samedi 7 mars 2020

"Music for 18 Musicians": Steve Reich contagieux...Fièvre du Samedi soir, zizanie dans le théâtre.

Music for 18 Musicians

Musique Steve Reich / ENSEMBLE LINKS
Mise en scène Sylvain Groud



  Présenté avec Kulturbüro Offenburg

Avec Music for 18 Musicians, Steve Reich a créé un chef-d’œuvre de la musique contemporaine : une partition minimaliste, certes, mais dont la pulsation constante et l’énergie rythmique entraînent tout un auditoire dans une expérience enivrante. Le chorégraphe Sylvain Groud est connu pour faire émerger la danse là où on ne l’attend pas. C’est ce qui se passe dans ce concert-dansé jubilatoire où les frontières entre l’écoute et le mouvement, le spectateur et l’acteur s’avèrent poreuses. Une expérience musicale collective qui immerge le public dans une chorégraphie partagée par une centaine de participants, amateurs et professionnels.

Xylophone, vents, cordes, voix...Steve Reich au rendez-vous du minimalisme et du répétitif, une heure durant et quand ça démarre, c'est parti pour un long geste musical, du début à la fin, comme une boucle, riche de toutes variations: quatre voix, quatre pianistes, quatre xylophones, un vibraphone, deux cordes, deux vents et le tour est joué.
Et la danse de sourdre de cet univers dense et jamais troublé, intacte atmosphère de retour éternel à la Nietzsche; musique absorbée par les abimes, les abysses, les échos et autres tectoniques architecturales de la composition. Face à cet édifice, la danse, mobile, gracile, évanescente. Pas à la Anne Teresa De Keersmaeker, certes, mais danse qui va jaillir de tous ces personnages, disséminés sur les gradins, comme des spectateurs lambda: ils s'ébranlent en catimini, à peine perceptible. On sent son voisin tout à coup, fébrile, envahi de tremblement, en proie à des mouvements désordonnés, étranges, hors norme.Dans une ambiance très prenante, tout s'ébroue, s'agite en ricochet, en proliférations de petits gestes pas vraiment anodins: folie, déséquilibre ou fragments de mouvements agités, singuliers, de créatures voisines, émues par une énergie musicale: éponge imbibée de reprises tonales, de répétitions d'harmoniques, de dérèglement rythmique incident de parcours gestuel et musical.Une guirlande de marcheurs-danseurs traverse le plateau, sarabande docile, domptée par le rythme et la cassure , marche saccadée, sur les pas les uns des autres, sur fond de scène gris-bleu.
Ces spectateurs s'agitent toujours dans la salle: ce sont des danseurs que l'on a plantés sur les gradins, comme autant de "mauvaises herbes", disturbant l'ordre, semant la zizanie et propageant des secousses aux spectateurs, voisins corporels, sensibles aux ondes transmises de corps à corps.
Danger de la proximité? Contagion virale de danse et de mouvements fiévreux?
Pas de panique, le ton monte, le public sent une plénitude et une extrême qualité d'écoute de la musique qui se transmet, se passe comme un témoin, relais olympique, flamme zigzagante.
Le besoin de danser, arrive petit à petit en chacun, on descend dans l'abime comme dans un sous-marin, ça grouille de petits gestes partout, disséminés dans l'espace, atomes ou électrons versatiles, vibratiles comme la danse qui s'empare des corps contaminés.
On s'agite, se lève, se retourne un peu partout sur les gradins et en front de scène: des têtes de file mènent la danse en chefs de partie, orchestrant les mouvements de groupe ou isolés. On est sur la sellette. Certain s'isolent, d'autres se fédèrent indistinctement, peu à peu, imperceptiblement.
C'est très émouvant ces bras levés à l'unisson, égrenés dans l'espace, puis rassemblés en chorale.
Affaissement soudain et brutal de certains sur leur siège, relèvement idoine, tour sur place...Grand chaos de bougés virulents, secousses tectoniques suivant les "lignes mélodiques" ou rythmiques de Steve Reich, omniprésente musique lancinante, hypnotique, sédative ou soporifique selon notre état de corps récepteur de cet éméteur fascinant.
Les corps comme autant d'instruments sur lesquels joue le chorégraphe et ses meneurs de revue.
Jamais corrigée, faussement spontanée, orchestrée dans la masse.
Ondoyantes vagues, amplitude des bras développés, levés à l'unisson, au diapason des sensations musicales sempiternellement reprises dans des va et vient redondants, pulsatifs. Pulsionnels ébouriffants, enivrants, spasmodiques.
Un soliste se dégage, émerge de la foule, isolé, fragile, à vue, rebelle.Chacun pousse ou rabat le son de ses mains, repousse l'espace, le transporte.Des "meneurs" de bal, chefs de rang, orchestrent le tout, les "figurants" mimétisant les gestes, ajustant à leurs corps les propositions gestuelles
Chorégraphie singulière, spectacle très prenant que cette foule anonyme agitée de fièvre de la danse
On tremble aussi, imbibé des secousses et tremblements du voisin de siège dans un "état de siège" participatif.
Sauts, rebonds compulsifs des acteurs; la chaine revient sur scène, petite et lente marche singulière pour chacune d'entre les mailles, soudées par la tension et l'adhésion de tous à l'énergie partagée, commune.
Petite marche d'approche, d'observation, miroir du spectateur, regard "caméra" qui nous interroge, nous interpelle.

Quand serons-nous de la partie, de la "surprise-party" ?
Balayages des lumières, poursuites dans la salle: traqués ou otages démasqués?
Un jerk frontal des danseurs et l'on se sent impliqués quand dans les rangées les danseurs tentent de se frayer un chemin, heurtent nos corps qui se lèvent et bondissent dans le mouvement qui se déclare.Épidémie de danse comme lors de celle de Strasbourg en 1518...
On saute dans l'histoire à bras raccourcis et avec empathie, englobés dans le projet, projetés dans l'univers de Steve Reich, phagocytés par musique et les petits-bougés, pré-mouvements naissants .
Tous s'éparpillent dans l'espace, entre les rangées de spectateurs stupéfaits, réticents ou ravis.
Cinq groupes compacts se forment dans l'attente, le balancement fiévreux, une marche chorale un pied devant l'autre, ferme ou hésitante selon la morphologie ou détermination engagée de chacun.
Amateurs en herbes, professionnels le temps de la représentation.
Ils prennent la scène, en ligne serpentine frontale, redoute, alignement qui avance et progresse dans la lenteur Figures qui tricotent, se rencontrent sans se choquer ni se heurter. Comme les notes vagabondes bien dréssées de Steve Reich: pas d'école buissonnière, mais pourtant une zizanie salvatrice, un désordre construit dans ce maillage savant.
Dignes, altiers, solennels, les acteurs défilent devant nous, sereins, habités par un sentiment de rectitude, de distanciation.
Des mouvements en cascades et ricochets, le long des rangées de fauteuils, bordent l'espace, l'agitent, l'habitent.Du fouillis aussi comme un taillis dans une foret prolixe de gestes, en friche, en devenir, terrain vague animé de singularités multiples.

La foule bigarrée existe et s'exprime en chacun de ses membres.
Actifs, généreux, concentrés et attentifs, vecteurs de la musique, passeurs de rythme, filtres de jouvence, tamis de réception active.
Bras soulevés, épaules agitées comme pour des danses de rogation rituelle, collective.
De beaux arrêts sur image pour apprécier les formes et sculptures chorales, les portés , les forêts de bras tendus en déplacement à différents niveaux de sol.
Chacun joue à présent avec le public convié, convoqué, impliqué dans la danse collective, passagère et passeuse d'énergie.
Des rabats, des vagues en va et vient récurrents, pléthore de propositions gestuelles fertiles.Flux et reflux élastiques, fluides de la danse divagante.
Enfin une lente descente au sol s'amorce peu à peu, imperceptible accalmie.Quelques uns encore isolés, à vue, dans des ronds de lumière qui impactent l'espace devenu singulier, repérable.
Contrepoint à la masse qui se dilue, se répand et fond sur le sol.
Tous couchés, assoupis, quelques uns résistant à converger vers l'aspiration, du sol aimanté.
Les bras ondulent, seuls membres à s'émouvoir, se mouvoir encore, alors que le volume et la puissance de la musique s'éteint, s'effondre.
Quiétude, endormissement, spectacle de sieste collective ou image de champ de bataille, de cadavres de gisants fracassés par un cataclysme, une catastrophe, une épidémie ou un massacre, génocide ou fratricide maléfique?
A vous de choisir....Des lumière rougeoyantes, du fumigène pour ornement final de cette atmosphère prenante, surprenante.
Repos éternel des corps ou bilan de catastrophe naturelle ou guerrière?
Le choeur des musiciens, encerclé par les gisants, se retire, discret, la musique éteint ses feux, l'hécatombe demeure, laissant tomber au sol la masse corporelle, la masse musicale, comme autant de touches et de notes disséminées sur la partition de cette oeuvre mouvante comme la musique de Reich qui progresse, avance: lignes en poupes, virgules, sans point de mire, ni début ni fin en ce qui concerne la danse

Une recherche fertile, commune, orchestrée de mains de "maitre de ballet" par Sylvain Groud et son équipe
Du très beau travail d'implication et engagement de tous les protagonistes anonymes, vêtus de leur banalité, simplicité singulière de leurs identités multiples

Au Maillon, le 7 MARS


vendredi 6 mars 2020

"(Ma, Aida...): Camille Boitel, fils de l'air !

"(ma, aïda....)" de Camille Boitel et Sève Bernard Compagnie l'Immédiat

De la poésie déjà, glissée sur nos chaises en deux feuillets distincts qui se complètent et le tour est joué: il va falloir recoller les morceaux de ces cadavres exquis dans la tourmente qui s'abat rapidement sur la scène.Camille apparait, dérisoire personnage, micro en main pour y voir 36 chandelles, micro qui se traîne à son fil et räle, seul sur le sol abandonné. Des duos de toute beauté font suite, en apesanteur, étreintes, glissades furtives esquissées, légères entre un homme et une femme. Des rencontres rarissimes dans des raies de lumière et sous du sable qui tombe en faisceau, lentement, alambic ou clepsydre du temps qui se distille. Des trappes qui s'ouvrent béantes du plancher pour absorber et engloutir les êtres, des boites de Pandore, comme des pièges qui se referment: magie et cirque sont de mise! Tout s'écroule, se déconstruit, architectonique des plaques dans un grand capharnaüm ou chaos excentrique. Des harnais, des accessoires pour mieux s'envoyer en l'air et jouer les fils et filles de l'air du temps. Jeu de rideau pour s'amuser, se dissimuler aux regards inquisiteurs sur ce microcosme en révolution géologique permanente! Tonique et frais, plein d'effroi dans le dos!

Au Maillon du 18 au 20 MARS
Dans le cadre du festival "Les Giboulées" organisé par le TJP Centre dramatique national 

"Georges": de belles "gisantes".

"Georges" de Mylène Benoit et Julika Mayer

A tombeaux ouverts
Deux femmes, vêtues de noir racontent l’odyssée de marionnettes usées, revenue d'un long périple de spectacles. L'une raconte et décrit l'anatomie de ces êtres de chiffons ou autre matériaux Six caisses à claire voie en sont emplies comme des fœtus dans des bocaux de formol.
 Une voix off, aux accents germaniques évoquent le destin de chacune.Habillées de leur carcasse avec os, atlas, c^tes flottantes et autres abattis.Une est comme une femme nue, manipulée encore devant nos yeux, l'autre est de matière grise et se secoue sur une musique techno. Comme des trophées, des macabés elles nous scrutent puis sortent une à une de leur coffre translucide.C'est jubilatoire ou morbide, peut importe, les images sont fortes et éloquentes: un pilier de deux corps serrant une marionnette fait mouche sur fond de musique médiévale: pilier des anges mouvant sur polyphonies lointaines.
La relique, les ossements et si la tombe de Georges avait les bonnes mensurations pour l'ensevelir comme un humain? Le trou, le cercueil de la mémoire pour tombeau: une "concession" se libère, alors allons y sans concession, libres et sereins
La pièce est étrange et interroge sur notre rapport à l'effigie plastique, reproduction quasi à l'identique du corps humain comme chez les plasticiens Duane Hanson, Toni Matelli ou Ron Muek.
Les deux actrices gisant parmi ces gisants dans le cimetière sous le soleil: le lieu reprend ses droits et la Vierge veille à la paix de cette sacrée scène!

Une fois de plus les "Sujets à Vif" font preuve d'audace et de décalage, mêlant disciplines et acteurs, auteurs et musiciens dans un vaste champ d'investigations indisciplinaires!

A l'Espace K le dimanche 15 MARS 18H 30
Dans le cadre du festival "Les Giboulées" organisé par le TJP Centre Dramatique National