samedi 22 février 2020

"Ion": élytres archaïques.....


Pour Ion, Christos Papadopoulos a cherché du côté de la physique, de la sociologie et même de l’ornithologie. Pour un retour aux sources en toute sobriété.
Christos Papadopoulos est un jeune chorégraphe. Grec. Et en vogue. Ce qui, a priori, le prédestine à créer des fresques où se chevaucheraient une myriade de mythes antiques et fondateurs, pour être revus par le prisme des crises actuelles, comme chez Dimitris Papaioannou et autres Euripides Laskaridis, récemment passés par les scènes du Théâtre de la Ville. Mais il n’en est rien chez Papadopoulos. Ce jeune prodige creuse des strates plus ancestrales encore, en investiguant sur un possible secret de la nature qui pourrait, sans que nous en ayons conscience, déterminer le vivre-ensemble des humains : Un code-source de la cohésion sociale. Le chorégraphe endosse alors l’habit de la recherche fondamentale et se tourne vers les êtres dont le rapport au monde n’a guère changé depuis leur apparition : les animaux.

Tremblements de terre, passages furtifs de créatures hybrides dans le noir comme attirées par un néon, plante carnivore , aimant attirant irrésistiblement ces êtres vers lui pour les repousser simultanément. L'icone est forte et plonge dans une ambiance archaique, archéologie des corps et de l'atmosphère antique.
Bruits de pas, préssés, en sus....Des formes se précisent dans un brouillard léger comme dans un hamam, peuplés de spectres, de silhouettes diaphanes, de noirs contours comme atours.Groupe compact , dense qui entame un long parcours dans la lenteur hypnotique de déplacements infimes, glissés, quasi sur place légèrement décalé, frontal, les regards lointains rivés sur l'horizon.Torses nus, hommes et femmes, dix danseurs de corpulences variables, cheminent ainsi sur une musique lancinante, répétitive à l'envi.
Tentaculaire danse qui avance, progresse, interroge le temps et son dérouklement dans l'espace, nu, vide.Des traces d'empreintes se dessinent peu à peu sur le sol, signes des déplacements, chemins de fourmis sur le sol blanchi de poudre éparpillée.Regars frontaux, fixes des interprètes, dociles créatures de reve éveillé, mues par l'intemporalité, la vacuité , l'errance, la promenade , divagation étrange de silhouettes animées par une force attractive, aimant insolite.Plongée dans un monde autant aquatique que aérien, étrangeté des expressions lisses des visages. Comme sur une cène tournante ou un tapis roulant, les corps semblent défiler, passer, s'exposer . Ils tissent trame et chaine de circonvolutions énigmatique comme pour former une toile éphémère, dissolus, vague et fragile. Le groupe peu à peu se délite, chacun prend le large doucement semblant s'affranchir de cette aspiration en spirale d'un souffle vertigineux.Motifs de tapis persan qui se dessinent au sol, comme ses empreintes, des "danses tracées", des "pélerins" à la Angeletti....Chenilles amphibies, pas et déroulement de coléoptères invisibles qui au finale se retrouvent sctotchés à nouveau au néon qui réapparait, les aspirant de dos comme un attrape moustiques draconien, irésistible aimant de l'espace ainsi conquis une heure durant, hypnotique paysage animé de grâce et de félicité.

Au Théâtre des Abbesses jusqu'au 24 Février

mardi 18 février 2020

"Yours, Virginia": du ballet ! Etre soi au bon endroit, lieu de la danse.

[CRÉATION]
Pièce pour l’ensemble de la compagnie

Pour cette ambitieuse création, le chorégraphe israélien Gil Harush, auteur de The Heart of my Heart pour les danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin au printemps 2018, exprime toute sa passion pour la personnalité et l’œuvre de la romancière et essayiste anglaise Virginia Woolf qui a tant marqué l’histoire de la littérature du xxe siècle avec des œuvres telles que Orlando : a Biography, The Waves, Mrs. Dalloway ou A Room of One’s Own. Sa correspondance avec son mari est à elle seule une expérience de lecture saisissante et déchirante.
Elle s’interrompit quelques heures avant qu’elle ne décide de mettre fin à ses jours en se noyant dans la rivière qui jouxtait Monk’s House, leur maison,dans le village de Rodmell dans l’East Sussex. Peu de voix de son époque ont autant compté. Et aujourd’hui encore, la liberté et le génie de Virginia Woolf, son audace formelle, son univers poétique et l’idée qu’elle se faisait de la femme écrivaine indépendante sidèrent toujours autant, plus de soixante-dix ans après sa disparition.
Gil Harush développe son hommage à Virginia Woolf dans une pièce qui est interprétée par l’ensemble de la compagnie.




Les lieux de là, le lieu de la danse, "la vague" à l'âme, à la mélancolie, à la folie, à l'hystérie; la "vague" à la meute, à la foule qui s'émeut de tant de fougue, d'abandon, de laisser faire, sur les corps convoquées à revêtir ces habits, cette peau du monde, d'un monde tel que Virginia Woolf imaginait les contours et le dedans...Gil Harush attrape la figure de l'écrivaine, auteure troublante de tant d'ouvrages, de correspondances que Emmanuelle Favier a rassemblés pour mieux se pencher sur sa "personne".
Multipliée en tant que femme dans des évocations diverses, d'amante, de femme dresseur d'hommes rassemblés, couchés à ses pieds, devant la guerrière combattante.Images de groupes circulant au gré de la musique, collages inspirés de morceaux de référence, baroques ou plus contemporains, rehaussée par la présence sur scène du pianiste.
Deux parties distinctes se dessinent et offrent à cette pièce, unique en son genre "dégenrée", un aspect une appréhension curieuse: les mouvements sont secs, directs, presque autoritaires, syncopés.
Les pieds flexs, le corps étirés comme des athlètes, ceux des "locomotion" de Muybridge en redondance.
Femmes et hommes s'opposent en groupe distincts, tribus mobiles, giratoires, mues par des aspirations, rotations ou glissements progressifs.L'esthétique quasi olympique de corps canoniques voués à la virtuosité de pas, attitudes et pauses mesurées.
Tout ici converge vers une interrogation sur l'être avec les autres, sur la communauté, l'isolement de la page blanche de l'écrivain, mais aussi l'irrésistible attirance et nécessité du groupe.
L'assemblée célébrant l'humain, son lieu d'attache, son endroit de convergence où il a pied , se porte bien
De très beaux portés sublimant ce désir d'appartenir à l'autre, pilier et fondement de soi.
La chorégraphie limpide, celle de l'eau qui sourd et coule de source, inonde le plateau par son évocation de vague, bordée par les corps qui tanguent, font front et s'offrent au flux et reflux de l'écriture de Gil Harush. De beaux détirés, de petites courses vrillées, un don pour isoler des personnages parmi la foule, de magnifier des duos ou trios: étranges "appuis têtes" comme rebond
Un univers de sculptures et d'architecture mouvante se dresse, se renverse, inverse les rôles, tête- bêche pour former des êtres hybrides inconnus.Un bocal bleu comme "bulle" d'air qui se promène, de l'immobilité à la conquête simultanément d'éléments disturbants qui bougent.
Des relations glacées, abruptes aussi entre hommes et femmes, lutte incessante au coeur de groupe constitués des deux "genres", féminin, masculin.
Fluidité d'un couple qui borde la harpe et la flûte d'un des morceaux convoqués pour ébranler la danse, la propulser au coeur du plateau envahi de multiples propositions simultanées.
Un ouvrage hors du commun que ce "Yours, Virginia", plume débridée d'un chorégraphe au coeur de l'analyse : équilibre, déséquilibre des êtres, gestes désordonnés,célérité, syncope et vélocité hallucinante de comportements étranges, dérangés, déplacés.Confusion et fusion des corps pour semer le trouble dans des unissons parfois très mécaniques, bien huilées.
Deux faunes couronnés s'enlacent, célèbrent la nudité, la beauté canonique.
Alors que dans le camp des femmes, les hommes à quatre pattes soumettent leurs humeurs. Gynécé, tranquille icône de l'univers de Virginia, valse lente de deux créatures en fond de scène...On  a de cesse de tout voir, tout capter tant cela fuse: image d'une carapace que l'on ôte, costumes étranges que ses slips et gaines moulant des corps athlétiques.
Et qui sont-elles ces femmes dont les prénoms énumérés esquissent une musique mélancolique où l'on retrouve son identité...
Une scène marquante où le pianiste convoque chacun des danseurs à s'unir à son jeu, esquisser quelques notes et laisser sa place à un autre, construisant la musique comme un manège, tourne collective d'un manifeste en faveur de l'esprit de communauté, entourant le soliste !
Les danseurs du Ballet, évoluant dans cette forme aujourd'hui rare de "ballet", oeuvre complexe et construite tisant des formes, des entrelacs de pointes et de flex, de promenade, de divagation de la pensée en mouvements
En soulèvement aussi, à la manière de Virginia ...


Distribution :
Chorégraphie : Gil Harush Musique : Benjamin Britten, Dmitri Chostakovitch, Philip Glass, Arvo Pärt, Ralph Vaughan Williams
Direction musicale : Thomas Herzog Dramaturgie musicale : Jamie Man
Costumes : Gil Harush Scénographie : Aurélie Maestre
Lumières : 
Les artistes :
CCN • Ballet de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse
mardi 18 février de 20h00 à 22h00
Opéra National du Rhin - Strasbourg
prix : 22€

samedi 15 février 2020

Les "1001" à Pfaffenhoffen: ça compte pour de bon !


Mais qui sont-elles ces "1001" qui se dissimulent derrière un chiffre, nombre mythique aux mille et une facettes..?
Deux femmes qui aiment définir, inventer de nouvelles règles du jeu, du "nous" en autant de péripéties et de set, de manches à exécuter pour trouver les énigmes du Sphinx, faire tourner nos méninges et ne pas "ménager" les taches du quotidien, charge mentale féminine, vaste illustration de ces "soldats d'opérette", de  pacotilles en rangées serrées...Ici on dépose ses valises pour un bivouac salutaire au pays de l'intriguant, de la surprise, de la balade buissonnière dans des univers plastiques, esthétiques, entre naif et art brut, entre art singulier et "ouvrages de dames" très stylés...Décliner les formes, accumuler les objets, recollecter , fouiller aussi les abysses de nos mémoires, de notre inconscient collectif...Ce qui nous met en empathie, en sympathie avec leur démarche artistique!


"Se mettre en jeu", se mettre en scène en autant de duos, duels, où l'on voit les deux protagonistes en photo, autoportraits, se combattre, se frotter, rivaliser d'imagination, se confondre aussi, ne sachant plus qui a fait quoi..Pour les "actifs" des kits de survie à faire soi-même pour ne perdre le nord de la créativité.Monter sa pièce soi-même, pour des "pièces montées" dignes de pâtissières de génie!
"Habiter le monde", clefs en main pour dénicher l'incongru, trouver la serrure et ouvre des portes multiples.Ne plus "savoir sur quel pied danser" !


"Dans le texte", toujours soutenu par des expressions populaires, naïves mais fondatrices d'évidence!
 et "faire bonne impression" en autant de pixels revisités.
"Jeux d'épreuves", bien moulés, "Papiers peints découpés" comme des ouvrages raffinés, exercices de style maniérés fort édifiants à propos de ce qui recouvre nos murs familiers
"10001 au quotidien" sans contrefaçon puisque le chiffre est toujours respecté dans chaque objet crée, règle du jeu stricte et validée par chacune des protagonistes, enfin dévoilées: Corine Kleck et Véronique Moser, artisanes créatrices de ces jeux, tours de passe-passe, de cache-cache, de passe muraille d'un art singulier
Reproduire, jamais à l'identique, c'est la faute aux copies non conformes à l'originel, indisciplinaire et pas sage du tout!
Quand on "repasse" c'est pour mieux gagner en farniente ménager, en pin up déjantée..Des photos de familles de femmes au bord de la crise de nerfs, en  état de colère à la Almodovar, enfermées dans des vitrines dont elles ne peuvent s'échapper...Claire Bretecher veille au grain de ces Agrippine colorées de fantaisie et de vérité mélangées.

Tout le charme et le ravissement d'une démarche que Marguerite Duras ne saurait renier; des recettes d'une cuisine décalée, déplacée pour le régal d'un festin: celui de Corine et Véronique...Banquet des sophistes éclairés!
1001 raisons de "visiter" ce "déballage" jouissif , parcours enchanté d'un monde qui rejoint si judicieusement l'esprit d'un musée vivant de l'imagerie populaire, bien présente dans notre "quotidien" fantasmé...
On joue sans tricher au jeu de l'amour et du hasard, bien guidé par deux coachs avisées !

1001 : le conte est bon !!! Nos deux Shéhérazade nous tiennent éveillés !

Au Musée de l'Imagerie à Pfaffenhoffen jusqu'au 3 Mai