dimanche 10 novembre 2019

Jazzdor : Aki Takase ,Daniel Erdmann et Unbroken: "félin pour l'autre" et chambre électro acoustique !



AKI TAKASE – DANIEL ERDMANN
PREMIÈRE FRANÇAISE
Allemagne | France – Aki Takase, piano / Daniel Erdmann, saxophones
C’est une première et pas des moindres. Si nous accompagnons le travail de Daniel Erdmann depuis quelques années et accueillons régulièrement Aki Takase, cette rencontre inédite sonne comme inespérée à nos oreilles. L’un était l’élève de l’autre à une époque et c’est désormais ensemble qu’ils se retrouvent suivant le fil rouge du grand standard « Isn’t it Romantic » qui alimentera un répertoire mêlant chansons populaires, standards de jazz et compositions. Ce sera romantique et accidenté, c’est sûr !

La voir arriver sur scène, c'est déjà deviner la fantaisie, l'élégance et les pieds de nez fait aux convenances: petite femme japonaise, longue robe noire faussement stricte et petit chapeau sur la tête avec une huppe qui dodeline et un collier blanc de grosses perles...plates!....C'est Aki Takase qui entame un des morceaux composé par son acolyte, Daniel Erdmann: deux "berlinois" : pour les 30 ans de la chute du mur, voici une belle avancée!
Cheveux en épis, saxophone teinté de patine dorée, cuivrée, le voici qui chemine avec la pianiste, ensemble dans une balade romantique, mélodique qui conduit à le reverie mélancolique. Fluide et savoureuse composition que ce "Voodoo girl".
Un hommage à Frida Kalo, la battante, écrit par Aki, "Foster Magdalena", belle composition qui révèle le doigté, la vélocité, la fulgurance du jeu et l'élégance de l'interprète, rivée à son piano, concentrée, recueillie. Une lente introduction, fluide, harmonieuse, relevée par le saxophone, relayée par des sonorités cristallines, denses et chaleureuses envolées du saxo. En alternance, mouvements vifs, ou tendres, délectables sons comme pour un appel commun, une invitation à l'écoute, au respect .
On poursuit cette invitation avec un jazz un peu "cabaret", signé de Daniel Erdmann,"The Cat",léger, primesautier, comique , gai et malin, alerte et loufoque: de la belle époque pour dandy égaré dans ce climat nonchalant et nostalgique. Ils font la paire, félin pour l'autre dans cet hommage au chat du saxophoniste, un animal bizarre, chat miroir du monde. Un caf'conc virtuose en diable changements de mesures, de tons et de durée à foison pour une exécution hors pair!
Et vient le temps des cerises avec "Cherry", une composition de Aki, pour honorer le printemps japonais et ses fleurs mythiques du cerisier, l'arbre vénéré! Un beau solo de saxo en prélude, prologue d'un opus, court et pertinent, efficace climat où chacun s'écoute, se répond, se respecte: elle s'emballe, chavire, les doigts droits sur le piano, change de cap et se dirige vers son territoire natal avec envie, passion, détermination: bout de femme affranchie, volontaire, une Kusama de la musique qui fait son chemin à la force des doigts!
 D'autres morceaux s’enchaînent, courtes bonnes nouvelles, brèves de comptoir musical où s'expriment douceur, beauté, ivresse et mesures... Quelles précipitations dantesques dans le jeu, vif et relevé, des deux complices, en cavalcade, dans l'urgence du temps qui passe et s'écoule, trop vite à notre gré!
C'était "Théma prima" une composition de Aki, taillée sur mesure dans l'étoffe de ses deux héros de la scène singulière d'un jazz très classe, posé et révolutionnaire en même temps. "Elévation" célèbre cet accord-désaccord entre les deux interprètes, puis succède un morceau plutôt à la Bojan Z , hispanisant, arabisant où le saxophone est brillant, étincelant de notes mineures et rêveuses. Pour finir, on prendra le "Berlin Express" pour accoster au port, sur le quai de la gare qui ne sera pas ni voie de garage, ni bivouac salvateur, mais détonateur de vie et d'espoir: une musique d'aujourd'hui, conduite par deux locomotives pertinentes: au centre de tri, à la plaque tournante, on choisit sa direction et son conducteur!

UNBROKEN
PREMIÈRE FRANÇAISE
France | Italie | Norvège – Régis Huby, violon / Guillaume Roy, violon alto / Vincent Courtois, violoncelle / Jan Bang, électronique / Eivind Aarset, guitare / Michele Rabbia, percussions & électronique
"C’est l’histoire d’un trio à cordes qui compose dans l’instant avec une érudition et une musicalité inouïe. L’autre trio -ils sont six- participe, capte, restitue en direct, organise en temps réel lui aussi une musique décidément d’aujourd’hui et l’ensemble sonne comme un. Jan Bang fascine par son remix-live, Eivindt Aarset travaille comme Un sous-marin scrutateur d’espèces inconnues et Michele Rabbia déroule sa science de la percussion aussi bien acoustique qu’électronique. Sans blague : c’est dingue !"

Alors en route pour un voyage au long cours, entre acoustique, musique de chambre de cordes et électronique: aux consoles trois opérateurs, guitariste et percussionniste de surcroît, pour border les sons en direct émis par violons et violoncelle: une fabrique devant nous qui se trame et se déchaîne une heure durant sans interruption. "Ininterrompues" divagations de musique fleuve pour aspirer les sons, les distiller comme dans un alambic électro acoustique qui filtrerait ou magnifierait les sons et les couleurs musicales. Insérer dans l''improvisation, le matériel musical: sons en doublure, pour border ou transformer la matière sonore, dans une atmosphère spatio- temporelle singulière, entre monde fantastique, cosmique ou de science fiction, frictions de sons étranges, bruitages en direct, mixage virtuose de l'instantané !
Du bel ouvrage virtuel, unique et source d'hypnose garantie: Bon voyage sans arrêt ni gare où l'on fraie son parcours sans halte, ni pause dans un infernal et déchirant rythme in interrompu !

A la Cité de la Musique et de la danse samedi 9 Novembre dans le cadre du festival Jazzdor

samedi 9 novembre 2019

"James Brandon Lewis, Aruan Ortiz, et Dunston, Ribot, Rodriguez, Taylor quartet ! Jazzdor en majesté !


Soirée d’ouverture du 34ème festival : James Brandon Lewis & Aruan Ortiz + Marc Ribot Quartet
JAMES BRANDON LEWIS – ARUAN ORTIZ
Cuba / États-Unis – James Brandon Lewis, saxophone ténor / Aruan Ortiz, piano & percussions
C’est un duo qui dit de la liberté, du lâcher prise. Si on entend de loin en loin chez eux l’héritage d’un Rollins – qui vient d’adouber le jeune prodige -, d’un Cage, d’un Paul Bley…
On songe davantage à un édifice en constant mouvement qui voit s’entrechoquer racines cubano-haïtiennes et architecture contemporaine. Ils chantent à tue-tête et nous racontent leurs vies.

Et c'est un régal de se laisser aller une heure durant par ce duo de choc, investi d' une énergie singulière dans une endurance remarquable:avec une lente et sensuelle introduction, mélodique et chaleureuse, avec de longues tenues sensibles et vertigineuses de saxophone, comme un funambule sur le fil ténu du souffle retenu, expiré...Puis dans des envolées, échappées belles, accélérés des deux musiciens, en écho, en osmose: les halètements du saxophone comme des vocalises , hoquètements en "cocotte", le piano, pincé, le corps de l'instrumentiste plongé dans ses entrailles , bricoleur savant de piano préparé. L'écho des résonances, entre frappements et expulsions du souffle du saxo pour mieux se fondre dans une musique ardue, tendue, inspirée. Hululeur de vent, James Brandon Lewis, debout devant nous, se tend, soutient de ses genoux flexibles, le rythme, la densité de la composition instantanée. L'évolution des styles de ce long morceau de bravoure qui n'en finit pas de rebondir par de "fausses sorties" remarquables feintes, esquives, entre silences à venir sous les doigts agiles de Aruan Ortiz et reprise du souffle au saxophone ténor.L'opus se métamorphose au fur et à mesure, se sophistique, prend de l'ampleur, de l'amplitude dans volume, timbre et sonorités. Des leitmotiv qui se répètent , envahissant le plateau, dans une ambiance cosy, orangée et bleutée: des accélérés dantesques pour "ornements" surprenants, virtuoses envolées . A l'apogée, au zénith de cette signature musicale, l'ivresse et la transe pour les interprètes, galvanisés par ses sons singuliers er recherchés, laboratoire expérimental d'un jazz teinté d'exotisme, de couleurs chatoyantes. Retour au calme, notes de piano égrenées de plus en plus lentement, perte et disparition sonore dans l'extrême délicatesse d'une grammaire savante. Les reprises toujours soutenues par le maintient constant du souffle du saxophoniste , poumons en soufflet, instrument à vent corporel de première facture ! Dans une cacophonie vertueuse, des volutes en spirales s'élèvent, ascendantes montées en force, suspensions tendues et autres manipulations divines, pour un morceau de choix qui n'attendait que des applaudissements conquis des spectateurs réunis pour ce premier "set" de Jazzdor !



MARC RIBOT QUARTET
États-Unis – Nick Dunston, contrebasse / Marc Ribot, guitare / Jay Rodriguez, saxophone ténor, flûte / Chad Taylor, batterie
Né du projet « Songs of Resistance » ce quartet est devenu le nouveau groupe régulier de Marc Ribot. L’exploration entamée avec le Spiritual Unity déjà aux côtés de Chad Taylor trouve ici sa continuité avec Jay Rodriguez et Nick Duston. Nouvelles compositions, nouvelle dynamique pour Marc Ribot qui n’est jamais là où on l’attend.

Après une pause apéritive de bienvenue, verre de l'amitié partagé c'est au tour du quartet de Marc Ribot, de causer de musique, de parler le langage chamarré d'une inspiration plurielle: à chaque fois introduit par un solo de guitare, cinq compositions et deux rappels pour nous convaincre que cette musique de chambre jazzée est remarquable, insolite, indisciplinaire et culottée! De l'audace donc aux résonances brésiliennes chaloupées, ou tangotée, à très grande vitesse, en train d'enfer:  un  tango flamboyant, polyphonie multiculturelle et chatoyante, quasi cha cha cha, fait danser les oreilles et résonner les fragrances d'étrangeté! A toute vitesse, lancée sur les rails, brûlant les étapes et fonçant dans ce vide foisonnant, la musique se déroule, forte et puissante, les musiciens jouant chacun comme il se doit, un solo pour magnifier inspiration, technique et bravoure!

A la cité de la musique et de la danse vendredi 8 Novembre

jeudi 7 novembre 2019

"Ivresses sonores" avec la Symphonie N° 2 de Rachmaninov" et la "concertante" de Prokofiev

Distribution
Stanislav KOCHANOVSKY direction, Jean-Guihen QUEYRAS violoncelle
Lorsque Prokofiev, au soir de sa vie, rencontre le tout jeune violoncelliste qu’est Mstislav Rostropovitch, sa créativité connaît un nouvel élan. Pour lui, il compose une Symphonie concertante (à l’écriture de laquelle le virtuose participe), page nimbée d’énergie, de lyrisme et d’ironie parfois grinçante. Nous sommes en 1952 et cette inventive partition se voit qualifiée de « dégénérescence sénile » par Tikhon Khrennikov, alors à la tête de l’Union des compositeurs soviétiques, garante de l’orthodoxie du réalisme socialiste. Tout aussi enivrante est la luxuriante et épique Symphonie n°2 de Rachmaninov, emplie de bruit et de fureur.

Prokofiev : Symphonie concertante pour violoncelle
Cette musique très inspirée révèle des états de sonorités et de musicalité propres à Prokofiev: on y retrouve cette sensibilité à magnifier les instruments, en bribe de solo dans la masse sonore de l'orchestre, pris comme un écrin pour mieux faire rebondir la spécificité de chacun.Lyrisme du style tardif de Prokofiev, dynamisme et énergie de ses premières oeuvres s'y retrouvent et l'on savoure le doigté du violoncelliste virtuose, ovationné par le public auquel il offre en prime une "sarabande " de Bach, "première suite" avec générosité après l'execution de ce challenge musical Auprès et autour de lui, l'OPS est une bordure de rigueur et de sensibilité, accueillant chaque intervention en son sein pour magnifier une interprétation hors pair qui laisse rêveur ! On s'y tisse des histoires, des personnages apparaissent pour enluminer mélodies et contrastes d'une musique chatoyante et quasi constructiviste à l'image des courants picturaux de l'époque. Masses de couleurs, taches et impacts d'intensité, délicatesse des tenues plus ténues....

Rachmaninov : Symphonie n°2 en mi mineur.op 27
Deuxième morceau de bravoure de cette soirée, le tsunami légendaire de Rachmaninov qui inonde l'espace de ses volumes sonores et déconcerte, envahissant de ses échappées tumultueuses, les grandes contrées paysagères de ses suggestions sonores, développées à leur zénith ou firmament
Les flux et reflux des mouvements submergent les espaces on y perd pied pour se retrouver autre part sur la berge, subjugué ou asphyxiés selon l'empathie que l'on se découvre face à cette oeuvre grandiose et magistrale!
Ecriture chorale, fluide dans sa structure rythmique, la symphonie avance et se déploie une heure durant sans que fatigue et ennui d'écoute ne s'installent; L'OPS galvanisé par tant de richesse, d'ampleur et d'amplitude se rit des difficultés et l'on embarque pour un voyage au long cour avec docilité et intérêt De musique, enivrez vous pour ce "récital" qui fera date dans le cour des prestations de l'OPS...

.Au PMC les 6 et 7 Novembre