vendredi 11 octobre 2019

"Les Indes Galantes" de Clément Cogitore à "Viva l'opéra"à l'UGC Cité Ciné : voyageurs sans frontières !


Le haut du pavé pour danse de basse cour des miracles !

Œuvre-phare du siècle des Lumières, Les Indes galantes s’apparente à un éblouissant divertissement. Mais le premier opéra-ballet de Rameau témoigne également du regard ambigu que l’Européen pose sur l’Autre – Turc, Inca, Persan, Sauvage… En 2017, le réalisateur Clément Cogitore signe un film explosif et très remarqué, adaptant un extrait des Indes galantes avec le concours de danseurs de Krump. Avec la chorégraphe Bintou Dembélé, il s’empare cette fois de cette machine à enchanter dans son intégralité pour le réinscrire dans un espace urbain et politique dont il interroge les frontières.



La vidéo, devenue virale, exalte, avec une somptueuse « battle » de danseurs de Krump, la fameuse « Danse du Grand Calumet de la Paix exécutée par les Sauvages ». Une musique de 1735 dans l’air de la rue : en 2015, Julien Chauvin et son Concert de la Loge la proposaient à des collégiens de Trappes (Yvelines), dans le cadre d’un projet mêlant musique baroque, danse hip-hop et chant choral 



Cogitore, ergo sum

Avec l’opéra-ballet, les dieux perdent de leur superbe. On recherche davantage de naturel, de vraisemblance. Dans les Indes galantes, hormis dans le Prologue où apparaissent les dieux Hébé, Bellone et Amour, et à la fin de l’acte de la Fête des Fleurs, on ne trouve aucune présence divine dans le livret de l’opéra.  « Un Auteur occupé du soin de plaire au Public a-t-il tort de penser qu’il faut quelquefois essayer de le divertir sans le secours des Dieux et des Enchanteurs ? », Louis Fuzelier, préface des Indes galantes.
Alors, en avant pour ce "crépuscule des dieux" où les corps-chanteurs-danseurs mènent la danse dans un exotisme "à la turque" dans ces "indes galantes" Est de l'Asie et des Amériques à une époque où l'on découvre le monde, ou Montesquieu écrit ses "lettres persanes" et Voltaire son fameux "Zadig"...
Et aujourd'hui, à l'Opéra Bastille et non Garnier avec sa tradition plus "classique", Clément Cogitore agite le "genre" opéra-ballet, à l'origine, intermèdes dansés au coeur d'un opéra, hormis pour Molière et ses fameux opéra-ballet souvent débarrassé ou expurgés de leurs séquences dansés. Là bas, Rameaux, chorégraphe, ici Bintou Debélé, savante alchimiste des genres pour nous proposer une revisitation pêchue et décapante des traditions chorégraphiques .Terpsichore n'a qu' à bien se tenir, ici on déplace, on bouleverse les codes et prouve que le rythme est inhérent à la musique et à la danse.Un prologue qui en dit long sur jeu et mise en scène: c'est Hébé Sabine Devieilhe qui ouvre le bal dans l'arène, vaste creux en milieu de scène qui se verra fosse aux lions, cratère de volcan ou rond de feux de la rampe. Décor grandiose, déus ex machina de rigueur pour ce pays des fantasmes exotiques, des rêves et projections sur ces "indigènes, "bons sauvages" à la Rousseau...Chant, danse et mise en espace obéissant à l'ampleur du plateau, à la visibilité aussi des caméras qui ce soir là diffusent en régie directe, le spectacle grandiloquent, immense fresque cinématographique signée du démiurge du moment, le modeste et talentueux réalisateur-plasticien, alsacien, hors pair, Clément Cogitore. On retrouve ici son univers fantastique, inquiétant, de cavernes habitées par les loups, de nature vierge domptée par les hommes...Et pour mieux contribuer au relooking de l'oeuvre, une chorégraphe des rues, compagnie "Rualité": danse de trottoir, de pavés portée sur scène, magnifiée par des danseurs, performeurs, technicien hip hop ou krump de toute virtuosité habités.Estrades et podiums pour mieux magnifier dans la singularité une danse collective, de meute envoûtante, rituel cérémonial de tribu citadine des rues!
Un "genre" dérangé, "dégenré", grand dégenrement  pour mieux cerner le contemporain de ces rythmes jadis dévolus à la "basse danse baroque": finis les demi-pointes et petits relevés, les ornements de perles baroques, rare gestuelle châtiée et retenue, contenu par des costumes encombrants C'est la fête aux couleurs, aux ethnies, aux différences, qui fait de ce spectacle total, un rêve éveillé de fantaisie, d'humour, de fatalité et parfois de dérision narrative: le récit est complexe, les amours embrouillées, mais qu'à cela ne tienne, la diction remarquable des chanteurs, français limpide et clair, est excellence et les sous titres quasi inutiles.Sur l'écran gigantesque de l'UGC Cité Ciné, ce jeudi soir là pour "viva l'opéra", on danse au plus près des corps, des machineries de la mise en scène: un bras de grue gigantesque fait office de manipulateurs d'éléments concourant au drame enjoué. Des cabines de prostituées, comme à Amsterdam, éclairées de rouge stigmatisent désir et interdits, et les chanteuses qui s'y meuvent à l'envi, érotiques et belles, se plient au "jeu" avec un bonheur non dissimulé! Ambiance révélée lors de l'introduction de Alain Duault  et des interviews des chanteurs à l'entracte: quelle audace et quelle générosité que de se plier à cet exercice alors qu'ils terminent les deux premiers actes pour ce replonger dans "le bal des fleurs" qui leur vaudra un triomphe et un succès étonnant auprès du public:même celui de la vaste salle de cinéma applaudit devant cet enthousiasme transportant des artistes, contagieux, qui fait "empathie" et sympathie avec ces héros issus de lointaines contrées.A retenir la scène de l'habillage qui fait du prologue un véritable défilé de mode sur podium;, à la JP Gaultier, les danseurs arborant des atours de rêve comme pour un vooging de luxe, une parade qui augure de ces genres mêlés pour le meilleur des perturbations d'époques. Et au final, la danse des sauvages, choeur dansant réminiscence d'un Béjart et son "boléro" ou sa "messe pour le temps présent". Plus de jeans mais des hommes et femmes, métissages, melting-pot pot d'aujourd'hui, en une cour des miracles hip-hop ou "coupoles" et autres figures rejoignent l’extrême virtuosité codée de la danse baroque...Des gestes tétaniques, robotiques ou de longs phrasés déliés, gracieux, sophistiqués et fluides Exigence partagée par les chanteurs, truculents, savants interprètes, intelligents de cette compréhension des rôles: "danse ce que tu penses" disait Trisha Brown, "avance" répliquait Jérôme Andrews: ce que fait faire  Bintou Dembélé, à tous pour mieux servir un opéra ballet de toutes les époques. Montalvo Hervieux en ombres inspiratrices de ce spectacle multi média, multi ethnies avant l'heure,la danse médium multiple s'emparant ici d'un plateau gigantesque.La soirée lumineuse et belle à l'UGC faisant se déplacer amateurs ou néophytes dans une assemblée, agora de la beauté, baroque à souhait de cet opus resurgi.Rameau toujours vivant sous les griffes et pattes, signatures contemporaines d'artistes pertinents, tous réunis dans la joie de servir rigueur, excelle et fantaisie: une "super production" à la hauteur du pavé ou des grandes marches de la Bastille, bastion du chant lyrique si voisin ce soir là, de Garnier, fer de lance des traditions chorégraphiques patrimoniales, iconoclastes! 
A l'UGC Cité Ciné le 10 Octobre

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Opéra-ballet en quatre entrées et un prologue (1735)
Musique : Jean-Philippe Rameau
Livret : Louis Fuzelier
Direction musicale : Leonardo García Alarcón
Mise en scène : Clément Cogitore
Chorégraphie : Bintou Dembélé



jeudi 10 octobre 2019

"Good Booty"de Ann Powers


UNE CONTRE-HISTOIRE DE LA MUSIQUE AMÉRICAINE !

Good Booty, touche en plein cœur les angoisses, les anxiétés et les espoirs américains : races, féminisme, mariage, jeunesse, liberté...
S'appuyant sur des études approfondies portant sur le genre et la sexualité, Powers narre comment les histoires d'amours impossibles, sauvages, orgasmiques, des sensibilisateurs du soft rock, des puritains punks, jusqu'aux cyborgs tels Britney Spears, créés pour définir l'érotisme musical tout aussi sexuel que libre et libérateur. Good Booty raconte comment la musique populaire est devenue la forme primaire de l'art érotique américain.

Sur plus d'un siècle de musique, on regarde avec un éclairage nouveau : Jim Morrison et Beyoncé, Joséphine Baker, les Beatles, Madonna, ou Billie Holiday, mais aussi les méconnues Florence Mills ou Dorothy Love Coates.

mercredi 9 octobre 2019

"L'objet de ma tendresse": Love Music: coeur fondant tendre ! Bonjour tendresse, bordel !



CONCERT | APÉRO | L’OBJET DE MA TENDRESSE

flûte - Emiliano Gavito
Clarinette - Adam Starkie
Violon - Winnie Huang
Violoncelle - Lola Malique

Objets quotidiens comme instruments de musique.
Instruments de musique comme objets sonores.

lovemusic explore un répertoire où le corps sonore est éprouvé dans toutes ses dimensions, du simple souffle jusqu’au cri dans un mégaphone. Les gestes de l’exécution participent aux œuvres afin de créer une musique qui incarne tout le spectre des émotions humaines, du comique au violent, du triste au tendre... C’est une musique, comme le formule Fausto Romitelli dans le titre d’une des pièces du programme, sur la périphérie : la périphérie de l’interprétation musicale à l'endroit même où elle rencontre la performance, le bruit et l’émotion...

Le collectif invite Raphaël Languillat à collaborer sur une nouvelle pièce en quatuor pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et vidéo. Intersection entre corps sculptural et corps sonore, cette pièce à caractère installatif gomme les frontières du rêve et de la réalité, de l'analogue et du digital. C'est moins l'objet du quotidien en lui-même que sa transcendance par une esthétique du close-up qui intéresse ici le compositeur, invitant l'auditeur à une méditation colorée sur la puissance de l'amour.

raphael languillat


photo robert becker


C'est sur la musique de Raphaël Languillat,"Poxylena" que tout démarre
Eclats de flûte, sur fond d'éclats d'images vidéo...Sur des sons lancinants, la flûte alto, la clarinette basse, le violon alto et le violoncelle défraient la chronique!Par piques intrusives de sonorités on entre dans un univers bordé d'images vidéo, rouge pourpre, des formes de statues se devinant peu à peu, en ronde bosse Des corps en nudité, de Cupidon et Psyché, caressés par la caméra. Le son s'amplifie dans cette lente montée du désir, il augmente en puissance, lascif, voluptueux.Les images s'effacent, les vibrations demeurent, le souffle infime, vents de marée, sons tenus et suspendus.Une expérience de toute beauté, de toute sensibilité.

Malin Bang nous offre la seconde pièce "Hyperoxic" pour flûte basse et objets.
Une pompe à vélo qui s’affaisse et respire, manipulé par Adam Starkie, une flûte en morceaux, un micro, prolongé par un mégaphone...Un petit ventilateur et tout s'anime sous le souffle des deux interprètes.
On y chuchote, on y suffoque, on crachote au micro; quelques bruissements sur peau tendue d'un ballon de baudruche dans un pot de fleurs...Beaucoup de sons hétéroclites à faire naître pour ces musiciens qui osent et ne se dégonflent pas !

Salvatore Sciarrino. avec son "Omaggio à Burri" pour flûte, violon et clarinette, sur fond d'image de trous de pellicule fondue, offre l'occasion d'une écoute et émission minimales.
Goutte à goutte des notes, émises de la bouche de la clarinette, repris par la flûte: le temps passe, s'écoule comme une clepsydre, se distille et s'écoute attentivement. Le violon mimétise, il pleut!
Nécessitant une écoute extrême, ténue pour un optimum de sensations...
Comme une fuite, un robinet qui s'égoutte, gazouillis, joyeuses circonvolutions douces et tendres.

Natacha Diels succède avec "Second nightmare for Kiku" pour violon et deux assistants.Robe rouge seyante, pour la violoniste, jeu de l'artiste inspirée, virulente, acharnée, rageuse. Les têtes et les visages des musiciens, investis dans le jeu sonore et rythmique. Petite chorégraphie minimale et de bon aloi! Voyelles sur le bout de la langue, A et B, pour égayer ces hochements et ce ballet d'archets singulier

Fausto Romitelli et son "Domeniche alla periferia dell'impero" pour nos quatre distingués instrumentistes prend le relais, en frottements, caresses sur les instruments; tendre envol bourdonnant, son tournant à l'envi, virevoltes et dérapages contrôlés du violon, en contrepoint de la clarinette qui s'affirme et prend de la force. En une coexistante joyeuse et contrastée

Et pour clore ce concert singulier et surprenant, "Esercizio di pazzia " de Filidei
Une pièce festive, "folie" pour ballons noirs aux pieds et entre les jambes!
Claquements de peaux de ballon pas encore gonflés en rythme, à l'unisson, comme des éclats de sons polissons, poly-sons. Pas sages du tout! Grincements râpeux sur le caoutchouc tendu à bloc, petites percussions ludiques: un beau tableau à regarder, contempler, que ce quatuor insolite devant nous!
Feu d'artifice, gémissements: on pète les ballons à grand fracas, tirs et salves, coups de feu, sur ballons rouges, blancs puis roses! Tout s'envole et l'on quitte ces joyeux drilles, enchantés érudits et aux anges!

A la BNU mercredi 9 Octobre


Concert suivi d’un rencontre-apéro - un moment convivial d’échange entre le public et les artistes du collectif.