dimanche 23 février 2020

"Balanchine" : conforme et en forme ! Le Ballet de l'Opéra a du tempérament !


Ce spectacle consacré à l’art de Balanchine réunit trois oeuvres de danse pure de la première période américaine du chorégraphe. Trois chorégraphies d’ensemble dans lesquelles les corps vibrent tels les instruments d’un orchestre. 

Jubilo, ergo sum
Sur les notes de Bach, "Concerto Barocco" construit en fondu enchaîné une succession de formes adressées au regard tels les éléments décoratifs d’une architecture baroque. Les Quatre Tempéraments proposent un contrepoint visuel aux variations de Paul Hindemith. À l’image des humeurs qui traversent les hommes, la danse, fluide et imprévisible, mêle consonances et dissonances dans une écriture à la fois rigoureuse et libre.
En "jupettes blanches", c'est un jeu de dames qui s'agitte joyeusement sur les notes, en fugues et fuites où chacun trouve sa place, son "endroit", son milieu et s'y plait à loisir...i successives: manèges des dix danseuses, un danseur portant les unes et les autres en alternance. Bouquets de danseuses, tunels, emboitements: autant d'instants de passes ludiques, malines et fort construites où les corps se jouent des instant aléatoires pour les faire se rejoindre en constructions savantes d'entrelacts.Placements parfaits des corps dansants dans l'espace, déplacements où chacun, chacune trouve sa place, son "endroit", son milieu à sa juste mesure et pour son plus grang plaisir, son loisir assumé, vécu.
Fils et filles prodiges de Balanchine, les danseurs et solites du ballet de l'Opéra de Paris exultent, se réjouissent, s'amusent, muses et allégorie du beau, effigies de la grâce et des transports jouissifs en commun.
Tous au diapason, dans cet hommage à la Femme, pour illustrer cette jubilation avec Bach: pointes et genoux pliés, bras en arc, liés, reliés en guirlande dans des enchainements, maille à maille.
Crochetage au point de crochet, "style et technique" en conformité avec le patrimoine balanchinien, à "la pointe de la jubilation": "jubilo, ergo sum...




L'éhémère comme credo
Dans "Sérénade", Balanchine convoque l’univers russe de son maître Tchaikovski et les corps modernes de la jeunesse new-yorkaise qu’il découvre à son arrivée aux États-Unis. Photographie de son temps, le ballet évoque aussi par son atmosphère romantique Les Sylphides de Fokine, autre maître aimé de Balanchine.
Un corps de ballet dans des costumes de voiles bleutés, longues jupes plissées transparentes, évolue, traces, signes, points en autant de figures mythiques, signatures balanchiniennes.Tableaux extrêmement composés, chaines, collier de perles ou guirlandes de corps qui se font et se défont à l'envi. Beauté fluide et volatile, éphémère et gracile des danseuses, unies, réunies et convoquées à ce rituel d'une construction architecturale, de quintet, de groupe évanescent. Une femme esseulée se détache un "prince charmant" acoure pour briser la quiétude de ce gynécé tendre et romantique....Un duo tisse des arabesques vertigineuses, alors que le groupe de danseuses bordent leurs évolutions d'autant d'arabesques plongeantes, virtuoses.Le travail remarquable des bras en couronne, en arc ourle la danse: on entend le bruissement des pointes qui frétillent, en ligne, en rangs sérrés. Pas de valse, grands écarts à terre, chaine des bras qui s'enlacent pour mieux couronner l'espace, comme les mailles d'un tricot qui se font et se défont... De beaux unissons, des chutes aussi, gracieuses, des reprises et citations de danse classique et de grands rôles de ballet mythique.
C'est du "tout Balanchine", conforme, labellisé, juste et miraculeusement contemporain; on songe à Forsythe qui a continuer à détricoter le langage classique en le vivifiant en code et grammaire tonique, décapante, stylé.
La griffe du grand chorégraphe atteint, touche et remue, efficace, dense, obéisant à des canons de beauté légendaires et fabuleux. Un trio atteste de cette fragilité contemporaine, là où deux ballerines, cheveux défaits s'adonnent aux joies d'un trio, portées par le danseur, épris comme elles de liberté ! Histoire de jalousie, de concurence, de possesivité mais aussi d'abandon et de possession amoureuse ! Au finale, l'élue est portée, victime, sacrifiée ou trophée....

Un épisode bien "trempé"
Les "Quatre Tempéraments" proposent un contrepoint visuel aux variations de Paul Hindemith. À l’image des humeurs qui traversent les hommes, la danse, fluide et imprévisible, mêle consonances et dissonances dans une écriture à la fois rigoureuse et libre. En tenue très académique, les voici, ces danseurs d'exception, à exécuter tours, pas de chat en dedans, bascules du bassin, autant d'audaces de styles, en rupture avec l'académisme classique de bon aloi. Envolées suspendue d'un danseur soliste remarquable comme en apesanteur, frolant à peine le sol... Des chutes qui retournent les corps, du déséquilibre annoncé, rattrapé à peine: la danse masculine magnifiée dans des arceaux, cintres de l'architecture chorégraphique, unique écriture savante sur le plateau nu, éclairé en fond de lumières discrètes. L'émotion retenue de quelques mouvements en cadence militaire, errance mélancolique aussi au son des violons de l'orchestren en osmose avec la danse vivante !
 Encore un solo magnétique d'un danseur qui virevolte, saute et s'élève au zénith de la félicité ... Quelques obstacles à franchir encore dans l'éther pour atteindre le firmament balanchibien...

A l'Opéra Bastille jusqu'au 29 Mars

samedi 22 février 2020

"Fase", Four Movements to the Music of Steve Reich : l'état de grâce incarné !

Un chef-d’œuvre intemporel de l’art musical et chorégraphique, aux sources de l’art d’une des plus grandes chorégraphes contemporaines
La danse contemporaine a produit des œuvres fondatrices qui éblouissent leur public depuis des décennies. Intimement liés à leurs chorégraphes, ces classiques modernes expriment le code-source d’une identité artistique et humaine, tels Café Müller de Pina Bausch ou May B de Maguy Marin. Pour Anne Teresa De Keersmaeker, cette pièce originelle est Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich. En trois duos et un solo, la jeune Bruxelloise façonne en 1982, sur quatre partitions majeures du pionnier de la musique répétitive, un chef-d’œuvre absolu de la danse minimale. La fameuse rosace dessinée par les pieds de la chorégraphe dans son solo Violin Phase donna même le nom de la compagnie : Rosas. Depuis, Fase n’a pas pris une ride et est aujourd’hui reprise par une nouvelle génération de danseuses.
Thomas Hahn

On aurait tout dit de ce chef d'oeuvre de la danse contemporaine, alors on se régale de vivre avec ses deux danseuses la rythmique,, la ligne éditoriale de la grande chorégraphe d'aujourd'hui..Des quatre "phases" laquelle préférer tant elles jouent sur une gestuelle voisine de l'hésitation, du volte face, des multidirections éclairs qui fascinent, déroutent le regard, brisent la temporalité...
Le premier dos, en robes grises et soquettes blanches, réserve aux deux interprètes la latitude du bonheur de l'évolution répétitive, bordée de spectres dédoublés, semant trouble et confusion pour celui qui regarde, elles semblant ignorer ces deux , trois ou quatre reproductions qui les assistent. Six personnages parfois se rencontrent, s'effacent, se rejoignent, de chair ou de virtualité, ombres portées comme dans un théâtre fantastique de silhouettes vaporeuses. Spectres ou esprits légers, fantômes discrets qui se jouent d'une extrême complexité des mouvements répétitifs...Le second volet est un solo virtuose, léger, versatile et plein de charme où la danseuse virevolte joyeuse dans des ébats jouissifs, érotiques, soulevant jupette et corps pour mieux atteindre un zénith de jouissance jubilatoire. Regard espiègle sur cette musique "violin phase, irrésistible attraction du temps et de l'apesanteur..
Les deux duos où l'on retrouve les deux interprètes en sorte d'uniforme, pantalon, chemisiers, chaussures renforcées pour permettre des pointes imagées, contraires à celles de la danse classique. Sur un tabouret, elles signent la gestuelle découpée, savante de Anne Teresa de Keersmaeker, avec grâce, vélocité et l'on demeure fasciné, en apnée devant cette exécution irréprochable d'une chorégraphie tirée au cordeau, jubilatoire dessin de la musique de Steve Reich, omnubilante mélodie fascinante de l'hypnose tranquille.

A l'Espace Cardin jusqu'au 22 Février





Créé avec Michèle Anne De Mey, Anne Teresa De Keersmaeker Musique Steve Reich, Piano Phase (1967), Come Out (1966), Violin Phase (1967), Clapping Music (1972) Lumières Remon Fromont Costumes 1981 Martine André, Anne Teresa De Keersmaeker avec en alternance Yuika Hashimoto, Laura Maria Poletti / Laura Bachman, Soa Ratsifandrihana
création le 18 mars 1982, Beursscho

"Ion": élytres archaïques.....


Pour Ion, Christos Papadopoulos a cherché du côté de la physique, de la sociologie et même de l’ornithologie. Pour un retour aux sources en toute sobriété.
Christos Papadopoulos est un jeune chorégraphe. Grec. Et en vogue. Ce qui, a priori, le prédestine à créer des fresques où se chevaucheraient une myriade de mythes antiques et fondateurs, pour être revus par le prisme des crises actuelles, comme chez Dimitris Papaioannou et autres Euripides Laskaridis, récemment passés par les scènes du Théâtre de la Ville. Mais il n’en est rien chez Papadopoulos. Ce jeune prodige creuse des strates plus ancestrales encore, en investiguant sur un possible secret de la nature qui pourrait, sans que nous en ayons conscience, déterminer le vivre-ensemble des humains : Un code-source de la cohésion sociale. Le chorégraphe endosse alors l’habit de la recherche fondamentale et se tourne vers les êtres dont le rapport au monde n’a guère changé depuis leur apparition : les animaux.

Tremblements de terre, passages furtifs de créatures hybrides dans le noir comme attirées par un néon, plante carnivore , aimant attirant irrésistiblement ces êtres vers lui pour les repousser simultanément. L'icone est forte et plonge dans une ambiance archaique, archéologie des corps et de l'atmosphère antique.
Bruits de pas, préssés, en sus....Des formes se précisent dans un brouillard léger comme dans un hamam, peuplés de spectres, de silhouettes diaphanes, de noirs contours comme atours.Groupe compact , dense qui entame un long parcours dans la lenteur hypnotique de déplacements infimes, glissés, quasi sur place légèrement décalé, frontal, les regards lointains rivés sur l'horizon.Torses nus, hommes et femmes, dix danseurs de corpulences variables, cheminent ainsi sur une musique lancinante, répétitive à l'envi.
Tentaculaire danse qui avance, progresse, interroge le temps et son dérouklement dans l'espace, nu, vide.Des traces d'empreintes se dessinent peu à peu sur le sol, signes des déplacements, chemins de fourmis sur le sol blanchi de poudre éparpillée.Regars frontaux, fixes des interprètes, dociles créatures de reve éveillé, mues par l'intemporalité, la vacuité , l'errance, la promenade , divagation étrange de silhouettes animées par une force attractive, aimant insolite.Plongée dans un monde autant aquatique que aérien, étrangeté des expressions lisses des visages. Comme sur une cène tournante ou un tapis roulant, les corps semblent défiler, passer, s'exposer . Ils tissent trame et chaine de circonvolutions énigmatique comme pour former une toile éphémère, dissolus, vague et fragile. Le groupe peu à peu se délite, chacun prend le large doucement semblant s'affranchir de cette aspiration en spirale d'un souffle vertigineux.Motifs de tapis persan qui se dessinent au sol, comme ses empreintes, des "danses tracées", des "pélerins" à la Angeletti....Chenilles amphibies, pas et déroulement de coléoptères invisibles qui au finale se retrouvent sctotchés à nouveau au néon qui réapparait, les aspirant de dos comme un attrape moustiques draconien, irésistible aimant de l'espace ainsi conquis une heure durant, hypnotique paysage animé de grâce et de félicité.

Au Théâtre des Abbesses jusqu'au 24 Février