dimanche 1 décembre 2019

Terry Riley : tel père, tel fils !


Terry Riley, précurseur du new age et de l'ambiant, ensorcelle les plus grands musiciens depuis le milieu des années 60 : le Velvet Underground ont intégré ses boucles musicales dans ses chansons, le compositeur et arrangeur Brian Eno s'est inspiré du son de ses claviers atmosphériques.
Soft Machine lui a consacré un album, Kraftwerk et le mouvement space rock allemand lui ont emprunté sa radicalité. Enfin, les Who lui dédient l'un de leur titre Baba O'Riley qui débute avec l'une des plus célèbres compositions de ce chaman de la transe. Cette fois accompagné de son fils Gyan Riley, le compositeur proposera tout un programme : un mélange de structures complexes, souvent improvisées, contenant des éléments de minimalisme, de jazz, de ragtime, et de raga du nord de l'Inde. Une association d'inspirations et de textures musicales dans la lignée de sa carrière prolifique et protéiforme

A la Chapelle des Trinitaires, espace musical du réseau "cité musicale" à Metz, le public semble impatient de retrouver ce "pape" du jazz, 83 ans, cheveux et longe barbe blanche, coiffé d'un bonnet singulier. En lever de rideau un adepte de la musique en boucle, jeune compositeur et manipulateur de console, David Chalmin, pour une ambiance répétitive et envoûtante, truffée de vibrations hypnotisantes....

Il est au piano, Terry Riley, la main alerte, le rythme au bout des doigts, vif et insurgé de la texture musicale protéiforme, inspiré de culture et de contrées éloignées. Beau tableau que le père et le fils, guitare acoustique rivée au corps. Duo, duel de complices de longue date qui se forge ici des accents conjugués, en harmonie, même dans les moments d'improvisations engagés par une inventivité à tout rompre!
Belle ambiance partagée pour ces retrouvailles avec cet orpailleur de sonorités recherchées, filtrées, tamisées par son interprétation toute singulière et attachante; son grand âge dépassant toutes les conformités, toutes les audaces et se jouant des embûches ou obstacles à la bienséance musicale.
Un petit instrument surgit au final, sorte de guitare miniature esthétiquement remarquable: un quasi jouet pour virtuose !
Une soirée mémorable, pleine de charme, de densité, d'émotion musicale! Pas de nostalgie mais bien de la réalité musicale contemporaine pour ce virtuose du minimalisme forgé par la performance et l'inventivité débordante!

A la Chapelle des Trinitaires en coproduction avec l'Arsenal et la cité musicale le 29 Novembre


"Le marteau et la faucille" : le maitre et l'enclume !


"En 2018, Julien Gosselin, lecteur passionné, a entrepris un remarquable et colossal travail de transposition scénique de l'univers romanesque de Don DeLillo. La première réalisation en a été la trilogie Joueurs/Mao II/Les Noms au Festival d'Avignon, avant L'Homme qui tombe avec l'ITA-Ensemble, la compagnie d'Ivo van Hove à Amsterdam.
Puis il a repris l'adaptation d'une étrange nouvelle déjà abordée dans le cadre de la trilogie. Ce texte s'intitule Le Marteau et la Faucille et constitue l'un des écrits les plus récents de Don DeLillo, inspiré par la crise financière de 2007. Son action se situe dans une prison pour délinquants en col blanc. Elle narre un réel totalement affolé. Des enfants présentent un programme d'informations économiques où les mots sont vidés de leur sens. Un détenu purge une peine de 720 ans de réclusion pour avoir construit un montage financier qui a causé la chute de deux gouvernements et la faillite de trois multinationales.
C'est ce monde, où plus rien n'a de sens et où le grotesque fait loi, que Julien Gosselin a décidé de convoquer sur le plateau. Il met en scène Joseph Drouet, comédien aussi sobre que magistral. Ce dernier endosse le rôle du narrateur du Marteau et la Faucille, mais aussi toutes les autres voix de la nouvelle. Il nous entraîne dans un tourbillon qui fait écho à l'absurdité, à l'irrationnel et à l'angoisse profonde dont DeLillo revêt notre monde contemporain, que peuvent secouer des catastrophes opaques et indéchiffrables."

La scène est occupée sobrement per une chaise, un micro et un écran blanc en fond de plateau.
Il apparaît, cet homme en costume cravate, profil manager...Son visage sera rapidement dédoublé à l'écran, surdimentionné, tout en rouge flamboyant, rayonnant, étrange On n'aura de cesse  de scruter ce visage, très expressif, plein de petites manies, de tics recherchés, qui dérangent et façonnent au départ un personnage meurtri, préoccupé, quelque part insurgé, instable Assis, les manches retroussées, c'est un homme perturbé qui se donne à voir dans un simple appareil qui trahit pourtant tout ce qu'il traverse d'émotions, de doutes Et de plus des changements de timbres de voix, de rythme de diction et d'élocution viennent perturber le champ d'écoute et le regard. Il est multiple, devient fillette et d'autres êtres gravitant dans sa sphère intranquille. Une heure durant le comédien incarne, distille ces textes furieux, visuels, incantatoires et révèle la densité des propos, leur musicalité. Corps engagé, visage gigantesque tableau, portrait qui ne ment pas et dévoile toutes les nuances et subtilités du jeu !Joseph Drouet à lui seul performeur, conteur, aux prises avec des propos multiples issus de sources diverses, avec brio, jouant sur la corde des dissonances des tonalités vocales, des scansions, de la syntaxe complexe.Il se joue des obstacles, vire à 180 ° dans les rôles qui se succèdent, fait l'homme orchestre ou caméléon: magistrale performance sur le fil, funambule sans filet...Bordé par une musique aux variations électroniques ascendantes, il se bat, chevauche la tonalité extérieure qui se rit du volume sonore de sa voix, escalade les rythmes à contrepoint et combat ce fatras musical avec obstination et pugnacité ! Son atelier de forgeron, sa voix et son instrument corporel comme outil de prédilection, sur l'enclume de son établi! Du bel ouvrage pour ce marteau, avec son maitre !

Au CCAM de Vandoeuvre le 30 Novembre 

"se mettre dans la peau de quelqu'un" : habiter, endosser le monde et s'en vêtir !!


patrick meyer – dimossios
ergasia : 
textes - lecture
emmanuelle konstantinidis : danse
louis michel marion : contrebasse



Une expérience de poésie opérative

Textes :
christine orizzonti : inventaire
anna magdalena compleano : fig leaf -

marcus dive :questions pour le rite des petits riens - 
van thi than : la recension des morts 
élisabeth errigal : petite cérémonie -
eliot irgendwo : géographie - 

bmw / berislav mitrofan wyschnegradsky : spamfighter - 
calool sha : estomac
costumes : léa schüttelbirne 

vidéo : ingeborg bîra

Changer de peau
C'est au MAMCS que se termine le cycle de quatre performances singulières, signées conjointement par Patrick Meyer, poète plasticien et Emmanuelle Konstantinidis, danseuse performeuse  De toute sa peau elle va irradier les séquences qui vont s'enchainer au coeur de l'architecture, des salles et espaces communs du musée. Les oeuvres, parfois en écho, parfois pas du tout; mais là n'est pas le propos. Lui, verbalise, éructe, psalmodie textes et poèmes, joue avec les mots, les sonorités et les opportunités acoustiques. Chaque étape, chaque pause ou station de ce chemin de croix jubilatoire se ponctuent d'attitudes, postures ou poses du récitant, conteur animé des plus nobles intentions et attentions au regard de la danseuse qui s'immisce, discrète dans ce paysage textuel et sonore, plastique et architectural. L' "Inventaire" en amuse bouche, mise en bouche d'une atmosphère légère, le public réuni nombreux autour de ce quatuor , performeurs et musicien,niché au fond de la grande nef du musée parmi des installations plasticiennes , tente de nomade ou abris de SDF des loques de vêtements jonchant le sol...Elle apparaît, silhouette gracile et précieuse, semblant doubler ou contredire, contrecarrer les paroles de cet escogriffe en veste et marcel blanc, travailleur du verbe, colporteur d'images sonores, de sensations poétiques.Elle danseuse, statuaire plastiquement parfaite, corps lisse, modelé,les muscles galbés, le costume seyant, juste au corps moulant, dévoilant des formes sculpturales idéales. Un corps émouvant au regard de la banalité de celui qui s'exprime, les yeux grands ouverts, haranguant la foule, tenant en haleine comme un bateleur l'écoute de la masse compacte vivante réunie autour d'eux.Scène remarquable dans le champ muséal consacré à  Hans Arp où le comédien continue sa causerie, alors que la danseuse, à l'extérieur du musée, se colle à la vitre, déformant son visage, devenant une autre en se sculptant d'autres formes molles qui se répandent sur le vitrage! Au dehors des visiteurs intrigués s'arrêtent, s'interrogent; au dedans on vibre avec cette femme qui danse la transformation, l'inversion des genres, trans-mutante, se métamorphosant en miroir déformant....Etre dans la peau de quelqu'un d'autre en se dépassant !Puis c'est la montée au ciel par l'escalator et la naissance de la rencontre entre danse et poésie: elle s'accroche à la rembarre de la passerelle qui orne la nef, prend ses appuis sur le corps de l'autre qui résiste ou se rend : duo de chair et de mots, de contact et de frôlement de peaux: peau sur peau, érotisme discret et volupté garantis. Sensuelle, Emmanuelle n'a rien d'un ange et séduit, contourne son corps, l'enveloppe, le conquiert: je t'ai dans la peau !
On voyage avec eux, suivant le guide qui brandit un petit ours en peluche rose brodé de ce mot magique "peau", objet transitionnel qui ne le quittera pas! La peau de l'autre, la peau du monde, celle de la danseuse, de ses pores qui exhalent le souffle, l'eau et la vie, la transpiration, comme chez Jan Fabre....Je suis peau, je suis acteur de cette cérémonie aux accents paiens, détournés, inversés, dégenrés. Lui en peau d'ours, elle en nuisette à la Pina Bausch, ou en short sexy pour une danse délicieuse, exotique au sein d'une salle étroite du musée. Dans l'oeuvre installée comme une cabane bardée de chaines, de cliquetis et autres barriques de bière, elle fait office de cariatide, alors que les trois autres compères opèrent une danse agitée. On les suit vaillamment dans une ambiance festive de cavalcade, de défilé carnavalesque au sein d'une institution sérieuse! Danse et verbe pas sages du tout, passages dans l'espace qui résonne avec les socles des installations, le phylactère déroulé de photographies caressées par la femme qui danse à travers ce monde imaginaire, rehaussé par la présence des oeuvres. Comme un léporello qui s'ouvre à l'infini et trace un chemin de l'âne, juste pour le plaisir d'aller là où l'on veut!
Belle prestation inventive où même Barack Obama s'illustre par son incongruité singulière et s'invite démultiplié par des masques confiés aux spectateurs!
C'est drôle et décalé, surprenant et désopilant.La danse toujours fluide et présente.
Vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué !
Cette peau dans laquelle chacun voudrait se glisser pour être un autre est bel et bien au centre du questionnement: alors pourquoi ne pas clore ces chapitres par un petit bal perdu sur la cursive du musée, chacun invité à se mouvoir tout près, proche d'un autre!
Se glisser dans la peau d'un autre, expérimenter l'impossible, rêver d'être à leur place, ici et maintenant, dans la grâce et la félicité de la danse, dans la rudesse des textes, dans la bouche et sur les lèvres du conteur récitant: être pour de bon, une fois "dans la peau de quelqu'un d'autre" !

Au MAMCS le 1 Décembre