorités infimes du violon, cette vision apaisante fait partie du jeu, visuel, balanciers d'horloge ou de pendules de sourciers ; c'est magnétique! Les autres cordes se raccordent, bruits de bouche claquants, têtes qui se tournent, chorégraphiées, triangles résonnants... Des "smiles" au final que brandissent les musiciens comme des calicots politiques...Manifestation intense de bonne humeur et de sourires! Cheese !! Les pancartes brandies en fanfare !

Suit l'oeuvre de Varèse "Intégrales" de 1924 où l'ampleur des sons, guerriers et emphatiques, provoquent vrombissements de machinerie, fanfare désopilante, les cuivres en majesté Décibels et volume sonore garantis, contrastes sidérants servis par les instruments animés d'énergie, de souffle, d'audaces musicales!


Julia Wolfe avec Tell me everything (1994) / 8’création française succède: musique répétitive qui nait d'un ensemble, piano, vents, cordes et percussions sourdes pour agents et vecteurs de sons.
Une puissance, riche en coloration sonore s'en dégage, quelques leitmotivs persistants, immuables en ornement. Comme un tumulte qui avance et progresse dans l'espace, qui s'accélère, tient le cap sans dérive.Irrévocable masse sonore qui suit son cour. Quelques emprunts ou accents, mimésis de Reich ou Glass, sources de pillage et d'inspiration fertiles.Ca déraille, chahute, lumineuse interprétation de l'orchestre des jeunes de la HEAR qui sourient et "s'amusent" corps détendus et aguéris à la fantaisie contemporaine!
 Joyeuse parade mouvementée où le piano s'entête, machines en folies, en liesse, en cavalcades!

Three Places in New England (1931) / 21’ de Charles Ives clot ce concert très "made in USA"...
Une référence historique en trois mouvements
Une douce atmosphère s'installe, planante, paysages et zéphyrs, ouverture très aérienne vers l'extérieur.Balade tranquille entrecoupée d'agitations, promenade lyrique, champêtre, évasion et rêves oniriques en suspension pour une écoute très attentive, tendue.
Les cordes s'étirent, contrebasse en contrepoint, harpes et piano au service de cette atmosphère bien installée.
Puis le deuxième mouvement surgit, virulente fanfare, valse enjouée, parade de cirque à la Nino Rota. Défilé plein de verve, très cinématographique plan-séquence sonore! Fellini aurait adoré ce allègre montage, découpage tectonique !
Les accents variés, parfois précieux en citation baroque, martiaux dans un joyeux mélange des styles, débridé.
 Comme une vaste panoplie de sons, en cadence militaire, en marche, sons au zénith, en apogée d'une bourrasque pleine d'éclaboussures.
Au final, dans un doux démarrage solennel, une lenteur délicieuse, le paysage s'ouvre, vaste, piano, harpes pour "aérer" la densité du tissu sonore.

Bravo aux étudiants de la HEAR et à leur chef pour ce concert "animé" de très bonnes intentions!

A l'Auditorium de France 3 Alsace le 1 Octobre dans le cadre du festival Musica_


"For human and non human beings": Jennifer Walshe : chienne de vie, pas un seul hiatus !



« La chienne Skubi et Martine ont partagé leurs vies pendant de nombreuses années. La frontière s’est estompée. Une continuité s’est installée entre leurs biologies. » Humains et non humains, animaux et végétaux partagent une destinée commune. Tel est l’axe politique sur lequel la compositrice irlandaise Jennifer Walshe opère sa révolution. Sa pratique, située au carrefour du théâtre musical, de la composition avec les médias et de l’écriture de plateau, propose une redéfinition de ce que « contemporain » peut encore vouloir dire en musique.

Musica et ses "traverses", chemin de l'âne dans le parcours du spectateur, guidé par une programmation dont le fil d'Ariane ne se perd pas: le corps, encore, en corps !
Alors, cette "performance" là, objet spectacle non identifiable en serait la plus belle preuve!

La soirée démarre avec un duo, violon, violoncelle, Nature Data / 15’ nouvelle version   de Jennifer Walshe : elles sont deux sur le plateau, l'une tient son violon, droit sur le corps, atypique attitude qui lui permettra un beau jeu de bras, libre, de côté comme pour son acolyte complice. C'est presque du Trisha Brown, mouvement libre et inédit, disponible pour des gestes"musicaux" amples et forts esthétiques. Alors qu'une bande magnétique déverse furieuse, ses décibels: elles dansent aussi, se détachant de leurs instruments, mimiques et pauses à l'appui: en contrepoint défilent des images d'animaux, lions en cage, oiseaux picorant une part de pizza; des textes en langages des signes, des bruits de gorge, des gestes de sabres que l'on dégaine...Tout s’enchaîne sans logique mais avec du rythme.Un combat fictif avec l'espace pour la violoniste qui se tâte, se mesure à elle-même, se caresse: le corps est bien là, non occulté, version non expurgée d'une danse de chair, d'espace, de rythmes...C'est drôle et décapant si on veut bien se laisser aller aussi, se faire "conduire" dans ce labyrinthe menant au Minotaure!

Wash me whiter than snow (2013) / 16’   de Jennifer Walshe succède, enchaîné: quatre interprètes en plus, percussion, chanteuse, électro acousticien et instrument à vent: un sextet où une cassette audio prend le micro et se substitue à la chanteuse-diseuse, où chacun s'exprime dans son coin, pour lui dans un laboratoire du son où les chercheurs s'ingénient à trouver "la petite bête" qui fera le bruit le plus hétéroclite! Basse cour de volatiles échappés, cour des miracles du son, labo bouillonnant, effervescent d'un opéra musical, de gestes et de bruit : Jennifer Walshe, elle même en jeu, se jettant dans la bataille.

Entre acte...Si l'on va se détendre les gambettes on tombe dans le hall sur les rérigrinations d'une population disséminée dans le public: téléphones portacles et écouteurs, en main, ils chantent, récitent ce qu'ils voient sur leurs écrans en marchant bien sur comme tout "transporteur" de "mobile"..C'est drôle: on a envie de se joindre à eux, é"barons" occasionnels de ce happening performant..C'est les artistes de Pelicanto qui s'y collent discrètement...

Reprise des hostilités avec  Facebook Chorus nouvelle version   toujours signé Jennifer Walshe 
Un violoncelle et une danseuse, Clara Cornil, adepte des performances et expériences corporelles et politiques extra-ordinaires... Elle se tord se love au sol, en reptations, tous les sens en éveil: grâce aux images projetées tout au long quasiment du spectacle, l'espace de perception et de dialogue s'agrandit.La narratrice virtuelle distillant un discours fécond sur la nature, la vie: la danseuse devient métronome, mouline des bras fait sa mutation à vue: belle stature puissante du corps, architecturé solide dans des gestes angulaires et directionnels, pas vraiment organiques, mais implantés, ancrés sur un axe mouvant de bascule.

Et voilà le "clou" du spectacle, tant attendu, effet d'appel, My Dog & I (2018) / 50’:
Quoi de neuf sur la planète de la performance sinon un acte très "animalier" manifeste sur les caractéristiques holistiques  des animaux en général, servi par un texte et des images informatives et humoristiques sur la condition animale: trop souvent méprisés, domptés, esclaves de l'homme qui se tient en "maitre" alors que les "bêtes" sont loin d'être stupides et doivent retenir notre considération, notre respect et appréciation: "oh my dog" ! 
Images, son, danse, toutes les couches s'additionnent, se mêlent, multimédia aux multiples possibilités de lecture et d'ouverture. On est confondu et confronté à toutes ces informations, devant faire le trio en régie directe: exercice pas facile, inconfortable, comme la danse, yoga, danse avec un bois de cerf, des cailloux, raide, droite stricte: elle pétrit une pierre comme de la bonne pâte ou brasse de la terre glaise...Les bras maculés de couleurs vertes comme son legging, pull rouge au corps. Tout se confond, s'écoute, s'empile pour l'auditeur-spectateur, très sollicité, actif qui danse lui aussi en pensées mouvantes, carrées.. Un fil de laine rouge se dévide entre les mains des deux complices, femmes déroulant un fil d'Ariane qui nous conduira, se débobinant, dans le film cocasse, déroutant, muet ou sonore de ce "spectacle" où les images, les corps, les sons sont autant à voir, entendre, regarder pour jouir un spectacle "total" sans frontières pour "migrants" de l'art, à la dérive, déroutant, glacis de trouvailles et de danse déconcertantes...

A la cité de la Musique et de la danse dans le cadre du festival Musica le 1 0ctobre

Performance  Jennifer Walshe Pelicanto Violon  Tiziana Bertoncini Violoncelle  Martine Altenburger Synthétiseur analogique  Thomas Lehn Percussion  Lê Quan Ninh Flûte  Angelika Sheridan Danse  Clara Cornil   Jennifer Walshe 
Ensemble ]h[iatus et Pelicanto


lundi 30 septembre 2019

"Retour à Reims" : le corps social: une histoire de genre.

Retour à Reims est un essai du sociologue Didier Eribon, paru en 2009. À la mort de son père, il revient à l'endroit où il a grandi et qu'il avait fui trente ans auparavant pour tenter de vivre librement son homosexualité. À travers son parcours et celui de sa famille, il interroge le milieu ouvrier dont il est issu, les rapports de classes et la montée de l’extrême droite. Le metteur en scène Thomas Ostermeier invente un dispositif où une actrice, un réalisateur de documentaires et un ingénieur du son enregistrent ce texte. Du choix des images va naître des discussions : qu’en est-il aujourd'hui des mécanismes de domination et d’exclusion ? Quelles histoires et quelle Histoire veut-on partager ?
Irène Jacob est actrice de théâtre et de cinéma - elle a tourné une cinquantaine de films et a obtenu le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes pour La Double Vie de Véronique de Krzysztof Kielowski en 1991. Elle travaille pour la première fois avec Thomas Ostermeier, metteur en scène allemand internationalement reconnu, directeur artistique de la Schaubühne de Berlin et dont le public du TNS a pu voir sa création de La Mouette de Tchekhov en 2016.
 
Sur le plateau, un décor de studio d'enregistrement, vieillot, suranné: déjà deux personnages derrière les vitres de la station, discutent joyeusement et partent prendre un café...La comédienne Irène Jacob débarque, celle qui, lectrice incarnera Didier Eribon et nous lira son histoire, entrecoupée de séquences très contemporaines où les époques se confondent. On y fait référence à toute une histoire sociale et politique, traversant le communisme jusqu'à la période d'aujourd'hui où l’extrême droite gangrène les milieux ouvriers. Milieu qui sera évoqué de façon très sociologique: les corps, les paroles, les attitudes sont repérables et inscrivent chacun dans son rang, dans sa caste! L'actrice aux accents de voix de Fanny Ardant, sensuelle et grave, convainc par sa présence solide, face à ses deux partenaires de voyage, voyage, illustré par des projections vidéo, images d'archives, extrait de film ...Et si le clip de Françoise Hardy, "Tous les garçons et les filles de mon âge" résumerait à lui seul le propos sur l'homosexualité bafouée à cette époque, la pièce dévoile peu à peu le questionnement sur le "genre": une femme incarnant l'anti héros!
Et un régal de musique rap en sus avec Blade Mc Alimbaye, comédien, rappeur, chanteur, plein d'humour et de gravité.
Un instant de théâtre, sobrement mis en scène, où la reconstruction, la réconciliation d'un être avec lui-même se comprend, se lit et s'écoute pour mieux inviter à découvrir l'oeuvre littéraire de Didier Eribon!

Au TNS jusqu'au 1 Octobre